Lundi 13 décembre 2021
Suite de la visite de Soraya dans mon refuge breton. Après avoir connu un temps exceptionnellement ensoleillé hier pour notre virée au Cap Fréhel, le ciel est gris et brumeux en cette matinée dominicale. Et le restera pratiquement toute la journée, à mon grand regret, moi qui voulait mettre en avant la baie du Mont Saint-Michel. Nous nous préparons et partons rapidement pour Cancale, afin d'éviter le déferlement des vacanciers aoutiens. Nous mettrons ensuite le cap sur la baie du Mont, puis rentrerons au bercail en passant par Dol-de-Bretagne et le Mont Dol.
En voiture, nous ne mettrons que peu de temps pour rejoindre Cancale, petite ville côtière tout spécialement appréciée pour ses huitres. Lorsque nous atteignons Cancale, il y a déjà beaucoup de circulation sur le port et les places de stationnement se font rares. C'est à une dizaine de minutes de l'église Saint-Méen que nous nous garerons finalement. Un office est en cours de déroulement à l'intérieur de l'édifice religieux et nous ne nous attarderons pas outre mesure. Construite en 1875 par l'architecte Alfred-Louis Frangeul à l'emplacement d'un ancien manoir, cette église sera réalisée en plusieurs étapes faute d'argent suffisant. Ainsi une partie du choeur et des bas-côtés, mais aussi le tour du clocher ne seront pas au rendez-vous en 1886 lors de la fin des travaux. Pour couronner le tout, la toiture de l'édifice essuiera un incendie en 1906 et c'est l'architecte Hyacinthe Perrin qui achèvera le chantier dans les années 1931-32 d'après les plans de Frangeul. La tour du clocher sera érigée mais sera agrémentée d'une lanterne des morts. Notons que, depuis le sommet de la plate-forme supérieur de l'église, face à l'église, s'élève encore aujourd'hui une fontaine abritant deux laveuses d'huitres, qui symbolisent le travail des Cancalaises au début du 20ème siècle et avant la mécanisation.
Justement, Soraya et moi parcourons quelques instants les rues adjacentes avant de descendre vers le port. La route, pentue, présentera plus de difficultés au retour, entre l'importance du dénivelé et l'étroitesse des trottoirs (qui contraignent parfois certains piétons à marcher sur la chaussée). Les touristes sont nombreux à converger en direction des quais, probablement pour tenter de déguster les fameuses huitres de Cancale. Effectivement, non loin d'une jetée se tient un petit marché ostréiculteur qui fait le bonheur des touristes désireux de s'en envoyer une douzaine sur place.
La pêche cancalaise est une vieille histoire : le célèbre port de la Houle accueillait jadis les bisquines qui tiraient des bords dans les eaux de la baie, mais voyait aussi partir bien des goélettes à hunier, avec un doris à la remorque, pour des campagnes de pêche de sept mois. A bord, les Terre-neuvas formaient l'équipage, vêtus de sabots, bottes en cuir ou en toiles, d'un pantalon, d'une veste ou d'un suroit en toile. Une fois arrivés sur les bancs de Terre-Neuve, ils mouillaient les casiers pour pêcher les bulots destinés à appâter la morue. Puis, les hommes embarquaient deux par deux à bord de doris à la recherche des précieuses morues. Sept à huit mois plus tard, les bateaux rentraient à Cancale, les cales pleines de poisson. De nombreux Terre-Neuvas cherchaient alors à embarquer sur des bisquines, tandis que d'autres travaillaient au champ.
Après avoir rejoint la voiture, nous voici partis pour la Pointe du Grouin et son espace naturel sensible. Le ciel est toujours gris mais la seule perspective de prendre un bon bol d'air iodé nous motive pour nous garer à l'écart puis marcher jusqu'au sémaphore vigie édifiée en 1861, qui servait à surveiller le passage des bateaux au large. A un certain moment, nous trouvons sur notre droite l'Île des Landes, réserve ornithologique servant de refuge à de nombreux oiseaux (goélands argentés, bruns ou marins, cormorans er cormorans huppés). Je remarque de très forts courants entre la pointe (là où nous nous trouvons) et cette île dans un passage connu sous le nom de Chenal de la Vieille Rivière. Ces puissants courants me rappellent que les plus fortes marées d'Europe se trouvent ici et nulle part ailleurs. La navigation maritime est si dangereuse à proximité de la pointe du Grouin qu'un autre phare, le phare de la Pierre de Herpin, a été érigé pour baliser l'endroit. La pointe du Grouin, site remarquable à plus d'un titre, sert aussi tous les quatre ans de ligne de départ pour la Route du Rhum, cette course de voiliers en direction des Antilles.
Retour à bord de l'auto pour prendre cette fois la direction du Mont Saint-Michel. La route de la baie nous fait traverser successivement Saint Benoit-des-Ondes, Le Vivier-sur-Mer et Cherrueix, avant de rejoindre Saint Broladre, Beauvoir et le Mont dans toute sa splendeur. Lorsque nous arrivons sur place, le soleil n'est toujours pas revenu mais quelques madeleines trempées dans un bon café chaud nous requinqueront avant de poursuivre notre périple.
En fin d'après-midi, j'emmène Soraya visiter Dol-de-Bretagne. Nous nous garons au pied de la cathédrale Saint-Samson, joyau de la cité. A quelques mètres de la cathédrale (juste à côté du Cathédraloscope) se trouve l'office de tourisme de la ville, qui propose aux visiteurs trois parcours « Mystères ». Nous ferons pour cette fois le choix de nous arrêter un instant à cette cathédrale qui rappelle le passé prestigieux de cette ville religieuse, qui abrita un archevêché trois siècles durant et vit se succéder plus de 70 évêques jusqu'à la révolution française. Une promenade en ville permet d'admirer cette cité médiévale de caractère qui fut créée au 5ème siècle, avec ses maisons à pans de bois, ses ruelles singulières, ses remparts, ses douves et son menhir.
Non loin de la cathédrale, se trouve la promenade des remparts Jules Revert, située en partie sur un amas artificiel de terre, spécialement aménagé pour créer une douve profonde au pied des remparts encore visibles de la partie nord de la ville. La grande tour des Carmes se détache nettement, une tour qui abrita l'artillerie au 15ème siècle, symbolisant ainsi le bâtiment défensif le plus monumental de l'enceinte défensive de l'époque. Si son édification date du 15ème siècle, les fortifications, elles, remontent principalement au 13ème siècle. L'enceinte sera renforcée durant le 14ème, après la guerre de Succession de Bretagne et l'apparition de l'artillerie (bombardes, pierriers et autres engins à poudre). L'importance de protéger la ville par un système de défense capable de résister aux progrès du canon a abouti à l'érection de la tour des Carmes avec ses multiples casemates percées de canonnières (ou bouches à feu). A proximité, courtines (parties de muraille se trouvant entre les tours) et mâchicoulis seront renforcés. En 1532, au moment où la Bretagne est rattachée à la France, ces fortifications perdront leur intérêt défensif et la tour des Carmes sera peu à peu abandonnée puis remblayée, à la suite d'une dernière tentative de restauration menée en 1693 par l'ingénieur Garangeau, élève de Vauban. Heureusement, l'intervention d'une équipe de bénévoles et le lancement par la municipalité d'une opération de sauvegarde à partir de 1978 nous permet aujourd'hui d'admirer ce joyau. A l'ouest de cette tour se dresse la tour de la Motte, qui fut restaurée en 1989-1990. Soraya et moi profitons d'une joli point de vue sur le marais de Dol et sur le Mont-Dol, prochaine et dernière étape de notre visite.
Je me souviens être monté au Mont-Dol lorsque j'étais enfant. Bien des années se sont écoulées depuis et la visite de Soraya me donne l'occasion de visiter à nouveau l'endroit. Comme son nom l'indique, le Mont-Dol est un tertre constitué de trois roches, dont le granite. Alors qu'en 1867, des carrières étaient en activité sur la zone, des ouvriers mirent à jour les premiers ossements, à l'emplacement du cimetière actuel. Ces ossements s'avérèrent être les restes de mammouths mélangés avec des outils en silex, autant d'éléments qui permirent de dater le site d'environ 110 000 ans. On découvrit aussi que le lieu fut jadis occupé par des chasseurs néandertaliens qui établirent ici leurs campements lorsque des troupeaux de grands herbivores se trouvaient sur place. Ces troupeaux étaient constitués de mammouths, rhinocéros, rennes, bœufs sauvages, cerfs communs, cerfs mégacéros, daims, chevaux, bouquetins, ânes sauvages et sangliers. Ces animaux cohabitaient avec des carnivores (ours, lions des cavernes, panthères, loups, renards...) et d'autres rongeurs (campagnols des champs, rats taupiers, lemmings gris...)
Les premiers hommes s'étaient établis ici afin de surveiller le déplacement des troupeaux d'herbivores depuis le sommet du mont. Ces hommes se trouvaient alors devant une vaste steppe herbeuse au nord du marais de Dol s'étendant bien au-delà de Jersey (qui n'était pas a l'époque une île), complétée par des zones marécageuses en partie basse et des bosquets en hauteur.
Avant la révolution, le Mont-Dol appartenait à l'évêché de Dol-de-Bretagne, et à l'abbaye du Mont-Saint-Michel. Très tôt, on se mit à extraire la pierre locale du rocher (d'où la présence de carrières) pour empierrer chemins et routes, entretenir la digue de protection des marais et bâtir des maisons. Les carrières connurent ainsi un essor au 19ème siècle avec le développement de l'industrie et du commerce, jusqu'à ce que des voix s'élèvent pour mettre fin à la disparition du mont, alors surexploité. Et la Préfecture de parvenir à faire classer le tertre en 1934, au titre de monument naturel et site de caractère artistique.
A notre entrée dans le village, je découvre qu'il est possible de grimper en voiture jusqu'en haut du mont. Alleluia ! La côte est raide mais praticable. Nous nous garons sur un parking improvisé et partons à la découverte du lieu : dans le passé, plusieurs cultes se succéderont à cet endroit, depuis le culte païen, les cultes gallo-romains de Mithra ou de Cybèle, en passant par l'existence de temples (dont on retrouva des traces). Saint-Samson aurait de son côté fait bâtir une chapelle dédiée à saint Michel au 6ème siècle dans l'enceinte consacrée à Cybèle. L'église Saint-Pierre, elle, date des 12ème et 15ème siècles et présente encore sur les côtés de la nef principale des traces de fresques très anciennes représentant les cycles de la Passion.
Au sommet du mont, se dressent la chapelle saint Michel, reconstruite après être tombée en ruines en 1802 et avoir vu ses matériaux utilisés pour bâtir en lieu et place de l'édifice religieux la cage du télégraphe Chappe (télégraphe aérien), point-clef de la ligne Paris-Brest. Ce télégraphe optique ayant été supprimé en 1854, l'abbé Deminiac décidera de récupérer le bâtiment pour en faire une chapelle dédiée à Notre-dame de l'espérance, protectrice des laboureurs et des marins. Juste à quelques mètres, se dresse la tour Notre-Dame de l'Espérance, ou de Bonne-Espérance, qui sert de piédestal à une statue de Notre-Dame. Cette tour octogonale en granit érigée en 1857, toujours à l'initiative de l'abbé Deminiac, est coiffée par une statue qui est l'oeuvre du sculpteur rennais Rouaux. De cet emplacement, la vue est imprenable sur les environs.
Pas de Mont-Dol sans moulin. En effet, s'il en existe toujours deux au sommet du rocher, seul celui du Tertre a conservé ses ailes et est toujours en état de fonctionnement. Construit en 1843, celui-ci n'est toutefois plus exploité depuis 1954. Désormais propriété communale, il est géré par l'association des Courous d'pouchées (les Coureurs de sac).
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