Jeudi 5 mars 2015
Les stations d'Ejiri et de Fuchu sont désormais diluées dans la ville de Shizuoka, mais demeurent néanmoins les 18è et 19è stations de la route de la mer de l'est. A l'office de tourisme de la gare de Shizuoka, on ne me signale rien sur ces deux stations, sinon la portion du Tokaïdo traversant la ville, et émaillée ici et là de pierres commémorant le souvenir d'une époque. Shizuoka, celle qu'on surnomme « colline calme » se dresse dans une zone à fort potentiel de tremblement de terre et de tsunami. Me voici rassuré, moi qui y passe la semaine. Cinquième plus grande ville du pays, et accessoirement jumelée à la ville de Cannes (France), elle fut fondée le 1er avril 1889. Les ruines de Toro (site archéologique) de la période Yayoi se trouvent à l'intérieur de cette ville et prouvent que la zone était déjà peuplée depuis les temps préhistoriques. L'endroit s’appelait autrefois » Sunpu » (ou Sumpu) et était placée le long du Tokaïdo. Ieyasu Tokugawa y passera son enfance durant la guerre, en tant qu'otage. C'est lui qui sera plus tard à l’origine de la construction du château que je vais visiter, enfin ce qu'il en reste puisque la forteresse sera mise à bas par le gouvernement Meiji. Il y prendra d'ailleurs sa retraite. Yoshinobu Tokugawa (15è et dernier shogun Tokugawa) s'y retirera également sur la fin de sa vie.
Ejiri (dont on voit l'estampe ci-dessus) était située à 3,5 kilomètres d'Okitsu et s'était développée autour de son château construit en 1570, mais la ville ne sera pas désignée comme shukuba (relais avant le début du XVIIè siècle). Au plus fort de sa prospérité, cette localité possédait deux honjin, trois honjin secondaires et pas moins de cinquante hatago parmi les 1340 maisons qu'elle totalisaient, et ses 6500 habitants. Ejiri-shuku donnera son nom à la gare de chemin de fer originelle jusqu'à ce que celle-ci soit renommée gare de Shimizu. Sur l'estampe, Hiroshige nous offre une vue Miho no Matsubara avec des bateaux ancrés au premier plan devant ce qui était alors un simple village de pêcheurs, accompagnés d'autres embarcations dans la baie de Suruga.
A l'époque d'Edo, mieux fallait être bien équipé pour se lancer sur la route sinueuse du Tokaïdo : on conseillait au voyageur de se munir de trois serviettes, d'un grand foulard de tête, d'un éventail pliant, d'un calmar (pinceau et pot à encre dans un petit étui passé à la ceinture), de papier de soie pour se moucher, d'un grand porte-monnaie (porté de préférence en bande ventrière), d'un petit porte-monnaie, d'un cure-oreille, d'un petit poinçon, d'un pyxide contenant une petite pierre à encre, d'un petit abaque, d'un petit peson (on pesait les pièces d'argent dans la région de Kyoto), de deux grands carrés de tissus (furoshiki, servant par exemple à empaqueter un baluchon), d'une pharmacie de campagne, de fil et d'aiguille, de matériel de coiffure, d'une lanterne de papier huilé, d'une boite à déjeuner, de trois cordes,....Ce même voyageur était par ailleurs mis en garde vis à vis de ces joyeux lurons qui vous proposent de cheminer ensemble. On déconseillait aussi de prendre des médicaments venant de personnes inconnues. Comme sur la photo ci-dessous, la tenue préconisée était composée d'un foulard de tête ou d'un chapeau de laîche tressée (large chapeau plat), avec les pans du kimono retroussés et fourrés sous la ceinture, des tire-cuisses (genres de caleçons longs), des bandes molletières, des tabis (chaussettes de tissu avec le gros orteil indépendant pour passer l'oeilleton de l'espadrille), une applique de tissu épais pour protéger le dos de la main et éventuellement du pied, et une pèlerine. Quant aux bagages à main, ils étaient composés d'une petite malle d'osier tressé et d'un baluchon porté en palanche ou en sautoir sur l'épaule lorsqu'il était léger. Par ailleurs, chaque voyageur était autorisé à porter à la ceinture un sabre court servant à dissuader l'agresseur éventuel. Mais seuls les yakuza en faisaient usage. Ces yakuza étaient les ancêtres des gangsters d’aujourd’hui. Par un accord tacite avec le pouvoir, ils faisaient régner l'ordre sur les routes en échange de quoi l'autorité leur laissait la haute main sur les jeux et la prostitution. Echange de bons procédés. Les femmes étaient quant à elles incitées à porter un surtout par-dessus le kimono afin de ne pas salir ce dernier, lequel, sous l'ère Edo, consistait en un simple yucata (peignoir de coton). Elles pouvaient enfin se munir de bandes molletières, de sandales attachées, de cache-mains, de tabi blancs, d'un chapeau de laîche et d'un bâton à la main.
La 19è station de la route de la mer de l'est était Fuchu-shuku. Sa shukuba (relais) était une ville-château, en l'occurrence pour le château de Sunpu dont je vous ai parlé plus haut. Appelé aussi « château de Fuchu », « château de Shizuoka », ou « château de l'île flottante », cette place forte fut érigée à partir de 1585 par Ieyasu Tokugawa. Durant l'époque Muromachi, le clan Imagawa dirigeait la Province de Suruga depuis leur résidence fortifiée à Sunpu (l'actuelle Shizuoka). Après la défaite de Yoshimoto Imagawa à la bataille d'Okehazama, la province tombera sous l'égide du clan Takeda puis, plus tard, de Ieyasu Tokugawa (qui avait passé son enfance à Sunpu en tant qu'otage des Imagawa. La défaite du clan Go-Hojo à l'issue de la bataille d'Odawara par Hideyoshi Toyotomi, forcera toutefois Ieyasu à échanger ses domaines de la région de Tokaï avec les provinces du Kanto et à rendre le château de Sunpu. Ieyasu se retirera plus tard dans ce même château, après avoir passé la succession à son fils Hidetada. Il y fondera un gouvernement occulte qui lui permettra de garder une certaine mainmise sur le shogunat. Les daïmios du pays entier seront tous sollicités, en 1607, pour reconstruire le château de Sunpu, avec un donjon, un palais (Honmaru) et trois douves (on peut toujours admirer la douve intérieure, à proximité de la porte Est). Un gigantesque incendie détruisit le tout en 1610, imposant la reconstruction de l'édifice avec, cette fois, un donjon de sept étages. Après le décès de Ieyasu Tokugawa, en 1616, le château demeurera entre les mains du gouvernement du domaine de Sunpu (restant ainsi un territoire rattaché au shogun durant la majeure partie de l'époque Edo). Durant ce temps, la région sera administrée depuis le château Sunpu par des dirigeants nommés par l'Etat et appelés Sunpu jodai. En 1635, un nouvel incendie ravagea une grande partie de la ville et du château. Et de rebâtir encore une fois tours, palais, portes et autres dépendances, trois ans plus tard, excepté le donjon (puisque la région était désormais gouvernée par un administrateur d'Etat et non plus par un daïmio). Lorsque que survint le gouvernement Meiji, Yoshinobu Tokugawa, dernier shogun, renonça à sa fonction et se retira à Sunpu. On ne l'autorisera pas à résider au château mais au daikansho (bureau du magistrat) uniquement. Son héritier, Tokugawa Iesato, sera brièvement nommé daïmio du domaine de Shizuoka (pour 700000 koku annuels) en 1868, jusqu'à sa disparition l'année suivante. C'est alors que Sunpun sera rebaptisée Shizuoka. Fin d'une époque.
En 1889, le château de Sunpu devint la propriété de la ville de Shizuoka. On combla alors la majeure partie de ses douves et un parc et des bureaux de la préfecture seront installés dans l'enceinte de l'édifice. 1896 verra l'arrivée dans le site intérieur du 34è régiment d'infanterie de l'armée impériale. Et plusieurs vestiges de l'ancien château d'être détruits à cette occasion. En 1949, on ferma la base militaire et Shizuoka reprit possession des lieux, l'aménagea en parc (parc de Sunpu), et redonna son aspect original à la tour Tatsumi et à la porte Est (photo ci-dessous), lors d'un projet de restauration conduit en 1989, puis en 1996.
Je me rends à l'intérieur de cette porte et de la tour, toutes deux transformées aujourd’hui en musée. On y voit des maquettes de l'ancien château, mais aussi des scènes de vie de l'époque, et des objets d'antan. Il est dommage que les informations ne soient rédigées qu'en langue japonaise. Une brochure en langue anglaise est toutefois disponible à la caisse. Des audioguides sont également proposés.
Fuchu était le 19è station de la route de la mer de l'est. Sa shukuba (station) était une ville-château. L'estampe d'Ando Hiroshige représente des voyageurs en train de traverser la rivière Abe, à l'ouest de la station. Une femme est portée dans un kago pendant que d'autres personnes traversent le courant à gué.
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