Mardi 16 décembre 2014
Malgré mes incessants voyages au Japon, je ne suis toujours pas descendu dans un hôtel capsule, ces fameux caissons bon marché faits pour dormir et, théoriquement,que...pour dormir. Sur mon récent retour de Tokyo, je lisais un article sur l'un de ces hôtels qui était menacé de destruction, dans le quartier de Shibuya. Le concept est pourtant séduisant pour ceux qui n'ont qu'un faible budget à consacrer à une chambre d'hôtel (à condition toutefois de ne pas avoir trop de bagages!). Oui, mais, il y va des hôtels comme des être humains. Ils subissent les outrages du temps et les caissons de la Nagakin Capsule Tower vieillissent (ci-dessous en photo). Et dénotent de plus en plus dans le quartier d'affaires de Shimbashi. Cependant, l'un des propriétaires de cet hôtel, Masato Abe, veut pourtant empêcher la démolition de cet immeuble de 140 chambres avec hublots. Il est vrai que l'édifice fut dessiné en 1972 par l'architecte Kisho Kurokawa dans « l'esprit du métabolisme », un mouvement architectural des années 1960.
Kisho Kurokawa, qui était originaire de Nagoya était un architecte japonais et l'un des fondateurs de ce mouvement. Il a quitté cette terre il y a sept ans et ne sera donc pas de ce prochain combat. Il fera à l'époque connaissance avec l'architecture à l'Université de Tokyo, et obtiendra une maitrise en 1959, puis un doctorat en 1964, sous la direction de Kenzo Tange. Ce même Kenzo Tange, qui, avec Kisho Kurokawa, Kionori Kikutake et Norobu Kawazoe, fonderont le mouvement du métabolisme en 1960, lors de la World Design Conference de Tokyo. Ce mouvement fera rapidement parler de lui à travers manifestes et projets spectaculaires. Leurs projets urbanistiques apparaitront comme souvent utopiques et à l'image de la structure hélicoïdale de l'ADN, interchangeables selon les besoins. Le mouvement connaitra son apogée en 1970 lors de l'Exposition universelle d'Osaka mais le groupe se dispersera peu après. Et le Nakagin Capsule Tower de faire partie des quelques réalisations architecturales nées de ce mouvement.
Ainsi, Masato Abe a t-il lancé une campagne de financement participatif afin de racheter les capsules une par une (chacune d'entre elles donnant droit à une voix) pour décider de l'avenir de ce bâtiment qui servit de décor au film « Wolverine » en 2013. Une démolition est envisagée, car il n'est plus possible de maintenir cet hôtel à des coûts raisonnables d'après le promoteur immobilier, mais doit être votée à 80% des voix pour être actée. Certains propriétaires de capsules ont, de leur côté, déjà entrepris de rénover leurs capsules. Des capsules qui incarnent un pan de l'histoire architecturale du pays, que leurs défenseurs comptent bien préserver à tout prix. Dans chaque capsule d'une surface de 10 m2, à l'allure de navette spatiale, on trouve un lit, un bureau rabattable et une minuscule salle de bains, sans oublier un téléviseur, une radio et une pendule d'une autre époque. Ringard ou pas, ce genre de pied-à-terre attire tout de même une vingtaine de locataires à temps complet, tandis que cinquante autres capsules sont occupées par des bureaux, des studios d'art ou des « résidences secondaires ». Sacrés Japonais ! Il faut dire que le loyer mensuel dans ce genre d'hébergement ne coûte que 60000 yens (environ 435 €), en plein centre de Tokyo.
Un artiste, Takami Sugawara, a par exemple transformé sa capsule en appareil-photo : la lumière du jour n'entre que par un trou minuscule et le monde extérieur apparaît sur les murs.. mais inversé. Il est vrai que, malgré le charme de ces chambres, l'isolation thermique n'est plus aussi performante qu'avant et les promoteurs aimeraient bien quant à eux innover. En 2007, peu avant le décès de Kisho Kurokawa, une démolition du l'endroit avait déjà failli avoir lieu malgré une pétition de l'architecte. C'est la crise financière internationale de l'époque qui sauva la tour in-extremis, tandis que la campagne pétitionnaire, elle, a reçu depuis le soutien de nouveaux arrivants.
Comment cette tour est-elle bâtie ? Les modules sont répartis autour d'un pilier central sur plus de dix étages, conçus pour être retirés indépendamment tous les 25 ans, puis remplacés, ce qui ne fut jamais fait. Et l'hôtel d'être depuis devenu un site historique, même si, au Japon, il n'est pas facile de mobiliser les gens sur la préservation de ces biens-là, car dans ce pays, on a pour coutume de construire, puis de détruire afin de reconstruire.
Rassurez-vous, le concept d'hôtel-capsule ne va pas pour autant disparaître. Typiquement japonais, ces hôtels ont la particularité d'optimiser au maximum l'espace d'occupation, et les chambres de se limiter à des simples cabines-lits. Le tout premier hôtel de ce type fut créé par Kisho Kurokawa en 1979, à Osaka. Il en coûtait à l'époque 1600 yens (12 € environ actuels) pour la nuit. Le succès de cette formule d'hébergement ne franchira toutefois pas les frontières du pays, exception faite de Londres (Yotel) et New York (Pod Hotel).
Les cabines sont en général constituées d'un tube en plastique (ou en fibre de verre) d'une surface moyenne de deux mètres carrés pour une hauteur d'un mètre vingt-cinq. Elles sont souvent équipées d'un téléviseur, d'une horloge, d'une radio et bien sûr de l'air conditionné, sont superposées par deux puis alignées le long d'un couloir. Les établissements, de taille variables, peuvent posséder entre 50 et...700 capsules. Quant aux bagages, on les laisse à l'extrémité du couloir.
Un peu comme un hôtel Formule 1 chez nous, les sanitaires sont communs (façons bains publics japonais) tandis qu'il existe également un restaurant , ou, au moins, un distributeur de boissons. Certains de ces hôtels proposent même à l'entrée un yukata, et des chaussons, voire une serviette. On peut aussi louer une capsule en journée, pour faire juste une sieste. Ce type d'hôtels ne doit être utilisé qu'en dépannage. Le client type étant le salarié japonais qui cherche un endroit pour dormir après avoir trop bu avec ses collègues après son travail ou ayant manqué le dernier train pour rentrer chez lui. Le prix attractif (2000 à 4000 yens) est abordable pour le plus grand nombre. Quant aux Japonaises, elles ne mettent pas les pieds dans ce genre d'endroit, qui est donc essentiellement réservé aux hommes.
L'hôtel capsule fait partie intégrante de la culture nippone. On peut voir ce genre d'hôtels dans les films Gung Ho (1986), Hotel New Rose de Abel Ferrara, Fast and Furious 3- Tokyo Drift (2006), Nos Voisins Dhantsu (2007) et Cars 2 (2011). Ce même concept est aussi repris dans Le Cinquième élément (1997), ou dans le jeu vidéo Deus Ex : Human Revolution, d'Eidos Montreal (2011).
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