Lundi 6 juin 2022
La Bibliothèque Forney (Paris 4è), spécialisée en arts décoratifs de la Ville de Paris depuis 1886, s’intéresse de près à tous les artistes qui se sont illustrés dans les arts appliqués, tout particulièrement durant la période Art déco. C’est dans ce cadre qu’elle nous propose de mieux connaître Nicolas Georges Fourrier (dit Geo-Fourrier), voyageur et maître des arts décoratifs, à travers une exposition qui lui est consacré jusqu’au 16 juillet 2022.
Peintre, illustrateur et graveur, Nicolas Georges Fourrier reste dans nos mémoires comme cet artiste virtuose qui s’est illustré dans les deux premiers tiers du 20ème siècle, dans les domaines de la gravure sur bois, de l’art du pochoir, du dessin, de la photographie et de la céramique...Voyageur, l’homme est aussi un véritable maître des arts décoratifs dont l’art du détail et la pureté incisive du trait confirment l’influence de l’artiste par le Japonisme.
De santé fragile et durablement alité, l’homme s’intéresse d’abord au dessin et à l’art japonais durant sa jeunesse. Les romans de Pierre Loti ne le laisseront pas non plus indifférents, même si Geo-Fourrier se rendra d’abord en Bretagne en 1919, laquelle deviendra sa région d’adoption, lui qui aime par-dessus tout les paysages forts et leurs habitants. Plus tard, ses voyages au Maroc puis en Afrique l’aideront dans son expertise d’ethnographe. Auteur d’une œuvre singulière, réaliste et colorée, hors phénomène de mode, Geo-Fourrier mérite d’être exploré sous toutes ses facettes non seulement pour son talent mais aussi pour son côté attachant.
L’exposition « Geo-Fourrier, voyageur et maître des arts décoratifs » rassemble près de 200 œuvres : gravures, dessins, pastels, gouaches, livres illustrés, pochoirs, cartes postales, sujets et carreaux de céramique, pièces de vaisselle, textiles, mais également des correspondances, des publicités et des photographies. Des objets exposés dans les trois salles d’exposition de la bibliothèque Forney, qui proviennent pour la plupart de collections privées, ainsi que des collections de la bibliothèque, du musée départemental breton et du musée de la faïence de Quimper, et du musée de Bretagne (Rennes). Des musiques traditionnelles africaines ont enfin été sélectionnées par la médiathèque musicale de Paris.
La première salle nous invite à découvrir la formation d’un artiste au regard singulier :
Nicolas Georges Fourrier nait à Lyon le 16 juin 1898 puis passe son enfance à Paris au sein d’une famille bourgeoise dans un appartement situé près du parc Monceau (8ème). A l’âge de quinze ans, l’enfant contracte une pleurésie qui le contraint à rester alité trois ans durant. Et de profiter de sa convalescence pour s’intéresser à l’art japonais à travers de nombreuses lectures, puis par le dessin. Il réalisera même un dépliant (makemono) «Documents de décoration tirés de l’art japonais » représentant des objets des collections du Musée Guimet (netsukes, boîtes à thé, tsubas, masques...)
En 1929, l’artiste se lie d’amitié avec les peintres Auguste Mathieu et Auguste Matisse à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, puis devient l’élève de Prosper-Alphonse Isaac, graveur sur bois initié à la technique japonaise. C’est à cette époque qu’il découvre la Bretagne lors de ses vacances.
Geo-Fourrier sera engagé comme dessinateur, d’abord par le parfumeur Jones et Violet, en 1920, aux grands magasins du Printemps deux ans plus tard, puis chez le maitre-orfèvre et joaillier Lucien Gaillard, l’un des maitres de l’Art nouveau, jusqu’en 1925. Bibliophile, l’artiste aime aussi à décorer ses propres livres, à illustrer leur couverture, leur dos, ou à les orner d’ex-libris à son nom, directement inspirés de figures japonaises traditionnelles.
L’homme remporte déjà des prix auprès de la Société d’encouragement à l’art et à l’industrie, et à l’Ecole des arts décoratifs, tout en rédigeant des articles sur l’art japonais dans la revue La Nature. En 1923, il présente au Salon des artistes français « Barque de pêche sur le Bosphore », puis «Vue de Constantinople-La Corne d’Or », en 1924, deux bois gravés d’après des dessins d’Auguste Matisse. Geo-Fourrier devient bientôt sociétaire du Salon des artistes français, une promotion qu’il doit à Auguste Mathieu et qui lui permettra de côtoyer les artistes et écrivains bretons Mathurin Méheut, Jean-Julien Lemordant, Anatole Le Braz, Charles Le Goffic, mais également Pierre Loti, André Gide et Claude Farrère. D’importantes personnalités comptent aussi parmi ses connaissances parisiennes comme le Commandant Charcot (auquel il demandera la faveur de participer à l’un de ses voyages) ou Clémenceau (autre collectionneur japonisant).
L’artiste découvre la Bretagne et le pays Bigouden pour la première fois en 1919, y retourne en 1924, et réalise ses premiers croquis connus du pays Bigouden un an plus tard. Il fait bientôt la connaissance de l’éditeur Octave-Louis Aubert à Saint-Brieuc (22), fondateur de la revue La Bretagne artistique. Une rencontre qui s’avérera primordiale pour Geo-Fourrier. Notre homme se rend aussi dans le Trégor pour illustrer Le Crucifié de Keraliès, texte de son ami Charles Le Goffic, qui sera édité par Aubert en 1927.C’est à ce moment que l’artiste entame une collaboration avec cet éditeur qui sera un acteur du renouveau artistique et économique de la Bretagne et jouera un rôle important dans la création du pavillon breton de l’exposition de 1937.
La deuxième salle a pour thème les voyages et le regard d’un ethnographe:
Cette seconde partie de l’exposition nous révèle un Geo-Fourrier tout autant voyageur et ethnographe que maître des arts décoratifs. Les prix qu’il a accumulés dans les salons artistiques lui permettent d’obtenir des bourses de voyages. L’artiste part ainsi au Maroc en 1927, puis en Afrique équatoriale française en 1931, dessinant et photographiant les villageois, des modèles qui ne cesseront d’inspirer ses futures productions. Egalement membre de la Société de géographie, il contribue désormais à des revues scientifiques comme La Géographie, et fait don de ses photographies au musée d’Ethnographie du Trocadéro.
C’est grâce à son œuvre « Le Sonneur de bombarde à Saint Guénolé » exposé au Salon des artistes français en 1927, qu’il décrochera une médaille de bronze et le prix de la Compagnie de navigation Paquet, avec, à la clef, une bourse de voyage au Maroc : Geo-Fourrier découvre alors Casablanca, Marrakech, Rabat et le Haut-Atlas de septembre à décembre de cette même année. Il en rapporte des centaines d’études, portraits de femmes et d’artisans, et d’éclatants croquis de villages et de paysages de montagnes. Ces études seront plus tard utilisées pour réaliser pastels, cartes postales et céramiques, et même pour illustrer deux romans « Les Hommes nouveaux » (de Claude Farrère) et « Amrou frère des aigles » (d’André Lichtenberger), qui sera publié sous la forme d’un feuilleton dans la revue Les enfants de France.
Un autre prix, celui décerné par le Salon de la société coloniale des artistes français permettra à Geo-Fourrier de partir en Afrique noire (Oubangui-Chari et Tchad). Une découverte qui marque profondément l’artiste qui dessine, photographie et écrit à tout-va. Ces traces inspireront fortement les caractéristiques de l’oeuvre du maitre : concentration du geste et du corps au travail ou au repos et sens aigu de la couleur des vêtements et des paysages. Et l’artiste d’exposer en 1933 pastels, dessins et photographies au Musée d’Ethnographie du Trocadéro.
La troisième et dernière partie de l’exposition aborde la Bretagne et l’enracinement de l’artiste décorateur :
Même si Geo-Fourrier a adoré voyager, il n’empêche que c’est en Bretagne qu’il choisit de vivre à partir de 1928. Sur place, il expose ses bois gravés bretons, saturés de couleurs, et remporte de nombreuses médailles lors de salons artistiques. Il décroche ainsi la médaille d’argent au Salon des artistes français en 1935 grâce à « Douarnenez cale noire », puis une médaille d’argent à l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937 avec « Brûleur de goémon à Notre-Dame de la Joie ».
Quant aux gouaches, elles représentent sans doute la plus belle part de l’oeuvre de Geo-Fourrier. Celles, très graphiques qu’il peint durant les années 1930 valorisent le pays Bigouden. On y admire types féminins, pêcheurs, oiseaux qui voisinent avec les ports, marchés, pardons, phares, villages, moulins, chapelles et paysages de landes...L’intention décorative y est certes plus marquée mais l’artiste n’oublie pas la leçon du Japon et le trait rude de ses premiers travaux demeure malgré tout.
Contacté dès son retour d’Afrique par les Etablissements artistiques parisiens, Geo-Fourrier se lance dans une collaboration qui durera de 1932 à 1940, période au cours de laquelle il voyagera avec son épouse dans toute la France pour réaliser des photographies de modèles normands, alsaciens, basques...qu’il reproduira ensuite avec la technique du pochoir autorisant les aplats de couleurs. L’artiste sera l’auteur de 23 séries de cartes postales illustrées, surtout de costumes de provinces, ce qui le fera connaître aux Etats-Unis. Ses œuvres, primées à l’Exposition internationale de Paris de 1937, seront commercialisées à New-York dans la foulée.
La guerre achevée, l’artiste connaitra des jours moins fastes : il poursuivra l’édition de cartes postales en fondant notamment les Editions d’art Geo-Fourrier en 1950, et en créant de nombreuses pièces de céramique pour les faïenceries HB et Henriot à Quimper, et des bijoux et des pipes en terre cuite alors très en vogue. Il oeuvrera aussi dans le monde de la publicité pour des entreprises locales, en créant des décors et en réalisant avec sa femme des pochoirs, cartes de Noël et autres souvenirs de vacances que le couple vendra dans une petite roulotte au pied du phare d’Eckmühl. De santé toujours fragile, Geo-Fourrier rendra son dernier souffle le 8 avril 1966 à Quimper (29).
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