Samedi 20 avril 2013
Hagi fait partie de ces lieux qui rassemblèrent de grands hommes. Je pars ainsi faire la connaissance d'un d'entre eux, Yoshida Shoin. Celui-ci naquit le 4 août 1830 dans le petit village de Matsumoto (situé dans les environs de Hagi). Il était le deuxième fils de Sugi Yorinosuke (vassal du daimyo de Hagi et détenteur d'un revenu annuel de 26 koku). Shoin vécut ainsi son enfance au milieu de ses parents, de ses frères et oncles, dans une maison localisée à Dango-Iwa (Mont Gokoku). Sa famille était pieuse et ses ancêtres avaient survécu en devenant samouraïs et en vivant de leurs terres. Shoin allait recevoir de son père et de ses oncles les bases du confusianisme et des enseignements en science militaire. Il se trouvait que le daimyo de Hagi restait fidèle et loyal à l'empereur du Japon. Yoshida Shoin suivra la même ligne de conduite. A l'âge de 5 ans, Shoin sera recueilli par l'un de ses oncles, Yoshida Daisuke, alors maitre des sciences militaires à l'école de Yamaga. Le déménagement soudain de Daisuke l'année suivante contraindra Shoin à s'assumer seul dès six ans. Et à devenir, lui aussi, maitre des sciences militaires. Trois ans plus tard, il allait devenir maitre apprenti à l'école de Meirinkan (école Han fondée en 1718 par le 6è daimyo du domaine de Chosu). A 11 ans, il donne une conférence au seigneur féodal, Mori Takachika, lequel, ayant été fort impressionné par la prestation de son jeune lecteur, le récompensera lorsque Shoin atteindra ses 15 ans, puis l'élèvera au rang de maitre des sciences militaires de l'école Meirinkan lorsqu'il en aura dix-neuf.
La chance de Hagi était sans doute d'avoir à sa tête un seigneur passionné d'éducation: Le daimyo fonda ainsi l'école de Meirinkan en 1719 (celui-ci deviendra en 1849 l'un des rares instituts supérieurs d'éducation du pays) mais aussi de nombreuses écoles villageoises, des écoles privées (juku) et des écoles élémentaires (terakoya). 1842 restera gravée dans les mémoires comme la date d'ouverture de l'école Shokason-juku (en photo ci-dessous) par l'un des oncles de Shoin, Tamaki Bennoshin. Cette école fut d'abord ouverte dans la propre maison de l'oncle puis sera ensuite transférée à l'emplacement actuel (près du sanctuaire Shoin) où Shoin donnera des cours, à l'âge de 28 ans et à partir de 1857, pendant toute une année. Cette courte période d'enseignement permettra cependant à Shoin de former de nombreux jeunes gens qui deviendront à leur tour des patriotes talentueux et aspirant à la révolution pour mettre à bas le shogunat. La maison est un modeste bâtiment d'un seul niveau, recouvert d'un toit de tuiles et ne possédant d'abord qu'une seule classe (soit une surface de huit tatamis, soit 13 m²) avant que n'y soit rajoutée, plus tard, une extension qui portera la surface totale à 17 m². Ce sont les étudiants eux-mêmes qui la construiront. Après la mort de Shoin, l'école sera reprise en main par Mashima Hosen, Tamaki Bunnoshin, puis Sugi Minji pour finalement fermer ses portes en 1892.
Le fils de Yoshida Daisuke ( l'oncle qui avait adopté Shoin), Yamada Uemon, présente bientôt Shoin à Yamada Matasuke (neveu de Murata Seifu et élève en sciences militaires à l'école de Naganuma). Shoin se verra offrir un livre de géographie par Yamada Uemon, tandis que Yamada Matasuke attirera l'attention du jeune homme sur la menace que présentaient les pays étrangers pour le Japon. Ce qui eut l'effet de provoquer chez Shoin un intérêt considérable pour son pays. Il suivit ainsi des études studieuses sur l'état du monde ainsi que sur le système de défense côtier du Japon. Et publiera même, en 1849 un ouvrage sur ces stratégies de défense. Le daimyo lui demandera aussi d'inspecter les côtes, ce qui lui donnera le goût des voyages dès 1850 ( et pour une durée de quatre années): Il se rendra ainsi de Nagasaki à Aomori, rédigeant une chronique sur sa vie de voyageur et ses découvertes. En 1851, il parcourt durant quatre mois et demi le district de Tohoku en compagnie de Miyabe Teizo (vassal de son état pour le domaine de Higo), allant de Mito (préfecture d'Ibaraki) à Aizu (préfecture de Fukushima), tout en entrant en contact avec l'école de Mito et en remarquant ces bateaux étrangers de plus en plus nombreux au mouillage, et les défenses côtières. Shoin avait quitté le domaine de Higo sans l'autorisation de son maitre et savait qu'il s'exposait à une sévère punition dès son retour à Hagi. Il sera effectivement destitué de son statut de samouraï et sera jeté en prison. A l'ombre pour un certain temps, Shoin en profite pour lire des ouvrages sur l'histoire de son pays, sur les défenses côtières et des livres sur la politique étrangère. De son côté, Mori Takachika, son seigneur féodal, souffrait de voir Shoin incarcéré alors que ce jeune homme représentait à ses yeux un vrai talent pour la région. Il lui délivra alors un permis de voyage de dix ans à pour lui permettre d'effectuer des études à l'étranger, ce qui l'autoriserait à parcourir le Japon sans encombres. Shoin reprit rapidement la route pour Edo tout en visitant les écoles réputées qu'il rencontrait sur son chemin. Il ne tardera pas à apprendre l'arrivée du Commodore Matthew Perry au Japon et se rendra aussitôt à Uraga (ancienne ville portuaire japonaise située à l'entrée de la baie d'Edo). Il deviendra également l'élève de Sakuma Shozan , personnage déjà très occidentalisé (sans doute à la suite de ses études occidentales dès l'âge de 33 ans) mais aussi politicien et érudit de l'époque Edo. Celui-ci lui enseignera les armes occidentales et la politique étrangère. Shoin publiera aussi quelques temps plus tard un recueil d'opinions personnelles qu'il dédiera à son ancien maitre ronin (ancien samouraï sans maitre, exclu de la société japonaise).
A l'époque, les pays occidentaux commençaient à découvrir l'Asie et les Etats-Unis venaient de dépêcher le Commodore Perry au Japon afin d'y négocier un traité d'échanges et la fin de l'isolationnisme nippon. Sakuma Shozan avait déjà mesuré l'importance des enjeux pour son pays. Il comptait d'ailleurs comme élèves, outre Shoin Yoshida, Hashimoto Sanai, Katsu Kaishu, et Sakamoto Ryoma, qui joueraient tous, le moment venu, un rôle important pour leur nation. Shoin et son professeur, dévorés par l'envie d'aller voir ce qui se passait en Occident, malgré les graves conséquences que cela aurait s'ils se faisaient prendre par les autorités, manquèrent une première fois l'occasion d'embarquer sur un navire russe au mouillage à Nagasaki, faute d'être arrivé à temps. En 1854, Shoin et Kaneko Jusuke tenteront d'embarquer à bord du navire du Commodore Perry mais échoueront, étant dans l'impossibilité de rencontrer le Commodore en personne. Le jour suivant, Shoin faussera compagnie aux autorités. On l'emprisonna à Temma-Cho, à Edo. En ce temps-là, violer les règles nationales frontalières était considéré comme un crime. Le Comodore Perry ayant appris la tentative de Shoin, avait éprouvé quelques sympathies pour le jeune homme et obtenu des autorités que Shoin fut transféré à Hagi pour y purger sa peine (ci-dessus, la prison de Shoin à Hagi). A l'automne 1854, Shoin et son compagnon Kaneko Jusuke regagnèrent Hagi. Shoin fut enfermé à la prison de Noyama et Jusuke, à la prison de Iwakura. Ce dernier y mourra en janvier 1855 suite à une maladie. Shoin, lui, confia par écrit ses pensées dans un document intitulé »Mémoire d'emprisonnement » et fera tout son possible afin de transformer sa prison en un lieu de connaissance. Durant les quatorze mois de son incarcération, il lira pas moins de...618 livres! Il s'initiera aussi à la poésie et à l'art du haikai (courts poèmes) ainsi qu'à la calligraphie avec ses co-détenus. Il communiquera également avec des moines bouddhistes comme Mokurin et Gessho, qui influenceront beaucoup Shoin dans son respect et son dévouement pour l'empereur. C'est à la suite de son séjour à la prison de Noyama que Shoin va user d'un nom littéraire « Nijuikkai Moshi »(l'audacieux samouraï à 21 reprises) pour exprimer sa détermination à réaliser 21 actes audacieux. Le chiffre 21 est du aux kanjis du nom de sa famille (Sugi), lesquels représentent le chiffre 21 une fois totalisés. De la même manière, les caractères du nom de sa famille adoptive (Yoshida) représentent aussi le chiffre 21. Dans une lettre adressée à son frère, Sugi Minji, il confie avoir déjà réaliser trois de ces 21 actes de bravoure: S'échapper pour aller étudier dans le Tohoku, ses opinions personnelles adressées au seigneur, et sa tentative d'embarquer pour l'Occident.
Shoin sortit de prison en 1855 pour être placé en résidence surveillée ( une minuscule maison d'une surface de trois tatamis et demi seulement).Son père et son frère ainé l'encouragèrent à doner des conférences sur le penseur chinois Mencius (ces conférences durèrent environ six mois durant lesquelless Shoin devint populaire auprès des jeunes gens de la région, désireux de rejoindre à leur tour ce cercle). C'est à cette époque que fut créée l'école Shoka-son Juku. L'enseignement de cette école consistait en deux mots: Fierté et ambition. On apprenait ce qu'être japonais voulait dire, à être conscient de ses propres valeurs, et à se donner les moyens de devenir ce qu'on voulait être. Vaste programme! Pour ce faire, chacun devait respecter l'autre, et travailler avec l'autre. Shoin, qui était amoureux de son pays, transmettait ainsi son idéal, ce qui motivait beaucoup ses élèves (lesquels, indirectement, contribuèrent par la suite à la chute du shogunat). 1857 fut l'année durant laquelle les Etats-Unis pressèrent le shogunat de signer ce traité d'amitié et de commerce si convoité. Shoin imagina alors d'envoyer ses élèves sillonner le pays pour en rapporter des informations et rédigea ses opinions à l'adresse de son seigneur puis de la cour impériale. Il proposa ainsi à son seigneur un projet de réforme du domaine dès 1858, puis parla de la nécessité d'ouvrir le Japon aux autres nations en rejetant la barbarie et en restaurant le pouvoir impérial. En novembre de la même année, Shoin mijota une embuscade contre Manabe Akikatsu, alors membre du conseil des anciens dans le shogunat, avec pour but de faire entendre sa philosophie du Sonno-Joi (philosophie politique japonaise dérivée du néo-confusianisme et dont le slogan était »Révérer l'Empereur et chasser les Barbares ») Il fut donc emprisonné une nouvelle fois à la prison de Noyama le 26 décembre 1858. Cette même année, Ii Naosuke, qui occupait alors le poste de tairo (grand ancien) du shogunat, signa le Traité Harris (deuxième nom du traité d'amitié & de commerce signé en 1858 à cause de Townsend Harris, un délégué américain qui était en pourparlers avec le shogunat Tokugawa) sans subir de revers de la part de la cour impériale et désigna Tokugawa Iyemochi comme le 14è shogun du shogunat Tokugawa. Il élimina nobles de court, daimyos, samouraïs, savants et autres activistes pro-impériaux qui s'opposaient à la signature du traité, à l'ouverture du Japon ou au choix du successeur du shogunat. La purge toucha 80 victimes et 8 activistes pro-impériaux (dont Yoshiba Shoin, Hashimoto Sanai, et Rai Miksaburo, qui furent exécutés). En 1859, au plus fort de la purge, on conduisit Shoin à Edo. Il pensa alors encore pouvoir militer en faveur du Sonno-Joi et faire encore changer la politique shogunale. Avant son départ pour la capitale, il rédigea quelques lettres à ses parents, ses proches, ses amis et ses élèves. Et la veille de son départ pour Edo, Fukugawa Sainosuke, le gardien de prison prit sur lui de permettre à Shoin de revoir une dernière fois sa famille et ses élèves. Shoin partit pour Edo le 25 mai 1859, dans un palanquin ordinaire recouvert toutefois d'un filet pour montrer que l'on transportait un criminel, avec une corde nouée autour de la taille. Il sera interrogé par la cour shogunale concernant ses rapports avec Umeda Umpin, lequel avait été arrêté et était mort en prison. Shoin proclama son amour pour sa patrie, revenant sur son projet d'embuscade contre le vétéran Manabe Akikatsu, et militant en faveur d'une réforme du shogunat. Face à ces propos, la cour vota la peine ultime, c'est à dire la peine de mort. La sentence lui fut signifiée le 6 octobre 1859. Shoin rédigea une dernière lettre à sa famille, puis à ses élèves le lendemain. »Je vous demande de suivre mon esprit avec tout votre cœur » avait-il écrit à ses élèves. Le jeune homme sera exécuté le 27 octobre dans la prison Temma-Cho, à Edo. Il n'avait que 30 ans et avait vécu sa courte existence avec passion, partageant son temps entre enseignement et politique. Sa force de conviction secoua ses élèves au point de les faire prendre fait et cause pour les changements à survenir et de contribuer ainsi à l'avènement de la restauration Meiji. Et son esprit de survivre encore aujourd'hui.
Ma visite me fait découvrir le sanctuaire Shoin ( ci-dessus), à l'est de Hagi. C'est le plus grande sanctuaire de la cité, dédié à Shoin Yoshida, maitre de la fin de la période Edo, dont les disciples jouèrent un rôle incontournable dans l'instauration de la restauration Meiji. Lorsqu'on fait face au sanctuaire, on aperçoit un autre sanctuaire (ci-dessous): C'est celui de l'école de Shoin. Face au sanctuaire (hall principal), se trouve la maison dans laquelle Shoin fut incarcéré durant quelques mois. Près du bureau du sanctuaire ( face à l'école Shoka on Juku), on peut visiter le musée dédié à la mémoire de Shoin. Un autre musée existe toutefois, qui est situé sur la gauche en entrant dans le parc: Le Musée d'histoire de Shoin. A deux pas de là, à côté de l'ancienne résidence d'Hirobumi Ito, se trouve le lieu de naissance de Shoin Yoshida, dans ce qui était alors le petit village de Matsumoto (englobé aujourd'hui dans la ville de Hagi). On peut encore apercevoir les pierres qui pavaient l'endroit et le puits qui servit à baigner le petit Shoin pour la première fois. Sa tombe est aussi à proximité du site.
INFOS PRATIQUES:
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Musée à la mémoire de Shoin, 1537 Chinto à Hagi. Tel:0838 24 1027. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h00 ( sauf de décembre à février: 9h30 à 16h30). Droit d'entrée: 210 yens.
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Sanctuaire Shoin
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Musée sur l'histoire de Shoin, même adresse. Tel: 0838 26 9116. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h00. Droit d'entrée: 500 yens.