Samedi 28 juin 2014
Pas de fête locale ni d'évènement particulier à couvrir cette fois alors que je me trouve à Osaka. Il y a par contre une fleur qui fleurit habituellement en juin : l'hortensia hydrangea. Cet arbuste, qui contient plusieurs espèces, fut pour la première fois appelé de la sorte par le botaniste néerlandais Jan Frederik Gronovius qui désignait ainsi une plante nord-américaine avec de petites fleurs blanches. Carl Von Linné adopta plus tard le terme pour créer le genre hydrangea qu'il limita à la seule espèce hydrangea arborescens, un arbuste de l'Est de l'Amérique du Nord. Mis à part cet arbuste qui croit en Amérique, la plupart d'entre eux est originaire d'Asie orientale. La Chine possède par exemple 33 espèces d'hydrangea indigènes mais la plus répandue est l'hydrangea macrophylla, qui est originaire du Japon.
Les premières descriptions en langues occidentales des hydrangéas asiatiques nous viennent du médecin allemand Engelbert Kaempfer, qui se rendit à Nagasaki (Japon) entre 1690 et 1692, seule ville alors ouverte aux étrangers. Ce médecin y décrit quelques plantes locales dont font partie les hydrangéas, sous leurs noms vernaculaires, de Sijo, vulgo Adsai, Ansai, Adsikii. Cette description est reprise par le naturaliste suédois Thunberg, en 1784. Elève de Linné, celui-ci eut aussi la chance de pouvoir travailler comme chirurgien à Nagasaki entre 1775 et 1776.
Cependant, on doit le nom d'hortensia à un autre naturaliste voyageur : Philippe Commerson. Après avoir accompagné Bougainville en tant que naturaliste, dans son voyage autour du monde, celui-ci s'installa aux Mascareignes. Il y passera les quatre dernières années de son existence à herboriser dans l'île de France (Maurice), Madagascar et l'île Bourbon (La Réunion). Le printemps 1771 lui permettra de découvrir l'hydrangea macrophylla, qu'il appellera Peautia coelestina, en hommage à Madame Lepaute, une amie astronome, qui ne se prénomme pourtant pas Hortense (Peautia renvoie à Lepaute et coelestina, à l'astronomie). Qu'à cela ne tienne ! La fleur recevra malgré tout le nom d'hortensia (sachant que Nicole-Reine Lepaute se faisait semble t-il appeler Hortense dans l'intimité).
Les hydrangéas sont des plantes arbustes (qui ont une taille variant de 50 cm à...plusieurs mètres) ou des plantes grimpantes. Il existe deux types de fleurs, les grandes fleurs décoratives dites stériles et de plus petites fleurs. Le fruit est une capsule avec des graines très petites (de 1 à 2 mm). La plante hydrangea macrophylla Seringe, d'origine japonaise, est cultivée comme plante ornementale dans de nombreuses régions du monde. Les travaux pionniers sur la flore nippone se poursuivront au Japon avec le médecin naturaliste Siebold. Lors de son séjour à Nagasaki, de 1823 à 1829, celui-ci rassemble un grand nombre de plantes. Puis publie en 1829 la description d'une plante cultivée localement qu'il nommera Hydrangea hortensia Siebold. Un second séjour au Japon de 1859 à 1862, de ce même Siebold, permettra l'envoi de nombreuses plantes vers l'Europe. Plantes qui furent multipliées dans ses serres de Leyde avant d'être distribuées dans plusieurs jardins botaniques du continent. Parmi elles, on trouvera l'hydrangea macrophylla surnommé Otaksa (d'après le nom de l'épouse japonaise de Siebold, qui s'appelait Sonogi Kusumoti, ou Otaki).
L'hortensia est non seulement une plante ornementale mais peut aussi offrir l'occasion de fumer un « joint ». Ses feuilles et ses pétales séchés, puis roulés, permettraient à celui qui les fumerait, de ressentir un plaisir éphémère, entrainant des effets hallucinogènes et euphorisants. Le Professeur en pharmacologie suisse Kurt Hostettmann, indique même que, selon les doses, l'effet ressenti serait proche de celui induit par le THC (tétrahydrocannabinol, molécule le plus connue du cannabis). Il précise enfin qu'il déconseille l'utilisation de cette plante à cause de ses effets secondaires qui pourraient même entrainer la mort (troubles gastro-intestinaux, problèmes respiratoires, accélération du rythme cardiaque, étourdissements voire étouffements). Mieux vaut encore faire comme les antinucléaires japonais et n'utiliser l'hortensia qu'en tant que symbole du mouvement antinucléaire, suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima. D'autant plus qu'on a l'embarras du choix avec les 73 espèces de cette fleur, réparties principalement en Asie orientale, puis en Asie du sud-est et en Amérique. Les Japonais utilisent aussi l'hortensia en infusion : l'Amacha est en effet obtenu à partir de feuilles écrasées et fermentées d'hortensia originaire du Japon. Ce « thé » contient du tanin et de la phyllodulcine (édulcorant près de 400-800 fois plus sucrant que le sucre, d'où le nom d'amacha qui signifie « thé sucré »),mais pas de caféine. L'infusion aurait des capacités médicinales, en tant que produit antiallergique naturel, et un moyen de défense contre la parodontite (inflammation des tissus de soutien des dents, comme la gencive, l'os alvéolaire...). Ce thé à base d'hortensia, est surtout utilisé le 8 avril, lors des messes Kanbutsue , fête célébrant l’anniversaire de Bouddha dans le bouddhisme japonais. Les enfants s'en abreuvent pour l'occasion.
Au Japon, l'hortensia sert aussi de symboles à plusieurs villes : par exemple, Fukui (capitale de la préfecture du même nom, dans la région du Chubu) a pour symbole le pin et ...l'hortensia. Si vous passez par là, arrêtez-vous aux ruines du château des daimyos de la Province d'Echizen, le long de la rivière Asuwa et sur les ruines de la propriété de la famille Ichijodani Asakura. Sagamihara (Préfecture de Kanagawa, près de Tokyo) a, elle aussi pour symbole le zelcova du Japon et...l'hortensia. Ou encore Mizuho, une ville située dans la Préfecture de Gifu, et qui a pour symbole le sakura...et l'hortensia. Dans un autre domaine, que dire d'Yvette Giraud, chanteuse française surtout connue des anciennes générations, et qui effectua la majeure partie de sa carrière au Japon ? Destinée à une carrière de chanteuse lyrique grâce à sa voix grave, elle sera recrutée à 23 ans, en 1945, pour les besoins du Théâtre aux Armées des Forces armées britanniques. C'est là qu'elle rencontrera son imprésario et le parolier Jacques Plantes (çà ne s'invente pas), lequel lui écrira la fameuse chanson Mademoiselle Hortensia, un titre qui deviendra sa mascotte. On la surnommera d'ailleurs souvent Mademoiselle Hortensia au Japon, où elle sera reconnue en tant qu'ambassadrice de la chanson française. La chanteuse se produira dans ce pays à trente-cinq reprises, à partir de 1955. Le 14 février de cette même année, elle recevra des mains de l'empereur du Japon l'Ordre de la Couronne précieuse Wistaria. Pour les Japonais, c'est Yvette Giraud qui aura le mieux représenté la France, contribuant ainsi à la renaissance des relations culturelles entre nos deux pays. Une autre chanson, Trente ans, exprimera l'amour qu'Yvette Giraud portait à ses admirateurs nippons. Elle publiera même à leur attention un livre de recettes faciles à réaliser.
Comme quoi, cette fleur que j'admire aujourd'hui à Osaka est plus qu'une simple plante. En cette fin juin, j'ai choisi de me rendre au sanctuaire Ikasuri (première photo ci-dessous), qui abrite des hortensias. On le surnomme également Zama-san. Le lieu vénère un ancien dieu protégeant le foyer, mais aussi les voyageurs. Ce sanctuaire aurait été bâti à l'époque où l'impératrice Jingu aurait béni le dieu Ikasuri à l'embouchure du fleuve Yodo. Selon le grand livre Engishiki, Hideyoshi Toyotomi aurait déplacé le dit sanctuaire du dieu gardien de Settsu Nishinari-gun (qui se trouvait autrefois sur le versant sud du pont Watanabe autour de Temmabashi) jusqu'à son emplacement actuel, afin de permettre la construction du château d'Osaka. A partir de ce moment, artistes et marchands affluèrent et permirent à la région de prospérer. Ainsi se développa le commerce de la céramique. Le sanctuaire Ikasuri a d'ailleurs pour voisin un plus petit sanctuaire appelé Toki (qui signifie céramique), en photo ci-dessous (deuxième photo). Ce dernier a sa fête, chaque année le 23 juillet, une fête aussi populaire que le Festival de Jizo. Le petit sanctuaire était, dit-on, autrefois dédié au Shogun Jizo du Mont Atago, reconnu et vénéré en tant que dieu protégeant (plus particulièrement les potiers) du feu. Ce dieu fut d'abord consacré à Utsubo-minami street 1-chome, avant d'être déplacé au sanctuaire Ikasuri (Zama) en 1907 pour permettre la construction d'une ligne de chemin de fer. La tradition prétend que l'eau d'une gourde peut empêcher le feu. Lors de la fête du sanctuaire, on sait qu'il était de coutume d'offrir aux pèlerins une gourde en céramique accompagnée de charmes emballés dans des feuilles de bambou et supposés protéger du feu. On pouvait autrefois voir plus de 200 échoppes de céramiques, depuis la rue Sujichigaibashi, au nord, jusqu'à la rue Yotsubashi, plus au sud. Le petit sanctuaire fut endommagé durant la guerre de 1945 et fut rebâti sur l'avenue Yokaborihama tandis que la fête Seto mono-matsuri (fête de la vaisselle) était remise au goût du jour dès juin 1951. Le sanctuaire Toki devra à nouveau déménager vingt ans plus tard pour laisser place à l'autoroute Hanshin. Une nouvelle construction prit place à l'endroit actuel, grâce aux dons des pèlerins et de céramistes du monde entier. C'est dire si un simple hortensia peut conduire à de belles découvertes...
INFOS PRATIQUES :
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Sanctuaire Ikasuri, Osaka-shi, Chouo-ku, Kyoutaru machi 4-chome, à Osaka. Tel : 06 6251 4792. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h30. A 2 minutes de marche de la station de métro Honmachi (Ligne Midosuji). Emprunter la sortie 15.
Site internet (en japonais) : http://www.ikasuri.or.jp/
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Sanctuaire Toki, à l'intérieur de l'enceinte du sanctuaire Ikasuri, Watanabe 3, Kyutaro-cho 4 Chome, Chuo-ku, Osaka. Fête du sanctuaire du 21 au 23 juillet : informations disponibles au 06 6532 4393. Site internet : http://www.toziki-osaka.jp/