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Exposition "La Tour Saint-Jacques"
(La Tour Jean sans Peur, Paris, France)
Heure locale

 

Mardi 4 février 2020

 

L'histoire de Paris comporte un monument de taille, la Tour Saint-Jacques, à laquelle la Tour Jean sans Peur (Paris 2è) consacre actuellement une exposition. Unique vestige de l'église Saint-Jacques la Boucherie, ce clocher-tour, qui sera érigé au milieu du premier square parisien, le Square Saint-Jacques dans le 4ème arrondissement, nous prouve encore aujourd'hui à quel point l'architecture religieuse de notre capitale se montrera alors réticente aux nouveautés venues d'Italie, en restant pour l'essentiel fidèle au style gothique flamboyant du 15è siècle.

 

Tout commence avec la paroisse Saint-Jacques de la Boucherie qui voit le jour peu avant 1199, sur des parcelles empruntées aux paroisses de Saint-Merri et Saint-Germain. L'endroit bénéficie alors de la grande activité suscitée par l'intense trafic du Grand Pont (pont au Change) et de la rue Saint-Denis. Et de s'inscrire bientôt au cœur du quartier de la Grande Boucherie, quartier qui donnera naturellement son nom à l'église en 1259. Sur place, on trouve des bouchers mais également des artisans dérivés (tanneurs, selliers, pelletiers, savonniers...) ainsi que des armuriers, serruriers, orfèvres, meuniers, poissonniers et même écrivains et copistes dont on observera les étroites échoppes adossées sur le mur nord de l'église Saint-Jacques, église se trouvant sur...la rue des Ecrivains, ancêtre de la rue de Rivoli. Il règne alors une anarchie à cet endroit compte tenu de la densité architecturale et des nombreux édifices cultuels qui s'implantent et se développent en fonction des legs, des donations, des adjudications, des échanges et des achats de propriétés. L'église Saint-Jacques ne dérogera pas à la règle, en s'agrandissant de 25 mètres à l'Est au milieu du 14è siècle. En revanche, si la façade Ouest du lieu de culte sera achevée en 1491, les travaux seront plus laborieux en ce qui concerne le nouveau clocher, puisque la construction prendra...18 années de retard, du au fait que le terrain sur lequel celui-ci devra être construit, ne sera libéré qu'en 1509, occupé qu'il était précédemment par l'hôtel de la Rose. Et la paroisse Saint-Jacques de représenter l'exemple même de l'incrustation des églises dans le tissu urbain médiéval, même si son clocher, dont on pourra apercevoir le sommet à plusieurs lieues à la ronde, ne dévoilera que tardivement son église au détour d'une ruelle. C'est Jehan de Felin qui sera le maitre d'oeuvre de maçonnerie de la Ville de Paris, pour ce chantier qui débutera en 1509 et prendra fin à Noël 1523. Haut de 54 mètres, l'ouvrage sera abondamment garni de décorations architecturales reflets de la puissance et la richesse de la paroisse à cette époque, et témoignera ainsi de la persistance du style gothique à Paris, malgré l'arrivée timide de l'architecture Renaissance. On parle alors de gothique flamboyant, avec enchevêtrements de gâbles, gargouilles, clochetons, fleurons et pinacles, sans oublier les statues de saints agrémentant la terrasse et les flancs de l'édifice (façade Ouest), dont une œuvre de Rault, grande statue de Saint-Jacques, et celles du lion, du bœuf et de l'aigle, qui symbolisent alors les évangélistes Marc, Luc et Jean.

 

Tant que l'Ancien Régime perdurera, l'urbanisme médiéval déjà en place ne subira aucun changement notable, mais les destructions révolutionnaires modifieront bientôt la donne : l'église Saint-Jacques sera ainsi déclassée en 1793 pour devenir le siège du comité révolutionnaire de la section des Lombards, avant que les sans-culottes n'en profanent les tombes. Lorsque la Terreur prendra fin, la même église sera estimée, mise en vente le 29 juillet 1797 comme Bien National puis détruite le lendemain. Des dépendances condamnées à la destruction, le clocher réchappera par miracle à la démolition grâce à la demande du ministre des Finances qui s'opposera à l'aliénation de la paroisse Saint-Jacques et réclamera qu'on épargne au moins le clocher. Cinq années de procédure s'engageront alors, à l'issue desquelles le clocher sera officiellement sauvé et deviendra cette tour orpheline dominant un terrain vague situé à l'emplacement de l'ancienne église, entre les rues du Petit Crucifix, des Arcis et des Ecrivains. Cet espace vide sera bientôt occupé par un bazar à fripes, commerce qui brûlera partiellement en 1823. L'année suivante, la célèbre tour sera transformée en fabrique de plombs de chasse à l'anglaise tandis qu'un marché en dur, le Cour du Commerce, verra le jour sous la direction de l'architecte Paul Lelong. Un marché qui ne sera détruit qu'en 1852.

 

Avec les travaux du baron Haussmann, Paris va connaître un renouveau architectural et le square de la tour Saint-Jacques sera le premier de vingt-quatre espaces verts conçus et réalisés par le Services des Promenades et Plantations de la capitale, sous l'impulsion de Napoléon III , lequel avait été impressionné par la bonne tenue des squares londoniens. Le square, destiné à mettre en valeur la tour Saint-Jacques, sera donc livré en 1856 et s'étendra sur près de 6000 m2. Essences rares et allées sinueuses en constitueront l'essentiel, procurant aux visiteurs un air d'exotisme accessible gratuitement. Ces visiteurs seront d’ailleurs majoritairement représentés par des petits marchands et des commissionnaires, contrairement au jardin historique des Tuileries qui sera surtout fréquenté par la bourgeoisie. Parallèlement, Paris tourne une page de son histoire avec le début des grands percements comme la rue de Rivoli prévue depuis 1801 dans toute sa longueur. Et Haussmann de succéder à Rambuteau pour la réalisation de ces grands travaux qui incluront des monuments offrant des perspectives aux rues nouvelles. La tour Saint-Jacques, elle, sera destinée à devenir le principal ornement d'une grande voie publique. Pour ce faire, on arasera le quartier tout en perçant la deuxième tranche de la rue de Rivoli et du boulevard Sébastopol, en créant le square et en restaurant la tour Saint-Jacques.

 

De tour orpheline, la tour Saint-Jacques deviendra plus tard la tour aux pèlerins : l'église Saint-Jacques occupant alors une position de choix à la croisée de Paris, c'est tout naturellement que s'imposera peu à peu le culte de Saint-Jacques, notamment au 13è siècle lorsque les marchands fortunés encourageront l'essor de la confrérie. De son côté, la corporation des Bouchers, dont l'évocation fera corps avec l'église dès 1259, fournira les moyens de l'embellissement du sanctuaire et contribuera ainsi à son rayonnement. Les pèlerinages sont alors courants au Moyen-Âge et correspondent à l'apparition de nombreux lieux de dévotion. Le culte de Saint-jacques fait alors recette dans la capitale, avec, entre autres, l'Hôpital Saint-Jacques où les pèlerins les plus pauvres trouveront refuge au début du 14è siècle. Au fil des ans, la tour, elle, connaitra des restaurations mouvementées, avec la disparition de deux murs de soutènement au début du 19è siècle, puis celles de ses voutes et planchers lors de l'installation d'une fabrique de plombs de chasse. Les travaux haussmanniens lui imposeront ensuite des travaux de stabilisation, juste avant que le célèbre baron ne nomme Théodore Ballu architecte chargé de restaurer l'édifice. C'est dans le style gothique que notre homme choisira de retaper l'ensemble entre 1852 et 1856, tout en faisant appel à dix-neuf artistes qui sculpteront dix-neuf statues de saints placées dans des niches. Quant aux abat-son, ils seront remplacés par des vitraux historiés (ci-dessous) conçus par Eugène Oudinot. Une deuxième restauration sera plus tard entreprise, à partir de 1906, sous la direction de Jules Camille Formigé, puis, une nouvelle période de travaux prendra forme en 2006 pour combattre les effets de la pollution industrielle et du vieillissement des restaurations antérieures. Entre temps, une plaque commémorative sera posée sur le socle de la tour le 13 juin 1965, avant que le vestige flamboyant ne soit inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1998.

 

Et nos écrivains dans tout çà ? Rue des Ecrivains se trouve, en 1380, une échoppe, celle du copiste et libraire Nicolas Flamel, lequel entrera en possession du Livre d'Abraham le Juif, qui aurait révélé à notre homme la transmutation des métaux en or. Les reliefs ésotériques de son hôtellerie alors dédiée aux pauvres, ainsi que les macabres figures des arcades du charnier des Innocents témoignent alors d'une intense activité occulte. Et la rumeur de persister à travers l'étrange vision du couple Flamel en Turquie en 1709, puis à Paris en 1761. L'échoppe de Nicolas Flamel sera quant à elle démontée pierre par pierre dans l'espoir de trouver un hypothétique filon aurifère. Soucieux de son salut, le libraire s'était comporté en commerçant avisé et généreux envers la communauté religieuse et les indigents. Un portail offert à l'église Saint-Jacques (en photo ci-dessous) le représentera en train de prier aux pieds de la Vierge. Au décès du prodigue paroissien, bien des espoirs seront toutefois déçus car Nicolas Flamel n'aura finalement légué que quelques centaines de livres de rentes...

 

Cela n'empêchera pas notre tour Saint-Jacques de poursuivre son odyssée à travers les époques : le sieur Dubois l'acquiert en 1824 pour la transformer en entreprise, sachant que l'usage des monuments à des fins industrielles n'est pas rare en ce temps-là à Paris. Les plombs de chasse à l'anglaise y sont alors fabriqués, du sommet vers le bas de la tour, jusqu'à ce que la Ville ne parvienne tant bien que mal à racheter l'édifice en 1836. Il faudra attendre Napoléon III et le baron Haussmann, chantres de la rénovation parisienne, pour que pareilles activités polluantes soient enfin repoussées au-delà des limites de la cité.

En 1647, un certain Blaise Pascal prétend démontrer l'existence de la pression atmosphérique, au travers d'expériences édifiantes, comme la conversion de la tour Saint-Jacques en baromètre géant. Puis, en 1887, c'est Joseph Jaubert, aéronaute plein d'ambition, qui lance l'expérimentation du pendule de Foucault destiné à démontrer la rotation de la Terre. Et la tour d'abriter cette fois un barographe, baromètre à eau de 12,65 mètres de long. Le public est conquis. Fin 19è siècle, on cherche à prévoir le temps, et terrasse et niveaux intermédiaires de la tour Saint-Jacques d'être alors mis à contribution pour accueillir les appareils les plus divers dont un anémomètre pour mesurer la vitesse du vent. L'endroit devient alors un observatoire qui est intégré à l'antenne de Montsouris en juillet 1895. L'année 1936, qui symbolise le centenaire de l'achat de la tour par la Ville de Paris, révèle que l'édifice est alors utilisé comme cage métallique destinée à recevoir toutes les décharges électriques grâce au paratonnerre qui y est installé. La tour devient alors un poste d'observation météorologique de premier choix en cas d'orage violent.

L'ouvrage prêtera aussi son image à des décors de roman et de théâtre populaires au cours du 19è siècle, ne serait-ce que pour de courtes scènes. On retiendra la pièce de théâtre d'Alexandre Dumas père, en 1856, et les romans de Clément Jules Briois et de Clémence Robert. La hauteur et l'isolement de la tour Saint-Jacques contribueront à rendre la scène très spectaculaire, voire comique, dans « Balaoo » de Gaston Leroux en 1912. De tous temps, la dimension onirique de l'édifice et de ses alentours attireront écrivains et poètes : la réputation sulfureuse de Nicolas Flamel offrira l'image d'une science alchimique maudite dont Gérard de Nerval fera une pièce de théâtre, « Nicolas Flamel », en 1828.

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « La tour Saint-Jacques », jusqu'au 24 mai 2020, à la Tour Jean sans Peur,20 rue Etienne Marcel, à Paris (2è). Tél: 01 40 26 20 28. Ouvert du mercredi au dimanche de 13h30 à 18h00. Entrée : 6€. Métro : Etienne Marcel. Site internet : https://tourjeansanspeursite.wordpress.com/






 



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