Lundi 23 février 2015
Infatigable, bien que fatigué ces derniers temps, je continue de suivre la mythique route de la mer de l'est et m'arrête aujourd'hui à Oiso, un bourg japonais d'environ 33000 habitants, du district de Naka. Deux communes principales y figurent : Oiso et Ninomiya. Je me trouve ici en bord de mer et en pleine campagne. Autrefois, ce bourg, qui se trouvait sur le passage du Tokaïdo, était devenu l'une des stations les plus fréquentée de la célèbre route. Il ne reste désormais qu'un plan mentionnant l'endroit où se tenaient jadis les auberges qui accueillaient les voyageurs.Tout juste descendu du train, je sors de la petite gare et me rends dans un minuscule office du tourisme situé juste à côté de l'incontournable « koban » (poste de police ). Je suis accueilli par deux charmantes dames auxquelles j'explique la raison de ma visite : je souhaite me rendre au sanctuaire Rokusho. On me prévient aussitôt que ce sanctuaire se trouve à trente minutes de marche d'ici mais que je peux m'y rendre par bus. Je pars de rien car ce genre d'endroit isolé n'offre que peu d'information. Je serai d'ailleurs, une fois de plus, le seul visage pâle à me promener dans cette contrée. En attendant mon bus, je m'arrête en face de la petite gare JR pour prendre un café. Je suis très aimablement reçu et l'on me sert un bon café chaud avec des gâteaux. Cette pause me fait du bien car dehors, le temps est à la fois brumeux et glacial.
Oiso semble donner l'image d'une station balnéaire avec sa plage et son petit port. Durant l'ère Meiji, un certain Docteur Belz avait recommandé les bains de mer à Jun Matsumoto, chirurgien de l'armée japonaise. Celui-ci avait choisi le petit bourg et l'avait décrit comme le meilleur endroit en la matière.
Jusqu'à l'ère Showa, Oiso devint effectivement une jolie station balnéaire où se rendaient hommes d'affaires, politiciens et autres célébrités qui y avaient acquis au total près de 150 villas (comme Hirobumi Ito, un Premier ministre, ou encore Shigeru Yoshida, un autre Premier ministre d'après-guerre, Aritomo Yamagata, Kinmochi Saionji, Shigenobu Okuma, Munemitsu Mutsu, Yanosuke Iwasaki....).
L'ancêtre de la gare JR naquit en 1872 avec un premier quai où s'arrêtaient les trains en partance pour Shinbashi-Yokohama. 1887 verra la compagnie Tokaïdo railways desservir Kozu, alors qu'Oiso gagnait en importance. Le tremblement de terre de Kanto de 1923 nécessitera toutefois de restaurer la gare aux toits de tuiles jaunes, afin de permettre à cette ligne de chemin de fer rurale de poursuivre sa desserte. Depuis le quai, on peut déjà apercevoir des petites collines. Oiso n'est pas très loin du Mont Tanzawa qui s'élève à 1567 mètres d'altitude. Et une promenade dans le bourg offre encore d'admirer d'anciennes demeures ainsi que baigneurs et pêcheurs sur le front de mer (du moins à la belle saison!). Le petit port d'Oiso ne se trouve qu'à une dizaine de minutes de marche de la gare. Et si vous passez par là un samedi matin, un marché aux poissons propose aux habitants d'acheter poisson frais, fruits, légumes, pain, plats préparés et fleurs.
Voici mon bus N°43 qui s'approche. Je demande au chauffeur de m'arrêter au bon arrêt et peu de temps après, j'aperçois un grand torii (portique) rouge que je franchirai pour me diriger vers le sanctuaire Rokusho (en photo ci-dessous). Des habitants qui seraient venus d'Izumo (Préfecture de Shimane) en 600 après J.C pour s'installer à Oiso, auraient construit le sanctuaire de Yanagida Daimyoujin en l'honneur du Dieu Kushiinada-Himemiko (dans le même district, on trouve d'ailleurs cinq autres sanctuaires consacrés à ce dieu). En l'an 718 après J.C, ce sanctuaire devint le principal lieu de culte du district, à la demande de l'Empereur. Plus tard, ce même sanctuaire prendre le nom de Rokusho. Ce sanctuaire de Rokusho, ainsi que les cinq autres disséminés dans le district, seront plus tard placés sous la sauvegarde du gouvernement jusqu'à la période Meiji. Et depuis, Oiso de célébrer le 5 mai de chaque année la fête Kouno Machi, symbolisée par le sanctuaire de Rokusho.
Oiso est la huitième station de la route de la mer de l'est. C'est, là encore, le shogun Tokugawa Ieyasu qui créa ce lieu en 1601. Trois ans plus tard, le même shogun y plantera une colonnade de pins et de micocouliers (arbres à feuilles caduques), longue de presque quatre kilomètres, pour offrir de l'ombre aux gens de passage. L'estampe d'Ando Horoshige (ci-dessous) montre des voyageurs revêtus d'imperméables faits de paille. Ils viennent de l'océan et entrent dans Oiso sous une pluie battante. L'un est à cheval, et les autres circulent à pied sur une route longée de pins.
La neuvième station du Tokaïdo, se trouve quant à elle à Odawara. Cette ville, située dans la préfecture de Kanagawa, fut fondée le 20 décembre 1940, et est célèbre pour son château (ci-dessous) qui fait partie des cent châteaux japonais remarquables retenus par la Fondation des Châteaux japonais depuis 2006. A l'époque Kamakura, Odawara était un bastion du clan Doi et une résidence fortifiée se dressait là où se tient l'actuel château. La révolte d'Uesegi Zenshu, qui eut lieu en 1416, fit passer la ville sous le contrôle du clan Omori. Ce même clan sera plus tard défait par Ise Moritoki (province d'Izu), le fondateur du clan Hojo, en 1495. L'histoire de ce clan, l'un des plus puissants clans guerriers de la période Sengoku, débuta au début du XVI ème siècle lorsque Hojo Soun se mit à conquérir des terres dans la province de Sagami. Le château d'Odawara, construit à la moitié du XV ème siècle, devint alors la résidence du clan Hojo : Sa forteresse mesurait alors neuf bons kilomètres et son donjon, entièrement détruit par le séisme de 1703 sera rebâti trois ans plus tard et deviendra le symbole du château, jusqu'au démantèlement de ce dernier en 1870 (époque Meiji). Il sera reconstruit en 1960 et abrite depuis une exposition rassemblant des armures, des gravures et d'autres objets datant de la période Edo. La porte Tokiwagi constituait l'entrée principale de la forteresse et l'endroit le plus stratégique. Tokiwagi signifie « toujours vert » (à cause des pins noirs qui se trouvaient là). Le lord féodal croyait en effet à l'éternité de ces arbres et voulait la même chose pour son château. La porte actuelle fut reconstruite en 1971 car l'avénement de l'époque Meiji avait occasionné la destruction d'une grande partie du château en 1870. La porte Akagane, elle, fut restaurée en 1997, et la porte Umadashi, en 2009. Sous la période Sengoku, le clan Hojo contrôlait tout le Kanto à partir du château d'Odawara. Le château d'Odawara devint alors le plus grand château de la période Sengoku jusqu'à la construction du château d'Osaka dans les années 1580. Il deviendra le symbole de la longévité du pouvoir du clan Hojo, qui fera venir de nombreux marchands et artistes de l'ouest du pays à Odawara dans le but de développer la vie culturelle de son royaume. Le clan Hojo parviendra ainsi à dominer en l'espace d'un demi-siècle l'est du Japon, jusqu'en 1590. Cinq générations successives vivront à cet endroit : Hojo Soun, descendant du clan Bichu, s'y installera à la fin du XV ème siècle. A sa mort, son fils, Ujitsuna perpétuera le rôle du château en en faisant une place de choix et en développant l'influence de la ville d'Odawara. Ce deuxième chef Hojo prendra, en 1524 le château d'Edo (l'actuelle Tokyo) alors contrôlé par Uesugi Tomooki. Cet événement marquera le début d'une terrible rivalité entre le clan Hojo et le clan Uesugi (qui se vengera deux ans plus tard en brûlant Kamakura, puis en attaquant à nouveau en 1535). Inlassable, Ujitsuna reviendra à la charge et reconquerra ses terres face à Uesugi Tomooki. Au décès de ce dernier, deux ans plus tard, Ujitsuna prendra le château de Kawagoe, reprenant par la même occasion le contrôle de la région du Kanto. Il remportera aussi la bataille de Konodai, et supervisera la reconstruction de Kamakura avant de mourir en 1541. C'est son fils, Ujiyasu, qui reprendra le flambeau du clan Hojo : Celui-ci mettra au point un système de contrôle territorial à part entière. Ujimasa, son fils, deviendra ensuite le quatrième chef des Hojo. Il repoussera les attaques de Uesugi Kenshin et de Takeda Shingen mais se suicidera en s'ouvrant l'abdomen après sa défaite, en 1590, face à Toyotomi Hideyoshi. Cette méthode de suicide, appelée « seppuku », ou encore hara-kiri, était une forme rituelle de suicide masculin par éventration, apparue au Japon vers le XII ème siècle, puis officiellement interdite en 1868. Le cinquième chef sera Ujinao. Daïmio japonais de l'époque Sengoku, il sera le dernier chef du célèbre clan Hojo. Il perdra en effet tout son domaine à la suite du siège d'Odawara en 1590 : Ce troisième siège fut l'action principale de Toyotomi Hideyoshi dans le but d'éliminer le clan Hojo. Malgré les importantes forces déployées, ce siège ne donnera lieu qu'à très peu de combats. L'armée massive de Toyotomi Hideyoshi encercla le château avec pour objectif d'affamer l'adversaire. Trois mois seront nécessaires pour que les Hojo se rendent et que Tokugawa Ieyasu (un des généraux de Toyotomi Hideyoshi) prenne la tête de leurs domaines. Dans le même temps, Hideyoshi vainquit les Hojo à Hachioji, Yorii et Shizuoka. Alors que le père d'Ujinao se suicidera, Ujinao, lui, sera épargné car il était le beau-fils de Tokugawa Ieyasu. Ujinao et son épouse, Toku Hime, s'exileront alors au Mont Koya (où le dernier chef Hojo mourra un an plus tard). Ma visite au château me permet de découvrir les nombreux objets présentés dans l'exposition du donjon, dont une ancienne horloge suspendue à double balancier. J'apprends aussi qu'en janvier 1601, Tokugawa Ieyasu créera des relais postiers le long de la route Tokaïdo et qu'Odawara sera le neuvième relais de cette poste. Le passage réputé le plus difficile de cette route se trouvait alors à Hakone tandis qu'Odawara demeurait la ville-étape pour un grand nombre de voyageurs à cause des nombreux hôtels, commerces et artisans présents sur place.
Odawara était la première shubuka dans une ville-château que les voyageurs atteignaient après avoir quitté la capitale durant l'ère Edo. A noter qu'on appelait shubuka (ou shukueki) une station ou un relais disposé sur l'une des cinq routes principales du Japon de l'époque, qui permettait aux voyageurs de se reposer. Ces shubukas furent à l'origine créées pour les besoins de transport de marchandises à dos de cheval, suite à des décisions prises par les dirigeants japonais durant les époques Nara et Heian. La neuvième station du Tokaïdo (dont on voit l'estampe ci-dessous) était située entre les montagnes d'Hakone et la baie de Sagami, à deux pas du château d'Odawara et près de la rivière Sakawa. C'est dans cette ville que les restes de Dame Kasuga seraient également conservés : originaire d'une importante famille de samouraï des époques Azuchi-Momoyama et Edo, Dame Kasuga servira de nourrice au troisième shogun, Tokugawa Iemitsu.
Je me promène un moment le long de l'ancien Tokaïdo et m'arrête devant une maison (deuxième photo ci-dessous) dont l'architecture ressemble comme deux gouttes d'eau au mode de construction Daishi Geta Tsukuri employé durant l'ère Edo. Cette architecture était présente dans les maisons de marchands traditionnels et offrait par exemple des avant-toits et des toits reposant sur de gros madriers. La maison actuelle, reconstruite en 1932 (suite au grand tremblement de terre de 1923) représente aussi une maison de marchands, qui sert aujourd'hui à l'accueil des gens de passage (un peu comme autrefois sur le Tokaïdo) qui souhaiteraient y faire une pause. J'observe ainsi, à l'intérieur, quelques familles dont les enfants peignent de superbes dessins qui orneront de futures lanternes de poche. Le premier étage offre de grandes fenêtres typiques de l'ère Edo.
INFOS PRATIQUES :
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Sakura Café, Kanagawaken Nakagun, Oiso machi, à Oiso (en face de la gare JR). Tèl : 0463 62 1888. Ouvert tous les jours (sauf le mercredi) de 10h00 à 20h00. Excellent café et gâteaux sur place. Très bon accueil.
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Maison de marchand Jyuku Nariwai, 3-6-23 Honcho, à Odawara. Ouverte tous les jours de 10h00 à 18h00. Au rez-de-chaussée, on trouve un espace recouvert de tatamis où du thé vous est gracieusement offert et où vous pourrez vous procurer des dépliants touristiques. Au premier étage, un vaste espace de 65 m2 accueille des expositions temporaires.
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Site internet de la ville d'Odawara : http://www.city.odawara.kanagawa.jp/
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Site internet de tourisme d'Odawara : http://www.odawara-kankou.com.e.jk.hp.transer.com/