Vendredi 26 septembre 2014
C'est une belle journée qui s'annonce et j'ai décidé de m'évader de Yamagata pour me rendre à Yonezawa, une petite ville de la Préfecture de Yamagata, située sur la ligne de shinkansen. J'emprunterai donc le Tsubasa (ci-dessous) qui me déposera sur place, trente minutes plus tard. Ce train, surnommé « l'aile » (en japonais, tsubasa) a été développé par Japan Railways pour desservir la région du Tohoku et de Yamagata. Il fut mis en place en 1992 mais seules les rames de shinkansen E3, plus courtes, continuent sur la ligne de Yamagata, pour des raisons de gabarit. En effet, deux rames sont couplées au départ de Tokyo et se séparent en gare de Fukushima, l'autre rame partant en direction de Shin-Aomori.
Yonesawa est réputée non seulement pour ses pommes mais aussi pour son bœuf, que je dégusterai à l'heure de midi (ci-dessous). La carpe fait aussi partie des repas locaux. Fondée le 1er avril 1889, cette ville, jadis fortifiée, servit de résidence à Yozan Uesugi. Au commencement, Yonezawa sera conduite par le clan Date durant 212 ans. Cette lignée de daïmios contrôlait une partie du nord du pays à la fin du XVI è siècle sous la période Edo. Son membre le plus célèbre reste Masamune Date qui établit le pouvoir de la famille en vengeant la mort de son frère. Comme tous les autres, le clan Date tentera d'unifier le Japon durant la période Sengoku, et réussira d'ailleurs à résister aux invasions des grands seigneurs de guerre comme Nobunaga Oda, Kenshin Uesugi ou Hideyoshi Toyotomi. C'est Masamume Date qui parviendra à tisser des alliances avec d'autres clans du nord. Puis, le clan Uesugi prendra la tête de la cité pendant 272 ans. Cette famille de daïmios du Japon était connue pour son influence durant les périodes Muromachi et Sengoku. Descendante des Fujiwara, elle est divisée en trois branches : Ogigayatsu, Inukake et Yamanouchi Uesugi. Le clan est surtout connu grâce à Kenshin Uesugi, l'un des daïmios les plus puissants de son époque. Seigneur de guerre japonais, il dirigera la province d'Echigo durant la période Sengoku, et s'illustrera pour ses prouesses sur les champs de bataille. Son excellente expertise militaire et stratégique, ainsi que sa foi en Bishamonten, le dieu de la Guerre, lui portera chance, bien qu'il fut un alcoolique notoire. Il reste le Lord fondateur de Yonezawa du clan Uesugi. C'est lui qui vaincra Takeda Shingen lors de la bataille de Kawanakajima (bataille dont je vous ai déjà parlé lors de mon voyage à Nagano).
L'histoire de la ville passe aussi par Uesugi Kagekatsu, premier lord du domaine de Yonezawa. Fils adoptif de Uesugi Kenshin, celui-ci reçoit en 1598 le domaine de Aïzu, qui vaut à l'époque 1,2 million de koku. Après sa défaite lors de la bataille de Sekigahara en 1600, son domaine ne vaudra plus que 300000 koku. Uesugi Kagekatsu sera alors contraint de rentrer à Yonezawa un an plus tard, en 1601. Jusqu'à sa disparition à l'âge de 69 ans, notre lord aura vu le pays passer de la guerre à la paix durable grâce au shogunat Tokugawa.
Naoe Kanetsugu, lui aussi, joua un rôle important pour Yonezawa, puisqu'il en construisit les fondations. Dévoué à son lord et aux habitants, Naoe Kanetsugu n'aura de cesse de travailler à la modernisation de la ville, après la diminution du domaine à la suite de la bataille de Sekigahara. Il mourra à l'âge de 60 ans.
Je pars à pied de la gare après être monté au premier étage, à la boutique de souvenirs. Là, des poupées de toutes sortes (poupées Kokeshi, Tori, Sagara) m'attendent (ci-dessous). Elles font partie de l'artisanat local, tout comme les toupies (koma). Les employées qui me reçoivent m'autorisent très gentiment à photographier ces objets. Je prends ensuite la direction de la rivière Matsukawa pour aller visiter le sanctuaire Uesugi. Il y a peu d'indications et celles-ci sont rédigées en japonais. Pas sûr de moi, je m'adresse à une vieille dame qui me dit ne pas connaître l'endroit. D'un air méfiant, une autre petite vieille m'évite. Il me faudra rencontrer une jeune fille, plus ouverte vis à vis des étrangers, pour me confirmer que le chemin parcouru est le bon. On est vraiment dans le Tohoku, et mieux vaut posséder quelques rudiments de la langue pour s'y aventurer, ou bien...s'armer de patience.
Le vieux château n'existe plus. Seule demeure une enceinte fortifiée entourée de douves où les carpes prennent du bon temps. Je franchis bientôt le pont Maizuru, après m'être arrêté quelques centaines de mètres avant pour photographier le sanctuaire Matsugasaki (ci-dessous). Des hommes s'affairent pour préparer la fête annuelle qui se tiendra ce weekend. Des dizaines de stands sont dressés en face du musée Uesugi où je me rendrai tout à l'heure. Quant au sanctuaire Matsugasaki, il honore la mémoire de six personnages notables historiques de la ville, y compris Uesugi Yozan, en photo ci-dessous (celui-ci sera le 9è Lord du domaine de Yonezawa) qui prendra la tête de Yonezawa dès l'âge de 17 ans, parvenant à développer la cité économiquement et à y installer durablement la prospérité. Il prendra sa retraite à l'âge de ….35 ans et mourra à 72 ans. L'ancien Président américain Kennedy dira de lui qu'il fut un brillant politique. Avant son départ, le personnage dispensera d'ailleurs à son successeur quelques conseils de bonne gestion, tirés du « Denkoku-no-Ji » : « l'Etat est hérité des ancêtres et transmis à ses descendants, il ne doit pas être administré égoïstement. Les gens appartiennent à l'Etat, ils ne doivent être administrés égoïstement. Le seigneur existe pour le bien de l'Etat et du peuple : l'Etat et le peuple n'existent pas pour le bien du seigneur ». Qu'on se le dise ! Son vrai nom est Uesugi Harunori (Yozan n'étant qu'un nom de plume qu'il adoptera après sa retraite), notre lord nait à Edo et est le deuxième fils d'un daimyo du clan Akizuki, tandis que sa mère est une petite fille du quatrième chef de Yonezawa. Il arrive à 16 ans dans la région de Yonezawa en provenance d'un petit fief du sud de Kyushu, et est alors un fils adoptif du clan Uesugi. Ses réformes financières feront date dans la gestion du domaine. Lorsque notre lord reprend le domaine, cela fait un siècle que Yonezawa est endetté. Sans ménagement, Uesugi Harunori introduit de strictes mesures disciplinaires, et condamne à mort les conseillers (karo) qui s'opposent à ses plans. La ville retrouve alors une certaine prospérité et ne souffrira que très peu de la famine qui touchera le pays au cours de l'ère Tenmei. Les Uesugi conserveront par exemple tous leurs serviteurs mais baisseront drastiquement leurs salaires. Le lord lui-même réduit son train de vie, portant des vêtements de coton (au lieu de la soie) et se nourrit simplement (un bol de soupe et des légumes composent son repas). Il réduit aussi son allocation de subsistance de 1500 ryo (ancienne unité de monnaie japonaise avant le yen) à 209 ryo, et celles de ses servantes de 50 à...9. Il encourage le développement de nouvelles industries comme le tissage, la poterie et la papier mais soutien également les entreprises existantes (paraffine, soie grège et lin). Une bonne éducation fournissant de brillants sujets, Uesugi Harunori fait rouvrir l'ancienne école du clan (qui avait été fermée pour des raisons financières) et invite des lettrés d'Edo à enseigner dans son domaine. Il crée une école de médecine pour enseigner les dernières connaissances médicales hollandaises. Il mobilise samouraïs et serviteurs afin de creuser des fossés d'irrigation et de réparer les digues, dans le but d'approvisionner suffisamment les rizières avec l'eau des montagnes environnantes. Il simplifie les tâches administratives et promeut les fonctionnaires au mérite et non par classe. Il élimine enfin le gaspillage et simplifie les charges publiques. La dette totale du domaine de Yonezawa qui était de 200000 ryos à son arrivée, est entièrement remboursée en 1823. Et Yonezawa d'être déclaré par le shogunat être un parangon de domaine bien gouverné dès 1830.
La famille Uesugi possédait son propre sanctuaire (ci-dessous) et le Keishoden (deuxième photo ci-dessous), musée des trésors du même sanctuaire, qui rassemble plus de mille objets ayant appartenu à la famille et des effets personnels de Uesugi Kenshin. Il est bien entendu interdit de prendre des photos à l'intérieur. Quant au sanctuaire, il fut dédié à Uesugi Kenshin et est situé sur le site de l'ancien château. Ce sanctuaire, construit sous l'ère Meiji, brulera en 1919 (lors du grand incendie de Yonezawa) et sera rebâti par un architecte local, le Dr Chuta.
Non loin de là, se trouve le musée Uesugi. Celui-ci permet de découvrir l'histoire et la culture de Yonezawa et de la famille Uesugi. Il est par contre dommage que toutes les informations soient en japonais. On peut ainsi apprendre ce qu'était le clan Uesugi ainsi que le fief de Yonezawa pendant la période Edo. Les fouilles archéologiques de l'ancien château sont aussi présentées. On nous explique enfin les efforts considérables fournis par Uesugi Kenshin afin d'assainir les finances de la ville. Il est un trésor à ne pas manquer : le paravent Rakutyu-Rakugai-zu-Byobu (ci-dessous). Ce trésor national dépeint des scènes qui se passent à l'intérieur et à l'extérieur de Kyoto, ville passée sous la coupe du clan Uesugi. Ces panneaux qui furent présentés à Uesugi Kenshin en 1574 par Oda Nobunaga, étaient détenus par le clan Uesugi. Ils sont l'oeuvre du peintre, Kano Eitoku, le meilleur peintre des périodes Muromachi et Azuchi-Momoyama. Cette peinture qui décrit les gens de Kyoto à la fin de la période Muromachi (milieu du XVIè siècle), avec leurs habitudes, constitue un chef-d'oeuvre de l'art nippon.
Un petit tour au Uesugi Memorial Hall (ci-dessous) avant de m'en retourner à la gare. Ce magnifique bâtiment posé au milieu d'un jardin tout aussi remarquable, fut la résidence de Uesugi Mochinori. Il fut bâti en 1896, pour le 14è Lord de la famille Uesugi, tout près des ruines de l'ancien château de Yonezawa. Un incendie détruira la construction en 1919 (lors du grand incendie de Yonezawa) mais l'ensemble sera rebâti en mai 1925. Désormais classé comme bien culturel important, on peut de nos jours y déguster une cuisine traditionnelle tout en admirant le superbe jardin. Le comte Uesugi Mochinori fut à la fois un samouraï japonais et le dernier daïmio du domaine de Yonezawa. Pendant l'ère Meiji, il deviendra homme politique et gouvernera brièvement la préfecture d'Okinawa. Descendant direct du célèbre Uesugi Kenshin, Mochinori nait en 1844, de Narinori, son père, qui se retirera après la guerre de Boshin, laissant la place à Mochinori, en tant que seigneur de Yonezawa. Mais Mochinori n'occupera cette fonction que durant deux années. L'un de ses derniers actes en tant que gouverneur sera de distribuer à ses serviteurs 100000 ryos de pièces d'or provenant du trésor du domaine. En 1871, Mochinori part s'installer à Tokyo avant de partir pour le Royaume-Uni où il fera des études. Son passage en tant que gouverneur à Okinawa (jusqu'en 1883) sera pour lui l'occasion d'ouvrir de nombreuses écoles primaires et de créer un système de bourse afin de permettre aux écoliers d'aller étudier à la capitale. A son retour d'Okinawa, il deviendra membre du conseil des Anciens (Genroin), puis sera élevé au rang de comte en 1884. De retour à Yonezawa en 1896, il mourra en 1919. L'astronome Uesugi Kuninori est son arrière-petit-fils
INFOS PRATIQUES :
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Site de la ville de Yonezawa : http://www.city.yonezawa.yamagata.jp/
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Site de l'office du tourisme à la gare de Yonezawa, 1-1-43 Ekimae, Yonezawa-shi. Tel:0238 24 2965. Les employées ne pratiquent que le japonais. Par contre, il existe le « Yonezawa Guide Book » qui permet d'organiser sa visite.
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Boutique de souvenirs ASUKU, au premier étage de la gare (en haut de l'escalier), ouverte tous les jours, de 8h00 à 18h00. CB acceptées.
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Keishoden, 1 Marunouchi Yonezawa. Tel : 0238 22 3189. Ouvert tous les jours de 9h00 à 16h00. Entrée : 400 yens.
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Musée Uesugi, 1-2-1 Marunouchi, Yonezawa. Tel:0238 26 8001. Ouvert de 9h00 à 17h00. Entrée : 410 yens. Site internet :http://www.denkoku-no-mori.yonezawa.yamagata.jp/