Dimanche 2 août 2020
En ce premier dimanche d'août, il fait soleil sur le Finistère. Et Valérie de m'inviter à parcourir la presqu'île de Crozon pour en découvrir fortifications, paysages et pointes. Il a déjà été écrit que Crozon ressemblait à une croix de Lorraine difforme, avec ses longs bras s'allongeant en presqu'îles à Quélern et Morgat, et en bras plus étroits se terminant en pointes du côté de Camaret. La plus belle vue s'offre aux audacieux qui graviront le mont Menez-Hom (330 mètres) par temps clair. Entaillée à sa base par le large cours d'eau de l'Aulne, la presqu'île de Crozon s'avance alors dans l'océan sur 26 kilomètres, entre deux mers intérieures, la rade de Brest et la baie de Douarnenez.
A bord de sa Jeep, Valérie nous conduit d'abord au cap de la Chèvre, qu'on surnomme aussi le Promontoire du Géant (Beg ar C'hawr). Ce site classé d'une beauté exceptionnelle, et partie intégrante du Parc naturel régional d'Armorique , fait face à la côte nord du cap Sizunn et ferme la baie de Douarnenez. Ses falaises de cent mètres de haut sont entailléées de crevasses et de grottes dans lesquelles la mer s'engouffre dans un vacarme assourdissant. L'endroit est recouvert d'une lande rase de bruyères et d'ajoncs actuellement en fleurs, que nous traversons par d'étroits chemins. Seul domine un sémaphore géré par la Marine nationale dont l'accès est interdit au public. Sur ma droite, se dévoilent les « tas de pois », un alignement d'ilots rocheux et des falaises cachant l'entrée du port de Camaret, tandis qu'à gauche, on aperçoit le Cap Sizun, l'île de Sein, et l'ensemble de la baie de Douarnenez...Chanceux, nous profitons d'une bonne visibilité en ce début de matinée. Tout cela est bien beau mais où est la chévre ? Ma question fait sourire Valérie. En fait, le lieu aurait été nommé ainsi car cet endroit escarpé ne serait accessible qu'à cet animal (d'où le nom de cap de la Chèvre) mais cette explication étymologique est à prendre avec réserve car elle est discutable. Ce qui est sûr, c'est qu'en breton, ce cap signifie «Beg Penn ar Roz » (pointe du bout de la colline), et que ce cap forme une pointe avancée sur l'Atlantique et un lieu stratégique d'observation de la mer. Un corps de garde et une batterie de canon y seront implantés sous la royauté, avant que ne s'y dresse une imposante batterie d'artillerie durant la Seconde guerre mondiale et que la Marine nationale n'y construise l'actuel sémaphore en 1971. L'ouvrage a aujourd'hui pour mission de surveiller la circulation maritime et aérienne de la baie de Douarnenez, laquelle reste l'une des meilleures zones de mouillage pour les navires marchands en Manche et dans le golfe de Gascogne.
Sur notre chemin, nous croisons de nombreux hameaux, reflet fidèle d'une architecture rurale qui structurait autrefois les bâtiments de fermes autour d'une cour fermée. Spécificité locale, le hameau-rangée se présente sous la forme d'un alignement de maisons, à la fois lieu d'habitation et bâtiments d'exploitation. Ces demeures étaient bâties avec de la pierre extraite au plus près. Et chaque pierre d'être liée par un mortier de terre, tandis que le toit, aujourd'hui en ardoise, était jadis constitué d'une couverture végétale faite de roseaux récoltés dans les zones marécageuses des alentours. L'ardoise ne remplacera le chaume qu'en 1870-1880, malgré les qualités de cette couverture végétale (régulateur thermique rendant les maisons plus fraiches en été et plus chaudes en hiver).
Prochaine étape : la plage de Kerloc'h d'où j'observerai la pointe de Dinan (première photo ci-dessous). Le beau temps nous permet d'embrasser cette mer d'Iroise si fertile en naufrages, alors que l'anse de Dinan, encadrée par d'imposantes falaises, domine des grèves sauvages. Cette pointe mentionne un château (celui de Dinan), une forteresse de géants qui auraient été embastillés par les korrigans, d'après la légende. Un regard attentif sur cette pointe permet en effet de deviner les tours d'un château et d'imaginer un pont-levis (à cause de l'arche).
Midi approche et nous nous rendons maintenant à la pointe du Toulinguet (deuxième photo) agrémentée d'une plage, d'un phare et d'un sémaphore. Ce dernier vit le jour en 1949, comme le successeur du premier mât à signaux de Camaret-sur-Mer installé sous Napoléon Ier, sur la pointe du Penhir. Le mât sera vite transformé en sémaphore afin de surveiller le trafic maritime qui donnait lieu parfois à des naufrages comme ce 8 août 1918, lorsqu'un cargo britannique, le « Swansea-Vale » heurta les roches du Trépied, à l'ouest de la pointe, puis coula non loin du fort de Bertheaume.
Autre pointe, celle de Penn-Hir (longue pointe, en breton) dotée de falaises de grès armoricain hautes de 70 mètres parfois utilisées pour l'escalade. C'est dans le prolongement de cette pointe que se trouvent les îlots rocheux « Tas de pois » (plus anciennement appelés tas de foin, avant de prendre leur nom actuel au 19e siècle). Sur ce site, se dresse le monument aux Bretons de la France libre, inscrit aux monuments historiques depuis 1996. Ce monument, aussi appelé « Croix de Pen-Hir » fut inauguré par le général de Gaulle dans les années 1960 en souvenir des Bretons qui ont notamment fondé l'association Sao Breiz en Grande-Bretagne durant la Seconde guerre mondiale. Au dos de la croix se trouve une inscription en breton : « Plutôt la mort que la souillure ».
C'est dans le charmant port de Camaret que nous choisissons de déjeuner, face au sillon qui arbore fièrement sa tour Vauban et l'église Notre-Dame de Rocamadour. Ce sillon aurait été formé à l'aide des pierres charriées par l'Aulne, qui, à l'époque tertiaire, passait par la dépression de Quélern à Trez-Bouz. Il aurait aussi donné son nom à Camaret (en breton, Kamm-eret signifie sillonné en courbe), avant d'être choisi en 1692 par Vauban pour y édifier une tour défensive, mais également des batteries de défense dans le voisinage du Grand Gouin. L'ensemble permettra de repousser les attaques anglaises et hollandaises lors de la bataille de Trez-Rouz en 1694. Depuis cette date,les falaises à l'est du sillon sont appelées « la mort anglaise » et les dunes avoisinantes firent office de cimetière pour enterrer les marins anglais et hollandais.
En guide de dessert, Valerie et moi dégustons la spécialité de la crêperie Cap à l'Ouest, la « bigoudenne surprise » (en photo ci-dessous), une crêpe dressée en forme de coiffe locale, et accompagnée d'une salade de fruits, de boules de glace et de crème Chantilly. Succès garanti !
En face de nous et dans le prolongement du Sillon, reposent de vieux bateaux de pêche (deuxième photo), histoire de nous rappeler que Camaret fut, lui aussi, un important port sardinier deux siècles durant. Ainsi, le port comptait-il 94 chaloupes sardinières en 1850 avant que la grande crise sardinière de 1903-1904 ne mette un coup d'arrêt à l'essor économique camarétois. 1903 marque encore les esprit par la provocation d'un certain Laurent Tailhade qui crut bon de verser cette année-là le contenu de son pot de chambre sur la tête des processionnaires qui défilaient le 15 août, fête traditionnelle de bénédiction de la mer et des bateaux. L'Hôtel de France où se produisit le méfait fut aussitôt assiégé par des habitants car à l'époque, on ne plaisantait pas avec la religion. Le provocateur sera exfiltré puis se réfugiera à Morgat, non loin de là. Certains de suspecter l'individu d'être à l'origine de l'écriture de la chanson paillarde « Les Filles de Camaret » pour se venger des Camarétois (lesquels firent du nom « Tailhade » le synonyme de « personnage grossier, mal élevé » dans le parler local durant une bonne partie du 20e siècle). Je vous dispenserai des paroles de cette chanson....
En guise de promenade digestive, nous reprenons la route et partons vers l'anse de la Fraternité qui abrite un fort ayant fait autrefois partie du système de protection du goulet de Brest (photo ci-dessous). Les premières fortifications de la presqu'île de Crozon furent jadis érigées sur des promontoires entourées par la mer, donc faciles à défendre. Petit à petit, la mer deviendra une voie de communication privilégiée et, du même coup, une source de menaces occasionnant des invasions (vikings, pillards...) qui contragnirent les autorités à mettre en place des ouvrages défensifs. Brest, devenu un port d'escale accessible par un goulet, sera protégé dès le 17e siècle par les fortifications placées le long de ce goulet, tout particulièrement à la pointe des Espagnols (ci-dessous). Et ces ouvrages fortifiés de s'étendre progressivement à toute la presqu'île, partout où l'ennemi pourrait débarquer : plages et port de Camaret, anse de Morgat... On élève pareillement des défenses terrestres comme les lignes de Quélern barrant l'accès à la presqu'île de Roscanvel, une fois leurs portes d'accès refermées pour la nuit. Les progrès techniques militaires du 19e siècle permettront de rendre ces défenses (presque) invisibles (comme le fort de Landaoudec ou les batteries de Kerbonn).
L'îlot des Capucins (en photo ci-dessous) sera lui aussi fortifié et un fort y est érigé depuis 1848. Déjà, Vauban avait prévu dès les années 1694-96 la construction de deux batteries à l'entrée du goulet de Brest. L'îlot, aujourd'hui accessible par un pont datant de 1859 qui a perdu ses rambardes de protection, est dangereux. Sur place, se trouvent encore une batterie haute (1885), plusieurs autres batteries et un magasin à poudre dissimulé sous le rocher.
Une fois parcouru le Goulet de Brest, on débouche sur la rade de la ville du même nom avec, deux îles , l'île des Morts et l'île Trébéron. La rade de Brest, d'une superficie de 180 km2, est accessible aux navires de grand tonnage grâce à ses eaux profondes et à l'abri qu'elle constitue en cas de tempête. Plusieurs presqu'îles la pénètrent ou la limitent, dont celle de l'Île Longue (ancienne île ainsi transformée en presqu'ile), désormais site militaire sensible, en face de laquelle se trouve l'anse du Fret, hameau et port traditionnel. C'est de cet endroit que Jeanne de Navarre embarquera en 1403 pour épouser ensuite Henri IV de Lancastre, roi d'Angleterre. Le port du Fret, troisième port de la presqu'île de Crozon après Camaret et Morgat, a gardé tout son charme et contribue à sa manière à l'attrait de cette pointe du Finistère si agréable à sillonner...
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