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Exposition "A la cour du Prince Genji, 1000 ans d'imaginaire japonais"
(Musée Guimet, Paris, France)
Heure locale

 
 

Lundi 1er janvier 2024

 

La (très) longue histoire japonaise regorge de merveilles que mes nombreux voyages au pays du Soleil levant m’ont donné à maintes reprises l’occasion de partager avec vous. Une page de cette histoire, l’époque Heian (794-1185), laquelle symbolisait le Japon impérial et l’extrême raffinement de sa cour, a donné naissance à une œuvre remarquable de la littérature classique japonaise, le Dit du Genji. L’auteur de cette œuvre datant du 11ème siècle n’est autre que la poétesse Murasaki Shikibu. Le Musée Guimet nous invite à en apprendre davantage à travers son exposition «A la Cour du Prince Genji, 1000 ans d’imaginaire japonais ».

 

A quoi le visiteur doit-il s’attendre en visitant cette exposition? D’entrée, celui-ci est plongé dans le Japon ancien à travers l’évocation d’une architecture traditionnelle. Puis, il découvre l’époque Heian et son art de cour. Cette époque (aussi appelée ère ou période) offre aux femmes une certaine liberté, notamment en matière de production artistique, d’où l’émergence d’une littérature féminine, phénomène unique dans l’histoire du Japon. En ce temps, les élites masculines gouvernantes faisaient de la poésie chinoise kanshi leur domaine réservé, ce qui poussa les femmes à se tourner vers les poèmes waka, qu’elles rédigent à l’aide d’un système d’écriture cursive dérivé du chinois et adapté au japonais de l’époque. Et de produire des œuvres résultant d’un savant mélange entre waka et prose, sous la forme de journaux ou d’histoires racontées.

Les deux derniers siècles de l’époque Heian vont voir s’épanouir une littérature féminine unique en son genre, grâce à ces femmes aristocrates tenues à l’écart de la vie politique et sociale, qui vont combler leur temps libre par les arts, l’étude, la religion, les intrigues de cour et les relations galantes.

Se tenant à l’écart de la politique, elles sont particulièrement bien placées pour l’observer, d’où le développement de cette littérature à la cour autour de figures littéraires comme Sei Shonagon, Ono no Komachi et Murasaki Shikibu. Les ouvrages qu’elles publient témoignent ainsi d’une culture en gestation et d’une époque, et ne cessent d’interpeller, non seulement par leur contenu du récit mais dans la manière de le présenter, notamment par l’utilisation de la calligraphie, laquelle joue un rôle majeur dans l’histoire.

 

L’exposition qui nous intéresse se penche sur le Dit du Genji (Genji monogatari), texte le plus célèbre de l’oeuvre de Murasaki Shikibu, qui évoque subtilement les raffinements de la cour impériale. Ce texte ouvre la voie à une extraordinaire créativité picturale et donne naissance à une très riche iconographie comme en attestent les laques, estampes, tissus, kimonos, sculptures, peintures et objets précieux en provenance du musée Guimet ou d’autres collections françaises et japonaises.

Le roman narre l’existence et les intrigues amoureuses du prince impérial Hikaru Genji qui ne peut prétendre au trône. Le texte est riche des rebondissements qu’il renferme, mais également des attraits du personnage principal et des centaines d’autres qui figurent dans le roman.

Le sens aigu de l’observation dont témoigne la poétesse, mais aussi les réflexions profondes sur l’amour, le sentiment éphémère des choses, et la profonde érudition de Murasaki Shikibu sur la culture et l’histoire de la Chine et du Japon, ont sans cesse captivé les lecteurs au cours des siècles.

Avec pour toile de fond le bouddhisme, l’ensemble de l’oeuvre est rythmée par les poèmes (waka), exprimant les sous-entendus des situations, les ressentis et les pensées profondes des personnages.

 

La période Heian durant laquelle est écrit Le Dit du Genji offre l’image de l’apogée de la cour impériale japonaise et correspond à l’avènement d’une culture spécifiquement japonaise. On assiste alors à des bouleversements politiques comme le déplacement de la capitale de Nara à Heian-kyo (l’actuelle Kyoto) et à l’influence grandissante de la famille Fujiwara dans les affaires de l’empire.

Cette période correspond également à l’essor du bouddhisme au Japon, qui s’exprime par l’importance accordée au respect des rites en faveur du maintien de la paix et de la pérennité du royaume. L’écriture, elle aussi, évolue grâce à la réforme de l’éducation et à un simplification des kanjis (idéogrammes hérités de la Chine qui restent l’apanage des lettrés japonais) qui vont être transformés en hiragana, écriture cursive adaptée à la langue japonaise, une écriture originellement surnommée Onnade (main de femme). Et c’est grâce à cet accès facilité à l’écriture que la littérature féminine japonaise va connaître un essor considérable.

 

Dans le Dit du Genji, la poétesse Murasaki Shikibu s’inspire de la vie de la cour, des hommes et des femmes dans leurs complexités, leurs évolutions sociales et psychologiques. Elle met en scène des individus soucieux de leur image et plus généralement de leur salut alors que le bouddhisme s’installe durablement au Japon et rencontre les croyances locales. Dès lors, ce roman fondateur va devenir le creuset d’une nouvelle identité japonaise, une source d’inspiration pour tous les artistes passés et actuels et jusqu’aux nouvelles formes d’art. Le manga réinterprète notamment les codes picturaux, les thèmes et les scènes de l’histoire du Genji, en faisant preuve d’une incroyable inventivité.

Qui aurait pensé qu’avec le temps, le Dit du Genji transcenderait les genres et inspirerait artistes, cinéastes, comédiens, musiciens et mangakas ? A ce jour, Asahi yume mishi de Waki Yamato reste ainsi l’un des mangas les plus célèbres, vendu à plusieurs millions d’exemplaires.

Le récent Dit du Genji en français, lui, se réapproprie le récit en l’adaptant au format du manga. Et nombreux sont ceux qui se retrouvent dans ce récit comprenant à la fois intrigues amoureuses, scandales et poésie. La pérennité de cette histoire en tant que source d’inspiration, plaide en effet en faveur de Murasaki Shikibu qui a su saisir avec intelligence l’humanité dans ce qu’elle a de plus essentiel.


L’exposition nous offre de découvrir les multitudes de scènes décrites dans le Dit du Genji, qui explique sans aucun doute l’engouement des artistes pour cette oeuvre depuis le 12ème siècle. Le récit s’attache à détailler non seulement les contextes des évènements mais aussi les lieux, et bien sûr les saisons, éléments primordiaux dans l’art pictural japonais.

L’invention de la gravure sur bois au 17ème siècle va offrir, de son côté, un nouveau support et permettre aux grands maitres de l’estampe de parfaire l’imaginaire des scènes les plus célèbres de l’oeuvre de Murasaki Shikibu.

 

La seconde partie de cette exposition est consacrée à Itaro Yamaguchi. Issu d’une famille de tisseurs de soie, le maître décide à 70 ans de créer un chef-d’oeuvre en reproduisant les scène du Dit du Genji en partant d’un vieux rouleau de peinture datant du 12ème siècle. Entre les recherches préliminaires et la réalisation de l’oeuvre elle-même, trente années s’écouleront. Puis, en signe de reconnaissance et pour remercier la France d’avoir inventé le métier Jacquard qui aura, entre temps, sauvé l’industrie du tissage de Kyoto, Maître Itaro Yamaguchi fera don de son chef-d’oeuvre au Musée Guimet. Trésor composé de quatre rouleaux, lesquels sont présentés pour la première fois au public et dans leur intégralité, déroulés sur plus de 30 mètres.

 

Cette belle histoire mérite qu’on retourne au temps de la Renaissance, à une époque où la ville de Lyon est reconnue pour la qualité de ses productions soyeuses. En 1850, la pébrine, maladie redoutable décimant les vers à soie, s’abat sur la région en menaçant de détruire cette industrie florissante.

Le Japon, qui commence tout juste à ouvrir ses frontières, fournira des vers à soie de substitution permettant ainsi de sauver la production lyonnaise. De forts liens vont alors se tisser entre la France et le Japon, et en 1872, une délégation japonaise de tisseurs de Nishijin se rendra à Lyon pour étudier le métier à tisser mis au point en 1804 par Joseph-Marie Jacquard.

 

C’est au début de la période Heian que le quartier Nishijin accueille un atelier rattaché à la cour impériale puis, sous le patronage de l’aristocratie, développe les techniques de tissage les plus avancées afin de fabriquer des tissus de grande qualité à destination d’une clientèle qui possède un sens aigu de la beauté et ne rechigne pas à la dépense.

Certains tisseurs vont ensuite acquérir le métier Jacquard dans le but de réduire les coûts de production tout en augmentant le rendement, puis une école d’apprentissage voit le jour, qui pérennise les principes d’utilisation des mécaniques Jacquard. Enfin, en 1876, Seishiji Hasegawa crée le premier métier Jacquard japonais en bois.

Dans ce même quartier Nishijin de Kyoto, nait Maître Itaro Yamaguchi, le 18 décembre 1901, dans une famille de tisseurs de soieries. L’enfant commence très jeune à tisser des ceintures de kimonos pour de riches commanditaires. En 1920, il décide de créer sa propre fabrique de tissage, puis, cinquante années de carrière plus tard, se met en tête d’élaborer un chef-d’oeuvre rassemblant les plus hauts degrés de qualité et de technicité jamais atteints sur un métier Jacquard.

Le Maître observe avec soin les rouleaux peints du Dit du Genji conservés au musée Tokugawa de Nagoya et au musée Goto de Tokyo, avant de reproduire en tissage cette œuvre classée Trésor national.

Une fine observation des rouleaux originaux permet de constater que chacun d’entre eux est formé de deux parties: des scènes illustrées représentant des épisodes du Dit du Genji, puis des calligraphies du texte.

La majorité des rouleaux tissés relèvent de la technique dérivée du double-étoffe.

Quant au décor et au fond du tissu, ils sont programmés à la mise en carte (reproduction sur un papier quadrillé du dessin à tisser) pour obtenir à la fin une œuvre de toute beauté.

 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition «A la cour du Prince Genji, mille ans d’imaginaire japonais » jusqu’au 25 mars 2024, au Musée Guimet, 6 place d’Iéna, à Pars (16ème).
  • Catalogue de l’exposition, 208 pages, 160 illustrations, 35










 



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