Samedi 18 avril 2015
Mes obligations professionnelles me conduisent souvent au Japon, et tout particulièrement à Tokyo. Au fil du temps, trouver de nouveaux sujets de reportages devient un véritable sport mais cette fois, ma venue dans la capitale nippone se conjugue avec une discipline fort prisée au pays du soleil levant : le yabusame, ou tir à l'arc à dos de cheval.
Le yabusame est une technique de tir à l'arc japonaise qui est pratiquée à cheval. L'archer tire des flèches sans pointes , il s'agit alors de flèches sifflantes ou contenant une boule à son extrémité. Ces flèches sont tirées sur trois cibles de bois.
Ce tir à l'arc est apparu au début de l'époque Kamakura. Cette époque débute en 1185 et s'achèvera en 1333. Elle sera placée sous l'autorité politique du Shogunat de Kamakura. Epoque héroïque et chevaleresque, elle sera en effet propice au développement de ce tir à l'arc. C'est aussi la période durant laquelle apparaissent au Japon de nombreuses écoles du bouddhisme, comme le zen, ou la Terre pure. Ce sera également l'âge d'or des Nihonto et, parait-il, la meilleure époque pour vivre en tant que bushi (guerrier gentilhomme). En 1185, la guerre de Gempei entre deux familles nobles, Minamoto et Taira, se terminera avec la bataille de Dan-no-ura, et par la victoire de Minatomo no Yoritomo. Et Yoritomo d'installer le bakufu (shogunat). Ce dernier sera composé de trois parties : le bureau des affaires administratives (mandokoro), les affaires militaires et la police (samurai-dokoro) et la haute cour de Justice et les affaires juridiques (monchujo).
A cette époque, le samouraï acquiert statut et prestige. Serviteur armé, attaché à la personne d'un aristocrate de cour, celui-ci se voit chargé de multiples fonctions lorsque les princes partent s'installer en province. Et les plus habiles, de devenir même des petits seigneurs locaux (daïmios) disposant de pouvoirs étendus.
Le shogun Minamoto no Yoritomo règnera de 1192 à 1199. Ainé des fils de Minatomo no Yoshitomo, notre homme naquit à Atsuta (l'actuelle Nagoya) qui fut jadis la capitale nippone. A ce moment-là, c'est Minatomo no Tameyoshi (le grand-père de Yoritomo) qui se trouvait à la tête du clan. Après maints rebondissements, et ils étaient alors nombreux dans l'histoire de ce pays, Minatomo no Yoritomo prendra la tête du clan, suite à l'exécution successive de ses grand-père et père. D'abord exilé à Izu, dans la plaine de Kanto (alors sous le contrôle du clan Hojo), il épousera en 1179 Hojo Masako, la fille du chef du clan Hojo. Il apprend parallèlement que la population nippone n'en peut plus de la brutalité du clan Taira (Kyoto) et sent son heure arriver. Survient alors la guerre de Gempei (entres les clans Taira et Minamoto) qui permet à Yoritomo de prendre le pouvoir. Ce dernier disposait bien de samouraïs mais s'inquiétait de leurs lacunes au tir à l'arc. Pour y remédier, il décidera de mettre sur pied le Yabusame qui consistera en un entrainement dans cette discipline.
Sous l'ère Edo, le Yabusame était pratiqué chaque année au temple d'Asakusa, le 5 janvier. Il s'agissait là d'une cérémonie rituelle à l'occasion du Nouvel An. Le quartier de Taito (l'actuel parc de Sumida) perpétua un certain nombre de traditions comme le festival Sanja, la Morning Glory Fair, le marché de Tori-no-Ichi, ou encore le Yabusame d'Asakusa qui offre au public d'apprécier cet art de l'archerie traditionnelle venue du fond des temps. Cet événement attire les foules. Les Japonais tout d'abord, très attachés à leurs traditions, et les touristes ensuite, curieux de découvrir un peu plus de ce pays si surprenant. Le spectacle se compose de deux parties : le tir à l'arc à pied, appelé Kusajishi, puis le tir à l'arc à dos de cheval. Les origines du Kusajishi remontent à 1194, date à laquelle Minatomo Yoritomo chassa cette année-là le cerf au pied du Mont Fuji et donna des ordres afin que furent développées la pratique de l'archerie, en tirant sur une cible en forme de cerf. Cette forme d'archerie-là correspond davantage à un passe-temps ou une discipline sportive qu'à un cérémoniel.
A vrai dire, l'arc japonais remonte aux temps préhistoriques (période Jomon). L'arc long, de forme asymétrique si particulière avec prise au-dessous du centre, apparaît sous la période Yayoi. Et l'arc de devenir le symbole de l'autorité et du pouvoir. D'ailleurs, le légendaire empereur Jimmu, premier empereur du Japon, est toujours représenté portant un arc. Cet arc s'utilisera d'abord à pied jusqu'aux alentours du IX ème siècle. Puis les soldats d'élite partirent au combat à cheval munis d'arcs et d'épées. Au X ème siècle, les samouraïs faisaient des duels d'archers à cheval, chevauchant l'un vers l'autre et tentant de décocher au moins trois flèches. On ne mourrait pas forcément lors de ces duels, tant que l'honneur était sauf. L'un des incidents les plus célèbres concernant ces archers à cheval se produisit lors de la guerre de Gempei : à la bataille de Yashima, le clan Heike perdit au combat et les survivants s'enfuirent avec leurs navires. Tandis que les Heike attendaient des vents favorables pour prendre le large, ils hissèrent un éventail en haut d'un mât, défiant ainsi les archers Genji. L'un de ces samouraïs Genji, Nasu no Yoichi, releva ainsi le défi, se rendit à cheval en bord de mer et tira sur l'éventail, le transperçant d'une flèche. Et Yoichi de devenir à jamais célèbre pour son coup de maitre.
Sous l'époque Kamakura, les archers à cheval étaient utilisés dans des exercices d'entrainements militaires afin de préparer les samouraïs à une guerre éventuelle. En cas de résultat médiocre, certains pouvaient se voir suggérer de se soumettre au suicide rituel, le seppuku.
Il existe un autre tir à l'arc à cheval : le cruel inuomono, ou chasse aux chiens. Trouvant cette chasse trop cruelle pour ces animaux, les moines bouddhistes persuaderont les samouraïs de rembourrer le bout de leurs flèches afin de laisser la vie sauve aux chiens. Heureusement, cette chasse n'est plus pratiquée de nos jours.
De simple entrainement militaire, le Yabusame est devenu tir à l'arc à cheval rituel. Il est désormais décrit comme un moyen de faire plaisir à la myriade de dieux qui veillent sur la Japon, en encourageant leurs bénédictions en faveur de la prospérité des terres, des populations et des récoltes. C'est pourquoi le pays organise des spectacles de Yabusame à différents moments de l'année. Dans le quartier d'Asabusa (Tokyo), celui-ci fait par exemple partie des célébrations du jour de l'An, au sanctuaire shinto depuis l'époque Edo. La même manifestation a lieu tous les ans, le troisième samedi d'avril. Les cavaliers sont alors revêtus de costumes de chasseurs et le « kusajishi » tire à l'arc sur des cibles en forme de cerfs. Ce spectacle inclut une somptueuse cérémonie qui récompense les tireurs ayant touché les trois cibles. Avant le spectacle, un défilé a lieu, depuis le temple Denbo-in qui traverse les quartiers commerçants d'Asakusa et de Nakamise avant d'arriver sur le lieu du spectacle, au parc Sumida.
Etre sélectionné en tant qu'archer de Yasubame est un immense honneur. Autrefois, les archers étaient choisis uniquement parmi les meilleurs guerriers. Le jour du spectacle, l'archer descend à grande vitesse une piste de 225 mètres de long. Il contrôle son cheval avec ses genoux car il a besoin de ses deux mains pour bander l'arc à tirer. En approchant de la cible, l'archer monte son arc et place la flèche devant son oreille avant de la laisser partir en criant In-yo-in-yo (obscurité et lumière). La flèche est épointée et en forme de cercle pour faire un bruit plus fort lorsqu'elle frappe la cible. Seuls les archers expérimentés sont autorisés à faire usage de flèches possédant une pointe en V. Si la cible est touchée, celle-ci vole en éclats et tombe au sol. Toucher les trois cibles est considéré comme une grande réussite. Le placement des cibles de Yabusame mais aussi les cibles elles-mêmes, représentent de façon rituelle la cible optimale pour un coup fatal sur un opposant portant l'armure complète traditionnelle d'un samouraï qui ne laisse à nu que l'espace situé au-dessous de la visière du casque.
Le Yabusame est vu comme un rituel plutôt qu'un sport à cause de son côté solennel et de son aspect religieux. Celui-ci est en effet pratiqué lors de cérémonies spéciales ou d'évènements officiels, comme par exemple pour divertir des dignitaires étrangers et des chefs d'Etats. Ainsi George W.Bush et Ronald Reagan, présidents des Etats-Unis, bénéficièrent-ils de ce genre de spectacle lors de leur venue au Japon.
Il existe deux célèbres écoles d'archers à cheval qui pratiquent le Yabusame : l'une d'elle est l'école de la sous-préfecture d'Ogasawara. Son fondateur, Ogasawara Nagakiyo reçut jadis l'ordre du shogun Minamoto no Yoritomo de créer une école de tir à l'arc, car Yoritomo souhaitait alors que ses guerriers soient hautement qualifiés et expérimentés dans cette discipline. Marchant dans les pas de son père, Kagami Jiro Tomitsu, il occupa un poste à Kamakura, puis servit plus tard sous les ordres de Minatomo Yoritomo en tant que maitre d'archerie équestre, des arts et de l'étiquette à partir de 1187. Nagakiyo mit ainsi sur pied les rites martiaux symboles des guerriers de Kamakura, rites à la fois basés sur la cavalerie et des pratiques ancestrales. Et la famille Ogasawara d'enseigner cette discipline à des générations successives d'hommes de clans. Le tir à l'arc était à l'époque considéré comme un excellent moyen d'instiller les principes indispensable aux guerriers samouraïs. Bientôt, le Zen devint un élément majeur chez les archers à pied et à cheval tandis qu'il devenait également populaire parmi les samouraïs à l'époque Kamakura. En tant qu'art martial, le Yabusame aidait ces guerriers à l'apprentissage de la concentration, de la discipline et du raffinement. Le Zen enseignait des techniques de respiration afin de stabiliser le mieux possible le corps et l'esprit, d'apporter clarté et concentration. La famille Ogasawara pratiqua le Yabusame vers 1955 sur les rives du bassin Shinobazu (parc Ueno) et perpétue encore de nos jours cette tradition à travers ce rendez-vous annuel d'archerie à dos de cheval à Asakusa. Aujourd'hui encore, l'école d'archerie Ogasawara, dont le maitre actuel est Kiyotada Ogasawara, conserve toute sa renommée, en ce qui concerne tout particulièrement le Yabusame du sanctuaire Tsuruoka Hachiman de Kamakura.
L'autre école de tir à l'arc fut créée par Minamoto Yoshiari, au IX ème siècle, à la demande de l'empereur Uda. Elle sera baptisée école de tir à l'arc Takeda (dont le style est représenté dans des films classiques comme Les Sept Samourais).
Avec l'arrivée des Portugais et de leurs fusils, au milieu du XVIè siècle, le tir à l'arc perdit de son importance sur les champs de batailles. En 1575, lors de la bataille de Nagashino, un groupe de tireurs bien entrainés et dirigé par Nobunaga Oda parvint toutefois à anéantir la charge de la cavalerie du clan Takeda, grâce au tir de nombreuses salves. Les archers à cheval réapparaitront plus tard, sous l'ère Edo, grâce à Ogasawara Heibei Tsuneharu, à la demande du shogun Yoshimune Tokugawa. Le pays étant alors en paix, ce tir deviendra plus une méthode de développement personnel qu'un entrainement militaire. De nos jours, le tir à l'arc est pratiqué à différentes périodes de l'année, et est associé aux pèlerinages shintoïstes.
INFOS PRATIQUES :
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33è Yabusame d'Asakusa au parc Sumida, Taito-ku, à Tokyo. le samedi 18 avril 2015. Programme: de 11h00 à midi, Sanyabori Hiroba (avec le Kusajishi) et de 13h00 à 14h30, tir à l'arc Yabusame près du pont Kototoi du parc de Sumida . Achat de places réservées (2000 yen) en téléphonant au +81 3 5246 1111. Site internet : http://www.city.taito.lg.jp/index/event/kanko/asakusayabusame.html