Vendredi 3 octobre 2014
Depuis Sendai, j'emprunte à nouveau le Shinkansen et je descend à Koriyama, où m'attend le Aizu Liner (ci-dessous en photo) qui va me conduire jusqu'à ma prochaine étape : Aïzu-Wakamatsu. Cette petite ville située à l'intérieur des terres du Tohoku, dans la préfecture de Fukushima, semble un peu à l'écart du brouhaha des grandes cités. Elle fut bâtie autour de son château, le château de Tsuruga.
J'ai hâte de découvrir à quoi celui-ci ressemble. On le doit à un certain Naomori Ashina qui débuta sa construction en 1384, en érigeant le Higashi Kurokawa Yakata (lui-même rebâti plus tard par Moriuji Ashina, pour donner la bâtisse actuelle). En 1591, le château bâti par Uijisato Gamo posséda d'abord sept étages. Ujisato Gamo était non seulement un grand lord féodal, et un daïmio chrétien mais aussi un maitre du thé, et l'un des disciples de la famille de Rikyu Sen. Cette année-là, lorsque le shogun Toyotomi Hideyoshi ordonna de tuer Sen Rikyu pour trahison, Ujisato Gamo invita son deuxième fils, Shoan Sen, à Aïzu et le mit à l'abri pour préserver sa famille...et son savoir-faire en matière de thé. C'est Ujisato Gamo qui nommera ce château Tsuruga-jo pour la première fois. Et c'est durant la présence de la famille Sen dans ce château que sera construit le Rinkaku (maison de thé) à l'intérieur de l'enceinte fortifiée. Un gros tremblement de terre endommagera l'ensemble en 1611, et il reviendra à Akinari Kato de le restaurer, avec seulement cinq étages. Nous sommes alors en 1639. En 1868, débute la guerre de Boshin, opposant les shoguns progressistes alliés à l'empereur au shogun de Tokugawa et ses alliés plus conservateurs. Le château est alors attaqué sans ménagement par les troupes du nouveau gouvernement issu de la Restauration Meiji. La forteresse sera finalement démolie en 1874. Les ruines du château furent déclarées site historique national en 1934 et le château visible aujourd'hui fut construit en 1965 avec l'aide des habitants de la ville.
Construit il y a environ 600 ans, la château Tsuruga (ci-dessous) bénéficiait d'un positionnement central pour contrôler l'est du pays. On compta de nombreux généraux venus du Japon entier qui dirigèrent cette région.La tour de l'actuel château fut achevée au bout de 400 ans. Le lord ne vivait généralement pas à cet endroit mais utilisait cette tour pour donner ses ordres et diriger la bataille lors des guerres. Comme il y a 140 ans, durant la guerre de Boshin. Cette même guerre qui mit fin à l'ère des samouraïs alors nombreux à Aïzu. Il nous reste désormais un certain nombre de documents dont la photo ci-dessous (deuxième photo) montrant le château avant sa destruction en 1874, qui aurait été prise par un Français. Sur la façade sud-ouest on trouve la porte principale de la forteresse, appelée Kuroganemon. Le regroupement de bâtiments sur la face sud du hall d'entrée était appelé Omote Goten. L'endroit accueillait serviteurs et invités. Selon leur étiquette, et le but de leur visite, certains visiteurs se rendaient au Oshoin (endroit spacieux où lords et serviteurs discutaient des affaires d'Etat) et au Koshoin (endroit où l'on recevait les visiteurs de haut rang), pour finalement atteindre le Kinnoma (divisé en trois parties, ce lieu luxueux était doré à l'or fin et possédait un décor d'un goût exquis). De là, on conduisait ensuite les invités jusqu'à la maison de thé dont je vous ai parlé plus haut.
La partie centrale du Honmaru Goten s'appelait le Nakaoku et était l'endroit où les lords conduisaient leurs affaires quotidiennes. On y décidait aussi des intérêts du clan Aïzu. Le terrain côté nord était surnommé le Oku et accueillait la famille du lord féodal. Et, plus au nord, se trouvait Nagatsubone, l'endroit où patientaient les personnes qui attendaient le lord. Quant à la tour du château (Tenshukaku) et au bâtiment appelé Hashirinagaya (troisième photo) situé sur la façade ouest, ils jouèrent un rôle important lors des batailles, ce qui ne fut pas le cas durant la période Edo semble t-il, où l'on utilisait davantage ce lieu comme entrepôt.
Un autre lieu attise ma curiosité : l'ancienne école des samouraïs Nishin-Kan. Mais nous y reviendrons. Aïzu-Wakamatsu était traditionnellement une ville de samouraïs. Ville qui jouera un rôle important sous le gouvernement Yamato durant le IV è siècle. Différents lords féodaux gérèrent ensuite la cité, mettant à profit sa position stratégique à l'entrée du Tohoku. Le Clan Aïzu offrit à la ville 225 années de stabilité à partir de 1643 lorsque la famille Matsudaïra accéda à la gouvernance, c'est à dire jusqu'à 1868, date de la guerre de Boshin. En 1899, Aïzu-Wakamatsu devint une municipalité sous l'ère Meiji, et la première ville de la Préfecture de Fukushima. L'histoire de la cité est riche et a ses hommes célèbres : Gamo Ujisato, lord puissant de la période Sengoku, qui reçut la gouvernance de la ville de Toyotomi Hideyoshi. Il mit son pouvoir à profit pour améliorer le château de Tsuruga, promut la production de saké et la production d'objets en bois laqué. Bref, il posa les bases d'un futur développement. Vint ensuite Sen no Shoan, fils de Sen no Rikyu, le célèbre maitre de thé. Après que Rikyu se fut suicidé (par seppuku) sur l'ordre de Toyotomi Hideyoshi, Gamo Ujisato accueillit son fils et c'est à Sen no Shoan qu'on doit encore l'école Sen de la cérémonie du thé. A partir de 1611, Hoshina Mayasuki prend le pouvoir à Aïzu-Wakamatsu. Demi-frère de Iemitsu, troisième shogun du règne Tokugawa, il fut adopté par la famille Hoshina qui dirigeait alors le fief de Takato à Shinshu. On le connait surtout comme le premier daïmio du clan Aïzu. En 1835, Matsudaira Katamori devient le neuvième et dernier daïmio du clan Aïzu. Il restera loyal au shogunat Tokugawa jusqu'à sa fin. Et se battit avec ses alliés contre les forces anti-shogunales lors de la guerre de Boshin. Il passera les dernières années de son existence comme chef prieur au sanctuaire de Toshogu (Nikko). 1876 vit l'arrivée de Noguchi Hideyo, le plus célèbre scientifique que cette ville ait connu. Titulaire d'un prix Nobel en bactériologie, on parle encore aujourd'hui de ses découvertes.
A l'époque, pour être en mesure de suivre le bushido de façon stricte et de s’imprégner complètement de la philosophie du guerrier, le samouraï doit commencer son éducation dès le plus jeune âge. Durant la Période Edo, le Japon disposait de plus de 300 écoles de samouraïs mais Nisshin-Kan était, dit-on, la meilleure compte tenu d'une part, du contenu de ses cours, et d'autre part, des matériels utilisés par ses élèves. Sous le règne du cinquième lord féodal, Katanobu Matsudaira, le serviteur en chef Harunaka Tanaka suggéra qu'un effort particulier soit fait pour inculquer des valeurs éducatives aux jeunes. Cinq ans plus tard, on construisait l'école Nisshin-Kan, en 1803, et à l'est du château de Tsuruga. Tous les élèves y étudiaient durement (y compris les jeunes garçons du Byakkotai qui se suicidèrent avec leurs sabres) et adhéraient pleinement au précepte de l'établissement : Naranu koto wa naranu mono desu (ne pas faire ce qui n'est pas autorisé de faire) On déplora l'incendie de cette ancienne école durant la guerre de Boshin, qui fut reconstruite entièrement en 1987.
Les jeunes gens futurs samouraïs se devaient de suivre scrupuleusement les règles suivantes : Faire ce que les plus âgés disent de faire, saluer les plus âgés, ne pas dire de mensonges, ne pas se comporter de manière inélégante, ne pas brutaliser plus faible que soi, ne pas manger à l'extérieur et ne pas parler avec une femme à l'extérieur.
Dans le clan Aïzu, l'éducation des enfants commençait dès l'âge de 6 ans, juste avant leur entrée à Nisshin-Ka, à 10 ans. D'après le clan, ils devaient apprendre les bases de la vie des adultes en jouant avec leurs petits camarades et en parlant aux anciens. Ainsi se rejoignaient-ils par groupes de dix dans un même quartier. Voilà comment les enfants acquéraient le respect envers les personnes âgées, les bonnes manières, et naturellement le savoir.
Ci-dessus, on peut voir le Taisei-den qui est le sanctuaire dédié à Confucius. Durant la période Edo, le confucianisme occupa une place importante dans l'éducation des jeunes. Et les élèves de tous les clans, de l'étudier avec ardeur. Ce sanctuaire occupe le centre de l'école et on peut y trouver à l'intérieur les statues de Confucius (Ko-shi), Ganshi, Soushi, Moushi et Shishi-shi, ses disciples. A gauche de ce bâtiment, on aperçoit le Reishiki-kata, l'endroit où l'on enseignait les bonnes manières, aujourd'hui lieu d'exposition d'objets historiques et de documents anciens. A droite, se trouve le Daigaku. Près du Taisei-den, l'eau coule dans le jardin, cette eau de l'école (hansui) qui purifie les corps et calme les esprits. Un peu plus loin, de longs bâtiments servaient à l'enseignement des disciplines militaires (ci-dessous). Les élèves disposaient également de stands de tir au fusil et à l'arc. Lors de ma promenade, je suis entouré de groupes scolaires venus parfois d'autres villes assez éloignées d'Aïzu-Wakamatsu, avec leurs professeurs. Nous nous adressons des salutations mutuelles et j'apprécie beaucoup la politesse de ces jeunes gens. Certains d'entre eux assistent en groupes à des conférences organisées dans ces classes qui servaient autrefois aux futurs samouraïs. En face du Bukou, qui dispensait aux élèves l'art et la technique des équipements militaires, se trouve un bassin qui fut autrefois la première piscine du pays dans laquelle les élèves apprenaient à nager (deuxième photo ci-dessous)
J'ai aussi croisé la statue de Yamasaki Ansai, fils d'un docteur de Kyoto, qui fut élevé dans une célèbre école de Confucius. Invité par le lord féodal d'Aïzu, il enseignera le confucianisme à Nisshin-Kan aux élèves samouraïs et contribuera à améliorer le niveau de cette école par la qualité de son enseignement. Lors féodaux et samouraïs de haut-rang pénétraient dans l'école par la porte sud (celle qui sert de porte d'entrée pour le public) tandis que les élèves, eux, entraient par les portes est et ouest. Juste derrière cette porte s'élève la porte Geki-mon (ci-dessous) qui abritait l'esprit gardien de l'école. On y trouvait un gros tambour avec lequel on annonçait aux élèves l'heure de début et de fin des cours. L'inscription en haut de la porte, Kinsei Gyokushin, signifie « si vous franchissez cette porte et que vous travaillez dur, l'esprit gardien vous aidera à devenir sage et vertueux ». Plusieurs classes cohabitaient : les classes élémentaires (qui accueillaient les apprentis samouraïs à l'âge de dix ans pour leur apprendre à lire), les cours de calligraphie japonaise (pour les élèves dès 13 ans, qui y étudiaient chaque jour de dix heures à midi le « shodo »), les classes d'astronomie (matière optionnelle à Nisshin-Kan, mais qui permettait d'étudier l'univers à l'aide d'un télescope depuis l'observatoire astral), les cours de bonnes manières (les lois sociales des samouraïs étaient strictes et complexes et tant l'étiquette que la discipline comptaient beaucoup dans leur éducation) et les cours universitaires (les élèves diplômés du sodoku-sho pouvaient prétendre entrer à l’université s'ils étaient fils ainés d'un samouraï dont les revenus annuels étaient supérieurs à 500 kokus annuels (un koku valait 150 kilos de riz), ou bien s'ils avaient à la fois capacité et caractère. Ces cours universitaires consistaient en des groupes de recherches et de discussions.
Plus généralement, l'enfant destiné à devenir samouraï , d'abord et avant tout fils de samouraï, devait rejoindre l'un des trois groupes auquel il appartenait par l'âge. Le premier groupe réunissait des enfants de 6 à 10 ans, et se nommait Kochigo. Et leur enseignait les valeurs de base (loyauté, fidélité, fraternité...). Les journées étaient consacrées à la lecture, à divers apprentissages mais aussi aux jeux de plein air, destinés à développer l'esprit de compétitivité chez l'enfant. Dès six heures du matin, l'enfant était prêt à débuter sa journée. A onze ans, il rejoignait le second groupe, appelé osechigo. Il y restait jusqu'à ses quatorze ans. Les matinées étaient réservées aux disciplines intellectuelles et les après-midis, aux activités physiques. Le soir étant réservé aux études et à l’apprentissage de lectures par cœur. On les entrainait aussi parfois dehors, la nuit, afin de mesurer la façon dont ils géraient la peur. Les jeunes hommes de quinze à 25 ans rejoignaient le troisième groupe, appelé nise. On peaufinait alors l'éducation déjà reçue de manière à leur apprendre à servir leurs maitres le mieux possible.
Après cette visite fort instructive, je pars en direction du Mont Iimori, où se trouvent les 19 tombes (ci-dessus) de jeunes gens s'étant suicidés par seppuku lors de la guerre de Boshin. Agés de 16 à 17 ans, ces jeunes garçons avaient rejoint le Byakkotai, une sorte d'armée qui prendra part à cette guerre aux côtés du shogunat et de ceux qu'on appellera les derniers samouraïs après la fin du shogunat en 1868. Surnommé « Compagnie du Tigre blanc », le Byakkotai était constitué de 350 jeunes adolescents samouraïs du domaine d'Aïzu. Il représentait l'une des quatre unités militaires d'Aïzu , fondée pendant la modernisation de l'armée du domaine, après la bataille de Toba-Fushimi. Censé être une unité de réserve, le Byakkotai était subdivisé en six équipes de trois catégories : deux équipes de rang supérieur (shichu), deux équipes de rang moyen (yoriai) et deux équipes de bas rang (ashigaru). Vingt des membres du deuxième peloton de l'équipe Shichu furent coupés du reste de leur unité durant la bataille de Tonoguchihara et se réfugièrent sur la mont Iimori qui surplombait la ville fortifiée. De là-haut, ils crurent apercevoir le château en feu et imaginèrent les leurs et leur seigneur morts. Par désespoir, ils se firent seppuku (suicide par le sabre), sauf un seul qui se rata. Ces jeunes gens s'étaient pourtant trompés car les défenses du château n'étaient pas brisées et seule la ville autour de la citadelle était en flammes. Ces 19 membres du Byakkotai ainsi que le vingtième, blessé, furent découverts par une femme, appelée Hatsu, qui montait au sommet du mont le jour suivant. Le jeune homme blessé fut sauvé par un paysan tandis que les 19 autres restèrent au même endroit et sans sépultures et il faudra attendre, après la guerre, la permission du gouvernement impérial pour les enterrer. Le reste du Byakkotai continua de se battre lors de la bataille d'Aïzu, et plusieurs de ses membres contribuèrent à la défense du château. Beaucoup survécurent à la guerre de Boshin et deux d'entre eux tinrent des rôles importants pendant l'ère Meiji. Benito Mussolini entendit parler du Byakkotai et de ces 19 suicidés. En 1928, il offrit une colonne de Pompéi (ci-dessous) pour qu'elle soit érigée sur le mont Iimori tout près de leurs tombes. Cette colonne est toujours là, et est surmontée d'un aigle qui symbolise l'amitié et les sentiments réciproques entre l'Italie et le Japon.
Un peu plus bas, en redescendant vers la ville, je découvre un temple original : le temple Sazaedo (ci-dessous). Haut de 16,5 mètres, ce temple de trois étages est un temple bouddhiste hexagonal, bâti en 1796. Celui-ci possède un escalier à double révolution (ou escalier à double hélice), tout en bois (comme d’ailleurs le temple entier), comme le montre le schéma ci-dessous. Il s'agit de deux escaliers en un, imbriqués l'un dans l'autre sans jamais se croiser. Ce genre d'escalier a un avantage : il permet d'éviter les engorgements lors de trop grandes fréquentations. On monte naturellement par un premier escalier qu'on atteint par l'entrée du bâtiment puis, trois étages plus haut, on franchit le pont Taigo et l'on se retrouve sans même s'en rendre compte sur un autre escalier qui vous ramène en bas. Magique, non ? De nos jours, les objets religieux ne sont pas légion mais à l'époque, en 1796, trente-trois figures de Kannon Avalokitesvara ornaient le temple.
INFOS PRATIQUES :
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Un office de tourisme se trouve dans la gare JR d'Aïzu-Wakamatsu. Site internet : http://e.samurai-city.jp/
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Château Tsuruga, 1-1 Outemachi, Aïzu-Wakamatsu City. Tel:0242 27 4005. Entrée : 410 yens. Site internet : http://www.tsurugajo.com/language/eng/index.html
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Ecole de Samouraïs Nisshin-Kan du clan Aïzu, Kawahigashi-machi, Minamikoya. Tel:0242 75 2525.
Ouvert tous les jours de 9h00 à 16h00. Entrée : 620 yens. Pour vous y rendre, compter 20 minutes de taxi depuis la gare JR d'Aïzu-Wakamatsu (3000 yens). Site internet : http://www.nisshinkan.jp/
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Temple Sazaedo, Mont Iimori, ouvert de 8h15 au coucher du soleil. Entrée : 400 yens