Lundi 27 juin 2011
De retour à Tokyo, avec plein de photos de Matsue, j'ai repris ce matin le chemin de l'école. Le temps est couvert et brumeux. Du coup, la température est tombée. Mon voyage de retour en train s'est bien passé et m'a fait traversé les régions montagneuses du centre de Honshu: Shoyama,Imi,Kimoyama,Bitchu Takahachi....autant de petites villes ou villages où nous avons parfois fait une courte halte. Des paysages enchanteurs défilaient sous mes yeux dévoilant des montagnes recouvertes de forêts denses de sapins ou autres arbres. Des maisons japonaises, nichées au creux de vallées plus ou moins larges, vivaient tout près d'une rivière. Par endroit, la moindre parcelle de terre était utilisée pour la culture du riz, et il m'est arrivé d'apercevoir des rizières à étages ( sur différents niveaux). L'homme a dû travailler dur pour apprivoiser un tel relief, construisant des ponts, des tunnels, et des infrastructures diverses. De temps à autre, j'aperçois une carrière dont on extrait des pierres. Au détour d'un virage, un pêcheur à la ligne pêche dans un torrent. Le temps est maussade depuis Matsue. « C'est la saison des pluies » me répondit-on à l'hôtel. « Ce sont mes vacances » leur rétorquai-je avec un grand sourire. Heureusement que j'avais eu la bonne idée de visiter un maximum de choses samedi. Ma balade me conduisit ainsi à la découverte de Lafcadio Hearn écrivain irlandais né en Grèce le 27 juin 1850 , d'un père militaire britannique et d'une mère grecque, sur l'île grecque de Lefkada. Il en tira d'ailleurs son no, Lafcadio qui signifie le tour de Lefkada.
A la suite du divorce de ses parents alors qu'il n'avait que 6 ans, Lafcadio Hearn s'en fut vivre en Irlande où il fut élevé par sa tante. A 16 ans, il perdit un œil lors d'un jeu idiot avec des camarades de classe. Un an après le décès de son père, la tante ayant connue un revers de fortune, retira l'enfant de l'école. Lafcadio embarqua alors pour les Etats-Unis à l'âge de 19 ans, arrive à Cincinnati où il devint journaliste à 24 ans pour un journal local. C'est à ce moment-là qu'il commença à traduire des œuvres étrangères, dont des ouvrages de Pierre Loti ( dont il était un grand admirateur), Maupassant, Théophile Gautier, Flaubert, Mérimée, Hugo, Zola, Anatole France et De Nerval. Il fera aussi à cette époque ses premières découvertes du Japon par l'intermédiaire de l'ambassadeur de ce pays avec lequel il nouera des contacts. Ses talents littéraires furent immédiatement reconnus et il fut embauché comme correspondant chez Harpers ( le fameux magazine américain). En 1874, il épouse discrètement une métisse malgré l'interdiction des mariages mixtes aux Etats-Unis. Il est alors renvoyé de L'Enquirer, le journal où il travaillait mais retrouve aussitôt une place dans un autre journal, le Cincinnati Commercial. Trois ans plus tard, il met les bouts et part à la découverte de la Louisiane, arrive à la Nouvelle Orléans , s'intéresse à la culture créole et publie en 1885 un dictionnaire de proverbes créoles ainsi qu'un recueil de recettes culinaires créoles, La Cuisine créole.
En 1889, il travaille alors pour la revue Harpers. Celle-ci l'envoie comme correspondant aux Antilles. Il passera deux années à Saint Pierre (Martinique). Là, s'exprime pour la première fois sa passion pour les fantômes, mais aussi pour les contes traditionnels martiniquais. Il écrira son roman « Youma » sur cette île qu'il qualifiera de « pays de revenants ».
Les liens qu'il a entretenus avec l'ambassadeur du Japon aux Etats-Unis portent leurs fruits: Sur l'invitation de celui-ci, Lafcadio se rend à Yokohama en 1890 et devient journaliste pour la presse anglophone en tant que correspondant pour Harpers. Il deviendra aussi conférencier à l'Université Impériale de Tokyo. Et obtiendra un poste de professeur d'anglais à Matsue grâce à l'aide du ministre de l'éducation de l'époque. C'est son premier contact avec cette ville. Et Lafcadio sera immédiatement fasciné par la beauté de cette cité et séduit par la gentillesse de ses habitants. Il y fera bientôt la connaissance d'une fille de samouraï de haut rang, Koizumi Setsu, l'épousera et prendra la nationalité japonaise en 1896 sous le nom de Koizumi Yakumo ( resté depuis célèbre, au point que des trains locaux mais aussi des produits portent ce nom dans la région de Matsue). L'hiver est rude à Matsue et la neige y est abondante. C'est à contrecoeur que Lafacdio quittera bientôt cette ville pour occuper un poste d'enseignant à Kumamoto. Ville située dans le sud-ouest de l'île de Kyuyshu. Puis il se rendra à Kobe où il occupera un poste de chroniqueur pour la Kobe Chronicle.
Lafcadio Hearn a marqué l'esprit des Japonais car il sera le premier écrivain à s'intéresser à la culture japonaise et à la faire connaître au monde occidental, jusqu'à sa mort d'une angine e poitrine le 26 septembre 1904. Il fera aussi part aux habitants nippons de son regard et de sa façon de voir le Japon, en tant qu'étranger. Les Japonais s'attacheront très vite à cet écrivain venu d'ailleurs et lui rendent encore aujourd'hui hommage, notamment à Matsue, la ville qu'il affectionna tout particulièrement. Durant mon voyage vers le Japon, j'ai commencé la lecture d'un des ouvrages de Lafcadio Hearn: Ma première journée en Orient. Le livre relate sa première promenade nippone dans un kuruma ( pousse-pousse) à travers les rues de Yokohama. Tout le surprend: Les bruits, les couleurs et les odeurs...Il se laissera ainsi envoûter progressivement par la magie de l'Orient.
Lafcadio Hearn publiera d'autres ouvrages, comme Chita, Youma, Deux ans aux Antilles, Regard inhabituel sur le Japon, Kokoro, recueil japonais, Kwaidan....
Aujourd'hui, un musée est consacré à l'auteur. On peut y apercevoir la chaise et le bureau sur lequel Lafcadio rédigeait ses œuvres. C'est en 1933 que fut créée la Yakumo Memorial Society. On collecta ensuite documents et manuscrits, une collecte fut lancée à l'issue de laquelle 6500 yens furent rassemblées, qui permit d'acquérir l'ancienne résidence de l'écrivain ( photo ci-dessus) deux ans plus tard. A l'intérieur des vitrines, le visiteur pourra trouver des livres de Lafcadio ainsi que des objets lui ayant appartenu. Le musée (ci-dessous), créé par Kasho Yamagushi ( designer du musée Ghetti à Weimar) aborde aussi le regard de l'écrivain sur l'éducation japonaise, une carte retrace son périple à travers le monde, une évocation de son épouse Setsu ainsi que de son meilleur ami, Sentaro Nishida, est également proposée. Dans un coin de la salle d'exposition se trouve un écran TV permettant de regarder un diaporama ( en anglais) évoquant la vie de Lafcadio Hearn. A l'entrée de cette salle, sur la gauche, se trouve un tableau chronologique évoquant les principales étapes de la vie de l'écrivain.
En 1990, un festival fut organisé à Matsue afin de commémorer le centenaire de l'arrivée de Lafcadio Hearn au Japon. On lui érigea à cette occasion un buste.
L'ancienne résidence de Lafcadio Hearn (Yakumo Koizumi) abrita l'écrivain de mai à novembre 1891. C'est là qu'il écrivit « Dans un jardin japonais », le deuxième volume de son regard inhabituel sur le Japon. La maison présente aujourd'hui des pièces vides, meublées uniquement de quelques objets. Le jardin intérieur est situé devant et derrière la maison ( photos ci-dessous).
Parmi les ouvrages de Lafcadio Hearn, on trouve Kwaidan, recueil de légendes plus mystérieuses les unes que les autres. Dans le Japon féodal des daimyos et des samouraïs, un musicien aveugle appelé Hoichi joue pour les esprits des valeureux guerriers Heike...la jolie O'Sono , originaire de la province de Tamba, meurt subitement après quatre années de mariage et réapparait chaque nuit . La mystérieuse O'Yuki s'échappe en buée dès que son mari rompt un ancien vœu. Des têtes coupées mangent, parlent, mordent, et c'est l'esprit d'autrefois qu'exprime Lafcadio dans un style délicat et harmonieux. Kwaidan exprime des vérités au travers de messages universels remontant au temps des fantômes évoqués dans les ouvrages de Lafcadio ( contes populaires, légendes et croyances transmises durant des siècles par la tradition japonaise). Messages universels redevenus d'actualité face aux calamités récentes dont souffre le pays, selon Koizumi Bon, l'arrière petit fils de Lafcadio. Car, comme disait l'auteur: Ceux qui survivent sur cette terre sont les mêmes qui ont su s'adapter à la nature et à une vie simple.
Les Japonais eux-mêmes, admiratifs de l'auteur ont adapté ce roman au cinéma en 1965. Une exposition est consacrée à Kwaidan jusqu'en décembre prochain, au Musée commémoratif. Elle présente des ouvrages de l'écrivain traduits en plusieurs langues ainsi que des affiches du film Kwaidan venant de pays comme la Finlande, l'Argentine, La Tchécoslovaquie, la Yougoslavie...et la France. L'exposition compte environ 70 objets , dont des photos en noir et blanc du film. On trouve même un ancien livre de Lafcadio, traduit en français par Marc Logé, le traducteur en français des ouvrages de Lafcadio Hearn. Une autre vitrine ( à l'entrée du musée) présente le film sous différents supports (cassette vidéo, CD, DVD) et une superbe sculpture, œuvre de Masaaki Noda, accueille les visiteurs.
INFOS PRATIQUES:
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Livre: Ma première journée en Orient, de Lafcadio Hearn (Editions Folio), disponible sur Amazon.com
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Centre Commémoratif Lafcadio Hearn,Shiomi Nawate Dori, Okudani-cho, Matsue. Tel: 0852 21 2147. Ouvert toute l'année, de 8h30 à 18h30 ( du 1er avril au 30 septembre), et de 8h30 à 17h00 (du 1er octobre au 31 mars). Entrée: 150 yens.
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Exposition « KWAIDAN » au CentreCommémoratif Lafcadio Hearn, du 26 juin au 25 décembre 2011. site internet: http://www.matsue-tourism.or.jp/yakumo
http://ww.yakumokai.org
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Lafcadio Hearn's Old Residence, située juste à côté du musée. Il est demandé aux visiteurs de retirer leurs chaussures à l'entrée.
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Film: Kwaidan , disponible en DVD ( sons anglais et japonais, sous-titres en anglais) chez Criterion Collection, 25$ sur Amazon.com.