Lundi 14 juin 2021
Le talent n'a pas de frontière et Alphonse Mucha en est la démonstration. Né en Moravie en 1860, notre homme, passionné par la scénographie, rencontrera le comte Eduard Khuen-Belasi qui deviendra momentanément son mécène en 1883. Et de s'installer à Paris quatre ans plus tard pour parfaire sa formation et surtout rencontrer des gens comme Paul Gauguin qui deviendra un ami, ou Paul Sérusier et le groupe des Nabis qui deviendront des proches. Après des débuts comme illustrateur dans des maisons d'éditions parisiennes, Alphonse Mucha enseignera le dessin et se lancera dans la photo. Il créera même l'affiche de la pièce « Gismonda » avec Sarah Bernhardt comme actrice vedette en 1894. De cette première expérience naitra une collaboration féconde plusieurs années durant.
C'est la première fois en Bretagne qu'est présentée l'oeuvre d'Alphonse Mucha, à travers l'exposition « Alphonse Mucha, La Beauté Art Nouveau » , dont l'heureuse initiative revient au Musée départemental breton de Quimper (29). Le public est ainsi convié à découvrir et admirer une centaine d'oeuvres exceptionnellement prêtées par la « Mucha Trust Collection », parmi lesquelles peintures, dessins, affiches, photographies, costumes, sculptures et objets d'art décoratif.
Une fois sa réputation d'affichiste faite, grâce notamment aux nombreuses créations pour les pièces jouées par Sarah Bernhardt (affiches, décors de théâtre, costumes et bijoux), l'artiste va crouler sous les commandes. Mucha va alors créer une quantité importante d'affiches publicitaires et de panneaux décoratifs célébrant la beauté féminine, dans un style bien à lui et immédiatement reconnaissable, une esthétique encore largement appréciée de nos jours aux États-Unis et au Japon. Les publicités réalisées pour le fabricant de champagne Moët et Chandon et pour le biscuitier Louis Lefèvre-Utile sont encore dans toutes les mémoires. Alphonse Mucha lui-même confiera un jour que « les affiches étaient un bon moyen d'éclairer le grand public. Les gens s'arrêtaient et voyaient les affiches en se rendant au travail, ils en tiraient un plaisir spirituel. Les rues devenaient des expositions d'art en plein air ». Et de rajouter « Je préfère être un artiste pour le peuple qu'un défenseur de l'art pour l'art ».
Parmi ses principaux commanditaires, après Sarah Bernhardt, Alphonse Mucha compta l'industriel Louis Lefèvre-Utile pour lequel il dessinera quatre affiches, treize emballages de boites et le décor d'une bonbonnière entre 1896 et 1903. La biscuiterie LU (https://www.leglobeflyer.com/reportage-2-1397-exposition-lu-un-sicle-dinnovation-1846-1957-chteau-des-ducs-de-bretagne-nantes-loire-atlantique-france.html) puisera de temps à autre dans l'imagerie bretonne pour inspirer ses campagnes publicitaires et le conditionnement de ses produits en s'adressant par exemple à Alexis Vollon, Alfred Guillou ou Hippolyte Berteaux. En revanche, cette thématique sera absente des créations de Mucha, ce dernier considérant qu'accompagner des biscuits nommés Champagne, Boudoir, Flirt ou Table d'hôte requérait un talent davantage tourné vers les élégances et le mode de vie fin de siècle. On sait de source sûre qu'Alphonse Mucha rencontrera personnellement Louis Lefèvre-Utile en 1896 ou 1897, et ce, malgré le contrat d'exclusivité que l'artiste avait consenti à l'éditeur Ferdinand Champenois pour toutes ses commandes de compositions destinées à l’impression. Lefèvre-Utile adressait donc à Champenois ses désidérata et recevait de lui les esquisses des projets.
Les femmes occuperont une place prédominante dans le « style Mucha ». Belles, voluptueuses, sensuelles, ces femmes séduiront le spectateur grâce à leur charme magnétique et le réconfort de leur regard paisible. Sarah Bernhardt sera la première d'entre elles à catalyser les forces créatrices de l'artiste. L'actrice parisienne surnommée « la Divine » apparaitra dès 1895 sur les panneaux d'affichage. Gismonda, la première affiche de Mucha était née. Devant le succès immédiat de cette œuvre, la tragédienne proposera à l'artiste un contrat de six ans comme décorateur et directeur artistique de son théâtre. De là naitront six nouvelles affiches qui feront de l'actrice l’icône de la scène parisienne. Mucha n'avait pas sa pareille pour concevoir un style de composition cohérent, harmoniser les formats choisis et transformer ses figures féminines en icônes ou en muses tout en les associant à divers motifs décoratifs et symboliques. Arabesques, contorsions du corps et subtils jeux de courbes suffisaient ainsi à créer un nouvel idéal féminin, marque indélébile du style Mucha. Un style dont les caractéristiques deviendront celles de l'Art nouveau naissant. En effet, la figure féminine dont la beauté idéalisée incarnera « la vérité de la forme » sera complétée par de somptueux motifs décoratifs (cercles, lignes en coups de fouet et autres formes géométriques destinées à procurer un plaisir esthétique). Autant de figures disposées avec soin et dans des proportions précises pour déterminer les formes et leurs relations dan la composition globale. Ainsi apparaît l'un des archétypes du style Mucha, la formule Q, une figure féminine assise, entourée d'un motif circulaire ou en fer à cheval, un pan de robe flottant vers le bas, le tout formant la lettre Q. Pour créer ses motifs, l'artiste s'inspire alors des symboles ornementaux de plusieurs cultures (celtique, grecque, gothique, rococo, islamique, juive, égyptienne et japonaise) tout en les rendant évolutifs après 1896, avec robes slaves, décors floraux et autres motifs botaniques. Et Alphonse Mucha, fidèle à lui-même, de veiller à ce que la femme incarne toujours un message, y compris après 1910, lorsque l'homme abandonnera la publicité pour se consacrer enfin à la gloire des peuples slaves : il travaillera ainsi à un projet personnel, L'Epopée slave, durant dix-sept ans, en acceptant les commandes de la Maison municipale de Prague (1910), du vitrail de la cathédrale Saint-Guy de Prague (1931) et autres affiches pour les festivals sportifs du Sokol de 1912 et 1926...Ces affiches et peintures tchèques perpétueront la femme, âme de la nation, chargée d'inspirer et d'unir les peuples slaves. Le style Mucha deviendra alors le langage universel capable d'exprimer la beauté intemporelle.
En cette fin du 19è siècle, le monde culturel fourmillait de projets. C'était l'époque du Salon des Cent, lieu d'exposition géré par le poète Léon Deschamps, alors rédacteur en chef de l'influente revue d'avant-garde La Plume. Ouvert en 1894, ce salon exposait les œuvres d'artistes associés à la revue dont Jules Chéret, Eugène Grasset, Toulouse-Lautrec, Georges de Feure et les Nabis. Mucha fut bien sûr invité à rejoindre le groupe en 1896 et conçut, en guise de remerciement, l'affiche de la XX ème exposition du salon (ci-dessous). Un an plus tard, une grande rétrospective était mise sur pied afin de montrer au public 448 œuvres du Tchèque Alphonse Mucha.
Il faut dire qu'entre 1887 et 1906, Paris vivait ses heures de gloire et était la capitale artistique du monde. Plusieurs doctrines artistiques cohabitaient alors, du néo-impressionnisme aux prémices du cubisme, à côté de la vogue internationale d'un Art nouveau balbutiant. La notion traditionnelle de la beauté était remise en question et confrontée à des idées nouvelles. Et Mucha de participer à ce renouveau, lui qui croyait qu'une belle œuvre d'art rimait avec « le symbole de la bonté » et contribuait à améliorer les valeurs morales et la qualité de vie des gens pour finalement aboutir à une société meilleure.
Lorsqu'en 1896, l'éditeur Ferdinand Champenois conçut les panneaux décoratifs, Alphonse Mucha vit dans cette entreprise l'opportunité de réaliser sa mission artistique, à savoir diffuser l'art auprès des gens ordinaires, une forme d'art démocratique à la portée de tous imprimé sur un papier plus résistant que celui des affiches publicitaires et permettant d'embellir les foyers les plus modestes. Les thèmes de l'artiste étaient à la fois accessibles et universels comme les saisons, les fleurs, et les moments de la journée. Et le format rectangulaire, constant.Tout en célébrant la beauté poétique et le fonctionnement harmonieux de la nature, Mucha mêlait harmonieusement formes gracieuses des corps féminins et courbes sinueuses de la nature. Ses dessins seront déclinés sous la forme de calendriers (ci-dessous), cartes postales et objets décoratifs et seront également reproduits dans de nombreuses revues d'art, en France et à l'étranger, garantissant ainsi la diffusion du « style Mucha ».
Esprit ouvert, Alphonse Mucha s'intéressera aussi à l'occultisme et la théosophie, persuadé que des forces mystérieuses guident la vie de chacun. L'artiste entrera au Grand Orient de France en 1898, une obédience qui prônait alors les progrès de l'humanité et la conscience de la liberté autour de trois vertus (la beauté, la vérité et l'amour), véritables pierres angulaires de la condition humaine. Et d'être convaincu que son art pourra participer à l'avènement d'un monde meilleur. Eclectique, Mucha s'initiera enfin à la photographie au milieu des années 1880 alors qu'il étudiait à Munich, pour poursuivre cette activité toute sa vie durant. Il débutera en photographiant d'abord ses amis puis des scènes de rue à l'aide d'un premier appareil photographique à plaques de verre, une étape importante dans son processus créatif qui complètera ses carnets de notes, croquis et dessins préparatoires. L'artiste prendra alors comme modèles ses amis (dont Gauguin) ou sa famille.
En 1900, Paris inaugure sa cinquième exposition universelle alors que la renommée d'Alphonse Mucha s'accroit et que l'Art nouveau s'invite dans toutes les grandes villes européennes. L'artiste est bien entendu présent à cet événement qui rassemble 58 nations et accueille plus de 51 millions de visiteurs. En tant que représentant officiel de l'Empire austro-hongrois, Mucha sera chargé de la décoration du pavillon de la Bosnie-Herzégovine tout en travaillant en tant qu'artiste pour de prestigieux fabricants français (comme Houbigant, l'une des plus anciennes parfumeries de France ou Georges Fouquet, grand orfèvre et joaillier parisien).
Alphonse Mucha concevait l'art populaire et notamment les costumes traditionnels bretons et leurs motifs décoratifs comme une forme non négligeable d'expression de l'identité culturelle et idéologique. D'où une affinité de l'artiste pour la Bretagne. Alphonse se rendra dans cette région à plusieurs reprises pour y passer des vacances en bord de mer tout en parlant philosophie avec ses amis et faisant des projets, tout particulièrement en 1902-1903. Des recherches conjointes entreprises par la Fondation Mucha et le Musée départemental breton permettra de mettre au jour un grand nombre de photographies et de croquis des collections de Mucha Trust, jusqu'ici non identifiés et pour la plupart, des études de paysages et de costumes de la région bretonne, dont beaucoup ont un lien avec des œuvres réalisées par l'artiste à cette époque. Autant de documents qui confirment l'intérêt de ce génie de l'ornementation pour les traditions populaires décoratives bretonnes telles qu'elles s'épanouissaient en particulier dans les costumes traditionnels et la broderie.
Les œuvres présentées dans l'exposition montrent l'intérêt d'Alphonse Mucha pour les traditions populaires décoratives bretonnes. De nationalité tchèque, l'homme accordait ainsi beaucoup d'attention aux costumes bretons et à leurs formes et décors. Deux œuvres, « Bruyère de Falaise » et « Chardon de grève » forment une exception notable dans le processus créatif du maitre.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « Alphonse Mucha, La Beauté Art Nouveau », du 18 juin au 19 septembre 2021, au Musée départemental breton, 1 rue du Roi Gradlon à Quimper. Tél : 02 98 95 21 60. http://musee-breton.finistere.fr/fr/alphonse-mucha-la-beaute-art-nouveau
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Visites guidées de l'exposition tous les dimanches du 27 juin au 12 septembre 2021 (sauf le 25 juillet) à 14h30. Durée : 1h00. Tarif : 8 et 5€.
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Journées européennes du patrimoine les 18 et 19 septembre 2021 : Un week-end à la Belle Epoque ! Animations et entrées gratuites.
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Mes vifs remerciements à Myriam Lesko pour son aide précieuse.