Lundi 30 septembre 2024
L’évènement de cette rentrée est incontestablement l’exposition « Surréalisme » présentée par le Centre Pompidou (Paris) jusqu’au 13 janvier 2025, qui retrace plus de quatre décennies (de 1924 à 1969) d’une exceptionnelle créativité générée par ce mouvement artistique appelé surréalisme, mouvement apparu en 1924 avec la publication du Manifeste fondateur d’André Breton.
Se présentant sous la forme d’une spirale ou d’un labyrinthe, l’exposition se déploie autour d’un tambour central au sein duquel est exposé au public le manuscrit original du Manifeste du Surréalisme,exceptionnellement prêté par la Bibliothèque nationale de France, tandis qu’une projection audiovisuelle immersive convie les visiteurs à comprendre la genèse et le sens de ce mouvement artistique naissant. Quant au parcours de visite, il est à la fois chronologique et thématique, et comprend treize chapitres évoquant les figures littéraires inspiratrices du mouvement et les mythologies structurant son imaginaire poétique.
L’exposition « Surréalisme » éclaire ainsi notre lanterne par la présentation de peintures, dessins, films, photographies et documents littéraires tout en privilégiant la mise en valeur des œuvres emblématiques du mouvement, issues des principales collections publiques et privées internationales (« Le Grand Masturbateur » (Salvador Dali), « Les Valeurs personnelles » (René Magritte), « La Grande forêt » (Max Ernst)...
Les femmes aussi ont une place importante dans cet évènement dans la mesure où elles furent nombreuses à prendre part à ce nouveau mouvement.
L’avertissement à ceux qui s’apprêtent à pénétrer dans cette exposition en forme de labyrinthe est clair : « Vous qui vous apprêtez à y entrer, laissez à sa porte toutes les idées claires que vous dicte la raison. Entre ses murs, la nature dévore le progrès, la nuit fusionne avec le jour, le rêve se mêle à la réalité ».
Le labyrinthe est ce lieu mystérieux qui sert de refuge au Minotaure, un être double, mi-homme mi-animal et le creuset au sein duquel la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le haut et le bas...cessent d’être perçus contradictoirement. Dès lors, on ne s’étonnera pas que le labyrinthe soit devenu l’emblème du surréalisme, mouvement qui imagina la réconciliation des contraires.
Treize chapitres constituent le parcours de visite de cette exposition :
L’entrée des médiums
Sont abordées ici les séances de sommeils hypnotiques auxquelles se livrent les futurs surréalistes, ces êtres dont nous parle André Breton en novembre 1922 lorsqu’il publie dans la revue Littérature, un article intitulé « Entrée des Médiums ». Le même auteur s’intéresse également aux œuvres d’artistes médiumniques et aux propos des malades psychotiques qui lui inspireront en 1919 l’écriture des « Champs magnétiques » avec Philippe Soupault.
L’écriture automatique, libérée du contrôle de la raison, rencontre alors une traduction plastique avec les frottages de Max Ernst et les sables de Masson.
Trajectoire du rêve
Etudiant en médecine, André Breton se passionnait déjà pour l’ouvrage d’Albert Maury « ‘Le sommeil et les rêves » qui abordait à l ‘époque les débuts de l’étude neurologique du rêve. Assistant au centre neuropsychiatrique de Saint Dizier en 1916, il découvre les méthodes d’interprétation des rêves de malades psychotiques à des fins curatives, menées par Sigmund Freud.
Les surréalistes publient alors leurs « récits de rêve » dans les pages des revues en transposant les méthodes de la psychanalyse à des fins poétiques.
Et André Breton de s’interroger dans le « Manifeste du surréalisme » : « Le rêve ne peut-il être appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie ? »
Lautréamont
1914 marque le retour d’un auteur oublié, mort en 1870 à 81 ans : Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont et auteur des « Chants de Maldoror » dont la lecture bouleversera bien des lecteurs. En effet, ces Chants ressemblent à la confession d’un génie malade tandis que le texte est un défi à toute construction logique appelant à la violence et à la destruction. Les jeunes surréalistes y voient la faillite du monde qui les a conduit dans la boucherie des tranchées.
Chimères
La Chimère, telle que décrite par Homère dans l’Illiade, fascine l’imaginaire surréaliste grâce à sa forme composite, illogique, au collage et à la greffe dont elle procède. Fidèles à l’appel de Lautréamont, les surréalistes inventent en 1925 le jeu du cadavre exquis, d’abord assemblage de mots puis créatures inimaginables par un seul cerveau qui deviendront l’emblème de l’activité collective surréaliste jusqu’à la fin des années 1960. La Chimère, elle, s’impose comme l’animal totémique du surréalisme.
Alice
La gloire surréaliste d’Alice est celle de cette enfance rêvée. Et c’est à la suite de la rédaction par Aragon, en 1931, d’un important article sur Lewis Caroll dans « Le surréalisme au service de la révolution », que ce personnage féminin entre au panthéon surréaliste pour ce qu’elle incarne (merveilleux de l’illogisme et de l’humour). André Breton l’intégrera même dans son « Anthologie de l’humour noir « (1940).
Et voici qu’après Arthur Rimbaud et Lautréamont, une jeune poétesse Gisèle Parassinos incarne bientôt le génie poétique que le surréalisme attribue à l’enfance, et dont les poèmes, préfacés par Paul Eluard, paraissent en 1934 dans la revue Minotaure.
Monstres politiques
Transformer le monde et changer la vie faisant partie des engagements des surréalistes , ceux-ci signent en 1925 un manifeste opposé à la guerre coloniale menée à cette époque par la France au Maroc. Tout en fréquentant les jeunes communistes du groupe Clarté, le surréalisme se peuple de monstres faisant écho à la montée des totalitarismes et se dote d’une nouvelle revue baptisée Le Minotaure.
Le Royaume des Mères
Ces mères constituent le mythe poétique le plus profond du surréalisme. André Breton en réactive le souvenir dans son texte consacré à Yves Tanguy en 1942. L’exploration des formes et la naissance du monde ont passionné les surréalistes et les Mères sont le creuset duquel jaillit l’écriture automatique et la matrice d’où émerge le monde embryonnaire d’artistes comme Grace Pailthorpe, Jane Graverol ou Salvador Dali.
Mélusine
Sa légende décrit une créature hybride, mi-femme et mi-serpent. André Breton en ressuscite le mythe dans « Arcane 17 » et veut croire à un âge qui serait en communication providentielle avec les forces élémentaires de la nature, sous l’égide de Mélusine.
Forêts
Cette forêt qui était pour Baudelaire le cadre où se tissaient les fils des « correspondances » devient, pour les surréalistes, le théâtre du merveilleux et la métaphore du labyrinthe et du parcours initiatique. Max Ernst en fait l’un de ses sujets de prédilection.
La pierre philosophale
D’après André Breton « les recherches surréalistes présentent, avec les recherches alchimiques, une remarquable analogie de but ». Dès 1923, les alchimistes Hermès Trismégiste et Nicolas Flamel figurent déjà en bonne place dans la liste des personnalités dont la pensée devait inspirer le surréalisme.
Les surréalistes trouvent en effet dans l’alchimie la voie d’une coexistence de la connaissance et de l’intuition, de la science et de la poésie. Et André Breton de se donner pour épitaphe : « Je cherche l’or du temps ».
Hymnes à la nuit
Lorsque Gérard de Nerval écrit son récit Aurélia, sous-titré le Rêve et la Vie, il annonce la nuit surréaliste. André Breton en tirera son titre oxymorique La nuit du tournesol, et René Magritte, la série L’empire des Lumières.
Noctambules, nourris de Nosferatu et Fantômas, les surréalistes plongent dans l’obscurité l’Exposition internationale du surréalisme organisée en 1938 à la Galerie des Beaux-Arts, à Paris.
Les larmes d’Eros
Selon André Breton, les implications érotiques sont, au premier chef, ce qui caractérise une œuvre surréaliste. En agissant ainsi, l’artiste fait de « l’Amour fou » une passion capable de provoquer les effets de la folie.Ainsi l’amour surréaliste se transforme t-il en un sentiment révolutionnaire et scandaleux tandis que dans cette recherche de liberté totale, la figure du Marquis de Sade se retrouve bien seule à défendre cette vision de l’amour sans interdit.
Quoi qu’on en dise, le mouvement tout entier restera durablement marqué par ce tournant licencieux, si bien qu’en 1959, la huitième Exposition ineRnatiOnale du Surréalisme (EROS) qui se tiendra à la Galerie Daniel Cordier (Paris) sera placée sous le signe de ...l’érotisme.
Cosmos
Dans les « Prolégomènes à un Troisième Manifeste, ou non », André Breton revient sur la place de l’homme au sein du cosmos. Et si ce dernier n’était pas le centre de l’univers ?
Le Surréalisme emprunte au Moyen-Âge sa conception du monde, c’est à dire la continuité entre microcosme et macrocosme. La visite de Breton en territoires Hopi puis celle d’Antonin Artaud chez les indiens Tarahumaras conforteront l’idée qu’une harmonie entre l’homme et la nature est encore possible.
Utile à la lisibilité de l’exposition, un podcast (https://www.centrepompidou.fr/fr/podcasts/podcasts-visites-dexpos#29464) offre au visiteur de mettre en valeur la dimension littéraire du mouvement surréaliste ; avec, au fil du parcours de visite la collaboration de comédiens et comédiennes livrant les textes des artistes, poètes et écrivains surréalistes. Ce podcast est également disponible sur toutes les plateformes d’écoute.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Surréalisme » jusqu’au 13 janvier 2025, au Centre Pompidou, Place Georges Pompidou, à Paris (4è), Galerie 1, niveau 6.
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Catalogue de l’exposition : 344 pages, 49,90€.
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Album de l’exposition : 60 pages, 10,50€.