Revoir le globe
Top


Exposition "Hyakudan Hinamatsuri 2020"
(Hôtel Gajoen Tokyo, Japon)
Heure locale

 

Samedi 1er février 2020

 

Une nouvelle journée d'hiver s'annonce ensoleillée mais froide sur Tokyo. Nous sommes fin janvier, et comme chaque année, on célèbre la fête des poupées à l'hôtel Gajoen Tokyo. La fête des poupées se tient en effet le 3 mars de chaque année et relève d'une vieille tradition qui, dit-on, remonte à la période Heian (794- 1185), du temps où des poupées prenaient place à bord des embarcations afin de célébrer un rituel censé écarter l'infortune. Depuis, il est de coutume d'offrir aux petites filles ces fameuses poupées qui apportent bonheur et santé. Cette fête, qui se tient au Japon chaque 3 mars, symbolise une journée consacrée aux petites filles, fête au cours de laquelle ces petites filles portent un kimono à manches longues, reçoivent des cadeaux, avant de rendre au temple shinto avec sa famille pour se recueillir. Les jours précédant ce 3 mars, les petites filles nippones exposent de précieuses poupées posées sur des petites estrades à plusieurs niveaux. Ces poupées particulières, qui se transmettent de génération en génération, sont rangées dans un carton le reste de l'année. Ces poupées-là représentent des personnages de la cour impériale de l'ère Heian. La disposition des poupées lors de leur exposition est bien déterminée : l'empereur se trouve sur le niveau le plus haut, à gauche, puis l'impératrice, à droite. Un paravent doré fait souvent office d'arrière-plan.

 

L'exposition de poupées japonaises traditionnelles à l'hôtel Gajoen Tokyo ne nous rajeunit pas. Les pièces exceptionnelles qui sont présentées cette année au public ont été confectionnées sous les périodes Edo, Meiji, Taisho et Showa, et ont chacune leur propre histoire. Si seulement elles pouvaient parler, elles nous conteraient la vie turbulente de l'ancien Japon, entrecoupée de guerres et de tremblements de terre de forte intensité. Le pays du Soleil levant connait effectivement des catastrophes naturelles en tous genres depuis fort longtemps. Et rassembler autant de poupées de ces époques historiques si mouvementées relève du miracle car ces objets auraient très bien pu disparaître depuis longtemps. Aujourd'hui est un grand jour car je m'apprête à visiter la toute première exposition du mythique hôtel Gajoen placé sous l'ère Reiwa, ou ère de la belle harmonie, depuis l'abdication au trône de l'empereur Akihito et l'intronisation de Naruhito, devenu ainsi le 126 ème empereur de ce pays.


 

Je débuterai ma visite en admirant un couple princier de l'ère Heisei (ci-dessus en photo). L'exposition s'intéresse également aux poupées de différentes préfectures nippones, dont celle de Shimane. Les visiteurs peuvent actuellement admirer des poupées originaires de la ville de Matsue où je m'étais arrêté pour quelques jours en 2011 (https://www.leglobeflyer.com/consulter-reportage.php?id=242&pays=). L'endroit recèle de nombreux artisans plus talentueux les uns que les autres et les poupées font partie du patrimoine local. Les pièces présentées ici datent de la fin de l'ère Taisho et du début de la période Showa, et proviennent de la boutique de poupées Ennaya, du nom de son fondateur, Ichinosuke Enna qui la fonda en 1893. Connu à Matsue comme le loup blanc, Mr Enna, qui connait bien du monde localement avec lequel il ne cessera d'ailleurs d'entretenir les meilleurs relations tout au long de son existence rappelle que l'affaire familiale prit forme du temps de Gentaro Enna, sixième tenancier de l'échoppe et grand admirateur des arts. De passage à Kyoto, il acheta un jour un stock de poupées traditionnelles locales pour les revendre. Les poupées qui étaient confectionnées à la même époque dans sa bonne ville de Matsue étaient des reproductions en argile d'une grande rusticité en comparaison avec celles de Kyoto, et représentaient Tenjin-Sama (doro Tenjin). Et les poupées rapportées de Kyoto, alors capitale nippone, d'encourager les artisans à parfaire leurs reproductions. Les poupées exposées actuellement sont tirées de la collection d'Ichinosuke Enna, qui fut le 8è occupant de la boutique, lequel avait pour coutume de dire que « les poupées n'étaient pas de simples jouets pour enfants, mais des représentations sacrées de prêtres » qu'il fallait considérer comme des marchandises bonnes pour le cœur.

 

De nombreuses régions japonaises cultivent l'art de la poupée traditionnelle et Kyoto est considérée comme le point de départ de cet engouement. Kyoto, surnommée « ville capitale » (elle sera la capitale du pays de 794 à 1868), sera à l'origine de différentes sortes de poupées comme les saga-ningyos, les gosho-ningyos, les kamo-ningyos et bien sûr les poupées hina. Dans mon article de 2011, je donne au passage une description détaillée de ces différentes poupées. Les poupées hina, qui nous intéressent aujourd'hui, se répandirent dans tout le pays grâce à la culture kyotoïte, et plus particulièrement dans les escales des routes maritimes desservies à l'époque Edo par le bateau-cargo Kitamaebune entre Osaka et Hokkaido. Ainsi trouve t-on un grand nombre de poupées hina à Yamagata, lieu considéré comme le centre culturel nordiste de ladite poupée. Mais aussi dans les régions côtières, et dans les régions montagneuses où sa présence est encore plus écrasante et véhicule, par le style de décoration qu'elle arbore, les courants culturels de l'Est et de l'ouest nippons jusque dans ces contrées : dans l'ouest japonais, on a pour habitude d'orner de riches décorations les halls de cérémonies dotés de toits de chaume et d'écorces de cyprès, tandis qu'à l'est, on appuiera l'existence de la poupée hina en utilisant les nombres impairs même si la véritable poupée de ce type héritera de la posture assise ancestrale (suwira bina en langue japonaise), bientôt suivie par la multiplication de modèles de poupées du même type représentant trois dames et cinq musiciens de la cour. Quant à l'apparition en vitrine, somme toute récente, d'ensembles de poupées constitués d'une quinzaine de figurines, c'est aux boutiques qu'on le doit. Ce qui marque le plus la poupée hina est sans aucun doute la chaleur du bois dans lequel elles ont été taillées. J'apprendrai au passage qu'à proximité du grand sanctuaire d'Izumo (préfecture de Shimane) existe l'atelier Kichiya qui fabrique de jolies poupées hina en bois. La même famille d'artisans gère à elle seule trois boutiques, des points de vente d'où les clients repartent avec à chaque fois des pièces uniques, chaque poupée ayant été taillée à la main.


 

Sur l'île de Kyushu, la vile d'Iisuka (préfecture de Fukuoka), qui prospéra longtemps grâce au charbon, offre aujourd'hui aux touristes la luxueuse maison « Ito-Den-emon House » d'une surface de 7600 m2, et ancienne demeure de Chikuho, jadis roi de l'industrie charbonnière locale. Chaque année, lors de la fête de la poupée hina, on décore l'équivalent d'un salon de dessin avec des dizaines de poupées disposées au milieu d'un superbe décor reconstitué pour l'occasion. En japonais, on appelle cela le Zashiki-bina (en photo ci-dessus), un concept dont on dit qu'il serait apparu jadis à Yawatahama (préfecture d'Ehime) avant de s'imposer à Iisuka, qui était alors le centre de l'industrie minière et qui attirait un grand nombre de Japonais venus de tout le pays. Comme le montre la photo, cette immense scène reconstituée remporte toujours un vif succès auprès des visiteurs qui s'y font photographier en famille. Par le passé, le Hyakudan Gajoen a déjà exposé ce Zashiki-bina lors de la fête des poupées. Durant la période Edo, une autre ville japonaise, Iwatsuki, se distinguera aussi grâce à sa ville-château et à son bureau de poste. La cité, dotée d'importantes réserves d'eau et de bois de paulownia (matériau utilisé pour confectionner les poupées) deviendra très vite célèbre pour la fabrication de figurines et ses boutiques de poupées. « Ningyo no Togyoku » est l'une d'entre elles. Fondée en 1852 par le Docteur Ryuuken Totsuka, l'endroit servit dans un premier temps à son propriétaire pour exercer son loisir favori, jusqu'à ce que son descendant, Iwao Totsuka, n'en fasse un atelier de fabrication dès 1914. Et la boutique de poursuivre encore son activité après sept générations...

 

Sur mon chemin, je croiserai un objet (en photo ci-dessus) traditionnel populaire de la préfecture de Tottori, dont on se servait autrefois pour adresser ses prières et profiter ainsi d'une bonne santé tout au long de l'année. La tradition impose que soit placé un couple de poupées (homme et femme) en papier au centre d'une couronne faite de paille de riz (ou sandawara, en japonaise) accompagné d'un hishimochi (desserts en forme de losanges) et de brindilles de pêcher. L'ensemble est alors jeté à la rivière Sendaï et est supposé emporter avec lui impuretés et mauvaises fortunes. L'histoire ancienne mentionne également l'existence de la « hina-nagashi », tradition remontant à la période Heian et qui consistait à jeter à l'eau des poupées à Mochigase, après le déroulement d'une cérémonie de purification au cours de laquelle étaient transférés aux poupées de papier les malheurs à venir. On jetait alors ces figurines à l'eau pour que ces choses mauvaises soient emportées dans les flots.

Une autre salle est consacrée à la présentation de la collection Soho constituée par Masako Sakaguchi, qui fut l'épouse du 11è chef de la famille Sakaguchi, illustre et ancienne famille de Yonago (préfecture de Tottori). Originaire de la ville d'Izumo, Masako Sakaguchi commença à collectionner les poupées après avoir épousée l'industriel Hanbe Sakaguchi. Et d'exposer pour la première fois ses trésors en 1968 en faisant usage de son propre sobriquet, « Soho ». La collection, qui est à l'origine composée de 2000 objets, présente ici des poupées avec leurs accessoires (peignes et parures de coiffure, teinture pour cheveux, ameublement...). Cette collection privée sera malheureusement détruite en grande partie lors du séisme ayant touché la préfecture de Tottori en 2000, mais ce qui en reste fut offert au musée d'histoire de Yonago, lequel abrite depuis 1930 archives du château et artefacts de la vie locale.

 

L'une des dernières salles d'exposition accueille Hagi (une autre ville-château de la préfecture de Yamaguchi) et ses trésors. Hagi sera fondée en 1604 lors de la construction de son château, par Mori Terumoto, jusqu'à atteindre la taille d'une ville fortifiée (valorisée à 360000 koku de l'époque) placée sous l'autorité du clan Mori durant près de deux siècles et demi. Aujourd'hui classée monument historique, la vieille ville (sur laquelle j'ai rédigé plusieurs articles en 2013) attire encore le regard des visiteurs sur les anciennes résidences de samouraïs et ses demeures mercantiles. Chaque année, de février à avril, Hagi célèbre la fête des poupées hina en exposant des poupées anciennes témoignant du riche héritage ancestral de cette cité. C'est la première fois que ces poupées quittent leur ville natale pour rejoindre cette exposition. Sur place, on distingue au passage les poupées « hoko-san « supposées contenir les charmes nécessaires pour protéger la santé des enfants.

Autre ville et autre préfecture : Chizu (préfecture de Tottori), célèbre durant la période Edo pour son bureau de poste, puis utilisée comme lieu de repos par les officiers publics préfectoraux qui jadis se rendaient à Edo (actuelle Tokyo) dans le cadre du sankinkotai (système de résidence alternée appliqué aux daïmios par le shogun). La ville abrite également la résidence Ishitani, sur une surface de 13000m2. L'endroit, qui comporte plus de quarante pièces, appartient la la famille Ishitani, qui fit beaucoup durant l'ère Meiji pour promouvoir les industries locales, la construction d'écoles et le développement et l'entretien des infrastructures routières. De nos jours, la même famille est partie prenante dans l'industrie forestière et organise chaque année au début du printemps une exposition de poupées hina traditionnelles richement ornées. Là encore, c'est la première fois que ces poupées familiales quittent leurs terres d'origine pour rejoindre Tokyo et l'exposition qui nous intéresse.

 

Au sommet de l'escalier Hyakudan, se trouve la dernière salle de cette exposition de poupées : l’endroit promeut le savoir-faire artisanal et on y parle de Renbai Kato et de ses poupées. Cet artisan talentueux, disparu en 2012, exerça cinquante années durant ses talents à Hokuei (préfecture de Tottori) jusqu'à attirer l'oeil expert de Shoya Yoshida, spécialiste en art populaire. Notre homme réalisera au total près de 200 sortes de poupées à partir de thèmes variés (mythes, contes, chansons des régions d'Izumo, Inaba et Houki). Sa popularité fut telle que ses poupées sont désormais connues sous le nom de poupées Renbei.

L'artiste Kazuto Sasaki, est quant à lui connu pour ses illustrations qui ornent livres et magazines (ci-dessous). L'ouvrage qu'il publia en 2018 s'intitule « Tenohirano Engimono Folk Toys of Japan » et est un guide contenant 243 jouets populaires, mascottes et porte-bonheur de différentes régions nippones. L'homme s'est rendu dans chaque atelier afin d'y découvrir le savoir-faire des artisans.

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « Hyakudan Hinamatsuri 2020 », jusqu'au 15 mars 2020, à l'Hôtel Gajoen Tokyo, Meguro-ku, à Tokyo (Japon). Pour vous y rendre, descendre à la station Meguro JR (Yamanote Line), puis marcher sept minutes. Ouvert du dimanche au jeudi, de 10h00 à 17h00, et du vendredi au samedi, de 10h00 à 20h00. Entrée : 1600 yens. Site internet : https://www.hotelgajoen-tokyo.com/en/hyakudankaidan/










Retour aux reportages







Qui Suis Je - Reportages - Médiathèque - Calendrier - Pays - La lettre - Contact
Site réalisé par Kevin LABECOT
Disclaimer - Version mobile