Samedi 20 avril 2013
Un premier article fut consacré à Shoin Yoshida, dont l'un des oncles, Tamaki Bunnoshin, fonda l'école privée Shoukason. Une fois Shoin Yoshida disparu, l'école continuera ses activités quelques temps avant de fermer ses portes en 1892. Cette école avait permis à de nombreux élèves de découvrir un enseignement basé sur le respect de l'individualité, le respect de l'autre et le travail commun, dans un même but: Orienter le Japon sur la voie de la modernité, avec, pour seul chef, l'Empereur . Lors de mon passage au sanctuaire Shoin, il m'a été donné de visiter la maison d'un des disciples de Shoin Yoshida: Hirobumi Ito. Juste à côté de la maison de son enfance, une autre maison lui avait té offerte par l'empereur du Japon, quelques années plus tard. A l'entrée de cette demeure figure le portrait de cinq jeunes gens japonais, tous formés d'après les idées du maitre Shoin Yoshida. On les appelle « les cinq de Chosu » car tous sont originaires du domaine de Chosu (ancien domaine féodal durant le shogunat Tokugawa, à l'ouest du Japon). Ce domaine était aussi surnommé le domaine de Hagi. La capitale de ce domaine était la ville d'Hagi. Et les affaires étaient gérées depuis le château aujourd'hui disparu (ci-dessous) (le domaine sera dirigé par la famille Mori durant la période Edo). Jusqu'à présent, il était interdit aux Japonais de sortir du territoire. Et puis, les choses évoluèrent très lentement: Un traité de paix et d'amitié fut d'abord signé en 1859 entre le Japon et les Etats-Unis, et le pays du soleil levant sortira peu à peu de son isolationnisme bien qu'il était toujours interdit à des étudiants de se rendre à l'étranger. La politique d'isolement sera même renforcée jusqu'à la restauration Meiji en 1868.
Nos cinq de Chosu (Ito Hirobumi, Inoue Kaoru, Yamao Yozo, Inoue Masaru et Kinsuke Endo, en photo ci-dessous), eux, partirent malgré tout en 1863, mais discrètement, pour étudier au Royaume-Uni, à l'University College de Londres (alors fondée en 1826 sous le nom de London University afin de créer une alternative laïque face aux écoles religieuses d'Oxford et de Cambridge) auprès du Professeur Alexander William Williamson. Nos cinq compères monteront à bord du navire du Capitaine Gower, stationné à Nagasaki, déguisés en marins britanniques, et grâce à l'aide d'un certain Mr Weigal (directeur de la branche de Yokohama d'un conglomérat Jardine Matheson). Il leur en coutera mille ryo chacun pour se rendre jusqu'à Shanghaï. Puis les cinq se séparèrent en deux groupes pour poursuivre leur long voyage jusqu'à Londres sur le navire Pegasus chargé d'opium. Inoue Kaoru et Ito Hirobumi travailleront alors comme matelots pour payer leur voyage. A leur arrivée, les cinq étudiants sont présentés au Professeur Alexander William Williamson par Wilhelm Matheson.
Ito Hirobumi deviendra le premier Premier ministre du Japon moderne, en 1885. Originaire de l'ancien domaine de Chosu (ci-dessous la maison de son enfance), c'est l'une des principales figures du Hambatsu (classe dirigeant sous l'ère Meiji) et l'un des neuf genro (sorte de conseillers informels de l'Empereur Meiji) à gouverner le pays à partir de la restauration Meiji. Il est issu d'une famille paysanne adoptée par des samouraïs du Suo. Élève brillant, il intègre rapidement en 1857 l'école de Matsumoto alors dirigée par Yoshida Shoin. Il y restera deux ans et en ressortira très influencé par les thèses légitimistes de son professeur aux côtés duquel il participera d'ailleurs à diverses actions plus ou moins violentes. Le clan de Chosu l'enverra étudier les sciences et les mœurs des Européens au Royaume-Uni. D'abord fervent défenseur de son pays et ennemi acharné des Occidentaux, le jeune Hirobumi devient vite un soutien enthousiaste des relations diplomatiques entre les deux pays et en faveur de l'ouverture de son pays au commerce international. Il rentre précipitamment au Japon en 1864 pour convaincre son clan de ne pas attaquer l'Angleterre. Cette connaissance de l'Europe et son anglophilie lui ouvrent bientôt les portes de l'administration Meiji. Il occupera ainsi plusieurs postes à responsabilité avant de devenir le premier Premier ministre du Japon jusqu'en 1888. Il participera aussi au projet de la Constitution japonaise de 1889 puis fondera la même année le Seiyukai, l'un des premiers partis politiques japonais. Il finira assassiné par un nationaliste coréen alors qu'il était Résident général en Corée. Sa mort conduira d'ailleurs, en 1910, à l'annexion totale de l'empire coréen par le Japon.
Inoue Kaoru, lui, était comte. Issu d'une famille de samouraïs de bas-rang, il nait en 1836 à Hagi et effectue sa scolarité à l'école de Meirinkan du domaine de Chosu avec son frère Ikutaro. Il était tout jeune déjà ami avec Hirobumi Ito et participera au mouvement philosophique Sonno Joi. A partir de 1853, durant la période du Bakumatsu, il devient meneur d'un mouvement hostile aux étrangers dans son domaine natal de Chosu, tout en reconnaissant que le Japon doit aussi apprendre de l'Occident. Ce qui explique son départ vers le Royaume-Uni. De retour au Japon, il combattra les forces shogunales de Tokugawa lors de la première expédition de Chosu en 1864, puis jouera un rôle crucial dans la formation de l'alliance Satcho (alliance militaire secrète entre le Chosu et Satsuma, formée en 1866, dans le but de renverser le bakufu des Tokugawa) contre le shogunat. Après la restauration Meiji, il participera au gouvernement à travers différents postes à responsabilité. Il deviendra entre autre le premier ministre des Affaires étrangères japonais en décembre 1885, après avoir été élevé au rang de comte un an auparavant. Il fera d'ailleurs partie du premier gouvernement d'Hirobumi Ito. Il mourra à l'âge de 79 ans dans sa résidence d'été en 1915.
Inoue Masaru, lui, nait le 25 août 1843 à Hagi et a pour père un samouraï. Il entre à 15 ans à l'académie navale de Nagasaki du shogunat Tokugawa et étudie auprès d'un officier naval néerlandais. Comme ses petits camarades, il est choisi par le domaine de Chosu pour partir en Europe en 1863. Il étudiera ainsi le génie civil et minier à l'université londonienne avant de regagner son pays cinq ans plus tard. Il travaille alors pour le gouvernement Meiji en tant qu'officier technique dans l'industrie minière, puis est nommé directeur du conseil des chemins de fer en 1871. Ce qui fait de lui en quelque sorte le «père du réseau ferroviaire nippon». Il jouera en effet un rôle important dans la construction et l'aménagement du futur réseau, en construisant par exemple la voie du Nakasendo (reliant Tokyo à Kyoto par l'intérieur des terres), puis en sélectionnant des voies alternatives (comme celle du Tokaido qui constitue l'axe côtier Tokyo, Kyoto, Osaka, Kobé) et en proposant de futures nouvelles lignes. Inoue Masaru fondera également la première fabrique de locomotives du pays en en devient son premier président en 1896. En 1909, il sera nommé président de l'association impériale des chemins de fer. Il décède un an plus tard, lors d'un voyage officiel au nom des chemins de fer japonais. Sa tombe se trouve désormais sur un lopin de terre triangulaire à l'intersection des lignes Yamanote et Shinkansen Tokaido, à Kita-Shinagawa. Un clin d'œil à l'homme qui aura tant fait pour le train dans ce pays!
Endo Kinsuke, lui, naquit à Kochi (au sud de l'île de Shikoku) le 31 mars 1836. Lui aussi était issu d'une famille de samouraï du domaine de Chosu. Parti avec ses quatre autres compagnons de voyage, il rentrera au Japon en 1866 peu de temps avant la guerre des Boshin. Endo, ainsi qu'Inoue serviront d'interprète à Harry Smith Parkes alors ambassadeur du Royaume-Uni au Japon et en visite au domaine de Chosu cette même année. Après la restauration Meiji, Endo Kinsuke deviendra le dirigeant du yen, la nouvelle monnaie du Japon, à Osaka entre 1881 et 1883. Son acharnement à établir une monnaie unifiée sera reconnu à l'échelle nationale tout comme sa politique de porte ouverte de la Monnaie au printemps lors de la floraison des cerisiers. Il décèdera à l'âge de 57 ans.
Yamao Yozo notre dernier des cinq, est né au domaine de Chozu , plus exactement à Aio-Futajima, le 11 novembre 1829, et reçoit très vite la formation traditionnelle de samouraï dans une école privée d'Edo. Tout comme les quatre autres, Yamao Yozo effectuera ses études à l'Université de Londres mais résidera ensuite à Glascow de 1866 à 1868. Durant ce temps, il travaillera au chantier naval de l'ingénieur Robert Hapier sur le fleuve Clyde. Et suivra également des cours du soir. C'est là qu'il rencontrera Henry Dyer qui deviendra conseiller étranger au Japon. Yamao rejoindra bientôt le nouveau gouvernement Meiji et dirigera brièvement les chantiers navals de Yokohama. Puis deviendra vice-ministre des Travaux publics tout en devenant ainsi le fondateur de l'école impériale d'ingénieurs du Japon. Il s'avérera être un fervent partisan de la nécessité d'une éducation technique afin de soutenir l'industrialisation du pays. Il recevra plus tard le titre de Vicomte selon le système de pairie Kazoku.
Ces cinq de Chosu seront les premiers étudiants japonais à rejoindre clandestinement le Royaume-Uni en 1863 pour y étudier. Deux ans plus tard, les étudiants de Satsuma les suivront puis en 1866, les étudiants du shogunat. Nos cinq jeunes gens furent donc les pionniers d'une expérience enrichissante pour le Japon puisqu'on peut constater qu'ils exercèrent tous de hautes fonctions au sein du gouvernement Meiji, et participèrent très efficacement au développement nouveau du pays.