Mercredi 13 mai 2015
Ce matin encore, le temps est brumeux et le restera toute la journée. Je choisis de me rendre à Espelette, la ville du piment. Située dans la province basque du Labourd, cette petite ville ne se trouve qu'à dix kilomètres de la frontière espagnole. Elle est traversée par le ruisseau Latsa et son affluent. Autrefois, la baronnie d'Espelette dépendait du royaume de Navarre : en 1059, Aznar, qui était alors seigneur de Ezpeleta, faisait aussi partie des douze barons de Navarre. Après que les Anglais eurent occupé la place, le roi Louis XI érigea la seigneurie d'Espelette en baronnie en 1462. Juliana en sera la dernière baronne et lèguera tous ses biens à l'église à sa mort en 1694. Au plus fort de la Terreur, le Comité de Salut public déportera une bonne partie des habitants d'Espelette, alors considérée comme « commune infâme », vers d'autres villes comme Bayonne, le Cap-Breton, Saint-Vincent de Tyrosse ou Ondres.
La ville compte aujourd'hui environ 2000 habitants et bénéficie d'un climat doux et de paysages variés. A mon arrivée, un marché se tient en face de la Poste et je trouve à me garer à côté de l'ancien château (en photo ci-dessous) réaménagé depuis en mairie. A ma grande surprise, l'entrée de cette mairie est surmontée d'un linteau (deuxième photo) racontant l'histoire du château : au centre de celui-ci, se trouve une sculpture représentant un château à cinq tours (des XV è au XVII è siècles, le château d'Espelette comprenait en effet cinq tours). En-dessous de cette sculpture, on observe une fleur de lys et une branche de buis (attestant de l'origine du mot Ezpeleta, qui signifie lieu planté de buis). Sur la partie gauche, on retrouve deux séries de dessins à l'intérieur d'un cadre rectangulaire avec une charrue, une pioche et une bêche, symbolisant le village agricole. Juste à côté, on aperçoit une épée, une fourche et une faux, symbolisant les relations difficiles entre le seigneur d'Ezpeleta et les habitants. Dans la partie droite, on reconnaît un lion, symbole de la province du Labourd, avant que la région ne soit annexée à la France, une balance et une équerre indiquant qu'en ce lieu s'installèrent l'école publique du village et une justice de paix de première instance jusqu'à la première moitié du XX è siècle. Ce même linteau offre d'admirer, sur sa partie gauche, le symbole des armes de Navarre (las cadenas) car les seigneurs d'Ezpeleta étaient autrefois liés à Pampelune et aux rois de Navarre.
Il ne reste plus grand chose du château des barons. Celui-ci fut détruit puis reconstruit à plusieurs reprises. Quant aux barons, ils furent d'abord des vassaux du roi de Navarre. Non loin de là, Espelette offre la Place du Jeu de Paume, place qui accueillait le marché. On y célébrait des fêtes nocturnes et on y chantait les chansons basques au corpus étonnamment riche, qu’elles soient à boire ou satiriques, berceuses ou chants de mer. La même place accueillait également le marché aux bestiaux et aux chevaux (foirail) tous les quinze jours. Les porcs étaient quant à eux isolés dans un enclos un peu plus loin. Le marché durait alors toute la journée voire plusieurs jours.
Je me rends à l'église (ci-dessous) et aperçois dans son pourtour une série de stèles plantées dans le gazon. Il s'agit de monuments funéraires en forme de pierres discoïdales, qui soulignent une vielle tradition basque consistant à planter une pierre à la mémoire du défunt et à aménager les alentours en espace vert. Chose curieuse, les inscriptions de ces stèles sont en français et non en langue basque qui était pourtant largement pratiquée jadis dans cette région. Le joli porche daté de 1627 permet de pénétrer dans l'église qui est très caractéristique de ce qu'on pouvait alors rencontrer au pays basque. A l'intérieur, je suis en effet surpris d'observer trois rangées de galeries qui étaient utilisées par les hommes uniquement, tandis que les femmes occupaient la partie basse de l'église. En fait, ces galeries étaient un moyen de créer de l'espace supplémentaire dans une église parfois devenue trop petite face à l'affluence des pèlerins. D'autre part, chaque famille disposait d'un emplacement à l'intérieur de l'église car on y enterrait les défunts. Lors des cérémonies, les familles s'installaient à l'emplacement de leurs disparus. Les femmes tout particulièrement, car, dans les familles basques, celles-ci étaient les plus à même d'entretenir le lien avec la religion et les ancêtres. En haut de ces galeries, au premier étage, un petit banc était réservé au conseil municipal, notamment lors des fêtes comme celle de la Fête-Dieu. Actuellement en cours de restauration, l'édifice est désormais classé en tant que monument historique. Il suffit de lever la tête pour admirer le superbe plafond (troisième photo) jadis repeint par un certain « Palaci » originaire d'Espelette qui, pris dans un guet-apens au Mexique, avait promis d'offrir le ravalement du plafond de l'église s'il s'en sortait. Chose promise, chose due !
Derrière la sacristie, se trouve la tombe de la Première Miss France, Agnès Souret (en photo ci-dessous). Une tombe en marbre rose y fut réalisée dans les années trente lorsque cette demoiselle, surnommée à l'époque la plus belle femme du pays, décéda d'une péritonite le 14 août 1928, à Buenos Aires, alors qu'elle était en tournée en Argentine. C'est à l'occasion de la création du premier concours Miss France, en 1920, qu'Agnès Souret envoie sa photo de communiante accompagnée d'une courte lettre. Habitante d'Espelette, elle remportera la première place face à 2062 autres candidates, grâce non seulement à sa beauté mais aussi à sa gentillesse, sa bonté et sa sagesse. Dotée d'un heureux caractère, elle tournera un film, Le Lys du Mont Saint Michel, qui ne laissera pas un souvenir impérissable. Elle sera plus heureuse dans la danse puisqu'elle deviendra danseuse aux Ballets de Monte-Carlo, puis meneuse aux Folies Bergères. Sa disparition inattendue à Buenos Aires contraindra Marguerite, sa maman, à vendre tous ses biens afin de réunir la somme nécessaire au rapatriement de la dépouille de sa fille et à l'aménagement d'un caveau à Espelette.
Espelette possède ainsi plusieurs enfants de réputation célèbre. Le Père Armand David fut l'un d'entre eux (ci-dessous en photo). Né le 27 septembre 1826 à Espelette, ce missionnaire lazariste, zoologiste et botaniste éminent passera toute sa vie à collecter animaux, plantes, roches et fossiles en Chine, pour le compte du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Après deux années passées au Grand Séminaire de Bayonne, il se rendra à Paris en 1848 pour faire son noviciat. Il prononcera ses vœux en 1850, puis sera envoyé en Italie pour y enseigner les sciences naturelles. Onze ans plus tard, il sera désigné pour partir en mission à Pékin afin d'inventorier des espèces animales et végétales. Son rêve de voyages s'accomplit enfin. Plein d'enthousiasme, il étudiera le chinois, explorera les alentours de la capitale chinoise jusqu'à partir dans les montagnes plus à l'ouest en 1863 et envoyer à Paris plusieurs de ses découvertes comme un cerf portant son nom et qui était originaire des plaines du nord-est et du centre-ouest de la Chine. Mais sa plus grande découverte reste sans doute celle du panda, qu'il effectue le 11 mars 1869. Prenant ce jour-là le thé avec un certain Monsieur Li, notre homme aperçut au loin ce qu'il crut être un ours blanc et noir de belle taille. Douze jours plus tard, des chasseurs lui ramènent la dépouille d'un animal tout blanc excepté les quatre membres, les oreilles et le tour des yeux qui sont d'un noir profond. Cette belle découverte, qui sera décrite en 1870 par Milne Edwards à Paris, comme celle du panda géant permettra, bien des années plus tard, d'observer l'engouement actuel pour cette grosse peluche. Fidèle à son village natal, le Père David rapportera de ses voyages des érables mais surtout l'arbre aux mouchoirs, ou davidia.
Je m'arrête déjeuner dans le petit restaurant de Pascale, qui est situé au pied de l'église, et déguste l'axoa (ci-dessous), un plat local mijoté confectionné à partir de viande de veau, de poivrons verts et rouges et d'oignons, et servi accompagné de pommes de terre. Ce plat rustique était jadis servi les jours de foire. Sur la table, se trouve un petit bocal de poudre de piment d'Espelette, épice avec laquelle je relèverai mon plat.
Originaire d'Amérique du sud, le piment d'Espelette (variété Gorria) fut introduit au pays basque, au XVI è siècle, par le navigateur Juan Sebastian Elcano (né à Getaria). La plante sera d'abord utilisée en médecine, puis comme succédané du poivre noir, condiment et conservateur de viandes. C'est en 1650 qu'Espelette commença à cultiver ce piment. Et c'est à partir de graines sélectionnées avec soin par des paysans que sera produite la variété rustique Gorria qui servira à la production du fameux piment. Je le dis souvent, il est bon de lever son regard car on découvre des choses intéressantes comme par exemple ces cordes de piments qui sèchent sur les façades des maisons de la ville (ci-dessous). Mais avant de récolter, il faut planter et c'est ce à quoi s'emploie Chabi et son équipe qui préparent cette plantation, laquelle intervient habituellement en mai (deuxième photo). Viennent ensuite les premières fleurs courant juin, puis les premiers fruits verts en juillet. Les piments sont récoltés rouges vers le 15 août et jusqu'à la fin du mois de novembre. Entre temps, Espelette a célébré comme chaque année la Fête du Piment (troisième photo) le dernier weekend d'octobre. Cet événement rassemble quelques 20 000 personnes (à comparer avec les 2000 habitants de la commune!).
Le piment d'Espelette n'est pas seulement un produit mais le fruit d'un travail acharné de la population afin de garantir la pérennité de cette production agricole. C'est ainsi qu'une appellation d'origine contrôlée (AOC) « Piment d'Espelette » couronna ces efforts le 1er juin 2000, assortie d'une AOP (protection européenne) dès le 22 août 2008. Ces appellations concernent les dix communes (Ainhoa, Cambo-les-Bains, Espelette, Halsou, Itxassou, Jatxou, Larressore, Saint-Pée-sur-Nivelle, Souraïde et Ustaritz) qui produisent le piment. Les piments cultivés dans le cadre de cette appellation doivent répondre à certaines exigences et notamment à l'espèce Capsicum annuum L. variété Gorria. Le mode de récolte doit être manuel, entre août et novembre au plus tard, et le cordage, l'élaboration de la poudre et la traçabilité sont aussi contrôlés. Les piments sont commercialisés frais au détail, en cordes de 20 à 100 piments frais, secs ou en poudre. A noter que chaque corde et chaque pot de poudre de piment doit porter une étiquette qui atteste de son authenticité. Depuis 2008, la production a doublé, à 156 tonnes. Et le nombre de producteurs a, lui aussi, considérablement augmenté.
Côté gastronomie, le piment d'Espelette a une valeur de 4 et n'est pas plus fort en goût que le poivre. Il développe par contre de riches arômes car il a longtemps séché au soleil, sur les façades extérieures des maisons ou sur clayettes. Le pays basque l'utilise pour sa cuisine depuis cinq siècles , pour remplacer le poivre noir, et relever des plats comme les quenelles de brochet, la biche rôtie, la piperade, le ragoût de veau (axoa), le poulet basquaise, le jambon et les pâtés...Ce piment est commercialisé sous différentes formes (purée, conserve, dans l'huile d'olive ou le vinaigre, ou en gelée). On en trouve même dans le chocolat et je vous engage d'ailleurs à rendre visite à la chocolaterie Antton qui produit de délicieuses ganaches au piment d'Espelette. A laisser fondre impérativement dans la bouche !
INFOS PRATIQUES :
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Office de tourisme d'Espelette, Mairie, à Espelette. Tél : 05 59 93 95 02. Site internet : http://www.espelette.fr
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Syndicat des producteurs de Piment d'Espelette : http://www.pimentdespelette.com
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Atelier du Piment, à Espelette. Tél : 05 59 93 90 21. Site internet : http://www.atelierdupiment.com
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Lurretik, 55 Place du Jeu de Paume, à Espelette. Tél : 05 59 93 82 89. Magasin de producteurs. Site internet : http://www.lurretik.com
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Chocolaterie Antton, 105 Place du Marché, Espelette. Tél : 05 59 93 80 58. Ouvert tous les jours de 10h à 13h et de 14h à 19h. Journée continue en juillet et en août. Visite et dégustation gratuites en français, anglais et espagnol. Chocolats au piment d'Espelette (je vous conseille tout particulièrement la ganache au piment d'Espelette à laisser fondre dans la bouche!). Site internet : https://www.facebook.com/anttonchocolatier
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Chambres d'hôtes et restauration de midi en saison, Pascale Guesdot, Maison Eliza Bidea (au pied de l'église) Xerrendako Karrika à Espelette. Tél : 05 59 93 96 51 et 06 64 49 01 98. Site internet : http://www.gueslot.com
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Astoklok, balades à dos d'âne, Belazkabieta Etxeberria, à Espelette. Tél : 05 59 52 98 02 et 06 08 78 31 96. Circuits de 1h, 3h, ou journée. Réservation obligatoire.