Lundi 23 mai 2022
Lorsque je passe par le Finistère et que j’ai envie de beau, je m’arrête au Musée de la Faïence de Quimper (29). Justement, le beau est plus que jamais à l’honneur avec cette toute dernière exposition à découvrir jusqu’au 1er octobre prochain : « Les merveilles de la faïencerie Porquier-Beau ». Chose inédite, le musée a cette fois choisi de dévoiler aux yeux du public les planches aquarellées de cette manufacture fondée en 1773 par un ouvrier de la Grande Maison HB. Et la fabrique de s’associer vers 1875 avec le peintre Alfred Beau. Naitra alors une collaboration de plus de quinze années entre l’artiste et la faïencerie quimpéroise, une rencontre fructueuse qui apportera un souffle nouveau aux produits de la manufacture, avec la multiplication des formes et des décors. Découverte.
Abritée dans deux salles du musée (salles 1 et 8), l’exposition temporaire offre de découvrir des planches décoratives créées dans le dernier quart du XIXème siècle et illustrant la production de l’époque. Regroupées dans dix albums, ces planches sont classées par thématique, à raison d’un thème par album. Ainsi, les différents volumes regroupent-ils indépendamment les décors de Rouen, Moustiers, Nevers ou Delft, les scènes et les légendes bretonnes ou encore les pièces du célèbre et incontournable service à bord jaune qui fit la renommée de la faïencerie.
Cet ensemble unique, que son heureux propriétaire eut la générosité de déposer au musée va enfin révéler ses secrets sous nos yeux. Comptant plusieurs centaines de planches, ce legs n’a de cesse de nous surprendre par la richesse des détails, la qualité des réalisations, ses jeux de lumière et la diversité des sujets représentés. Me voici prêt à effectuer un fabuleux voyage au pays de la faïence de Quimper lors de cette visite au cours de laquelle j’admirerai des pièces ornées de ces somptueux décors et exposées dans les différentes vitrines. La catalogue de l’exposition, compagnon indissociable de ce parcours, me sera fort utile sur place et restera le plus beau des souvenirs de ce moment particulier.
Au milieu des années 1870, l’arrivée d’Alfred Beau au sein de la manufacture Porquier correspond au retour en grâce de la faïence artistique. Il est vrai que, depuis le début du siècle, la production de faïence est très nettement tournée vers des pièces utilitaires ou peu décorées. Or, certains ouvrages traitant de la faïence à cette époque poussent les manufactures à redécouvrir le patrimoine artistique des siècles passés, remettant ainsi à l’ordre du jour les décors anciens.
Quimper n’échappe pas à la règle et renoue avec son passé : La Grande Maison HB ressort les vieux poncifs rouennais de la maison et exploite le manuscrit « l’art de la faïence », de Pierre-Paul Caussy qui contient tout un savoir-faire oublié, tandis que les familles nobles de Bretagne retrouvent le chemin des faïenceries afin d’agrémenter leurs pièces d’apparat, de mariages et d’autres évènements. Dans le même temps, apparaît la profession d’antiquaire (née au début du XIXème siècle) qui va pousser les faïenciers à rééditer des modèles anciens pour satisfaire leur clientèle.
Ce voyage est avant tout une histoire, celle de la manufacture Porquier, fondée en 1778 par François Eloury, ouvrier de la Grande Maison HB. L’homme commence modestement, avec un premier four installé dans le jardin du domicile familial de Locmaria, au milieu des propriétés de la manufacture. Deux de ses petits enfants, Nicolas et Guillaume Eloury, feront prospérer les affaires indépendamment l’un de l’autre jusqu’à ce que Nicolas ne s’associe à Guillaume Porquier en 1838 pour fonder la société Eloury aîné et Porquier. Cinq ans plus tard, les deux fabriques d’origine sont réunies, puis, en 1845, nait, de l’association de Guillaume Porquier et de son frère Clet Adolphe Porquier, la Société Porquier frères, puis bientôt se dresse une vraie usine en lieu et place de l’actuelle faïencerie Henriot, grâce au soutien d’Antoine de la Hubaudière, alors directeur de la Grande Maison HB. En juillet 1869, Clet Adolphe Porquier (seul depuis le décès de Guillaume en 1853) rachète les parts des enfants de Guillaume Porquier et concentre entre ses mains l’ensemble de l’outil de production, jusqu’à sa disparition subite le 13 août 1869. Sa veuve, Augustine Caroff et l’un des fils, Arthur, reprennent alors les rênes en finalisant les modifications et les chantiers entamés, et en poursuivant l’aménagement des bureaux et de la boutique au bord de la route de Bénodet, ainsi que sa politique d’achat de biens autour de la rue Basse.
C’est en 1875 qu’Augustine Caroff signe un contrat avec l’artiste Alfred Beau, lequel s’engage alors à réaliser des pièces de faïences artistiques à partir de la fourniture de biscuits émaillés par la manufacture. Arthur Porquier, lui, gère les lignes de production populaires, plus simples, qui avaient été mises en place par son père. Et la production de la Maison Porquier de produire davantage de poteries que la Grande Maison à cette époque après s’être équipée d’une machine à vapeur.
En septembre 1878, Alfred Beau transfère son atelier de peinture et ses élèves à Locmaria, tandis que la collaboration avec la maison Porquier, initialement prévue jusqu’au 1er février 1890, est prolongée jusqu’en 1894. La manufacture, elle, reste alors propriétaire des poncifs et des dessins créés par Alfred Beau.
Mais d’où vient Alfred Beau et qui est-il ? Né à Morlaix en 1829, notre homme fera ses débuts artistiques comme photographe en produisant des clichés d’une grande tendresse et d’une sensibilité remarquable. Sa maitrise de la lumière et de l’éclairage est déjà perceptible. Son installation à Quimper, vers 1873, correspond à sa rencontre avec M.Fougeray, alors directeur de la Grande Maison HB qui relance justement la production d’anciens modèles de faïence. Une collaboration sans lendemain naitra entre les deux hommes, la démarche d’Alfred Beau étant de faire diffuser ses créations. Madame Porquier, elle, acceptera les offres de service de l’artiste, dont le talent plaide déjà clairement en sa faveur. L’homme effectue pourtant son apprentissage hors des circuits académiques, et expose pour la première fois au Salon de Paris en 1879 après s’être fait remarqué un an plus tôt à l’Exposition Universelle. Et si, en matière de céramique, la technique qu’il utilise est pourtant très différente de celle alors en vigueur à Quimper, et s’apparente à l’aquarelle, le résultat est là : finesse de dessin et de couleur, restitution de toutes les teintes de couleurs de la palette de paysagiste et figuriste, tons de chair plus fins que jamais auparavant et aussi frais que des tons d’aquarelle...
Alfred Beau va créer de nombreux décors pour la manufacture Porquier, des décors empreints de japonisme, à la palette de couleurs plus fournie et plus recherchée que celle des concurrents. Et de bientôt s’imposer comme véritable directeur artistique de la manufacture, en signant ses œuvres des lettres P et B agencées sous forme d’un trèfle. Il forme aussi le personnel qui sera le gage de la qualité d’exécution de ses projets. Son travail, souvent documenté, trahit un lien fort entre la vie quotidienne en Cornouaille et ses créations céramiques. Aidé par ses talents de photographe, il prend des clichés de gens qu’il met en situation, puis les retranscrit adroitement au format d’un plat, d’une assiette ou d’un vase.
Alors que la Bretagne s’ouvre au monde avec l’arrivée du chemin de fer en 1863, ces décors connaissent un immense succès auprès des touristes et des artistes qui découvrent la région. Les instantanés bretons créés par Alfred Beau affichent son goût indéniable pour les scènes enfantines, mais aussi pour le Moyen-Âge. Les décors japonistes ne le laissent pas non plus indifférent, d’où cette série botanique ou série à bord jaune. Homme de son temps, l’artiste s’intéresse bientôt à la céramique instrumentale en dessinant de nombreux instruments à vent qui enrichissent la production manufacturière Porquier. Engagé pour les arts, Alfred Beau dirigera un temps, et à titre bénévole, le musée des Beaux-Arts de Quimper. Il collaborera aussi à la création du musée des costumes bretons, ou « Noce bretonne ». Ce vaste diorama regroupera ainsi 44 personnages en costumes de Cornouailles à l’exception d’un homme de Saint-Thégonnec.
Le premier apport d’Alfred Beau est la série des pièces décorées avec un bord jaune et des motifs réalisés dans le goût japonisant, alors en vogue et de plus en plus diffusé à travers le monde depuis la signature d’un traité commercial entre le Japon et les Etats-Unis d’Amérique, en 1854. L’intégralité de l’album à bord jaune montre que l’artiste reprend idéalement les codes de style, tout en faisant la part belle au végétal et à l’animal. En référence au Japon, il est fait usage d’une grande sobriété dans la représentation (décors figurés, presque en aplats, avec des couleurs vives sur fond blanc) tandis que le liseré jaune du bord vient définir et souligner l’espace abstrait.
L’exposition présente aussi des œuvres d’autres artistes :
Camille Moreau, lui aussi, oeuvrera pour la manufacture en réalisant des catalogues et des planches d’atelier. Talentueux, l’homme, qui consacre ses moments de loisir à la peinture de scènes marines ou de vues du quartier de Locmaria, est formé par Alfred Beau pour faire des copies des modèles du maitre. Désireux de créer ses propres modèles, il quitte bientôt son emploi, est embauché par la manufacture Henriot de 1891 à 1895 où il va créer de nombreux modèles tout en formant Jean-Marie Rocuet son successeur. Et la faïencerie Henriot de racheter, en décembre 1913, le fonds de Porquier-Beau qui avait cessé son activité depuis 1903.
Peintre et céramiste autodidacte, Michel Bouquet excelle dans la réalisation de paysages ou de vues maritimes. En 1861, il se lance dans l’aventure du décor de grand feu sur émail stannifère.Outre sa dextérité, sa maitrise technique dénote une domination sans faille du support et des matériaux employés. Cherchant l’inspiration du côté du site de Keremma, dans les environs de Morlaix, il peint ce cordon lunaire et les terres gagnées sur la mer, un peu comme Alfred Beau. Ces deux-là se seraient-ils préalablement rencontrés?
Les riches volumes à l’origine de cette exposition doivent être resitués dans le contexte de l’époque éclectique durant laquelle ils ont vu le jour. Dans la dernière partie du XIXème siècle, l’intérêt grandissant pour les « choses antiques » inspire les faïenciers français. Cette inspiration est visible dans les albums 1, 2 et 8 à travers les principales caractéristiques du »Rouen » : les albums N°1 et N°2 sont en effet dédiés à la tradition rouennaise dont les pièces se caractérisent par de fins décors aux lambrequins (en camaïeu de bleu), des décors « ferronnerie » ou bien des paniers fleuris, des cartouches, des guirlandes ou des croisillons...On retrouve également des décors aux carquois et aux cornes d’abondance tandis que le floral (notamment avec l’oeillet) et l’animal apportent luxuriance et richesse à l’ensemble. Autre spécificité rouennaise, les décors « au Chinois » abondamment repris dans les planches des albums Porquier-Beau. Il arrive même que certains décors soient des copies parfaites de modèles rouennais, à ceci près qu’on se contente d’inverser le décor d’origine !
L’album N°8 regroupe des décors dans le goût de Moustiers, Nevers et Delft. Les camaïeux de bleu y sont largement exploités ainsi que les frises complexes des bordures (masques et végétaux...) et les décors inspirés de Jean Berain (avec la présence régulière dans le décor, du petit garçon – putti –). Autre imitation de Moustiers : les décors à « grotesques » consistant à reproduire des animaux et des personnages fantastiques issus de l’iconographie médiévale. Le style nivernais, lui, n’est pas en reste, par le biais du « fond ondé » reproduit sur certaines planches.
Nous l’avons vu plus haut, chaque album renferme une thématique. Ainsi l’album 5ter, le moins épais de la série, se consacre t-il aux légendes bretonnes et aux faïences héraldiques à travers huit décors dédiés aux légendes et huit planches présentant une suite de décors armoriés. Alfred Beau est à l’origine des décors Légendes bretonnes et s’inspire de l’oeuvre d’Emile Souvestre, son beau-père. Ce dernier sera l’un des premiers hommes de lettres bretons à s’être intéressé aux chansons, contes et légendes de son pays.
Second apport d’Alfred Beau, la thématique des décors bretons est aussi décrite dans les albums 5bis et 6. Le premier rassemble les décors aux scènes de la vie quotidienne et des paysages de la région, alors que le second reprend ces mêmes décors en accentuant le trait sur les différentes formes à disposition. Les Bretons deviennent alors en vogue durant le XIXème siècle et la faïence, qu’elle soit utilitaire ou décorative, devient de plus en plus souvent le souvenir de choix à glisser dans sa valise.
Le contenu de ces dix albums forme à lui seul un incroyable concentré des décors proposés par la manufacture Porquier en cette fin de siècle : les albums regroupent des aquarelles reprenant les motifs et les couleurs des styles phares des manufactures quimpéroises mais aussi les créations originales d’Alfred Beau et de Camille Moreau, son disciple. Et ce trésor de renfermer plus de 650 planches, toutes légendées et à la palette de couleurs plus vaste qu’à la Grande Maison HB. Préparée en double-exemplaire, chaque planche de décors réservait le premier exemplaire à l’atelier (réglage du choix des couleurs) et le second, aux ambassadeurs qui sillonnaient la Bretagne pour écouler les produits de la fabrique. En fin de recueil, se trouve une liste reprenant l’intitulé des planches, le prix et les dimensions en centimètre. Bref, un travail d’orfèvre comme on en voit de moins en moins.
INFOS PRATIQUES :