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Exposition "La Fontaine des Innocents, Histoires d'un chef-d'oeuvre parisien"
(Musée Carnavalet-Histoire de Paris, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 20 mai 2024

 

C’est la première fois que le Musée Carnavalet (Paris) choisit de consacrer une exposition à un monument parisien, mais quel monument !Cette œuvre qui structure le centre de la capitale au cœur du quartier des Halles, et qui est actuellement en cours de restauration jusqu’en juin prochain, appartient de longue date à l’imaginaire parisien et ne pouvait que devenir une icône populaire, ce qui, pour elle, coule de source.

 

Ils marchent de concert : tous les deux sont de la même époque, la Renaissance française, et sont célèbres: la Fontaine des Innocents (vous l’aviez sans doute reconnue?) nommée ainsi en mémoire du massacre des Innocents (à savoir tous les enfants de moins de deux ans de la région de Bethléem) ordonné au 1er siècle avant J.C par Hérode, le roi de Judée, à qui on avait annoncé l’avènement d’un roi des Juifs. C’est le roi Louis VII qui demandera à ce que cette fontaine, située à l’emplacement d’une fontaine médiévale, soit baptisée « Saints-Innocents » en hommage à ces enfants massacrés.

L’exposition nous invite aussi à découvrir l’autre célébrité de cet événement, Jean Goujon, un artiste majeur de la Renaissance française qui reste pourtant peu connu du grand public. C’est pourtant lui qui sculptera les cinq reliefs de nymphes ornant la fontaine.Son parcours ne s’arrêtera pas là puisqu’il sera l’auteur d’autres créations parisiennes, du Louvre à Saint-Germain-l’Auxerrois, et influencera grandement l’histoire de l’art, au point de servir d’exemple à plusieurs générations de sculpteurs, de David d’Angers à Maillol, en passant par Carpeaux et Jean Auguste Dominique Ingres. La magie de la fontaine des Innocents, ce modèle inventé par Goujon, fait encore aujourd’hui référence en la matière dans l’univers de la sculpture.


 

L’exposition « la Fontaine des Innocents, Histoires d’un chef-d’oeuvre parisien », visible jusqu’au 25 août prochain, au Musée Carnavalet-Histoire de Paris, à Paris (4ème), nous convie à nous plonger dans l’histoire de cette fontaine tout en contemplant au passage les cinq nymphes, une des plus belles réalisations de Jean Goujon.

Les enfants n’ont pas été oubliés puisqu’ils disposent d’un parcours de visite illustré spécialement conçu à leur intention.

 

La visite de l’exposition s’ouvre avec Jean Goujon, l’un des sculpteurs majeurs de la Renaissance française. On sait peu de choses de cet artiste, et on ne connait ni les circonstances de sa naissance ou de sa mort, ni la formation qu’il a suivie.

Ce qui est sûr, c’est que sa première commande documentée par les archives en 1541, concerna l’Eglise Saint-Maclou de Rouen. Trois années plus tard, son nom réapparait à Paris lors d’un chantier qu’il effectuera sous la direction de l’architecte Pierre Lescot, à l’Eglise Saint-Germain-l’Auxerrois. Les deux hommes retravailleront ensemble lors de l’achèvement de la nouvelle aile du Louvre.

Le jubé de Saint-Germain-l’Auxerrois est de toute évidence la première commande parisienne confié à Jean Goujon. En 1544, l’artiste se vit alors confié le soin de décorer le jubé (ci-dessous) en sculptant côté nef cinq reliefs offerts au regard des fidèles.


 

En 1548, débute la construction d’une nouvelle fontaine jouxtant l’église des Saints-Innocents et son cimetière pour en remplacer une plus ancienne datée d’avant 1273. Faisant partie du programme d’aménagement de la Ville de Paris, cette fontaine, oeuvre de Jean Goujon, sera achevée juste à temps pour saluer l’entrée du roi Henri II dans Paris, en 1549. Ça tombe bien, la fontaine se trouvera sur le parcours royal allant de la porte Saint-Denis au palais de la Cité. Reste que sa principale fonction est d’alimenter en eau le quartier des Halles, d’où son décor entièrement dédié au thème aquatique, avec divinités mythologiques et créatures marines.

La nouvelle fontaine, érigée contre un bâtiment d’habitation se dresse alors dans le quartier des Innocents (composé d’un cimetière et d’une église paroissiale) en s’inspirant de l’arc de triomphe d’Ancône (Italie) érigé au 2ème siècle en l’honneur de l’empereur romain Trajan.
Edifice maçonné, la fontaine des Innocents repose sur un haut soubassement (abritant le réservoir) et s’organise autour de trois arcades formant une loggia. Des reliefs horizontaux habillent le piédestal et la partie haute au-dessus des arcades. Cinq figures verticales de nymphes occupent les espaces situés entre les ouvertures.

Les bas-reliefs horizontaux de la fontaine qui furent retirés au 19ème siècle pour être déposés au Louvre ont beaucoup souffert et le véritable défi sera de conserver la pierre en extérieur menacée par la pollution atmosphérique et les intempéries.


 

Cette fontaine des Innocents est érigée en chef-d’oeuvre et fit l’admiration de bien des artistes, comme par exemple Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, qui fut émerveillé par ladite fontaine, lors de son séjour à Paris en 1665. D’ailleurs, le monument parisien est décrit comme « incontournable’ dans les écrits artistiques et les guides culturels publiés au 17ème siècle. D’autres artistes seront aussi très influencés par les sculptures de la fontaine, à l’instar d’Auguste Pajou dans les années 1760. Ses nymphes, tritons et monstres de mers s’entremêlant, ne laisseront jamais indifférents les autres sculpteurs qui s’inspireront de l’oeuvre de Jean Goujon en y rajoutant leur maitrise de l’art.

 

Loin d’être figée, la fontaine des Innocents (et le quartier qui l’abrite) franchira les siècles en s’adaptant de bonne grâce aux évènements: en 1765, les inhumations interdites dans Paris intra-muros imposent la fermeture du cimetière, puis la destruction de l’église. Vingt ans plus tard, un marché s’installe sur l’espace libéré et la seule reconnaissance unanime de la fontaine comme chef d’oeuvre lui permettra d’échapper au pire. Démontée, elle sera reconstruite au centre de la nouvelle place aménagée, gagnant ainsi une quatrième face dont les décors sculpturaux, y compris la nymphe de la face nord, seront confiés à Augustin Pajou en 1788.

Dès 1809, le raccordement de la fontaine au canal de l’Ourcq augmenta considérablement son débit, menaçant directement les trois reliefs de Goujon en partie basse,reliefs qui seront retirés un an plus tard pour intégrer les collections du musée du Louvre.


 

Au début du 19ème siècle s’ouvrira une nouvelle page d’histoire pour la fontaine des Innocents. Ainsi, ce monument devenu emblématique de Paris figurera t-il sur des productions d’arts décoratifs et industriels, notamment destinées aux enfants (alphabet, jeux des monuments de Paris...).Seule, ou accompagnée d’autres architectures marquantes de la capitale, et quelque soit le type de support (textile, papier ou céramique), son image se diffuse. En reconnaissant la fontaine des Innocents,c’est également le talent de son créateur, Jean Goujon, que l’on valorise dans cette ville de Paris qui s’impose alors comme capitale culturelle. Il suffit de lire l’hommage dont cet artiste fait l’objet au musée des Monuments français créé par Alexandre Lenoir pendant la Révolution pour s’en convaincre.

 

La célèbre fontaine s’imposera comme le cœur et l’âme du marché des Innocents durant toute la première moitié du 19ème siècle.Bonne fille, elle apporte l’eau potable jusqu’au marché de fruits et légumes qui l’entoure. Une eau vive et abondante fournie par le Canal de l’Ourcq, dont la construction fut voulue en 1802 par l’Empereur Bonaparte.

 

D’autres bouleversements viendront modifier l’endroit au fil des ans comme la destruction des galeries couvertes du marché pour y bâtir à la place les halles de Victor Baltard, en 1858. Le marché lui-même connaitra plusieurs aménagements au début du 19ème siècle, dont celui d’un bassin carré en contrebas de la fontaine servant à recueillir les débordements occasionnés par l’augmentation du débit depuis le raccordement au Canal de l’Ourcq.On citera aussi la construction, en 1810, de galeries périphériques.

 

La fontaine des Innocents sera aussi témoin de plusieurs grands évènements révolutionnaires parisiens : proclamation de la Constitution du 3 septembre 1791 en divers lieux de la capitale, dont le marché des Innocents. Un arbre de la Liberté y sera d’ailleurs dressé pour l’occasion. D’autres évènements malheureux comme le décès de certains combattants de l’insurrection des Trois Glorieuses (27, 28 & 29 juillet 1830). Ceux-ci, inhumés sur place, feront de ce site un lieu de mémoire.


 

Le 17 octobre 1858, le marché des Innocents disparaît pour céder sa place aux halles de Victor Baltard, un ensemble de pavillons de métal et de verre illustrant la politique d’embellissement de Paris voulue par le Second empire, période durant laquelle on multipliera notamment les espaces verts.

Entourée de travaux, la fontaine des Innocents est une nouvelle fois démontée, puis déplacée en 1859 dans un square planté d’arbres et garni de pelouses. Son socle est aussi modifié, et la voici transformée en fontaine d’apparat dans un espace conçu comme un îlot de verdure cerné par un tissu urbain très dense.

La désormais célèbre fontaine n’échappera pas non plus à la reconnaissance institutionnelle, qui lui accorde, en 1862, le titre de monument historique, par son inscription dans le registre des édifices classés.

Le 20ème siècle considérera le monument comme un jalon dans la production de nombreux photographes. Après tout, la fontaine des Innocents n’est-t-elle pas devenue avec le temps un élément d’identification pour situer des scènes pittoresques dans le quartier des Halles ?


 

Après que l’Etat ait décidé en 1960 de transférer le marché de gros des Halles vers Rungis et La Villette, la démolition des pavillons Baltard était actée. Celle-ci eut lieu entre 1971 et 1974, et laissa le champ libre à une vaste opération de rénovation du site. La création de la station RER Les Halles laissa un temps envisager un nouveau déplacement de la fontaine des Innocents mais l’état de fragilité de celle-ci conduisit à son maintien in situ. Et la fontaine de trôner au centre d’une nouvelle place baptisée du nom de Joachim-du-Bellay.

En 1976, plusieurs projets se succéderont en matière d’aménagement des abords de la fontaine, mais il fut finalement décidé de maintenir cette dernière à l’état du Second Empire, avec reconstruction du bassin et du socle à l’identique.


 

Si Jean Goujon avait de son vivant fait preuve de discrétion sur son existence, d’autres se chargeront de parler à sa place, dans le but de mettre en scène la légende du sculpteur. Pour certains, l’illustre artiste devenu héros de roman malgré lui, sera représenté dans des épisodes fictifs comme sa mort scénarisée qui survint sur l’échafaudage de la fontaine des Innocents lors du massacre des protestants, la nuit de la Saint-Barthélémy, en 1572. Pour d’autres, Jean Goujon incarne la Renaissance française, ce dont témoigne d’ailleurs la salle qui lui est dédiée au musée du Louvre. Somme toute, en ce début de 20ème siècle, le véritable et sincère renom de l’artiste et de sa fontaine réside t-il davantage dans une imagerie plus populaire.

Ironie de l’histoire, ou ultime affront de l’intéressé, même les circonstances du décès de Jean Goujon restent à ce jour mystérieuses tandis que l’on perd sa trace à Bologne (Italie) après 1564.


 

 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition « La Fontaine des Innocents, Histoires d’un chef-d’oeuvre parisien », jusqu’au 25 août 2024 au Musée Carnavalet-Histoire de Paris, 23 rue de Sévigné, à Paris (4ème)
  • Catalogue de l’exposition, 216 pages, 150 illustrations, 35€

  • Remerciements à Camille Courbis (presse) pour son aide précieuse.









 



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