Samedi 24 novembre 2018
Nous avons été gâtés en cette rentrée culturelle. Les expositions s'enchainent et sont toutes plus passionnantes les unes que les autres : le musée Cernuschi nous offre actuellement l'opportunité exceptionnelle de découvrir « les Trésors de Kyoto, trois siècles de création Rinpa », à Paris et jusqu'au 27 janvier 2019. C'est une première en Europe car c'est la première fois que des chefs-d'oeuvre inestimables tels que ceux qui sont présentés atteignent notre continent. Cette présentation est proposée dans le cadre de la saison Japonismes 2018 : les âmes en résonance, dans le cadre du 160 è anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la France.
Plus de soixante œuvres sont présentées selon un parcours chronologique en quatre parties d'après les différentes générations d'artistes du mouvement Rinpa. L'exposition aborde d'entrée l'éclat de la feuille d'or à travers une scénographie, histoire de nous préparer à la magnificence des œuvres qui vont suivre. Nous partons ensuite à la découverte de l'incroyable variété des œuvres Rinpa, démontrant s'il en était besoin que les artistes de ce courant ne se consacrèrent pas uniquement à la peinture, mais aussi à la gravure, au décor d'objets en céramique, en bois et en laque (https://www.leglobeflyer.com/consulter-reportage.php?id=819&pays=). Pour l'occasion, un espace évoquant l'ambiance d'un atelier d'artiste au Japon ainsi que deux vidéos offrent au public de comprendre les techniques artistiques adoptées par ces artistes Rinpa dont les créations ont pour objectif de faire entrer la beauté dans la vie quotidienne. Compte tenu de l'extrême fragilité des œuvres, la présentation est évolutive et intègre quatre rotations pendant la durée de l'exposition.
Henri Cernuschi (à qui nous devons ce musée) joua un rôle de pionnier dans l'introduction de l'art japonais dans notre pays. C'est lors d'un voyage autour du monde effectué avec le célèbre critique d'art Théodore Duret que l'homme se rendra au Japon, puis en Chine et deviendra l'un des acteurs essentiels du mouvement japoniste. Et son action de rendre l'art japonais accessible au public dès la fin du 19è siècle. Le musée portant son nom n'avait ouvert ses portes que depuis quelques années lorsque Sekka, le principal représentant du courant Rinpa de l'époque moderne quitta son pays natal pour embarquer pour l'Europe. L'école Rinpa, qui tire ses origines du 17è siècle, présente alors la particularité d'être porteuse d'une esthétique encore vivante dans l'oeuvre de nombreux créateurs des 20è et 21è siècles. Et sa longévité d'être probablement due au fait que ce mouvement fut animé par des générations d'artistes aux personnalités fortes, qui sauront faire rayonner leur art bien au-delà de Kyoto (Japon), ville de naissance du style Rinpa. C'est bientôt l'ensemble de l'archipel nippon qui sera gagné par ce courant artistique, puis l'Occident. Kyoto reste en effet l'ancienne capitale du Japon, le berceau de la culture traditionnelle nippone et le lieu d'origine des courants artistiques qui comptèrent au Japon, dont l'école Rinpa (ou Rimpa, terme créé à la fin du 19è siècle) fait partie. Contrairement à d'autres écoles picturales japonaises, les artistes Rinpa ne sont pas unis par des liens directs de maitre à élève mais par des affinités spirituelles. Le style décoratif Rinpa, lui, sera forgé à l'aube du 17è siècle par Hon'ami Koetsu et Tawaraya Sotatsu, puis connaitra son épanouissement grâce à Ogata Korin (deuxième génération d'artistes de ce courant). Rinpa, bien que désigné également sous les noms d'école de Koetsu ou d'école de Sotatsu et de Korin, demeure de loin le terme le plus répandu. Et la troisième génération d'artistes de ce courant de produire un style sophistiqué que les historiens surnommeront Edo Rinpa, sans doute parce que la plupart de ces artistes (dont Sakai Hoitsu et Suzuki Kiitsu) s'installeront à Edo (l'actuelle Tokyo). A distinguer du style Kyoto Rinpa aussi appelé Kamigata Rinpa, d'après la région qui intègre Kyoto et Osaka.
C'est en 1615 que le shogun Tokugawa Ieyasu accordera à Hon'ami Koetsu, alors connaisseur et polisseur de lames de sabres, célèbre calligraphe, excellent laqueur et céramiste, l'autorisation de s'installer à Takagamine, dans le nord de Kyoto. Et de fonder sur place une petite communauté d'artisans. Notre homme collaborera ensuite avec Tawaraya Sotatsu, qui dirige de son côté un atelier spécialisé dans la peinture sur éventails et sur paravents, tout en étant créateur de décors de rouleaux imprimés sur bois et de papiers enluminés.
Ces créations de Koetsu et de Sotatsu, considérés comme les fondateurs du courant artistique Rinpa, répondront aux besoins artistiques de la Cour Impériale et de son entourage car ils évoqueront le goût raffiné des milieux des riches marchands de Kyoto (Mashishu). Ces œuvres dégagent une nouvelle sensibilité et s'inspirent de la beauté classique de l'époque de Heian, notamment du style des Yamato-e (thèmes des fleurs et des plantes changeant au fil des saisons), mais également de la littérature et du théâtre classique, et sont marquées par l'utilisation de matériaux précieux comme la poudre et la feuille d'or ou d'argent.
Fils du propriétaire de la maison Karianeya, l'une des boutiques de textiles les plus renommées de Kyoto, Ogata Korin et son cadet Ogata Kenzan grandiront dans un milieu privilégié, recevront une éducation soignée et se familiariseront très tôt avec la poésie, la littérature classique, le théâtre no et la cérémonie du thé. Au point de compter parmi les représentants majeurs de l'ère Genroku qui marquera l'apogée de la culture de l'époque d'Edo. Les deux frères collaboreront souvent ensemble et se spécialiseront dans des domaines comme la calligraphie, la peinture, la céramique et la laque. Artistes talentueux, ils donneront un nouvel élan au style décoratif Rinpa tout en ne se privant pas de puiser dans le répertoire des thèmes et des procédés techniques adoptés par Koetsu et Sotatsu. Ce style nouveau sera reconnaissable à ses compositions épurées, à leur mise en page audacieuse, à leur gamme chromatique aux tons intenses et au rythme harmonieux de l'ensemble. Korin, qui deviendra connu en France à la fin du 19è siècle, c'est à dire à l'époque du japonisme, sera très apprécié par les amateurs et les collectionneurs parisiens.
Entre le 18è et le début du 19è siècle, l'esthétique du courant Rinpa connaitra une renaissance. De nombreux artistes, admiratifs du sens décoratif de Korin, iront jusqu'à s'inspirer de ses œuvres, du point de vue stylistique ou iconographique, certains thèmes comme les iris ou les vagues étant associés à cet artiste. Ses œuvres seront reconnaissables par la lisibilité de ses compositions, ses lignes souples, comme lorsqu'il dessine des végétaux et des figures humaines.
Parmi les plus fervents admirateurs de Korin, on trouve Watanabe Shiko, connu pour son style éclectique, Fukae Roshu resté assez méconnu et Nakamura Hochu, apprécié pour son usage du tarashikomi (une technique d'application d'encre ou de pigments sur une surface humide pour obtenir un effet flou) et ses peintures réalisées à l'aide des seuls doigts et ongles. Ces artistes rendront hommage à Korin en réinterprétant son style de façon très libre et en évitant de copier trop fidèlement ses motifs
Kamisaka Sekka, lui, sera désigné comme l'ultime grand représentant du style Rinpa. Principalement actif à Kyoto de la fin du 19è siècle aux premières décennies du 20è, durant les ères Meiji, Taisho et le début de l'ère Showa, Sekka sera un artiste aux multiples facettes, un dessinateur et un peintre talentueux qui collaborera aussi avec divers artisans dont son frère Kamisaka Yukichi, lequel créera les décors d'objets en bois et en laque, y compris pour les céramiques et les textiles. Notre homme sera enfin l'auteur de nombreux recueils de motifs décoratifs, dont les Herbes de l'éternité, en faisant revivre la sensibilité Rinpa, tout en contribuant à moderniser le design et à mettre en avant les arts appliqués au Japon. Sekka puisera souvent ses thèmes de création dans l'univers végétal, dont les fleurs et les plantes au fil des mois et des saisons, ou encore dans le théâtre no, la poésie et la littérature classique. Ces thèmes qui ressortent du répertoire traditionnel Rinpa, lui prêteront aussi certaines techniques (tarashikomi, mokkotsu) et l'emploi de matériaux précieux comme l'or et l'argent. L'artiste s'efforcera de faire preuve d'un sens inné de l'espace et d'un génie créatif sans cesse novateur, des qualités qui lui permettront de revisiter des sujets classiques avec humour, de manière originale tout en dégageant une énergie et une joie surprenante.
L'exposition s'achève avec une vidéo permettant au visiteur de découvrir la technique de l'estampe japonaise à l'intérieur d'un espace dédié à Sekka.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition »Trésors de Kyoto » du 26 octobre 2018 au 27 janvier 2019, au Musée Cernuschi, musée des Arts de l'Asie de la Ville de Paris, 7, avenue Vélasquez à Paris (8è). Tél : 01 53 96 21 50. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 10h00 à 18h00. Entrée : 9€. Accès : métro Villiers ou Monceau. Site internet : http://www.cernuschi.paris.fr/fr/expositions/tresors-de-kyoto-trois-siecles-de-creation-rinpa
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Le catalogue de l'exposition (192 pages, 35€) est en vente sur place.
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Merci à l'agence Pierre Laporte Communication pour sa précieuse aide.