Vendredi 15 mai 2015
Arnaga, ce nom sorte comme quelque chose de magique au milieu de la campagne basque, du côté de Cambo-les-Bains. Cette localité se trouve dans la province basque du Labourd, tout près de la frontière espagnole. Arrosée par la Nive, affluent de l'Adour, Cambo-les-Bains souffrit de la Terreur en 1794, à travers la déportation d'une partie de ses habitants par les Révolutionnaires. De l'eau a depuis coulé sous les ponts, cette eau fameuse qui vaut à la municipalité son nom grâce au thermalisme qui embauche un habitant sur sept. Agriculture et horticulture complètent les débouchés économiques. Un peu à l'écart de la ville se dresse la Villa Arnaga, au milieu d'un immense parc. Je me gare à l'entrée d'un vaste parc verdoyant et pénètre dans la propriété. La grande maison de style néo-basque est en effet implantée dans un domaine de 16 hectares, au cœur du Pays basque. Et fut rendue célèbre par l'arrivée d'Edmond Rostand, de son épouse Rosemonde et de ses deux fils, Maurice et Jean, en juin 1906. Le poète prend ainsi possession d'une demeure qu'il a entièrement créée (puisqu'il dessinera lui-même toutes les pièces de la villa, avec des styles différents pour chacune d'entre elles) et cela, en trois ans seulement, c'est à dire de 1903 à 1906. Edmond Rostand choisira l'architecte niçois Albert Tournaire, lequel se verra offrir tous les moyens nécessaires à l'édification de la célèbre maison : une armée d'ouvriers s'emploiera niveler le terrain, apporter de la terre végétale pour la création des massifs et transplanter des arbres vieux de trente ans. De grandes quantités de matériaux seront aussi acheminées depuis Bordeaux, Paris Toulouse et même d'Angleterre pour la construction de la demeure.
Edmond Rostand et son épouse, Rosemonde Gérard passent commande du décor des pièces à des artistes renommés. Le mobilier est soigné dans les moindres détails et le raffinement est présent partout dans la demeure. Joseph-Albert Tournaire est un architecte de renom. Elève de Jules André, il est entré aux Beaux-Arts de Paris en 1879. En 1888, il est déjà lauréat du Grand Prix de Rome puis devient pensionnaire de la Villa Médicis pendant quatre ans. Il participera ainsi aux fouilles du sanctuaire de Delphes, et en réalisera des relevés et des reconstitutions graphiques. Il mènera ensuite une brillante carrière d'architecte officiel de la Ville de Paris et sera enseignant à l'école des Beaux-Arts. Nommé architecte en chef de l'exposition coloniale de 1931, il en supervisera les travaux. Ses plus importantes réalisations resteront l'Hôpital Pasteur de Nice, l'Ecole d'aviation de Toulon, l'Institut médicolégal de Paris et la Villa Ephrussi de Saint-Jean-Cap-Ferrat. C'est Eugène Rostand, alors président de la Caisse d'Epargne des Bouches du Rhône, qui conseillera à Edmond le choix d'Albert Tournaire comme architecte, à qui il confiera d'ailleurs la réalisation du nouvel Hôtel de la Caisse d'Epargne de Marseille.
La maison d'Edmond Rostand ressemble à une maison typique du pays basque, même si les apparences sont parfois trompeuses. Elle est certes inspirée des fermes locales et reste l'une des toutes premières créations du nouveau style architectural néo-basque. Ce courant nouveau est ainsi apparu en France au tout début du XX ème siècle, avec pour objectif d'adapter les besoins et les progrès techniques aux styles régionaux. Arnaga sera l'un des premiers modèles de ce style de construction, en utilisant les éléments du bâti traditionnel des fermes basques du Labourd en privilégiant le confort moderne. On ouvre de grandes baies sur toutes les façades, on dessine des loggias, et des balcons aérés. D'où cette forme particulière offrant deux grandes façades conçues pour capter la lumière au maximum et donnant une maison peu profonde. La toiture possède deux pans de forme dissymétrique, la façade principale offre des lignes verticales et affiche une couleur rouge « sang de boeuf » choisie par Edmond Rostand en personne. Entre les pans de bois, un crépis blanc légèrement ocré recouvre le tout. A l'intérieur, pièces et étages sont redistribués : les pièces de service sont situées au sous-sol, avec un monte-plat pour amener les mets de la cuisine (en sous-sol) jusqu'à l'office. Au rez-de-chaussée, les pièces communes aux membres de la famille sont distribuées autour d'un grand hall, alors que le premier étage est réservé aux chambres et aux appartements privés. Quant au deuxième étage, il sera réservé au personnel et accessible par un escalier de service.
L'aménagement du jardin traduit un nouvel art de vivre et Edmond Rostand n'hésite pas à faire installer des pergolas qui sont nombreuses autour de la demeure et jusqu'au fond du jardin. Celles-ci se veulent de véritables sculptures végétales et imposent une nature omniprésente, un art de vivre que le courant néo-basque développera tout au long du siècle. A lui seul , le parc d'Arnaga est un poème de pierre et de verdure. Il est constitué d'un jardin à l'anglaise et d'un jardin à la française, traduisant un Edmond Rostand qui penche tantôt vers la solitude et le recueillement (jardin anglais) tantôt vers les honneurs et le luxe (jardin français). Le poète s'investira complètement dans la création de son jardin et l'on retrouvera des documents l'attestant, documents dans lesquels notre écrivain fourmille d'idées, dessinant chaque parterre, chaque massif, et marquant l'emplacement de chaque bosquet d'arbres et de chaque buisson. Tout autour du jardin à la française, il aura le désir de créer une forêt, jouant le rôle d'un écrin de verdure. Pour ce faire, il exigera des arbres déjà âgés et ira chercher des tilleuls de quatorze ans, puis des cyprès, des platanes et des ifs...sous le regard atterré des Basques ! Le parc abrite plusieurs jardins à thème : un jardin alpin est aménagé à l'entrée avec ses éboulis de rochers, un bois d'agrément, le jardin à la française, puis le jardin à l'anglaise, un petit parterre, un parterre fleuri, un parterre d'eau et encore un autre parterre pour la colonnade. Ce grand jardin sera bien sûr évolutif dans le temps. Ainsi existait-il un miroir d'eau dans le jardin à la française vers 1930, miroir dans lequel se reflétait la Villa Arnaga (ci-dessous en photo). Jardin à la française qui connaitra aussi une période de rénovation car celui-ci subira des déformations avec le temps.
La décoration intérieure sera le résultat de l'intervention de nombreux artistes. Gaston La Touche réalisera ainsi la frise du grand-hall (ci-dessous en photo)ainsi que les quatre médaillons en trompe-l'oeil de la salle à manger. La frise illustre le poème de Victor Hugo, la Fête chez Thérèse, avec des couleurs chatoyantes. Ce peintre, décorateur et sculpteur est inclassable. Autodidacte, il est passionné de peinture. Et fréquentera les peintres impressionnistes comme Manet et Degas. Georges Delaw, lui, est réputé pour son univers enchanté, ses caricatures, et son talent pour réaliser des scènes évoquant de vieilles chansons françaises. Il se baptise d'ailleurs « Imagier de la Reine », partisan de la ligne claire et maitre du dessin et du cadrage. Il inspirera même le Japon. A Arnaga, il concevra un univers féérique en illustrant des chansons enfantines, comme Bon voyage Monsieur Dumollet, Il pleut bergère, ou Sur le pont d'Avignon (deuxième photo). Jean Veber peindra le décor féérique du boudoir de Rosemonde (troisième photo ci-dessous). Il a été recommandé à Edmond Rostand par l'architecte Tournaire. Son sujet de prédilection sont les contes de fées. Né à Paris, il sera dessinateur de presse et peintre. On retrouve alors ses dessins dans des journaux satyriques comme « Le Rire », ou « L'assiette au Beurre », dessins qui dénoncent la bêtise, la cupidité et les atrocités, et qui feront scandale. Ces illustrations ne représentent toutefois qu'une facette de son talent car l'artiste réalisera en parallèle des œuvres tirant vers le fantastique. Or, Edmond Rostand, l'auteur de Cyrano de Bergerac, est friand de cet univers fantastique et demandera à Veber de s'inspirer des contes de Charles Perrault. Cela donne une frise de vingt mètres de long qui se déroule tout autour du boudoir, avec Cendrillon qui s'enfuit du Palais et le Prince s'apprêtant à délivrer la Belles au Bois dormant.
Lors de ma visite dans cette belle demeure que je qualifierai de « princière », je ne vois que du beau. Cette Villa Arnaga suggère un petit palais versaillais au milieu de la campagne basque et vaut vraiment le détour. Cet univers ne pouvait appartenir qu'à un être aussi talentueux qu'Edmond Rostand, celui-là même dont la pièce « Cyrano de Bergerac » sera donnée pour la première fois le 27 décembre 1897, au Théâtre de la Porte Saint Martin. A 29 ans, notre jeune auteur est encore peu connu. Certes, « Les Romanesques »ont été jouées à la Comédie Française trois ans plus tôt, puis les années suivantes. Rien ne laissera présager le déferlement d'enthousiasme que va susciter sa nouvelle pièce, celle qui lui assurera une gloire sans faille. Pourtant, le temps se gâte : notre homme qui connaitra un nouveau succès avec « L'Aiglon » tombera malade après la première représentation de cette pièce. Il partira en convalescence pendant quelques mois à Combo-les-Bains, tombera amoureux de l'endroit et y fera construire la Villa Arnaga. Edmond Rostand, à force de travail, d'angoisse et de fatigue, contractera une grave pneumonie. Il sera soigné par le docteur Grancher, ancien assistant de Louis Pasteur et spécialiste des maladies pulmonaires. Une fois mis hors de danger, c'est lui qui conseillera au poète de se rendre en convalescence dans les Pyrénées. Génial, Edmond Rostand l'était assurément : ainsi sera t-il élu à 33 ans le plus jeune académicien de l'histoire de l'Institution pour « l'incomparable éclat qu'il a jeté sur la poésie française ». Infatigable (du moins le croyait-il?), il s'attèle bientôt à la rédaction de sa prochaine pièce, Chantecler, tout en bâtissant son palais. Cette pièce aura pour héros...un coq ! Un coq et une basse-cour qui verront s'affronter les forces de la lumière sur celles de l'obscurité. Chantecler représente alors l'amour de la Terre et de la lumière, la volonté de servir à quelque chose et d'être utile, le sacrifice de sa force propre et de son être au bien commun. Il signifie que chaque être humain, dans la plus humble et la plus obscure de ses tâches, peut agrandir et glorifier son travail en y mettant tout son cœur. Il lui faudra sept ans avant que ne débutent les premières répétitions, mais, mauvais présage, son acteur principal, Coquelin, mourra subitement. Et la pièce de subir un nouveau retard. Le 7 février 1910 marque enfin la générale, devant un public survolté. Même les Grands de ce monde font la queue pour décrocher une place et une duchesse acceptera en désespoir de cause une place dans le...poulailler ! La représentation sera un immense succès mais un succès mitigé. On salue l'auteur et sa prise de risque, on parle même de génie poétique, mais d'autres reprochent le manque d'unité globale de la pièce, et de trop nombreux jeux de mots et calembours.
Après Chantecler, Edmond Rostand continue d'écrire dans la douleur. Et l'effroyable guerre d'éclater en 1914. Rostand s'engagerait bien mais on le déclare inapte. Il fréquente alors les hôpitaux militaires, rédige des lettres et soutient les soldats. Pour lui, tous ces jeunes partis au front sont des Cadets de Gascogne. En plus de sa maladie, Edmond perdra son père au début de l'année 1915, puis sa mère, dix huit mois plus tard. Entre temps, il s'est séparé de Rosemonde, et ses deux fils vivent chez ses parents. Seul éclat de lumière : en décembre 1915, Mary Marquet, une jeune actrice, est entrée dans sa vie. L'interminable guerre prend bientôt fin et Edmond veut fêter la victoire. Il est revenu depuis quelques mois dans sa villa Arnaga, avant de repartir pour Paris le 11 novembre, deux heures avant la capitulation et de partager toute sa joie avec la foule. Peu de temps après, il sera terrassé par la grippe espagnole, le 2 décembre 1918. Ainé d'une famille de trois enfants, Edmond Rostand aura vécu une enfance paisible à Marseille. Bon élève, il remportera de nombreux prix à l'école, mais affichera très tôt une nette préférence pour les matières littéraires. Et de publier ses premiers poèmes dans la revue Mireille, en 1884, l'année où il s'installe avec sa famille à Paris. Lorsque sa famille retourne à Marseille, le laissant seul à la capitale, il se plaindra de la solitude. Son père rêve alors pour lui d'une carrière de diplomate mais Edmond préfère entamer des études de droit à la Sorbonne. Pendant son temps libre, il se rend au théâtre. Puis réussit ses examens de droit et...choisit de devenir poète.
INFOS PRATIQUES :
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Villa Arnaga, Route du Docteur Camino, Cambo-les-Bains. Tél : 05 59 29 83 92. Ouverte tous les jours du 28 mars au 1er novembre inclus, de 9h30 à 12h30 et de 14h à 18h. En juin et septembre, de 9h30 à 18h00, et en juillet et en août, de 10h à 19h. Entrée : 8 €. Visite libre avec fiches de salle, disponibles sur place en français, anglais, espagnol et basque. Visite guidée de la Villa en une heure. Parking intérieur et extérieur gratuits. Boutique de souvenirs et librairie à l'entrée de la Villa. Du 7 juillet au 18 septembre: visite inédite et balade théâtralisée « Cyrano de Bergerac » et « Chantecler » le mardi et le vendredi à 10h30 (durée: 1h30 et 12 €, entrée à la villa comprise). 6 et 7 juin: Rendez-vous aux jardins et 9è Marché aux plantes. 4 et 5 juillet: Journées des Maisons d'Ecrivains. 19 et 20 septembre: Journées du Patrimoine. 7 au 11 octobre: Fête de la Science. Site internet : http://www.arnaga.com
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Un grand merci à Béatrice Labat, Conservatrice des lieux, pour sa précieuse collaboration.
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Restaurant Le Chantecler, 6 Allée de Nemours, Cambo-les-Bains. Ouvert tous les jours (sauf le mardi et le dimanche soir), de 12h à 14h et de 19h30 à 21h. Tél : 05 59 29 22 29. Bonne cuisine et accueil très sympathique. Formule plat + fromage + café à 11 € à midi.