Vendredi 21 décembre 2018
Plus grande ville du Brésil et d'Amérique du Sud, Sao Paulo, où je me trouve aujourd'hui, est aussi la cinquième ville la plus peuplée au monde. Fondée par les Jésuites portugais en 1554, la cité se développa grâce à l'or des mines environnantes jusqu'à la fin du 18è siècle, avant de connaître la prospérité grâce au café et au sucre. L'industrialisation expansive de l'endroit dès le milieu du 19è siècle ira de paire avec l'arrivée massive d'immigrants italiens, allemands, arabes et japonais. Et d'être devenue depuis le cœur économique de ce grand pays qu'est le Brésil.
Non loin de mon hôtel s'étend le parc d'Ibirapuera, le deuxième plus grand parc de Sao Paulo avec ses trois lacs. Conçu par Roberto Burle Marx, ce parc fut inauguré le 21 août 1954, à l'occasion du 400è anniversaire de la ville. Architecte paysagiste brésilien, Roberto Burle Marx fut un homme complet, puisqu'il exerça également ses talents dans la peinture et dans la création de bijoux, tout en étant aussi écologiste, naturaliste, artiste et même musicien. C'est lui qui introduira l'architecture du paysage moderniste dans ce pays.
L'immense parc est émaillé d'une douzaine de bâtiments et monuments, dont la plupart furent conçus par Oscar Niemeyer, architecte brésilien de renom et designer, qui sera à l'origine des constructions du siège du Parti communiste français, de l'ancien siège du journal L'Humanité, de la Bourse du Travail de Bobigny et de la Maison de la culture du Havre, pour ce qui concerne ses réalisations françaises. Il faut dire que notre homme, alors membre du Parti communiste brésilien au moment de la dictature militaire du Brésil, en 1964, s'exilera dans notre pays avec l'appui d'André Malraux.
Un monument du parc Ibirapuera attire tout particulièrement mon attention : le Monument aux drapeaux (en photo ci-dessous). Cette sculpture de Victor Brecheret, rend hommage aux Bandeirantes, ces pionniers du 17è siècle qui partirent explorer les territoires intérieurs brésiliens.
Sculpteur italo-brésilien, Victor Brecheret sera membre du Salon d'Automne, cette exposition artistique qui se tiendra annuellement au Petit Palais à Paris, dès 1903. On le retrouvera aussi en 1929 lors du Salon des indépendants, toujours à Paris, où il exposera deux de ses œuvres en marbre, « Après le bain », et « Fuite en Egypte ». Notre homme, qui reste l'un des sculpteurs les plus remarquables du pays, débutera en suivant des cours du soir au lycée d'art, et des cours de dessin, de modelage et de sculpture sur bois. Il poursuivra ses études en Italie de 1913 à 1919, avant de rentrer au Brésil un an plus tard et d'être alors remarqué pour ses œuvres novatrices. Victor Brecheret proposera bientôt la réalisation d'un monument en hommage aux drapeaux des Sertanistas, à l'aide d'un mémorial descriptif, mais ce projet ne suscitera pas de patronage privé ou officiel. Ce n'est qu'en 1936 que l'artiste réalisera le Monument aux drapeaux à la demande du gouvernement de Sao Paulo, et sur l'impulsion d'Armando de Salles oliveira en personne, gouverneur de l'Etat à cette époque. Après un chantier laborieux (interrompu durant la Seconde guerre mondiale), l'inauguration de l'ensemble aura lieu en 1953, un an avant celle du parc d'Ibirapuera. Cette sculpture, considérée par Brecheret comme une œuvre capitale, et reconnue généralement comme l'un des monuments les plus remarquables de Sao Paulo se dresse ainsi sur la place Armando Salles de Oliveira,, face au Palais du 9 juillet, siège de l'Assemblée législative. Il s'agit d'une sculpture en granit de 50 mètres de long, de quinze mètres de large et de douze mètres de haut. Les Bandeirantes qui y sont représentés symbolisent les différentes ethnies auxquelles ces pionniers appartinrent, et qui contribuèrent au peuplement du Brésil. L'ensemble témoigne également des efforts colossaux qui durent être réalisés par ces hommes pour pénétrer l'intérieur de ces terres à l'époque hostiles. Une des figures représente d'ailleurs un chef portugais, tandis qu'une autre dépeint un guide indien. Aux côtés des Portugais juchés sur leurs montures, on remarque bien sûr Noirs, Mamelouks et Indigènes convertis au christianisme (avec une croix en guise de pendentif). Ces hommes tirent derrière eux une embarcation utilisée pour les expéditions fluviales. A noter que ces expéditions des bandeirantes étaient appelées entradas (incursions) lorsqu'elles étaient d'origine officielle, ou bandeiras (expéditions, campagnes) lorsqu'elle relevaient du domaine privé. Le nom Bandeirante signifiant « l'homme qui suivait un drapeau ».
Ces bandeirantes furent donc ces aventuriers qui explorèrent l'intérieur du Brésil dès le 17è siècle, en quête de richesses minières ou d'indigènes à réduire en esclavage. Les plus connus d'entre eux venaient de Sao Paulo (un Etat qui, avant la création de Santa Catarina, s'étendait à tout le sud du pays) et étaient descendants de Portugais avec, presque systématiquement, un peu de métissage indigène. Ils jouèrent ainsi le rôle d'artisans de la conquête intérieure, en permettant l'accroissement des limites territoriales du Brésil au-delà de celles définies par le Traité de Tordesillas (un accord signé entre le Portugal et l'Espagne), en repoussant d'une part les frontières vers le sud, au-delà du méridien de Tordesillas (presque jusqu'au Rio de la plata), et d'autre part, à l'ouest, par le Mato Grosso en atteignant quasiment les Andes.
Ces hommes seront enfin responsables de la capture d'un minimum de 60000 indigènes, mais aussi de la mort de beaucoup d'autres et de la destruction des missions jésuites du Guaira, du Tapé et du Rio Grande do Sul. Les mêmes pionniers se heurteront également à des foyers de résistance comme celui de Pedro Leite Pais qui finira par être vaincu par 300 guerriers défendant la mission Jesus Maria. De même, la fourniture d'armes à feu par les jésuites aux Indiens, lesquels furent rapidement formés militairement, permettra la victoire indienne sur les bords du Rio Mborere en 1641, face à une bandeira composée de 300 paulistes et 600 Tupis.
Plusieurs noms de bandeirantes célèbres circulent dont celui de Domingo Jorge Velho (en photo ci-dessus) dont on pense qu'il naquit en 1641 à Santana de Parnaiba, dans la capitainerie de Sao Paulo. Il serait décédé vers 1703 à Pianco, dans la Paraiba. Ce pionnier sera chargé de la campagne contre le quilombo (village ou communauté formés par les esclaves en fuite dans les régions reculées à l'intérieur du territoire) de Palmares, une communauté d'esclaves qui sera vaincue en 1695 à la suite de la mort de Zumbi dos Palmares : Palmares restera en effet le plus organisé et le plus durable des territoires autonomes (ou quilombo) d’esclaves marron au Brésil, durant la plus grande partie du 17è siècle. Ce territoire, constitué en royaume, résistera un siècle durant aux expéditions militaires hollandaises et portugaises, faisant de cette révolte d'esclaves la plus longue de toute l'histoire que le monde ait connu. Tout commença au début du 17è siècle, lorsque des esclaves noirs qui travaillaient sur les plantations de canne à sucre dans la capitainerie de Pernambouc (Nordeste du Brésil) s'enfuirent dans les montagnes, puis fondèrent Os Palmares, près de la montagne Barriga. Le premier territoire autonome d'esclaves libres était né. Et celui-ci d'accueillir aussi Indiens, mulâtres et blancs (souvent des soldats déserteurs ou des paysans sans terre). Ce mouvement entrainera peu à peu d'autres rébellions dans les régions environnantes et ces esclaves révoltés de rejoindre la communauté de Palmares, sorte de terre promise qui comptera bientôt jusqu'à 30000 membres. Chacun d'entre eux travaillait pour la communauté, sans organisation hiérarchique, excepté quelques chefs de guerre qui servaient de guides et de stratèges lors des opérations de défense. Cette communauté vivait donc d'une agriculture (manioc, haricots noirs, maïs...) inspirée des traditions africaines. Son plus célèbre chef de guerre est alors Zumbi dos Palmares, de nom chrétien Francisco, qui passera plusieurs années aux côtés des jésuites, avant de s'enfuir et de devenir en 1675 et à l'âge de vingt ans seulement, un stratège et un chef militaire hors normes lors des combats qui l'opposeront aux troupes du sergent Manuel Lopes. Lorsqu'en 1678, Pedro de Almeida, gouverneur de la région de Pernambouc, propose la reddition aux insurgés de Palmares, Zumbi prend la tête de la résistance et tient ainsi vaillamment quinze années durant face à l'adversaire. Devenu une icône pour son propre peuple, certains affirment même qu'il serait habité par des orixas, des esprits africains. Ce n'est qu'en 1694 que les commandants Domingo Jorge Velho et Bernardo Vieira de Melo, accompagnés d'une puissante artillerie, parviendront à mener avec succès l'assaut sur Palmares. Zumbi (photo ci-dessous), finalement trahi par les siens, sera capturé par les Portugais le 20 novembre 1695 et aura la tête tranchée.
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