Lundi 28 octobre 2024
Au Moyen-Âge, le vêtement est très végétal. On tisse des toiles à partir de plantes comme l’ortie, le lin ou le chanvre ou depuis des matières animales comme la laine, le cuir ou la fourrure, matières importées des steppes et des forêts d’Europe du Nord. On retrouve aussi les célèbres brocards de soie. Modeste ou élaboré, parure et armure, le vêtement s’invite à l’exposition « Sur un fil ou l’art de se vêtir au Moyen-Âge », à découvrir au Musée de Saint-Antoine-l’Abbaye (38) jusqu’au 11 novembre 2024.
Nous sommes aujourd’hui conviés à nous pencher sur l’histoire du vêtement tel qu’il se présentait entre les VIème et XVème siècle, à travers plus de 60 œuvres d’art prêtées par des institutions françaises.Une véritable plongée dans le temps qui révèle le vestiaire médiéval par le prisme de la littérature, des formes et des couleurs, des échanges commerciaux et des transferts d’usage, au travers de précieux suaires.
Loin de dresser un simple inventaire du vestiaire médiéval, cet événement nous invite à porter un autre regard sur les techniques, la symbolique associée aux formes et aux couleurs, les échanges commerciaux et les influences et les corporations de métiers avec pour décor la ferveur des pèlerinages, la richesse des drapiers, des marchands d’épingles et des tisserands, lointains ancêtres des dynasties de soyeux de l’époque moderne.
La littérature elle-même interpelle sur la signification du terme se vêtir : vestir, atorner, apareiller sont autant de mots signifiant que l’on s’habille, que l’on se prépare ou que l’on se pare. Le « vestement » se présente sous un nombre infini de formes souvent complexe durant la riche période du Moyen-Âge. Associé à plusieurs pièces, il devient le « garnement » » enrichi de chaperons, de coiffes à atours ou d’escoffions à cornes, de ceinture tressée ou abondamment ouvragée, d’aumônière de fine soie brodée, de fibules ou de précieux fermaux, sans omettre ces chaussures aux formes diverses parfois exubérantes.
Le vêtement, ici appréhendé au sens large, décrit et illustre un contexte, un événement, révélant au passage un statut social, ou incarnant un style ou une mode dans une explosion de formes, de couleurs et de matières caractéristiques des échanges commerciaux, des influences d’alors, des célèbres foires de Champagne ou des lointains comptoirs commerciaux.
Pour tous les goûts et de toutes les circonstances, le vêtement est combattant, tantôt cuirasse, tantôt atour de séduction. Il est à la fois des champs ou des villes, de Cour ou de liturgie, de la dérision carnavalesque ou de la danse macabre et relate une histoire de l’évolution de notre rapport au corps et à l’art de le vêtir.
Le Moyen-Âge ici évoqué est une longue période historique s’étalant sur mille ans. On connait peu de choses des vêtements des premiers siècles, si ce n’est quelques rares images avant la période carolingienne, marqueurs servant surtout à identifier des personnages. Il faut attendre le VIIIème siècle pour que se mette en place un vêtement médiéval structuré dans tout l’Occident. Celui-ci se compose alors d’un chaperon (capuche à larges bords couvrant les épaules), d’une tunique (patron en forme de T assorti de pièces triangulaires sur les côtés pour procurer à la fois aisance et volume) serrée par une ceinture plus ou moins large, d’un manteau en demi-lune, fermé devant ou sur l’épaule et de chaussettes, puis de chausses (plus hautes) parfois retenues par des bandelettes comme chez les Francs. Les femmes, elles, disposent des mêmes éléments de base, avec, en plus, des robes longues et des voiles recouvrant les cheveux coiffés.
Vers les XI-XIIème siècles, une période nouvelle débute, empreinte de stabilité politique, de meilleures conditions climatiques, d’échanges économiques élargis et de nouvelles formes architecturales avec l’apparition de l’art gothique. La population européenne passe de 40 à 75 millions. Quant à la production de la draperie de laine, elle se concentre dans certaines régions (Normandie, Flandre, Angleterre) en entrainant en conséquence l’évolution du vêtement.
Au XIIème siècle, le vêtement plus long se généralise pour les hommes comme pour les femmes de la noblesse, et l’augmentation du pouvoir d’achat des bourgeois des villes au siècle suivant met ces derniers en concurrence avec les nobles, en affichant encore davantage leurs richesses par la consommation de produits de luxe. Cette surenchère réciproque serait à l’origine de l’invention de la mode, un phénomène qui va s’accentuer à la fin du Moyen-Âge. Seules les populations urbaines les plus aisées sont concernées par cette mode alors considérée comme futile par la morale chrétienne.
Fin XIVème, on assiste à l’apparition des houppelandes, robes unisexe à très longues manches, comportant de grandes quantités de tissus précieux, qui distinguent les vêtements de cour du reste de la société. Au cours du siècle suivant, les envahissantes houppelandes sont remplacées par des robes à plis. Le vêtement féminin prend une nouvelle tournure.Pendant ce temps, les milieux plus modestes (villageois, habitants des villes) portent des vêtements utilitaires faits de draps de laine grossiers, souvent de couleur bleue. Au quotidien, ce vêtement se compose d’ne tunique, du surcot féminin, de chausses, du chaperon complété par des bonnets et des coiffes de toile ainsi que d’un devantier (tablier) de toile ou de cuir.
Lire er décrire le vêtement dans les textes du Moyen-Âge est tout un art. « Le Roman de la Rose »accompagne le narrateur dans sa quête d’amour. A l’époque, l’amoureux médiéval disposait de petits manuels de séduction sous forme des poèmes enluminés, « Les arts d’aimer ». Ces traités incitent au soin vestimentaire, beauté du corps et beauté de la parure allant de paire car l’amour nait du regard et le vêtement de l’amoureux ressemble à un costume de scène.
Abordons maintenant le vêtement de cour. A la fin du Moyen-Âge une vie riche et luxueuse s’organise autour des grandes familles régnantes. Les draps de soie riches, denses, brillants, voire enrichis de fil d’or ou d’argent et rehaussés de broderies sont achetés à prix d’or pour réaliser de belles parures.
La vie de cour offre mille occasions de se vêtir : cérémonies des âges de la vie (naissance, mariage et mort), la vie chevaleresque et militaire, la vie religieuse, les évènements politiques (signatures de traités et rencontres officielles), les loisirs (joutes, tournois, chasse, jeu de paume). Ainsi les ducs de Bourgogne et leur entourage mêlent-ils traditions créativité stratégies et rivalités, tout en marquant leurs gouts personnels.
Fin XIVème- début XVème siècle, le duché de Bourgogne forme un puissant territoire et les vêtements deviennent plus ostentatoires avec la vogue des devises, icônes et mots appliqués sur les vêtements de la cour ducale par les brodeurs. Si la devise permet d’afficher son identité, elle révèle également les choix politiques de l’intéressé.
A chacun ses choix : au milieu du XVème siècle, Philippe le Bon adopte une fois pour toutes la couleur noire, qui met en valeur le collier de la Toison d’or. Considérée comme l’une des plus riches de son temps, la cour de Bourgogne mise alors sur l’apparence pour affirmer son pouvoir.
Peu à peu, le secteur textile maitrise sa capacité à fabriquer des vêtements à la fois élégants, socialement situés et efficaces énergétiquement. C’est que les fibres naturelles disponibles pour la production de tissus sont peu nombreuses et non substituables. Entre le lin, le coton et le chanvre, seul le lin est cultivable à grande échelle pour produire le « linge » (tissu de lin).
La soie mise à part, car portée par l’élite, c’est la superposition du lin et de la laine qui constitue la structure essentielle du vêtement jusqu’au début du XXème siècle. En revanche, les sources historiques sont peu
nombreuses concernant les vêtements des pauvres ou des classes moyennes. On éprouve les mêmes difficultés pour s’informer sur l’industrie textile, alors que dans le même temps, on croule sous l’information concernant les centres de production prestigieux. Des centres drapiers sont ainsi identifiés à Gand et Bruges (Belgique) mais aussi à Arras, Louviers, Rouen, Saint-Lô, Toulouse et Perpignan (France) ou à Florence (Italie). Il reste indéniable que les villes drapantes et les régions toilières prennent très tôt une dimension industrielle, due en partie à l’importance de la main d’oeuvre (plus de 20000 tisserands sont répertoriés à Florence, Bruges ou Arras vers 1300). Loin de se limiter à un simple commerce, ces échanges de tissus impliquent la circulation au-delà des frontières européennes des techniques et modes de tissage, des tendances de couleurs, des formes et des motifs.
Dès la fin de l’Antiquité, le corps des saints furent enveloppés dans de précieux tissus, lors de leur inhumation ou à l’occasion de leur transfert dans un nouveau reliquaire. Cette pratique perdurera durant le Haut Moyen-Âge, les tissus communs sont progressivement remplacés par des soieries importées d’Orient, puis, plus tard, par des étoffes d’Espagne ou d’Italie, somptueuses étoffes sur lesquelles dominaient les thèmes profanes : animaux (lions, éléphants, oiseaux, bêtes imaginaires), des scènes de chasse et des motifs végétaux (dont l’arbre de vie persan) .
Plus tard, va se développer en Occident le même culte des reliques, dont certains témoignages font mention de l’usage prophylactique (qui prévient ou guérit la maladie) et thaumaturgique (miraculeux) des fragments de vêtements des saints.
On affirme ainsi que les franges du manteau et du cilice de saint Martin de Tours ont chassé les maladies. Que le manteau, un linge ou une frange de la tenture couvrant le tombeau de Saint Eloi auraient fait de même. Que les fragments de l’étole de Saint Hubert soulagèrent les morsures d’un animal enragé.
Jusqu’à notre ère contemporaine, les Sanctuaires ont diffusé des pièces de tissu et de papier ayant touché les reliques, comme à Cologne, avec le reliquaire des rois mages.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition «Sur un fil, ou l’art de se vêtir au Moyen-Âge », au Musée de Saint-Antoine-L’Abbaye, le Noviciat, à Saint Antoine-l’Abbaye (38), jusqu’au 11 novembre 2024.