Dimanche 5 mai 2019
Le 6 février 1840, eut lieu à Waitangi (Nouvelle-Zélande) la signature d'un traité qui marquera à jamais l'histoire du pays : le Traite de Waitangi fut ratifié par les représentants de la couronne britannique d'une part, et par les chefs de la confédération des Tribus unies de Nouvelle-Zélande ainsi que d'autres chefs tribaux maoris d'autre part. Et ce traité, acte de fondation de la Nouvelle-Zélande, de faire une fois pour toutes de cette nation une colonie britannique. Retour sur ce moment historique et visite du site de la signature de ce traité.
Une journée ensoleillée s'annonce après les averses intermittentes de la nuit dernière. Tant mieux, car je vais en profiter pour visiter aujourd'hui le site de la signature du Traité de Waitangi, situé à dix minutes seulement de mon camping. Nous sommes dimanche et je décide de faire l'ouverture avant l'arrivée des visiteurs. Je parle avec Burnie, agent d'accueil, qui m'explique le fonctionnement du lieu. J'irai ainsi faire les photos des quatre étapes marquantes de cet endroit historique avant de poursuivre par la visite du musée « Te Koongahu ».
Ma promenade débute après avoir traversé la boutique installée à l'intérieur de John Scott Visitor Centre, construit par John Scott en personne, l'un des architectes néo-zélandais les plus brillants de son époque. Une passerelle m'engage sur un chemin balisé de nombreux panneaux décrivant arbres et oiseaux de ce magnifique site naturel formé d'une forêt primaire. Cinq minutes plus tard, j'aperçois, au loin, le hangar abritant les pirogues de guerre, l'une des attractions du site. Là se trouve la plus longue pirogue de guerre du monde, « Ngatokimatawhaorua » qui mesure 35 mètres de long et nécessite pas moins de 76 rameurs pour la manoeuvrer. Ces pirogues sont mises à l'eau chaque 6 février lors des commémorations du Traite de Waitangi. Pour les Maoris, les pirogues (waka) font partie intégrante de la culture, étant tout à la fois moyens de transport et œuvres d'art. Ici, on construisit le « manteau de Maikuku » (ci-dessous) afin de mettre à l'abri la pirogue cérémonielle décrite plus haut. Dans la culture maorie, Maikuku était une femme chef, c'est à dire une « puhi »(jeune femme sacrée) d'une grande beauté vivant dans une grotte à proximité. La plage voisine (appelée Hobson Beach) rend hommage à son histoire et porte le nom de Te Ana o Maikuku. On dit qu'un jeune homme, Huatakaroa, guidé par l'esprit de l'eau, serait un jour parvenu à la grotte. Le couple donna naissance à un enfant, Te Ra, qui deviendra plus tard un ancêtre célèbre de Ngati Rahiri, de la tribu Ngapuhi. Quant à la pirogue, qu'on ne se méprenne pas, elle n'est pas reléguée dans un hangar mais fin prête pour son prochain voyage, en l'occurence pour le 6 février prochain, date de la prochaine commémoration. C'est ainsi que les Maoris conçoivent les choses.
L'immense propriété sur laquelle je me trouve fut achetée en 1932 par le gouverneur général Lord Bledisloe et son épouse pour en faire don plus tard à la nation. La remise de ce « cadeau » donnera lieu à une cérémonie (hui) le 6 février 1934, en présence de 10000 personnes (photo ci-dessous). Ce jour-là fut également posée la première pierre de la Maison sculptée (deuxième photo ci-dessous), future demeure de toutes les tribus maories. On mit à contribution tous les styles de sculptures traditionnelles des principales tribus du pays pour bâtir cette maison. Le bois fut offert par Ngati Hine et prélevé sur ses propres terres et le principal sculpteur à intervenir sur ce chantier sera Pine Taiapa de Ngati Porou assisté d'autres sculpteurs venus de tout le pays et même des Îles Cook. Ainsi « Whare Runanga » (nom maori de cette maison) ouvrira t-elle ses portes pour le centième anniversaire de la signature du fameux traité, le 6 février 1940.
Lord Bledisloe le savait peut être à l'époque lorsqu'il acheta cette propriété, le promontoire et ses alentours avaient de longue date reçu le nom de Waitangi. Les récits tribaux et des fouilles archéologiques confirment que cet endroit fut de très longue date un point de rencontre pour plusieurs peuplades venues de la Bay of Islands et même d'au-delà. Et choisir un tel site comme lieu de résidence du premier représentant britannique en Nouvelle-Zélande, à savoir James Busby, était hautement symbolique. Désigné résident britannique dès 1832, notre homme ne s'installera dans sa nouvelle résidence (actuelle Maison du Traité, sur la troisième photo ci-dessous) qu'en janvier 1834. Fin jardinier, le couple Busby agrémentera la propriété de jolis jardins fleuris, James Busby y faisant même pousser de la vigne. Les années passèrent et la maison devint la ferme des Busby à partir de février 1840. Puis, l'endroit sera laissé progressivement à l'abandon jusqu'à ce que le gouverneur général Lord Bledisloe ne tombe amoureux du site et n'en fasse l'acquisition en 1932.
C'est au matin du 5 février 1840 que trois hommes se penchèrent sur deux documents (Te Tiriti o Waitangi et Traité de Waitangi) posés sur la table du salon de la Maison du Traité (ci-dessous). C'est sur ce même site qu'avait débuté l'histoire des drapeaux néo-zélandais et qu'avait été conçu le tout premier drapeau qui allait être hissé en mars 1834. Et James Busby d'inviter les chefs maoris à adopter un drapeau, qui permettra aux Maoris de se fédérer et de faire identifier leurs navires commerçant sur les mers du globe. Ainsi naquit le drapeau des Tribus unies de Nouvelle-Zélande (deuxième photo), proposé par le missionnaire Henry Williams et basé sur la croix de Saint-Georges anglaise. C'est ce drapeau-là que j'observerai en passant ce matin devant le mât aux drapeaux (troisième photo). Ce mât se dresse à l'endroit exact où le Traité de Waitangi fut signé le 6 février 1840. Il fut érigé par la marine royale de Nouvelle-Zélande en 1947 et arbore depuis les trois drapeaux néo-zélandais successifs : le drapeau des Tribus Unies (depuis 1843), l'Union Jack (depuis 1840) et le drapeau néo-zélandais (depuis 1902).
Ces Tribus Unies de Nouvelle-Zélande furent en quelque sorte un Etat souverain éphémère et surtout théorique, qui recouvrit une partie du pays entre 1835 et 1840. Une existence brève mais importante dans le processus qui aboutit à la colonisation de l'archipel par l'Empire britannique mais également dans le processus d'unification politique des Maoris. Suite logique à cette situation, 34 chefs de l'Île du Nord se réunissent à Waitangi le 25 octobre 1835 en présence de James Busby et proclament ensemble une Déclaration d'indépendance (ci-dessous) qui fonde les Tribus Unies de Nouvelle-Zélande en tant que confédération souveraine. Les quatre années suivantes verront 18 autres chefs se rallier à cette déclaration, dont Popatau Te Wherowhero, future figure emblématique du mouvement pan-tribal maori (deuxième photo). Signé uniquement par les tribus de l'Île du Nord, le document enjoindra les tribus de l'Île du Sud à signer la déclaration, sans trop de succès toutefois. En fait, la déclaration d'indépendance prévoyait entre autres la mise en place d'un parlement mais celui-ci ne verra jamais le jour et chaque tribu conservera de facto son entière indépendance et son autorité sur ses territoires. Les Tribus Unies seront malgré tout reconnues par le Royaume-Uni dès 1836, la France et les Etats-Unis ne se contentant de prendre note de l'existence de ladite déclaration d'indépendance..
La suite est connue : le 6 février 1840, une quarantaine de chefs sont de nouveau réunis à Waitangi, autour de James Busby et de William Hobson, un nouveau délégué britannique, pour signer le Traité de Waitangi, qui conférera au Royaume-Uni la pleine autorité sur leurs territoires, une manière d'abroger implicitement les Tribus Unies en mettant fin à leur souveraineté. Acte de fondation de la Nouvelle-Zélande en tant que nation, le traité en question, qui est très court puisqu'il ne comporte que trois articles, fit ce jour-là de ce pays une colonie britannique. Le rangarita (chef de haut rang) Hone Heke, de l'iwi Ngapuhi, sera le premier à apposer sa signature sur le document. Huit copies du traité seront ensuite rédigées puis envoyées dans tout le pays afin de collecter d'autres signatures. Non sans peine. Entre temps, le Traité échappera de peu à la destruction lors de l’incendie des bureaux gouvernementaux d'Auckland en 1941. Depuis lors, le jour de la signature du précieux accord est commémoré sous la forme d'un jour férié, le Waitangi Day, chaque 6 février.
A court terme, ce traité eut l'avantage d'empêcher l'acquisition de terres maories par quiconque autre que la Couronne britannique, mettant ainsi les tribus à l'abri des colons peu scrupuleux. La Couronne se chargeait par ailleurs de s'assurer que les transactions passées s'effectuaient au juste prix, mais des fonctionnaires peu regardants seront impliqués dans des transactions douteuses, provoquant des révoltes chez les Maoris, elles-mêmes réprimées maladroitement et conduisant aux guerres maories, qui aboutiront à la confiscation de territoires. Des confiscations parfois levées plusieurs décennies plus tard, comme dans le centre de l'Île du Nord, où sept tribus maories récupérèrent 176000 hectares de forêts au terme d'un jugement du Parlement de Wellington le 25 juin 2008.
Le musée Te Koongahu, lui, aborde l'histoire des Maoris. D'entrée, on apprend que derrière chaque Maori se cache un ancêtre qui traversa un jour l'océan à bord d'une pirogue. Il y a plusieurs milliers d'années, des peuplades pour la plupart originaires de l’Asie du Sud-Est, parcourront l'océan Pacifique à la recherche des rares terres disponibles. L'ultime grande migration partira du Pacifique Est, l'actuelle Polynésie française, ou Hawaiki, pour atteindre successivement Hawaii, l'Île de Pâques et plus tard la Nouvelle-Zélande.
Je tombe devant l'image d'un chef maori qui troque avec Joseph Banks une langouste contre un vêtement (ci-dessous). Nous sommes en 1769 et assistons ici à une première tentative de communication entre deux êtres très différents. Très vite, les Maoris accepteront cependant les échanges réciproques avec les nouveaux venus, malgré leurs différences de point de vue, comme, par exemple, la manière de considérer la propriété des terres. Pour les Maoris, la tribu appartient à la terre et doit en prendre soin, alors que pour un Britannique, la terre n'est souvent qu'une monnaie d'échange.
Au cours de ma visite, je découvre que la Grande-Bretagne n'était pas la seule puissance à avoir des vues sur la Nouvelle-Zélande et à souhaiter développer des relation avec les Maoris. Les Etats-Unis et la France, elles aussi, étaient des nations en position d'influence sur ce pays. Et les Maoris discutèrent entre eux de longues heures afin de déterminer quel pays ferait le meilleur partenaire. La France, éternelle rivale de l'Angleterre, manifestera essentiellement sa présence par ses bâtiments militaires et ses bateaux chassant la baleine croisant au large. Les Maoris de la Bay of Islands connurent en revanche une déconvenue avec les Français lors du passage de l'expédition du « Marion du Fresne » et du règlement de compte sanglant qui en restera. La Grande-Bretagne aura beau jeu de vanter ses mérites après un tel événement, même si la présence constructive de missionnaires catholiques français aidera quelque peu à redorer le blason de notre pays envers les Maoris.
Le Traité de Waitangi ne sera pas approuvé, loin s'en faut, par toutes les tribus maories : certains refuseront de le ratifier d'emblée, comme Te Wherowhero, chef du Waikato, avant de se ressaisir plus tard. Alors qu'Iwikau, chef de Tuwharetoa signa le traité, son frère ainé, Mananui Te Heuheu s'y refusera, accusant son frère de retourner sa veste. De même, les chefs Tupaea (Tauranga) et Te Kani-a-Takirau (Ngati Porou) déclineront l'offre. Tout comme la confédération des tribus de Rotorua. A l'inverse, certaines tribus (dans l'arrière-pays de la Bay of Plenty, à l'intérieur des terres de Hawkes Bay ou encore sur le littoral de Tanaraki) ne recevront jamais d'invitation à rejoindre la liste des signataires du Traité. Bizarre !
INFOS PRATIQUES :