Lundi 6 septembre 2021
Le Musée de La Poste invite actuellement (et jusqu'au 1er novembre prochain) le public à découvrir son exposition « A la Pointe de l'Art » qui dévoile les multiples gestes d'artistes se cachant derrière les timbres. Pour la première fois, le visiteur est ainsi convié à lever le voile sur la dimension créative et les différents métiers d'art permettant de donner vie à ces pièces uniques que sont ces petits rectangles de papier.
Si une seconde suffit à le coller sur l'enveloppe, le timbre requiert des heures de travail, du dessin de l'artiste aux savoir-faire mis en œuvre pour sa fabrication, et bien des secrets qui sont ici dévoilés d'un point de vue technique aussi bien qu'artistique. Le parcours débute par une exploration du timbre à travers le temps avec l'origine des timbres-poste et les prémices de l'art philatélique (grâce à des prêts exceptionnels et des trésors méconnus du Musée de La Poste). Divers artistes sont présentés ainsi que des maquettes et des techniques qui ont pavé la voie de la création française de timbres. On poursuit la visite avec les différentes étapes de création d'un timbre-poste (comment La Poste choisit-elle les œuvres ? Comment un artiste s'exprime t-il à travers l'art philatélique?) et la manière dont un artiste laisse libre court à sa créativité sur un thème donné. Viennent enfin les techniques de fabrication du précieux objet : gravure et impression n'auront alors plus de secret pour vous.
C'est que le timbre, qui incarna au 19è siècle la démocratisation des échanges à distance pour tous, donnera naissance à une passion populaire, parfois même experte pour la beauté de l'objet imprimé, véritable reconnaissance de l'artiste qui l'a conçu. Le Musée de La Poste, unique dépositaire des archives de création et fabrication des timbres-poste français, devaient mettre à l'honneur celles et ceux qui, en dessinant, en peignant, en sculptant, en illustrant et en gravant font de ces miniatures messagères de véritables créations artistiques. La raison d'être de l'exposition est présentée en introduction du parcours et met en lumière la mission première de ce musée, à la fois centre d'archives et d'accueil des projets validés par La Poste. Quant aux projets refusés, ils reviennent au musée sous la forme de dons ou après achat effectués directement auprès des artistes ou de leur famille.
La première partie de l'exposition explique ce qu'est un timbre-poste et son usage (y compris sa valeur fiduciaire et la notion de taxe qui lui est rattachée). On admirera au passage un portait de Jacques-Jean Barre, graveur général des monnaies à la Monnaie de Paris, de 1843 à 1855, car c'est lui qui est à l'origine du grand sceau de France et des deux premières séries de timbres-poste du pays. En ce temps-là, les timbres-poste n'existaient pas et il fut un jour confié à Jacques-Jean Barre le soin de mettre au point un nouveau mode d'affranchissement, à l'aide d'une technique d'impression similaire à celle des billets de banque. Le premier timbre-poste de France sera émis en 1849, à l'effigie de Cérès. Si les premiers timbres étaient gravés en relief (en utilisant la typographie), la gravure en taille douce sera rapidement adoptée pour contrer les risques de contrefaçon. Cette technique ancestrale permettant alors de sécuriser la valeur fiduciaire du timbre durant plus d'un siècle. Aujourd'hui, la plupart des timbres sont réalisés en héliogravure, une technique autorisant la multiplicité des timbres et des couleurs.
Les deux sections suivantes du parcours reviennent sur les diverses étapes mises en œuvre par La Poste pour passer commande à des artistes. Indissociables, celles-ci sont introduites par la présentation d'un programme philatélique du Journal Officiel, dont le choix s'est porté sur l'année 2005. On remarque alors la richesse et la diversité des projets présentés, mais également la participation d'artistes célèbres comme Geluck (ci-dessous). Partant de cet exemple, l'exposition décrit au visiteur le mécanisme de commande et décrypte le travail de la commission philatélique (composée de plusieurs membres issus des pouvoirs publics et des milieux de l'art et de la culture). A raison de deux ou trois réunions annuelles, cette commission détermine le futur programme philatélique publié ensuite au Journal Officiel, tandis que les services de La Poste choisissent un ou plusieurs artistes pour travailler sur chaque projet et aussi les techniques d'exécution.
Le choix des artistes relève d'une prérogative de La Poste, laquelle a toute liberté de choisir autant d'artistes qu'elle le souhaite, pour présenter des dessins préparatoires. Dès lors, un lien s'instaure entre la création artistique à l'origine du dessin préparatoire et la technique retenue pour fabriquer le timbre. Lorsque La Poste choisit de fabriquer un timbre en taille douce, elle fait souvent confiance au même graveur pour la réalisation du dessin (car ce procédé de gravure en creux sur une plaque en acier impacte la liberté du trait) tandis que les timbres imprimés en héliogravure offrent plus de liberté aux artistes en matière de couleurs et de techniques d'exécution. Une fois que tous les artistes ont proposé leurs projets, La poste a la dure tâche de choisir l'oeuvre qui sera représentée sur le timbre. Parmi les projets notoires présentés, le visiteur retrouve Le paquebot France de Claude Hertenberger (artiste, peintre de la Marine ayant peint et gravé certains décors de paquebot), une commande passée afin de célébrer le plus grand paquebot de l'histoire maritime française et ses exploits. Autre artiste touche-à-tout, Tomi Ungerer (illustrateur et auteur) réalisera quant à lui Entraide.
Une fois le processus de commande arrêté, intervient le concours: La Poste peut alors décider de ne pas solliciter d'artistes en particulier mais d'ouvrir un concours au grand public. Cette pratique a surtout court lors d'occasions particulières, pour des émissions philatéliques symboliques et à grande portée, comme, par exemple, pour le timbre d'usage courant à l'effigie de la République, le plus célèbre de France. Sur place, un des « concours Marianne » révèle d'ailleurs que chaque président de la République peut choisir le visuel du timbre afin d'imposer sa propre vision du pays. Et l'exposition de présenter les timbres d'un concours des années 1950 choisis pour la qualité des dessins et le nombre considérable d'auteurs connus du public de l'époque, aux côtés d'autres projets qui n'ont pas vu le jour (grande variété de dessins d'une même commande exposée dans le « Cabinet des refusés »). Et La Poste de solliciter la curiosité du visiteur en l'invitant à deviner quel projet a finalement été choisi. Les maquettes présentées, elles, ont été sélectionnées en fonction du type de commande, des sujets de la commande, de la facture des dessins et de la finalité (timbre-poste, carnet de timbres ou bloc-feuillet).
La quatrième partie de l'exposition aborde neuf artistes aux univers créatifs variés et au style reconnaissable, qui ont collaboré avec La Poste de façon régulière : l'institution a en effet toujours fait appel à un large panel d'articles reconnus ou de jeunes talents avec chacun leurs spécialités et leur style propre (illustrateurs, dessinateurs, graveurs, plasticiens, peintres, portraitistes, sculpteurs...), occasionnellement ou à temps plein :
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Henry Cheffer, peintre et graveur, recevra ses premières commandes à l'âge de seize ans. C'est l'une des premières recrues de l'administration des Postes françaises pour laquelle il imagine des timbres dès 1911, et reste l'un de ses artistes les plus prolifiques. Il est celui qui créa aussi les premiers timbres français gravés en taille douce durant l'entre-deux-guerres. L'exposition présente une partie de sa collection de croquis essais et épreuves acquis par le Musée en 2012 et dresse un portrait complet de cet homme.
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Pierrette Lambert sera la première femme créatrice de timbres-poste. Spécialisée dans la miniature sur ivoire et influencée par les œuvres du Moyen-Âge, elle mettra son talent à la fois au service de la Poste (pour laquelle elle dessinera plus de 1300 timbres-poste) et de celui de la Banque de France pour laquelle elle travaillera pendant presque quarante ans (en étant la première femme à concevoir des billets de banque français).
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Pierre Forget, surtout connu comme auteur-illustrateur de bandes dessinées dans les années 1970-1980, reproduira le mouvement sous toutes ses formes, un style que l'on retrouve dans ses créations philatéliques.
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Pierre Albuisson, autodidacte et graveur dès l'adolescence. Créatif « transréaliste », cet artiste tire son inspiration de la nature (surtout du rapport de l'homme à la nature). Il œuvre pour plusieurs pays (France, Andorre, Monaco, et certains pays d'Afrique) dans le domaine de la philatélie et fonde en 2004 l'association « L'Art du Timbre Gravé ».
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Jacques Jubert est l'homme aux différents procédés de création (sérigraphie, dessin, fusain, pastel, peinture, sculpture et xylographie). Il crée son premier timbre-poste en 1978 avant d'en créer des dizaines d'autres sur les thèmes les plus variés. Et d'explorer encore et toujours différentes techniques artistiques, après avoir été reconnu comme spécialiste de la gravure sur bois.
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Jean Delpech, artiste aux multiples talents, excellera dans de nombreuses activités dont le travail de la laque, de la nacre et du cuivre. Peintre de la Marine reconnu, il travaillera en tant que médailler pour la Monnaie de Paris et créera plusieurs timbres-poste pour La Poste.
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Thierry Mordant appartient à la jeune génération de créateurs de timbres. Dessinateur, graphiste et sculpteur, il use de son style unique pour donner naissance à des œuvres originales et détonantes. L'une de ses techniques favorites est la peinture à la brosse à dents.
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Sarah Bougault est spécialisée en gravure et a mis son talent au service de la fabrication de supports dédiés aux personnes en situation de handicap visuel. Et de créer son premier timbre « Mère Teresa » en 2010.
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Ciou, originaire de Toulouse, est une jeune figure montante vers qui Philaposte se tourne en 2013 pour créer un carnet de timbres sur le thème des signes du zodiaque. Peintre et collectionneuse, elle flirte avec le mouvement d'art pictural lowbrow et le pop art contemporain. Ses créations mêlent rêve et réalité, et son style est tiré en partie du folklore japonais et des Yokai (ci-dessous).
L'exposition met aussi en lumière les graveurs employés par l'imprimerie de La Poste : Claude Jumelet et Jacky Larrivière sont d'abord recrutés comme graveurs-retoucheurs en 1967 et 1971. Les deux créeront des timbres à partir des années 1980, devenant ainsi des artistes à part entière. Bientôt remplacés par Elsa Catelin et Pierre Bara (aujourd'hui seul graveur officiel de La Poste), ils vivront l'incroyable évolution du métier de graveur avec l'arrivée des nouveaux procédés numériques.
A ce stade de la visite, le visiteur découvre comment passer d'une maquette à un timbre, via plusieurs procédés (impression photomécanique, comme l'héliogravure ou l'offset, gravure en taille douce..) tout en étant convié à s'initier à la gravure à travers la technique ancestrale, celle utilisée par les artistes italiens de la Renaissance, et popularisée par les « cartes à gratter ».
L'impression fait bientôt son entrée à travers différentes étapes : transfert de l'image de la maquette sur la plaque d'acier, taille du timbre, gravure au poinçon et épreuve définitive de la mise en couleurs.
Au passage, le Musée de La Poste met l'accent sur un artiste incontournable de l'art de la philatélie française : Albert Decaris (en photo ci-dessous). L'homme est l'artiste le plus prolifique en termes de création de timbres en France, d'où cet hommage particulier qui lui est rendu dans cette exposition. L'un de ses timbres les plus emblématiques reste en effet Le Coq, alors que le visiteur est invité à visionner un film-reportage tourné en 1962, qui retrace toutes les phases de création et de fabrication de ce célèbre timbre.
Le parcours qui touche à sa fin offre au visiteur de découvrir l'imprimerie, ses savoir-faire et ses innovations : à travers différentes photographies, l'exposition présente les métiers, les savoir-faire et les différentes techniques d'imprimerie (imprimeur d'épreuves d'artiste, retoucheur de la gravure sur cylindre, service PAO, découpage des rouleaux en caoutchouc...) sans oublier une petite presse rotative à taille douce. La visite s'achève par les dernières évolutions technologiques de l'imprimerie moderne, illustrées par les œuvres de philatélie présentées (timbres en forme de cœur, timbres goût fraise ou chocolat...). Et de rester sur une note mémorable avec les timbres colorés et poétiques imaginés par Jean-Michel Folon pour évoquer La Poste et les techniques et La Poste et les hommes.
INFOS PRATIQUES :
- Exposition « A la Pointe de l'Art, le Timbre, un geste d'artiste », jusqu'au 1er novembre 2021, au Musée de La Poste, 34, Boulevard de Vaugirard, à Paris (15è). https://www.museedelaposte.fr/fr
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Événement : « Un timbre, un artiste », par Pierre Albuisson, en septembre/octobre. Présentation de la création d’un timbre, de sa commande à sa réalisation : Pierre Albuisson présentera un timbre qu’il a dessiné puis gravé en taille-douce. Il détaillera toutes les étapes que l’artiste doit suivre : de la commande par La Poste à son émission, en passant par les différentes phases de dessins (projets, maquette...), la gravure du poinçon en acier, l’impression par presse rotative ...
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Catalogue de l'exposition, « À la pointe de l’art. Le timbre, un geste d’artiste », par Monika Nowacka (Musée de La Poste- Editions Snoeck, 2021, 184 p, 22 x 28 cm.Prix : 25€) disponible à la boutique du musée.
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Collector de 8 timbres autocollants à validité permanente représentant des pièces présentées dans l’exposition.