Mardi 28 avril 2020
Les Champs-Elysées, avenue française par excellence, bénéficient d'une renommée mondiale tout en incarnant les grands épisodes de notre histoire depuis maintenant 350 ans.C'est Le Nôtre qui prolongera l'axe du jardin des Tuileries au-delà des murailles ceinturant alors Paris. Champs et vergers de l'époque seront alors transpercés par la future avenue qui deviendra bientôt le lieu favori de flâneries et de promenade des Parisiens. René Descartes, dans son Discours de la méthode, n'invitait-il pas l'homme à « se rendre comme maitre et possesseur de la nature ? ». Ce sera chose faite avec l'avènement des temps modernes et le rôle joué par les Champs-Elysées dans l'expérimentation des innovations urbaines du Second Empire. Véritable catalyseur évènementiel, l'endroit reste tout autant populaire de nos jours et l'exposition « Champs-Elysées, histoire & perspectives » présentée au Pavillon de l'Arsenal (Paris 4è) nous convie tous à réinventer la célèbre avenue et son quartier mythique.
Qui aurait pensé qu'un lieu si majestueux puisse un jour émerger de ce qui n'étaient que marécages inhabités du temps de Marie de Médicis ? En 1616, la reine décidera pourtant d'y faire aménager une longue allée bordée d'ormes et de tilleuls, qui deviendra le cours la Reine, à l'exemple de la promenade florentine des Cascine. Plus tard, sur proposition de Colbert, le jeune roi Louis XIV fera raser les fortifications parisiennes puis tracer les premières avenues. Et de charger André Le Nôtre d'aménager cet axe nouveau d'abord surnommé avenue des Tuileries, Grand Cous, avenue de Neuilly ou route de Saint-Germain. Il s'agissait alors d'offrir au roi une perspective grandiose depuis le Palais des Tuileries, son lieu de résidence. Le Nôtre tracera ainsi une route allant du Palais des Tuileries (actuelle place de la Concorde) jusqu'à l'actuel rond-point des Champs-Elysées en direction de la montagne du Roule (actuelle place de l'Etoile), bordée de terrains agrémentées d'allées arborées et de gazon. « le Grand-Cours » était né, et ne prendra officiellement le nom d' »avenue des Champs-Elysées » qu'en 1789.
Longtemps lieu de guinguettes et repères de mauvais garçons et de prostituées, c'est en effet lors de la Révolution française que l'endroit devient populaire. N'est-ce pas par les Champs-Elysées que les mégères passeront ce 5 octobre 1789 pour ramener la famille royale à Paris, puis le 25 juin 1791 pour raccompagner le roi à la capitale après sa fuite à Varennes ? Quatre ans plus tard, en 1795, naitra le quartier des Champs-Elysées, avant que l'avenue ne soit enfin nettoyée de ses bouges et de ses malfaiteurs durant le Directoire, pour laisser la place à de grands cafés et restaurants. La célèbre avenue devient alors un lieu de promenade élégante, où l'on part vers Longchamp pour prendre le grand air.
Le Second Empire fera des Champs-Elysées un lieu à la mode, en se dotant d'immeubles, d'hôtes particuliers et de maisons bourgeoises. L'avenue devient bientôt l'endroit élégant de la capitale, où tout le monde se presse grâce à la desserte de la ligne C de l'Omnibus Louvre Pont-de-Neuilly. Le Palais de l'Industrie y voit le jour en 1853, bâtiment qui abritera les expositions universelles de 1855, 1878 et 1889 ainsi que divers autres salons et manifestations de tous ordres. Toutefois, l'ouvrage sera promis à la démolition vers 1896 afin de laisser la place aux Petit et Grand Palais, à l'approche de l'Exposition universelle de 1900. Et cette disparition du Palais de l'Industrie de permettre de relier l'hôtel des Invalides au palais de l'Elysée via le pont Alexandre III.
Le 20è siècle met à l'honneur la plus belle avenue du monde avec, en mai 1921 le déroulement des cérémonies célébrant le centenaire de la mort de Napoléon Ier, empereur des Français mort à Sainte-Hélène. Puis, événement plus réjouissant, la descente des Champs par le général de Gaulle après la Libération de Paris le 26 août 1944. La révolution de 1968 s'y catalysera également le 30 août de cette année-là, mais lors d'une grande manifestation rassemblant entre 300000 et 500000 personnes en soutien au même général devenu président de la République d'un pays paralysé par les évènements de l'époque. Trente ans plus tard, c'est au même endroit que notre pays fêtera sa victoire à la Coupe du monde de football, avec la descente de plus d'un million de personnes sur les Champs-Elysées.
Tout au long de leur histoire, les Champs-Elysées traverseront des périodes plus ou moins fastes, même après avoir incarné l'élégance à la française et être restée populaire jusque dans les années 1960. Et la célèbre avenue d'affronter peu à peu le désamour des Parisiens, à tel point que 70% de ses visiteurs sont désormais ...des touristes. La faute aux nuisances multiples (trafic automobile encombrant, sur-tourisme, surconsommation et sur-minéralisation de la ville) qui ont, depuis un demi-siècle, fait oublier les 24 hectares de verdure situés en plein cœur de Paris qui constituent la véritable raison d'être des Champs-Elysées. Et il aura fallu attendre que crise environnementale, réchauffement climatique et extinction de la biodiversité deviennent la préoccupation de tous pour qu'un projet d'envergure voit le jour à l'occasion de la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Transformer l'actuelle avenue afin de ré-enchanter les Champs-Elysées et d'en faire le territoire exemplaire d'une ville durable, désirable et inclusive à l'horizon de 2030 mobilise désormais toutes les énergies : durable en divisant par deux le bilan carbone actuel tout en restaurant les écosystèmes naturels, désirables en réduisant les nuisances urbaines et inclusive en permettant d'accueillir un large public.
L'exposition présentée au Pavillon de l'Arsenal est une invitation à rejoindre une démarche de réinvention participative d'une avenue et d'un quartier mythiques. Et l'étude « Champs-Elysées, histoire & perspectives » qui a été menée se fonde sur la conviction que la modernité humaine est née avec l'axe historique de Paris et qu'elle s'y est développée trois siècles durant jusqu'à ce que les pratiques actuelles n'en menacent l'avenir. Le diagnostic est connu depuis 1989 : nuisances sonores, trafic routier trop envahissant et pollution. Il s'agit maintenant de redonner à l'endroit son prestige d'antan en réparant le kilomètre zéro de la perspective de l'ouest parisien, depuis le Grand Louvre jusqu'à la Grande Arche de La Défense. En 1992, une consultation urbaine invitait alors à supprimer les stationnements autorisés sur les contre-allées, retraiter les sols afin d'offrir davantage d'espace aux piétons et restituer le double alignement des arbres. Et un projet architectural d'avoir depuis vu le jour en tenant compte de ces contingences. Vision 2030 invite ainsi à réenchanter les Champs-Elysées autour de quatre axes :
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réduction des nuisances des mobilités : des simulations prouvent aujourd'hui que le trafic automobile sur l'avenue pourrait se contenter d'une chaussée de deux fois deux voies qui libérerait un espace non négligeable pour la promenade piétonne et les nouvelles mobilités. La mise en place d'un revêtement de sol silencieux et l'électrification du parc automobile réduiraient également les nuisances sonores tout en faisant chuter considérablement la pollution aux particules fines et au CO2. La transformation des parkings souterrains simplifiera la logistique du dernier kilomètre et la piétonnisation du centre de la place de la Concorde permettra de reconnecter les jardins des Tuileries et ceux des Champs-Elysées. De même, la piétonnisation de l'avenue Winston-Churchill et du pont Alexandre III rendra possible la connexions de ces deux entités en libérant du même coup un espace vert continu de 115 hectares au cœur de la capitale.
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Invention de nouveaux usages urbains autour de quatre thèmes : une offre de restauration dans des kiosques confiés à des chefs prestigieux, une programmation événementielle culturelle et scientifique concentrée sur l'ensemble des jardins et répartie sur toute l'année, des parcours de sport et de santé et une offre innovante, gratuite et pédagogique de jeux à destination des enfants. Ainsi est-il prévu de réinventer les jardins des Champs-Elysées avec des installations temporaires et réversibles conçues pour s'intégrer au caractère patrimonial du site.
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Utilisation de la Nature comme écosystème : à condition de retrouver une perméabilité des sols partout où cela est possible, la nature peut se substituer, du moins en partie, à des infrastructures couteuses et polluantes. La réalisation de bassins de rétention dans les anciens fossés de la place de la Concorde permettra de filtrer et de stocker les eaux pluviales tandis que les arbres ne seront plus taillés et pourront pousser plus librement. Des salons végétaux seront plantés de plantes couvrantes et d'arbustes et les jardins, enrichis de nouvelles plantations de différentes tailles. Ce nouvel écosystème devant permettre la purification de l'air par absorption du CO2, la fixation des poussières, l'augmentation de l'infiltration des eaux de pluie, la production de fraicheur par évapotranspiration, l'augmentation des surfaces ombragées et la reconstitution d'habitats au profit de la biodiversité.
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La data comme outil, avec l'installation de capteurs et la collecte de données autorisant une représentation précise des flux (transports, alimentation et évacuation des eaux pluviales, information...) dans un souci de régulation fine, d'économie, de confort et de gain environnemental sur l'écosystème urbain.
Plus concrètement et sur le terrain, le rond-point de l'Etoile se transformerait en place avec augmentation de la surface du terre-plein central grâce à la réduction de la chaussée. Ce terre-plein serait protégé par une couronne végétale. A la jonction des avenues, les douze placettes actuelles seraient transformées en jardins agrémentés de kiosques, l'accès au centre de la place étant facilité en sous-terrain par la connexion des tunnels piétons, automobiles et métropolitains.
L'avenue haute, elle, qui est à l'heure actuelle fréquentée chaque jour par quelques 100000 visiteurs, verrait ses sols rénovés (revêtement anti bruit et anti chaleur, utilisation de matériaux vertueux, dépolluants ou pourvus de pigments clairs et réfléchissants), la surface dédiée à la circulation automobile réduite au profit d'un programme d'aménagement végétal et l'implantation de salons végétaux sous les voûtes d'arbres, du rond-point Marcel-Dassault à la place de l'Etoile. Quant à l'avenue basse, elle fera l'objet de la même unification des sols que sa petite sœur, et verra la création d'une promenade intermédiaire de part et d'autre dotée de nombreux kiosques de restauration ainsi que de nouveaux services de proximité dédiés au sport ou aux jeux pour enfants.
Les jardins des Champs-Elysées qui peinent actuellement à trouver leur véritable identité, défigurés par la multitude de gestionnaires et concessionnaires d'entreprises privées avec multiplication de voies d'accès, d'aires de livraison et de parkings, feraient l'objet d'un projet paysager ambitieux avec la création de jardins clos de lisières végétales épaisses permettant l'installation de jeux pour enfants, de pelouses, de terrains de sport et de piscines en eaux vives tout en réduisant les voies d'accès.
Enfin, la place de la Concorde, qui constitue une priorité pour la municipalité afin de rétablir le lien avec le parvis des Tuileries et ses jardins, serait piétonnisée sur la majeure partie de sa surface de 8,6 hectares et serait agrémentée de nouvelles zones végétalisées, grâce à la plantation de 364 arbres et à l'installation de jardins de pluie. Ses sols seraient dotés de revêtements silencieux et la place (actuellement la plus vaste de Paris) formerait l'endroit événementiel disposant du plus grand espace dans la capitale. Le flux automobile, lui, serait reporté sur la périphérie de la place.
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