Exposition "Alsace,Rêver la province perdue 1871-1914 (Musée national Jean-Jacques Henner, Paris, France)
Lundi 3 janvier 2022
Jusqu'au 7 février 2022, le Musée national Jean-Jacques Henner, en partenariat avec le musée Alsacien de Strasbourg, nous invite à découvrir l'exposition «Alsace, rêver la province perdue » 1871-1914 » qui traite de cette Alsace perdue, apparue après la guerre franco-prussienne de 1870-1871. L'approche originale de cet événement consiste à s'appuyer sur des œuvres d'artistes alsaciens, dont le peintre Jean-Jacques Henner, pour étudier les aspects historique, culturel et artistique d'alors et la manière dont se construit et se diffuse, depuis la capitale, l'image de l'Alsace durant cette période.
Après la grande guerre de 1870-1871, notre pays sera contraint de céder l'Alsace et une partie de la Lorraine à l'Allemagne. Cette guerre, appelée aussi guerre franco-prussienne oppose la France à une coalition de 21 Etats membres de la confédération de l'Allemagne du Nord, ainsi que le royaume de Bavière, le royaume de Wurtemberg, et le grand-duché de Bade. Toutes ces entités sont alors dirigées par la Prusse, qui a mal digéré sa défaite lors de la bataille d'Iéna de 1806. Le conflit trouve ses racines dans plusieurs questions nationales qui ont poussé ces différents Etats à s'unir aux côtés de la Prusse afin de combattre l'Empire français. Les maladresses de l'empereur Napoléon III envers certains pays européens ne feront qu'attiser la haine à notre égard, et notre pays de pousser à la confrontation avec la Prusse, pays alors considéré comme un rival dangereux que l'on aimerait annexer. Ainsi, la France déclare t-elle la guerre au royaume de Prusse le 19 juillet 1870, malgré l'impréparation de nos troupes déjà en infériorité numérique par rapport à l'adversaire. Et quelques mois plus tard, le gouvernement français de défense nationale de se résoudre à demander l'armistice le 20 janvier 1871 : au final, 139000 morts dans le camp français contre 51000 côté allemand, chute du Second Empire et renforcement de l'unité allemande, à travers notamment l'annexion de certains de nos territoires.
Durant 47 années, ces territoires désormais désignés comme les « Provinces perdues » vont faire l'objet d'un culte du souvenir dans notre pays. Et le 150è anniversaire du traité de Francfort (10 mai 1871) de servir de prétexte à l'actuelle exposition qui retrace la manière dont s'est construite, durant près d'un demi-siècle, l'image de ce territoire « arraché à la mère-patrie ». Cette courte guerre aux conséquences désastreuses marquera si durablement le monde des Arts qu'elle sera abondamment représentée par des photographies et des gravures, dont des images d'Epinal, mais aussi par de nombreux peintres dont Jean-Jacques Henner, et son tableau iconique «L'Alsace. Elle attend ». L'exposition offre un regard inédit sur cet imaginaire, peuplé de représentations pittoresques, historiques et patriotiques, qui inspirera les artistes et marquera la culture visuelle française de la fin du 19ème siècle et début du 20ème. Le visiteur est convié à découvrir la silhouette mélancolique de l'Alsace au grand nœud noir tout en s'interrogeant sur la part de mythe, voire de propagande incarnée par cette figure, à travers peintures, sculptures, objets d'art, affiches, gravures et bijoux.
Enfant du pays, Jean-Jacques Henner est né à Bernwiller, petit village du Sundgau situé entre Mulhouse et Thann. Sixième et dernier enfant d'une famille de cultivateurs dont il fera d'ailleurs plusieurs portraits (Alsacienne, ou Eugénie Henner en Alsacienne tenant un panier de pommes), l'artiste débutera sa formation en Alsace, au collège d'Altkirch, puis à Strasbourg, avant de rejoindre la capitale pour poursuivre ses études grâce à une bourse octroyée par le département du Haut-Rhin. Il rentrera régulièrement à Bernwiller dont il dessinera inlassablement les paysages de son enfance. « La Vallée de Munster après l'orage » est emblématique de ces paysages caractérisés par une étendue d'eau située au pied d'un bosquet d'arbres qui se détache sur un pan de collines. Bernwiller est reconnaissable grâce à la silhouette de l'église qui se détache dans ces lumières crépusculaires, source d'inspiration inépuisable. Cette partie intime de l'oeuvre de Jean-Jacques Henner est constituée de ces dessins et peintures jamais exposés du vivant de l'artiste.
Notre homme est bouleversé par la Perte de l'Alsace, sa province natale et il participe à l'entretien de ce souvenir par l'entremise de son chef d'oeuvre « L'Alsace. Elle attend » commandé à l'initiative de l'épouse d'un industriel de Thann et offert à Léon Gambetta. Ce tableau lui apportera la gloire et deviendra vite emblématique de la souffrance de l'Alsace, réelle ou supposée.
La phrase « Pensons-y toujours, n'en parlons jamais » que Léon Gambetta prononcera lors de son discours de Saint-Quentin en novembre 1871, traduit parfaitement l'attitude de notre pays au lendemain de la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. C'est en effet un terrible traumatisme qui est généré dans l'opinion publique compte tenu de la défaite de 1871 et de ses conséquences. Et les « Provinces perdues » de devenir un emblème autour duquel se forge une conscience nationale. Quant à la vision pittoresque qu'offre habituellement l'Alsace, elle est doublée d'une image de douleur et de recueillement qui rassemble les mêmes éléments iconographiques faisant de cette province ce qu'elle a toujours été dans l'esprit collectif : la figure de l'Alsacienne coiffée du grand nœud (devenu uniformément noir en signe de deuil) ainsi que des symboles patriotiques et républicains comme la cocarde ou le coq. D'autres objets participeront également à la diffusion et à l'entretien du souvenir (bustes d'Alsaciennes, jouets, manuels scolaires, cartes postales...), avec encore plus de force que les œuvres, dans l'espoir du retour de l'Alsace-Lorraine dans le giron national, et ce, jusqu'au début du 20ème siècle.
Les Alsaciens de Paris, eux, nouent dans leur majorité des liens de sociabilité dont l'impact culturel, politique et économique est très fort. Côté politique, le parti républicain de l'époque s'organise autour de Léon Gambetta, Auguste Scheurer-Kestner et Jules Ferry. Dans le domaine industriel, les familles Herzog et Siegfried conservent malgré tout des entreprises en Alsace mais vivent pour partie dans la capitale. Quelques personnalités appartiennent à la loge maçonnique Alsace-Lorraine, inaugurée en 1872, rattachée au Grand Orient de France et conservatoire des valeurs patriotiques. Artistes et écrivains se réunissent autour de diners de l'Est et de diners de l'Alsace à table. Ce petit monde fréquente aussi l'Association générale d'Alsace-Lorraine, fondée en 1871, organisatrice du traditionnel Arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains de Paris.
Six sections constituent l'exposition «Alsace, rêver la Province perdue » :
La première section interroge les représentations pittoresques alsaciennes qui ont éclos avant la guerre de 1870, dès les années 1850-1860. Le développement du tourisme est alors possible grâce aux progrès récents du chemin de fer. Quant aux expositions internationales et universelles, elles permettent de diffuser les éléments du pittoresque, à commencer par le costume, et sans omettre les symboles provinciaux (cigogne cathédrale, colombage, choucroute, coiffe...). On y découvre enfin la vision intime de l'Alsace de Jean-Jacques Henner. Lors de son retour au pays natal, l'artiste représente ses proches restés sur place en dessinant les paysages locaux. Ces mêmes paysages qu'il reproduira ensuite de mémoire dans son atelier parisien.
Le seconde section s'attarde sur la construction de l'image de la province perdue. Les états d'âme entrainés par la perte de l'Alsace-Lorraine sont abordés à travers la représentation spectaculaire de la guerre de 1870, « La charge de Reichshoffen » d'Edouard Detaille. Une fois le deuil de « la petite patrie » effectué, surviennent successivement le sentiment de résistance à l'envahisseur puis l'entretien du souvenir par l'espoir du retour de ces provinces dans le giron national.
La troisième section s'intéresse aux réseaux de sociabilité des Alsaciens de Paris (qu'ils soient politiques, financiers, économiques ou artistiques), entités que l'on retrouve à l'Ecole alsacienne, dans les brasseries où l'on peut lire les journaux alsaciens, pour le traditionnel Arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains de Paris ou lors du fleurissement de la statue de Strasbourg, place de la Concorde.
La quatrième section aborde la question de la notion de revanche qui anime l'opinion d'une partie de la population. Un état d'esprit (d'abord sentiment patriotique, puis pur revanchisme) qui fluctue en fonction des crises politiques traversées durant la jeune Troisième République.
La cinquième section consiste en une salle dite « Autel alsacien », consacrée à la diffusion de la province perdue dans la culture populaire au moyen d'oeuvres reproduites en série ou des objets décoratifs, objets de la vie quotidienne (presse, cartes postales, publicité...) et des jeux-jouets et ouvrages scolaires.
La sixième section est dédiée à Jean-Jacques Henner, l'enfant de Bernwiller. Malgré une carrière effectuée essentiellement à Paris, l'artiste maintiendra un lien constant avec son pays natal. Et de rentrer un à deux mois par an en Alsace pour s'y régénérer, lui qui avait été si affecté par l'annexion de sa province.
INFOS PRATIQUES :
Exposition « Alsace, Rêver la Province perdue 1870-1914 », jusqu'au 7 février 2022, au Musée national Jean-Jacques Henner, 43 Avenue de Villiers, à Paris (17è). https://musee-henner.fr
Catalogue « Alsace. Rêver la province perdue. 1871-1914 », 272 pages, 180 illustrations, 35€.