Samedi 3 août 2019
Quelle belle île que celle de Noirmoutier, à laquelle est rattachée toute une histoire. A La Guérinière (85), le Musée des Traditions de l'île, fondé en 1973, est sans doute le meilleur endroit pour en apprendre davantage sur la culture et l'histoire de celle qu'on surnommât un temps le Pays des polders. C'est à la suite de la prise de conscience de la disparition progressive des éléments de la vie quotidienne, autant d'objets rares et fragiles, que Geneviève Coulombeau, alors conseiller municipal et universitaire, récupérera de précieux témoignages auprès de la population par le biais d'une collecte toujours d'actualité. Le musée, qui comporte désormais huit salles et une cour intérieure, se dresse sur la place de l'Eglise et invite ses nombreux visiteurs à découvrir Noirmoutier à travers des thèmes aussi divers que les marais salants, la marine, la pêche, l'artisanat, les coiffes et les costumes, l'agriculture, l'intérieur de la maison noirmoutrine et les religions.
Alors que je franchis la porte de la (petite) maison qui abrite le musée, j'étais loin d'imaginer que la bâtisse pouvait receler tant de richesses. Prévoyez une heure à une heure trente de visite pour profiter pleinement des collections présentées et des panneaux d'information de chaque salle. D'entrée de jeu, je m'attarde quelques instants sur l'histoire d'une île divisée en quatre communes : Noirmoutier-en-l'Île, Barbâtre, l'Epine et La Guérinière. L'homme vit sur place depuis la Préhistoire, jusqu'à ce que des seigneurs y jettent leur dévolu. Le commerce se développe grâce à l'exploitation du sel au Moyen-Âge, puis à la Renaissance, et les terres sont de plus en plus cultivées. L'île vit aussi au rythme des campagnes de pêche. Moment fort de l'histoire locale, les guerres de Vendée entraineront l'occupation du territoire par les troupes républicaines et royalistes avec leurs lots d’exécution et de destruction. Le 19è siècle verra la création de vastes asséchements sur la façade est, œuvre d'entrepreneurs négociants comme les Jacobsen. Bientôt, Noirmoutier vivra l'engouement pour la vogue des bains de mer, notamment à la plage des Souzeaux (ci-dessous) tandis que l'élite mondaine anime la saison estivale jusqu'à la Grande Guerre. A l'issue des deux conflits mondiaux, la société insulaire va progressivement abandonner le costume traditionnel, assister à la disparition de la coiffe et au développement des moyens de transport. Et l'architecture, le mobilier et les objets courants de devenir des objets de la société de consommation.
La Guérinière est quant à elle mentionnée pour la première fois en 1412 et son nom provient de la famille Guérin ou Garin citée dès 1390. Durant les guerres vendéennes, sa population est surtout constituée de l'afflux de Barbatrins fuyant leur commune dévastée. Avec la construction de polders dans les années 1830, tous les espoirs sont permis et une ferme modèle destinée aux exploitants et à l'entreposage des récoltes est d'abord édifiée, puis une véritable paroisse est installée. Vingt ans plus tard, le village dépend encore administrativement de Noirmoutier-en-l'Île. Les maisons guernérines, elles, respirent l'ordre et la propreté. C'est toujours le cas aujourd'hui. Quant aux fiers habitants, ils s'expriment encore dans un patois hélas en voie de disparition, mais qui se distingue nettement des autres parlers de l'île. A La Guérinière, la majorité de la population vit confortablement des labours et de l'exploitation du sel. Certains embarqueront à bord des grands voiliers pour le Cap-Horn, ce qui vaudra au village le surnom de « Patrie des Cap-horniers ». Fin 19è et début 20è, les jeunes garçons issus de familles nombreuses trouvent ainsi du travail en s'embarquant. Période d'âge d'or de la voile, les compagnies maritimes nantaises recrutent alors à tour de bras et les jeunes Guernérins partent avec enthousiasme à bord des trois ou quatre mats vers les Amériques et l'Asie. 1919 fera date dans l'histoire puisque le village deviendra cette année-là commune à part entière et élira son premier maire, l'instituteur Diogène Rivé. Avec le développement du tourisme, le village accueillera aussi un nombre croissant de vacanciers attirés par ses longues et belles plages. Comptant désormais 1300 âmes, La Guérinière vit principalement de l'agriculture, de l'ostréiculture et de la pêche, tout en abritant plusieurs entreprises artisanales et touristiques.
La pêche fut très tôt l'une des principales ressources de l'île : dès le 17è siècle, les nombreux petits ports répondaient aux besoins locaux des pêcheurs noirmoutrins, à l'exemple de celui de Barbatre qualifié de « petit objet » ou celui de La Guérinière, le Port du Bonhomme créé en 1850 dans les polders, où l'on mettait à l'eau« de petites chaloupes de peiche... ». Celui de l'Herbaudière, souhaité par la Chambre de commerce de Nantes dès 1840, sera plus fréquenté par les pêcheurs à la sardine que par les bateaux-pilotes de la Loire en 1880. Et de devenir en 1973 le premier port de plaisance vendéen, puis un port en eau profonde trois années plus tard. Dès les années 1840-50 , la pêche à la sardine, puis celle du thon connurent un essor remarquable sur les côtes bretonnes et vendéennes, soutenues par l'apparition de nouveaux procédés de conservation alimentaire par appertisation et l'exploitation de ces nouveaux brevets par des industriels bretons (Cassegrain, Amieux, Saupiquet...). Dès 1855, on comptait déjà 34 conserveries le long du littoral entre le Finistère et la Vendée (jusqu'à plus de 150 en 1900), dont une trentaine d'usines en Vendée, dont Noirmoutier. Les premières conserveries de l'île furent implantées à l'Herbaudière par l’industrie nantaise en 1883. La pêche connaitra toutefois quelques crises sardinières entre 1880 et 1885, qui favoriseront l'implantation de conserveries au Portugal. Puis, la raréfaction des sardines, la concurrence étrangère et la concentration des entreprises auront finalement raison de cette industrie florissante qui décroitra peu à peu malgré la diversification des produits et la recherche d'approvisionnements plus lointains. Ainsi la dernière conserverie (la Conserverie Lecointre) fermera t-elle en 1967. Pas en reste, la pêche à pied fut pratiquée sur l'île dès le haut Moyen-Âge, c'est à dire au 9è siècle. Suivirent la pêche aux anguilles aux Roussières en 1451, puis le transport d'huitres à Nantes en 1689. Au 19è siècle, érudits et historiens reconnaissent la pêche à pied comme une ressource précieuse pour la classe indigente qui en tire un certain apport nutritionnel.
L'île de Noirmoutier ne serait pas la même sans les marais-salants : l'importance du sel et de son utilisation pour le conditionnement et la conservation des aliments en ont fait un produit recherché. On le mentionne dès le haut Moyen-Âge mais son commerce explosera surtout au cours des siècles suivants, grâce notamment aux marchands de la Hanse germanique qui venaient en baie de Bourgneuf pour s'en procurer. Des travaux d'Hercule furent nécessaires afin de construire ces salines et creuser les vastes canaux d'approvisionnement en eau de mer (estiers). Un panneau d'information explique d'ailleurs le parcours conduisant de l'eau de mer...au sel. J'apprendrai ainsi qu'un marais salant est formé de trois parties, les vives (chicanes, basins d'évaporation), les pèces amettantes (réserves d'eau journalières) et les oeillets (cristallisoirs). Sur un mur de la salle est projeté un film sur le sel tandis qu'un moulin à sassor se dresse dans une autre partie de la pièce. Inventé par Pénisson Corbrejaud et Boucard Brechet après la Première guerre mondiale, l'ouvrage, une sorte d'éolienne entrainant un système de pompe grâce à l'action du vent, servait à vidanger le marais salant lors du nettoyage de printemps. Je découvre également l'existence d'autres outils : la bogue (pelle en bois servant à remonter la vase), la sesse (pelle en bois très large et grande avec des rebords servant d'écope pour vider l'eau d'un bassin) ou l'ételle (grand racloir servant au saunier pour déplacer les cristaux de gros sel sur le fond de l'oeillet). Quant à la chette, ouvrage de régulation de l'eau à l'intérieur du marais, elle consiste en un panneau de bois vertical enfoncé dans l'argile qui sert à bloquer le passage de l'eau.
La salle suivante s'intéresse à l'artisanat noirmoutrin, concentré sur plusieurs métiers (menuisier, forgeron, tisserand, sabotier...) . Des meubles étaient ainsi fabriqués sur place, et dans diverses essences par le menuisier et son apprenti. Une vitrine reconstitue ainsi un atelier avec son établi et ses différents outils. Sur un autre mur, je découvre les voileries Burgaud fondées il y a un siècle à Noirmoutier. L'entreprise équipa de neuf, et des décennies durant, de grands voiliers (le Renard, La Fleur de Lampaul ou l'Emigrand).
Coiffes et les costumes sont aussi abordés: jusqu'à la Première guerre mondiale, le costume servait à différencier les personnes (en donnant des renseignements clairs sur la personne qui le portait, à savoir son état, pauvre ou riche, et son métier) et obéissait à des règles précises qu'il fallait respecter à tout prix. Seul le carnaval permettait de s'en affranchir et de changer de statut le temps d'une période bien encadrée. A Noirmoutier comme ailleurs, le costume évoluera après avoir appartenu à une mode archaïque commune aux régions côtières sud-armoricaines dès 1830. La grande coiffe sera alors portée sur le modèle de celle de Pornic, avant que sa taille ne diminue lors de la seconde moitié du 19è siècle, copiant ainsi la coiffe maraichine, variante de la nantaise. Au travail, les femmes se protégeaient du soleil par une câline ou un bonnet à brides, puis par un grand mouchoir de tête en toile blanche. Un mouchoir qui se transformera en quichenotte (ci-dessous) qui apparaitra à Noirmoutier quelques années avant la guerre de 1914-18. Jusqu'à la fin des années 1980, il était encore possible de croiser de vieilles femmes portant la coiffe au détour des ruelles du Vieil, de l'Epine ou de Barbatre, souvent la quichenotte, et plus rarement la coiffe de fête arborée lors des cérémonies familiales ou de fêtes folkloriques. Jusqu'en 2002, la coiffe sera encore portée quotidiennement, avant de disparaître définitivement.
Au 19è siècle, l'agriculture noirmoutrine se partage entre deux plaines cultivées séparées par une chaine de dunes appelée la Tresson. La première est celle de Barbâtre et est composée de 500 hectares de terres labourables. La plaine de Noirmoutier est alors de près de 3000 hectares (dont 800 en marais-salants et environ 1300 en terres labourables). Les pluies d'hiver sont alors abondantes, d'où la disposition de terres travaillées en sillons, pour faciliter l'écoulement des eaux et l'aération du sol (que l'on enrichissait régulièrement de varech flottant). On travaillera ainsi la terre à la main, jusqu'à l'arrivée à Barbâtre de la première charrue tirée par des chevaux en 1858.
De longue date, la culture de la pomme de terre est l'un des points forts de l'économie de l'île. Celle-ci est récoltée par les 75 adhérents de la coopérative agricole locale et connait un succès qui ne se dément pas malgré son prix. La coopérative, d'Appellation d'Origine Contrôlée, avait dès 1973 commandée une étude historique sur la pomme de terre de Noirmoutier. Le légume est ainsi mentionné sur l'île dès 1775. Treize années plus tard, il est cultivé dans les jardins pour alimenter les animaux, avant de n'être commercialisé qu'en 1830-1840. Dès lors, les terres dédiées à la culture de la pomme de terre ne cesseront de gagner en importance (100 hectares en 1855, 200 en 1859, 300 en 1860) devant l'engouement d'une clientèle grandissante (dont les Anglais dès 1848). Bientôt, la Saint-Jean supplante la Reinette, avant que n'apparaisse la pomme de terre primeur, au détriment de la « patate ordinaire ». Les exportations de « primeurs » démarrent en 1874, à bord de caboteurs depuis le port de Noirmoutier. Plus tard, entre les deux guerres, une nouvelle espèce, la « Bonnette » ou « Bonnote », une pomme de terre originaire de Barfleur, sera cultivée à son tour. Frédéric Véronneau écrira ainsi que l'histoire de la pomme de terre de Noirmoutier est étroitement liée à l'histoire des conflits sociaux et politiques de l'île. Pour preuve, la création en 1938 d'un syndicat de défense agricole avec 500 adhérents, puis celle de la coopérative agricole des producteurs de pommes de terre de l'Île de Noirmoutier en 1945.
Dans la salle suivante, je découvre un intérieur noirmoutrin du début du siècle dernier. L'ordonnancement de la pièce est simple et la cheminée reste l'élément majeur du lieu. Cette cheminée sert alors de foyer et est utilisée pour cuire des aliments et pour le chauffage. Son dessus, la tablette, tient lieu d'autel domestique et reçoit une figure religieuse autour de laquelle sont disposées les photographies des proches, d'un fils embarqué au long cours, ou des souvenirs rapportés de voyages sur les mers du monde entier. Un feu, discret, laisse mijoter le ragout surveillé par la grand-mère. Ce feu était à l'époque obtenu en utilisant des bousas (galettes faites de bouses de vache mélangées à de l'eau et de la paille). Chacun utilisait alors les matériaux qu'il trouvait et la société économisait et tirait parti de tout ce qui était à sa disposition. Le faible feu était également du à la structure de la maison dont la poutre maitresse du toit traversait le conduit de la cheminée. Il s'agissait donc d'éviter les grandes flambées qui, montant trop haut, auraient déposé un mélange de suie et de résine de pin propice à l'embrasement de la fameuse poutre. Nos anciens, savaient tout cela mais pas les touristes, dont certains firent plus tard l'acquisition de maisons qui flambèrent pour cette raison.
Les lits, eux, étaient disposés de chaque côté de la cheminée, unique chauffage de la maison. On trouvait entre autres un lit à quenouilles garni de rideaux sur les côtés. On y dormait assis au creux de couettes superposées, ou plus simplement sur des paillasses de végétaux. Pourquoi assis ? Cette position était à l'époque celle du sommeil tandis que la position allongée était celle du gisant (mort). L'intérieur est peu décoré et les murs ne portent que quelques images pieuses. Un vaisselier permet de ranger de jolies faïences à décor imprimé, ou celles de Saint Clément au décor floral. Parmi ces faïences, on retrouve les écuelles ou soupières individuelles (ci-dessous) utilisées jusqu'au 20è siècle. Propriétés des maitres des lieux, chaque foyer en détenait une ou deux. Ces soupières correspondaient à la (forte) consommation de soupe et aux habitudes culinaires du moment : des repas de composition variable selon l'âge et la place dans la société, et parfois agrémentés de lait, de pain et de vin. Quant aux garnitures de tissus placées sur la cheminée ou aux angles des lits, elles reprennent les usages des 17è et 18è siècles et sont faites en toile de Nantes. Dans un coin de la pièce, je remarque un coffret peint (ci-dessous). Cet objet, fréquemment cité dans les inventaires durant la première moitié du 18è siècle, provenait de divers endroits (La Rochelle ou Rouen..) et était généralement bon marché. Ce coffret peint, qui était destiné à recevoir les coiffes, était précieusement conservé au sein des familles noirmoutrines, sous l'appellation de « boite » ou « malle » de Rouen. On pense que ces objets sont les héritiers des « bahuts de Rouan » rencontrés au milieu du 18è siècle dans les inventaires de l'île d'Yeu.
Cet intérieur noirmoutrin présente aussi une armoire en châtaignier datant du dernier quart du 19è siècle. Le meuble est orné d'un décor végétal stylisé, mais également d'éléments de style Louis XV et de pieds tourmentés.On y retrouve également l'influence de Louis XVI avec pilastres, cannelures et rigueur architecturale des formes. Les étagères de l'armoire supportent les piles de linge : les bernes tissées à Noirmoutier (draps), les boites à coiffe et une marotte porte-coiffe. C'est que la préparation des coiffes et les différences observées entre les repassages sur l'île ou sur le continent correspondent à autant de marques d'appartenance à une région ou à une localité. Les marins, eux, ramenaient rubans et pièces de tissus de leurs escales dans les ports, et les commerçants installés à Noirmoutier cohabitaient avec les marchands ambulants (colporteurs de dentelles, livres bleus, objets de piété, couteaux et autres colifichets). Le musée est par ailleurs détenteur d'une riche collection de costumes mis en dépôt ou offerts par des particuliers. Autant d'évocations des grandes étapes de la vie des habitants de l'île au début du siècle dernier.
La dernière salle aborde ainsi la naissance, le mariage et le décès, aux côtés du travail et de la communion. On distingue le vêtement de travail, simple, en laine, lin, toile tissée ou en coton, et le costume de cérémonie fait de matières riches (soie, velours, passementeries). La société noirmoutrine est alors très pratiquante et assiste aux offices (messe et vêpres), aux processions et aux missions (comme sur cette photo ci-dessous). Et la Fête Dieu ou la visite de l'évêque pour bénir une statue ou un calvaire d'être l'occasion de fleurissements (reposoirs fleuris, tapis de pétales de fleurs...). L'Île de Noirmoutier connait aussi des dévotions locales à caractère maritime, comme la Saint-Clément (saint patron des marins) dont un bateau ex-voto est mené lors de la traditionnelle procession dont les prières protègeront le navire et ses occupants. Jusque dans les années 1960, Saint-Sébastien est fêté chaque 20 janvier, en souvenir de l'épidémie de peste de 1722 (qui aurait cessé grâce à l'intercession du saint invoqué par les habitants lors d'un pèlerinage effectué à Saint-Sébastien-sur-Loire). Chaque journée est marquée par la dévotion : signe de croix en croisant le prêtre portant les derniers sacrements chez un mourant, prière du soir, récitation du chapelet, jeûne lors du Carême. L'Île de Noirmoutier, c'est toute une histoire....
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