Lundi 11 juillet 2022
Le Musée des Confluences de Lyon (69) nous convie jusqu'au 28 août prochain à partir à la découverte de ceux que notre imaginaire a longtemps désigné comme « les Indiens d'Amérique ». L'exposition « Sur la piste des Sioux » remonte ainsi aux sources de cette représentation européenne et française construite au fil du temps à coup de récits de voyages, cinémas, romans, spectacles ou bande dessinée. Elle nous invite à nous interroger sur le bien-fondé de ces images de ces cultures indiennes colportées de longue date. Le parcours de visite confronte également nos représentations occidentales à la situation des Indiens, sur leurs terres d'origine, et selon les époques, pour mieux déconstruire la vision caricaturale qui les a longtemps accompagnés.
Cette exposition évoque les nombreuses rencontres entre les Français et les Amérindiens qui contribuèrent à construire cette image d'Indien d'Amérique. On y approfondit aussi le regard porté sur la condition des Indiens du territoire nord-américain, en s'appuyant sur des documents historiques et de nombreux objets lakotas, dont ceux de la prestigieuse collection du belge François Chladiuk. Notre collectionneur se souvient avoir joué aux cow-boys et aux Indiens lorsqu'il était enfant, et avoir démarré sa collection d'objets en acquérant une Winchester. Une rencontre avec un antiquaire en 2004 sera déterminante pour la suite : huit malles remplies d'objets lui furent un jour proposées, une offre que François Chladiuk accepta aussitôt, loin de se douter des trésors contenus dans cette acquisition, soit 157 objets dont un agenda de 1956, celui d'un certain Auguste Hermans, premier acquéreur des trésors de ces malles qu'il rachètera en 1935 à un groupe de quinze Indiens, lors de l'Exposition universelle et internationale de Bruxelles (Belgique).
D'autres formes de représentation sont aussi présentées : peintures, dessins, sculptures, inspirations littéraires, témoignages de la venue d'Indiens en France au 19ème siècle et spectacles avec archives d'époque, aux côtés d'autres collections comme celle de Didier Lévêque ou encore le fonds photographique Roland Bonaparte qui aident à raconter l'image de l'Indien d'Amérique tel qu'on se l'imagine. Et des bornes historiques d'inviter les visiteurs à questionner les stéréotypes accumulés depuis cinq siècles.
Le parcours de l'exposition s'ouvre par un diorama (peinture panoramique sur toile) plongeant instantanément le visiteur dans l'imaginaire collectif stéréotypé de la figure de l'Indien d'Amérique. D'entrée, on tombe sur deux bisons naturalisés côtoyant un tipi où s'activent des silhouettes d'Indiens en ombre chinoise.
Puis, on entre dans le vif du sujet en parcourant « Les premières représentations », une section beaux-arts d'une cinquantaine de pièces, dont des peintures, des gravures, des sculptures, des lithographies, des photographies, et autre livres et périodiques.
La découverte se poursuit avec « les coulisses des Wild West Shows » : une photographie de l'entrée du chapiteau à Villeurbanne, en 1905, invite à pénétrer dans les coulisses des shows, depuis le départ des Indiens pour l'Europe jusqu'à l'installation des campements et des arènes.
Nous ne sommes qu'à deux pas de « L'arène » où tout est prêt pour nous faire vivre un spectacle hors pair : tout a été conçu pour faciliter au maximum l'immersion des visiteurs dans un décor aussi vrai que nature. Le sol, en évoquant le sable et le mouvement dans l'arène, participe au décor avec une création unique et sur-mesure réalisée par le Groupe Gerflor, spécialiste des sols souples. Les murs offrent quant à eux des films d'époque, encadrant ainsi une collection de plus de 150 pièces (coiffes, vestes, gilets perlés, parures ou objets rituels), une collection documentée par des clichés du village indien de Bruxelles.
Le parcours comporte également deux coursives. Celles-ci longent l'arène et invitent à la découverte de Buffalo Bill et de ses tournées européennes (pour la première) et de l'Exposition universelle de Bruxelles de 1935 (pour la seconde).
La visite s'achève avec un espace consacré à « la culture populaire et le western » : on y découvre que les foyers français sont peu à peu gagnés par l'image des Indiens véhiculée par le show et ses affiches,, au travers de la publicité et de la culture populaire (chromolithographie, bandes dessinées...). Un espace cinéma interroge quant à lui l'évolution du regard du cinéma hollywoodien grâce à une mise en scène audiovisuelle. Et le parcours de se clore sur le témoignage de l'artiste lakota Arthur Amiotte, arrière-petit fils d'acteurs des Buffalo Bill's Wild West.
Tout au long de l'exposition, des bornes américaines permettent un dialogue entre le visiteur et les étapes de la construction de la représentation de l'Indien, en Europe, mais aussi avec l'histoire de la condition des nations indiennes en Amérique du Nord, grâce à des repères chronologiques, des cartographies et des analyses de représentations largement diffusées sur le territoire américain.
Cet événement nous rappelle que la présence des Homo sapiens sur le continent nord-américain fut le résultat de plusieurs vagues migratoires, durant plus de 20 000 ans. Celles-ci affluèrent surtout de l'Asie (via le détroit de Béring). Au début du XVI ème siècle, la population nord-américaine aurait compté plusieurs millions d'individus, répartis dans des centaines de nations indépendantes, d'où une diversité culturelle très riche de ces peuples et la pratique de près de mille langues différentes sur ce territoire.
Durant ce même siècle, les Européens, qui commencent à s'installer en Amérique du Nord, sont confrontés à des populations supposées (à tort) appartenir à un monde uniforme et homogène. Ce n'est que progressivement que Français, Anglais et Hollandais prendront conscience de la réelle diversité de ces peuples tout en diffusant en Europe une image faussée, celle du « bon sauvage » vivant en harmonie avec la nature et celle du « sauvage » tout court, violent et animé d'instincts primaires. C'est cette dernière image qui l'emportera finalement et dominera encore dans la culture populaire à la fin du 19ème siècle.
Artistes et écrivains témoignent de cette image :
Après la Révolution, François-René de Chateaubriand quitte la France pour un long voyage aux Etats-Unis. Il y rencontrera des Indiens, qu'il décrira dans « Atala » (1801). Son roman connaître un tel succès que son thème sera repris par le théâtre, la musique et la peinture, au point d'observer que les artistes s'appuient sur les seules descriptions par Chateaubriand et proposent une iconographie très loin de la réalité.
Le dessinateur Karl Bodmer accompagne le prince prussien Maximilian zu Wied-Neuwied, naturaliste et ethnologue, en Amérique du Nord, entre 1832 à 1834. Ses aquarelles demeurent un précieux témoignage de la diversité de la diversité de ces cultures autochtones.
Quant au peintre George Catlin, il parcourra les Etats-Unis entre 1831 et 1838. Il peindra ainsi les « chefs » indiens qu'il rencontrera, étudiera leurs mœurs et collectionnera des objets. Convaincu de la disparition imminente des nations indiennes qui le fascinent, il créera l'Indian Gallery, une exposition itinérante, et la présentera aux Etats-Unis et en Europe.
Durant la seconde partie du 19 ème siècle, la littérature populaire connaitra un essor fulgurant, sous la forme de feuilletons dans la presse. Malgré la piètre qualité des intrigues, les romans d'aventure de Gabriel Ferry et de Gustave Aimard se vendront comme des petits pains, au point d'imprégner durablement l'imaginaire collectif français d'une image galvaudée sur les peuplades indiennes.
Le géographe Roland Bonaparte, qui photographiera les Indiens omahas en 1883, constituera une série de portraits d'abord destinée à alimenter une collection anthropologique, même si celle-ci circulera dans la presse, contribuant ainsi à la diffusion de l'image du « Peau-Rouge ». A la même époque, entre 1877 et 1931, le Jardin d'acclimatation accueillera de son côté plusieurs exhibitions ethnographiques, attractions plébiscitées par un public qui affluera pour voir les « Sauvages » des continents lointains.
La période 1497-1849 décrit un Nouveau Monde déjà peuplé à l'arrivée des Européens et...de Christophe Colomb. Malgré tout, le mythe d'une terre vierge se diffusera en Europe au point de légitimer la « conquête territoriale ». D'où une forte augmentation des relations entre colons et peuples autochtones durant presque trois siècles, avec, à la clé, une succession d'accords commerciaux, d'alliances, de conflits et de trêves. Et les frontières d'être tracées au rythme de l'évolution des rapports de force entre les nations et l'extension d'un nouveau pays.
Entre 1883 et 1912, Buffalo Bill, figure mythique de l'Ouest américain, monte l'un des premiers spectacles itinérants d'ampleur internationale, le Buffalo Bill's Wild West. Ce show populaire et patriotique sillonne l'Amérique du Nord puis l'Europe, en offrant malheureusement une image réductrice des Amérindiens, « joués » par des Sioux lakotas. Ce type de spectacle sonne l'avènement du divertissement de masse tout en bâtissant jour après jour le mythe du Far-West. Bateaux et trains sont alors affrétés pour transporter la troupe, le matériel et les centaines de bisons et de chevaux. Et le show de rejouer attaques de diligence, chasses aux bisons et batailles célèbres au rythme de deux shows par jour, et forcément à l'avantage de la nation américaine.
C'est que Frederick Cody (alias Buffalo Bill) est un personnage mythique de la conquête de l'Ouest. Sa vie aventureuse (il sera tour à tour porteur de courrier à cheval, chasseur de bisons et éclaireur pour l'armée américaine) le conduira à rencontrer un jour Ned Buntline, nouvelliste en quête d'un héros de l'Ouest, d'où naitra le mythe de Buffalo Bill. Buffalo Bill sait se mettre en scène, a le sens du relationnel et le sens du commerce : multipliant les slogans, il deviendra la personne la plus photographiée au monde en l'espace de seulement quelques années. Quant à ses spectacles, ils fascineront les publics, au point d'inspirer certains personnalités françaises, comme la peintre Rosa Bonheur ou le marquis de Baroncelli.
Suivront les Wild West Shows et les « villages indiens » qui se multiplieront, diffusant à leur tour une représentation guerrière haute en couleur, à la mesure d'une conquête territoriale civilisatrice face à la supposée sauvagerie indigène.
Pour les Indiens participant au « village indien » de 1935, il s'agit là d'une opportunité de voyage. Chacun est engagé sous contrat, nourri et payé, et voit dans cette opportunité l'occasion de fuir la vie misérable de la réserve tout en partageant leur culture et en tissant des liens amicaux avec les publics rencontrés. Une culture indienne sous l'angle de motifs attestant des nations indiennes, autant de symboles brodés par les femmes sur des mocassins, brassards et autres objets...Géométriques ou figuratifs, ces motifs représentent des éléments de la nature et du quotidien tout en véhiculant des valeurs spirituelles ancestrales. Avec le développement des rapports commerciaux avec les Blancs sont importées de nouvelles matière (perles de verre, métal, lainages, soies et fil de coton...) qui intègreront les vêtements et parures amérindiennes.
Le 19ème siècle assoit la domination américaine sur tout le territoire tandis que les batailles contre les nations indiennes alternent avec les lois sur l'appropriation des terres et leur morcellement. Sur fond d'ethnocide (destruction de l'identité culturelle), on gère «le problème indien » année après année.
Après avoir conquis les foules, l'Indien gagne les foyers via la publicité, la bande dessinée et la télévision. On joue aux cow-boys et aux Indiens et les Français substituent l'Indien sauvage à Bison futé qui guide les automobilistes. Le scoutisme, inventé par l'Anglais Robert Baden-Powell puisera en 1907 une grande partie de son inspiration dans les cultures amérindiennes. Et la bande dessinée française contribuera à faire connaître les Indiens avec « La Famille Fenouillard » (dès 1889) de Christophe. Les années 1930, elles, seront marquées par l'apparition du cinéma hollywoodien et sa diffusion mondialisée et par Raoul Walsh et John Ford, tous deux inventeurs du western.
De 1941 à 1972, et au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la politique instaurée est différente de celle introduite par L'Indian Reorganization Act de 1934. Et l'assimilation définitive des dernière nations d'être planifiée. Celle-ci attendra toutefois les années 1960 pour être appliquée et le retour de la vague contestataire pour que la parole amérindienne soit de nouveau entendue. Aujourd'hui, les communautés amérindiennes sont accès à la tribune médiatique internationale et ont pu récupérer une part de leur souveraineté. Les minorités Native Americans restent cependant les plus démunies des Etats-Unis. L'ethnocide,lui, a depuis plus d'un siècle complexifié la transmission culturelle et la perte de repères est très mal vécue par les Nord-Amérindiens.Et cinq siècles après l’arrivée des premiers colons, la question de la survie culturelle et du contrôle de la terre reste un enjeu important.
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