Lundi 5 juillet 2021
Il existe des endroits sur terre où l'on se croirait au paradis. Le Musée international de la Parfumerie de Grasse en est un, avec ses deux hectares et demi de jardins parfumés qui offrent aux visiteurs de si délicates senteurs. Il s'agit là d'un conservatoire d'espèces et de savoir-faire où l'on en apprend chaque jour un peu plus sur des plantes à parfum venues d'Italie, d'Inde ou d'ailleurs, depuis le 16è siècle. Le musée convie aussi de temps à autre le public à des expositions tournant autour du monde de la parfumerie. Ainsi, peut-on cette fois fois découvrir « La Poudre de Beauté et ses écrin », jusqu'au 3 octobre 2021.
Labellisé « Musée de France », le Musée international de la Parfumerie présente au public les techniques et le savoir-faire de la création de parfums et leur utilisation dans l'Histoire. Le visiteur découvre ainsi des collections présentant l'histoire de la parfumerie depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, à travers le savon, le maquillage, les techniques employées, la commercialisation des produits et bien sûr des vestiges archéologiques. Le parcours de la visite est organisé autour de cinq thèmes : élégance et classicisme, magie et dynamisme, frivolité et hygiène. Parallèlement, et malgré la diminution de la culture des fleurs grassoises (cueillette de plus en plus concurrencée par des pays comme l'Egypte ou l'Inde du Sud pour le jasmin par exemple), le musée conserve des plantes à parfum qui forment la matière première de la confection des parfums et attestent par la même occasion de la place que la France occupa jadis dans le domaine de la parfumerie contemporaine. Grasse n'est-elle pas la ville historique de la parfumerie ?
Le musée s'intéresse aujourd'hui à l'histoire de la poudre de beauté et son univers frivole et fantaisiste, partie intégrante de l'univers des cosmétiques du siècle dernier. Une chose est sûre, l'usage de la poudre est bien pluriséculaire, mais ne se développera d'un point de vue technique et chimique que dans le courant du 20è siècle, tant par ses usages que par ses contenants (boite à poudre, poudrier de sac). Et cette période de favoriser l'apparition de poudriers divers et variés (il suffit de cliquer sur l'album photos de cet article pour s'en rendre compte) tant par leurs formes que par leurs matériaux.Quant à la production en série de ces ravissants objets, elle témoigne du reflet de la société au tournant du 20è siècle tant dans l'évolution de ses mœurs que dans l'émancipation féminine.
L'inscription des savoir-faire liés au parfum (en novembre 2018) au Patrimoine Culturel et Immatériel de l'Humanité fut un événement de taille tant pour le monde de la parfumerie et la ville de Grasse que pour la France et le reste du monde. Et témoigna de l'hommage rendu à tout un territoire et à un héritage légué depuis de nombreuses générations mais aussi à tous ces praticiens du monde, aux métiers traditionnels, aux industriels, aux artistes et...à notre terre nourricière.
L'exposition qui nous intéresse se compose de quatre parties : La poudre, La Belle Epoque et les années 1900, Années Folles et 1920, L'après-guerre (1950-1980).
Ainsi découvre t-on que la composition des poudres n'a que très peu évolué au fil du temps si ce n'est en mettant à l'écart les composants nocifs que furent longtemps la céruse et le bismuth, tandis que les ingrédients d'origine naturelle (amidon et dérivés) puis synthétiques sont choisis pour leurs propriétés cosmétiques (couvrance, matité et blancheur...). Petit à petit, les avancées industrielles et technologiques vont rendre cette poudre transportable grâce aux poudriers, puis compactable dès 1914. Le précieux sésame, appliqué à l'éponge ou au pinceau, se décline alors dans une large palette de nuances offrant parfois des effets d'optique chatoyants dus à l'ajout de pigments de synthèse (principalement composés d'oxydes de fer).
La blancheur du teint constitue assurément un critère de beauté ancestral, le hâle étant associé aux travaux de plein air. Entre les 17è et 19è siècle, le blanc (ou fard) est confectionné à partir de céruse (blanc de plomb) et s'applique sur la peau alors que la poudre, issue de l'amidon, se pulvérise sur les cheveux ou les perruques. Disponibles chez le gantier-parfumeur, ces deux produits étaient à la fois fabriqués et vendus par le même artisan.Vendue au poids, achetée en vrac puis transportée dans un cornet, la poudre était appliquée à la houppette après avoir été transvasée dans une boite plus ou moins précieuse. Et ce blanc (appelé plus tard poudre) sera plus tard utilisé pour masquer les rides et corriger le teint jusqu'à ce que la révolution française ne finisse par rendre son usage exclusivement féminin.
L'appellation la plus répandue est celle de « poudre de riz », bien qu'elle ne contienne qu'une infime partie de cette céréale. La poudre est donc composée de plusieurs ingrédients : ingrédients pulvérulents d'origine minérale (craie, talc et kaolin), d'origine végétale (amidon et dérivés) et synthétique (mica de synthèse, nylon et silicone). Toutes ces substances se fixent aisément sur la peau en absorbant les corps gras et en produisant un effet mat. Quant aux substances abrasives et toxiques (produits à base de plomb, de mercure ou de bismuth), elles ont été abandonnées en 1913 (céruse) et en 1937 (radium).
Progressivement, on va passer du teint pâle au hâle, avec l'arrivée de produits légèrement teintés et parfumés qui vont remplacer les poudres blanchissantes dès les années 1910. La palette de nuances s'adaptera ainsi aux blondes et aux brunes, en s'étendant des roses aux ocres en passant par les Rachel (appellation provenant de cette célèbre tragédienne prénommée Rachel qui utilisait alors une poudre plus jaune, adaptée à son teint olivâtre). Durant les années 1920, le bronzage s'impose, encouragé par Gabrielle Chanel et Jean Patou car apparaissent déjà à cette époque les premiers adeptes des bains de mer et de soleil. La poudre d'alors reproduit ce hâle qui est désormais signe de vitalité tout en évitant les brûlures du soleil. Suivront bientôt la Terracotta de Guerlain et la poudre de soleil qui pérennisent jusqu'à aujourd'hui cette tendance hâlée.
Une poudre si délicate méritait bien un écrin : dès la fin du 19è siècle, le carton va de fait devenir le matériau de prédilection des boites à poudre qui étaient jusqu'à présent faites en marqueterie de paille, porcelaine ou métal. Et ce nouvel écrin recouvert de papier ouvragé de se retrouver sur les coiffeuses des coquettes alors que la poudre libre connait son âge d'or de la Belle Epoque aux années 1960. Quant à la poudre compacte qui apparaît en 1914, elle génère un conditionnement transportable, le poudrier de sac (dit compact). Les échantillons offerts par les parfumeurs se présentent alors sous la forme de boites miniatures ou de sachets de poudre. On applique cette poudre à l'aide d'une houppette, accessoire en duvet de cygne qui remplace la patte de lapin. En 1925, la fameuse houppette devient rétractable et se range à l'intérieur d'un étui en bakélite.
Toujours à la Belle Epoque, la poudre évolue pour prendre le délicat parfum de rhizomes d'iris broyés et restituer ainsi un parfum naturel de violette. L'irone constitue le principe odorant du rhizome d'iris, lequel se décline dans diverses poudres de riz et eaux de toilette du parfumeur L.T Piver. Cette note parfumée dite poudrée évoque l'odeur du talc ou de la poudre et se marie aussi avec d'autres odeurs (comme la coumarine ou l'immortelle).
La Belle Epoque traduit le charme discret des élégantes. En effet, les pratiques de maquillage évoluent peu durant le 19è siècle, et la femme bourgeoise, peu fardée, doit faire preuve de réserve comme l'exige la morale. Pour certaines personnes, se maquiller est surtout le fait des femmes de mauvaise vertu. La Belle Epoque et la poudre de riz subliment ainsi le teint pour atteindre un idéal de pâleur perçue sous un éclairage électrique. Les maisons de parfumerie, elles, vantent le mérite de leurs poudres en faisant appel, pour la première fois, à des comédiennes à l'instar de Sarah Bernhardt, bien que les rituels de beauté aient lieu dans les cabinets de toilette, à l'abri des regards, puisque se repoudrer en public ne sera possible qu'au début du 20è siècle.
En cette fin du 19è siècle, la poudre devient l'ambassadrice des grandes maisons de parfumerie au même titre que le parfum, et s'affiche sur le couvercle des boites à poudre, expression de l'Art nouveau. Ces boites en carton usent alors de qualificatifs et de superlatifs pour glorifier ce produit de luxe. De leur côté, les ornemanistes rivalisent de talent en dessinant les décors de ces contenants avec des motifs néo-classiques (arabesques, grecques et guirlandes) avant d'être eux-mêmes remplacés par de grands illustrateurs à l'image d'Alphonse Mucha adepte du courant de l'Art nouveau. Et divers écrins des poudres et produits parfumés d'apparaitre avec leurs propres supports publicitaires recouverts de motifs inspirés de la nature et de décors exubérants et fleuris. La mode des parfums est alors aux soliflores qu'il convient d'imiter fidèlement (muguet, héliotrope, rose et violette).
Le 19è siècle voit la transformation des parfumeries en véritables sociétés arborant marques et slogans : ces maisons commercialisent alors de nombreux produits parfumés (essences, poudres de riz, sachets, savons, lotions et brillantines...). Et ces articles de s'organiser ensuite autour de fragrances renommées partageant un nom et un graphisme communs qui permettent l'émergence d'un concept de lignes parfumées.L'objectif étant de séduire de nouveaux consommateurs tout en fidélisant les clients existants. Ainsi la Parfumerie Oriza crée-t-elle une première ligne de produits en 1879 sous la houlette de L.Legrand. Et les autres maisons de parfumerie (Roger & Gallet, L.T.Piver...) de suivre la même voie.
Au lendemain de la Grande guerre de 1914, les Français aspirent légitimement à la liberté et à la joie de vivre. Les Années folles des années 1920 vont donner naissance à l'émancipation féminine et aux garçonnes affichant un nouveau modèle de jeunesse et d'androgynie. Les codes de beauté évoluent et se diffusent dans la presse féminine, mettant peu à peu en avant la mode du teint hâlé et la silhouette sportive. La démocratisation des bains de mer et des cures thermales fera le reste à une époque où les stations balnéaires deviennent des hauts lieux d'élégance. Et les femmes, libérées du corset par Paul Poiret depuis 1909, de découvrir les bienfaits du soleil. Poudre de beauté et blush garantissent alors l'effet bonne mine, d'autant plus que ces articles, conditionnés dans des poudriers, sous forme compacte, sont donc facilement transportables. Par ailleurs, une nouvelle façon de se maquiller voit le jour, sans dispersion de produit et hors de chez soi, en public.
Ces écrins Art nouveau servent aussi la femme moderne des Années folles à séduire son entourage : celle-ci possède déjà de nombreux accessoires qui la rendent coquette en toutes circonstances, en soirée ou en voyage. Châtelaines et minaudières deviennent indispensables et les poudriers connaissent leur âge d'or grâce à la récente invention des poudres compactes. Et la femme d'adopter une nouvelle gestuelle de maquillage avec l'utilisation de ces accessoires conçus en matériaux nobles et dans le style Art déco. Galuchat, bois précieux, bois laqués et or habillent alors les poudriers ornés de motifs géométriques, tandis que les cartonniers les imitent afin de moderniser les boites à poudre.
Ces boites en carton étaient en effet assemblées réalisées à la main, car elles requerraient propreté et agilité. Travaillant à domicile ou en usine, les ouvrières assembleront ainsi les boites jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale, après que les hommes aient effectué les tâches de découpage et d'impression à l'aide des machines appropriées. Les enfants, eux, se voyaient confier des tâches subalternes. Cet essor de la parfumerie du début du 20è siècle, qui engendra la fabrication des boites en série occupaient toute la famille. Originellement en carton moulé, ces boites étaient réalisées à partir de feuilles de carton prédécoupé, montées, collées, puis habillées à l'intérieur et à l'extérieur de papier fantaisie, souvent gaufré.
Durant les années 1920, l'Art déco investit le monde de la parfumerie et de ses lignes, avec ses formes simples et géométriques et l'utilisation de matériaux précieux. Ainsi la couturière Jeanne Lanvin s'entoure t-elle en 1927 d'artistes Art déco (comme Iribe et Rateau) pour illustrer son premier parfum Arpège, pendant que Elsa Schiaparelli crée des articles parfumés dérivés de Shocking dix ans plus tard. A la même époque s'instaure une collaboration étroite entre les parfumeurs et les plus prestigieuses verreries et cristalleries pour mettre en avant les récentes innovations en matière de présentation des flacons et boites à poudre. René Lalique réalisera ainsi Le Jade et Pavots d'argent pour Roger&Gallet.
Dernière étape de l'exposition : l'après-guerre de 1950 à 1980. Après 1945, le maquillage reste classique, à base de fond de teint, de poudre et de blush. Les nombreuses nuances (jusqu'à 78 teintes chez Helena Rubinstein) reflètent la multiplicité des activités de la femme, mais en 1949, apparaît une nouvelle mode, celle de l'oeil de biche qui valorise le regard au détriment du teint. Bientôt, on assiste au développement des médias de masse et à l'affichage des modèles de visage du cinéma hollywoodien qui inspirent les magazines féminins comme Marie-claire ou Elle. Chaque revue prodigue alors ses propres conseils de beauté et chaque femme peut s'identifier à une star de cinéma. Toutefois, les évènements de Mai 1968 et la mode hippie marqueront une rupture sociale conduisant à une ère de liberté et de fantaisie. Les fards aux couleurs vives deviennent alors nacrés, irisés et opalescents, jusqu'à ce que la working girl des années 1980 et son maquillage impeccable ne mette un terme à cette tendance.
Après la Seconde guerre mondiale, les maisons de cosmétique ont à nouveau accès aux matériaux de luxe. Les années 1960 accueillent également le développement de la pétrochimie et les matières plastiques rivalisent bientôt avec le métal dans le secteur de la beauté. Ces nouvelles matières, plus résistantes et moins chères, s'adaptent aux poudres compactes et permettent d'imiter la laque, l'ivoire ou l'écaille, tout en combinant mécanismes d'ouverture originaux et formes fantaisie. Et les boites à poudre en carton de laisser la place à ces écrins dernier cri. Dans le même temps, les poudres s'affinent et offrent à la femme de nouvelles qualités de couleur, de ténacité et d'onctuosité. Il faut bien le reconnaître, après 1945, la tendance des lignes parfumées a perdu de sa superbe et l'on assiste à une refonte au sein même des grandes maisons de parfumerie. Au sein d'une marque, les départements cosmétiques et parfumerie se séparent et les gammes parfumées se rassemblent autour des produits d'hygiène (savon, lait, gel douche, après-rasage et déodorant) tandis que chaque produit de maquillage (poudre, rouge à lèvre, fard) se décline individuellement selon les saisons. Et les lignes parfumées de perdre leur raison d'être avec la profusion de parfums répondant désormais à la quête de nouveauté de la clientèle à partir des années 1970. Une page se referme...
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