Jeudi 21 Mai 2015
Les Pyrénées Atlantiques offrent de très belles bastides mais certaines sont plus belles que d'autres. Je me propose donc dans cet article de vous emmener à la découvert de trois bastides particulièrement pittoresques. Ainhoa est l'une d'entre elles. Ce village du XIII ème siècle est une bastide-rue créée pour l'accueil des Pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. C'est en 1230 que les moines Prémontrés du Royal monastère d'Urdax décidèrent de créer le vicariat d'Aïnhoa où ces pèlerins trouveraient aide, assistance et guides jusqu'au monastère d'Urdax. Avec l'accord de Juan Perez de Baztan, le seigneur navarrais local, une paroisse prémontrée fut bâtie dans la bastide seigneuriale, c'est à dire le bourg d'Aïnhoa, un village aux maisons bien alignées de part et d'autre d'une longue avenue, maisons possédant un jardin de même largeur que l'immeuble. Aïnhoa sera disputée entre l'Angleterre et la Navarre jusqu'en 1369, date à laquelle la paroisse devient indivise entre les deux royaumes. Ce n'est qu'en 1451 que ce bourg redeviendra une commune française. La guerre de Trente ans auraient causé un ou plusieurs incendies qui détruisirent le bourg. Hormis l'église, il ne reste à Aïnhoa qu'une seule maison antérieure à cette période, Machitoenea 1629. La reconstruction et la restauration d'Aïnhoa n'interviendra qu'après la Paix des Pyrénées qui intervient en 1659, cette période donnant curieusement lieu à un procès entre habitants « anciens » et « nouvellins ». Sous la Révolution, l'émigration des prêtres du côté basque-espagnol entrainera une intense vie religieuse, prêtres et fidèles étant devenus de véritables contrebandiers de la foi. En 1794, la désertion de 47 soldats basques entrainera la déportation des habitants de six communes, dont Aïnhoa. En mai 1801, suite à une pétition des habitants du petit village, l'abbé Jean Echepare est autorisé à remplir les fonctions du ministre du culte catholique dans la commune. Un an plus tard, Aïnhoa cessera d'être un vicariat dépendant d'Urdax pour être rattaché à l'évêché de Bayonne. De 1813 à 1814, le bourg sera épargné à la fin de la campagne d'Espagne, le général Drouet d'Erlon ayant établi une ligne principale de défense entre Atsulai, le col de Pinodiéta et Amotz.
Aïnhoa fut bâtie suivant le modèle des bastides qui furent nombreuses à cette époque dans la région. L'originalité de celle d'AÏnhoa réside dans sa conception liée à une initiative d'ordre économique et politique mais non militaire, l'endroit ayant été pensé comme lieu d'accueil, d'hébergement et de ravitaillement pour les pèlerins de Compostelle afin de décongestionner le monastère Saint Sauveur d'Urdax. Cette réussite est le fruit du succès de l'étroite collaboration entre le seigneur Juan Perez de Baztan et l'abbé prémontré d'Urdax. En plus, des privilèges attachés à une charte de peuplement attirèrent aussi les habitants qui devinrent libres de leur personne et de leurs biens. Les habitations sont articulées autour d'une rue principale. L'emplacement à bâtir est identique pour toutes les parcelles et aboutit à la construction de maisons aux façades serrées les unes contre les autres. Autour du village, les terres arables furent aussi divisées en bandes régulières. Deux places structurent ce bourg : l'une, située au sud, et l'autre créée sur l'ancien emplacement de l'ancien château de la bastide.
Je me rends à l'église Notre-Dame, fondée au XIII ème siècle. Sa nef et son choeur offrent, en leurs parties inférieures, des ouvrages qui peuvent être qualifiés de « romans ». L'aspect général de la bâtisse est sobre et austère, répondant au souci de l'époque qui était d'offrir aussi bien un lieu de culte qu'un refuge. L'église sera reconstruite dès les années 1640, avec une nouvelle toiture et des galeries à balustre. A la même époque, elle reçoit son clocher porche, à l'instar des communes voisines. La Révolution imposera la transformation du lieu en magasin à fourrages, avant d'être réouverte au culte en 1801. Juste à côté de l'église se trouve un petit cimetière, avec ses stèles discoïdales basques d'origine pré-chrétienne (ci-dessous). En contrebas de l'église, on observe un fronton, cette deuxième place du bourg, bâtie en 1849. Ce fronton, traditionnel des villages basques, est le témoin privilégié des fêtes et de la vie de la communauté, servant à pratiquer la pelote basque à main nue, véritable institution dans cette région.
Je déambule dans cette longue rue, en admirant toutes ces maisons traditionnelles, dont une, avec plus d'attention que les autres : la maison Gorritia (en photo ci-dessous) est la plus regardée et la plus photographiée d'Aïnhoa grâce à l'inscription qui figure sur sa façade « Ceste maison appelée Gorritia a esté rachetée par Marie de Gorriti, mère de feu Jean Dolhagaray, des sommes par luy envoyées des Indes, laquelle maison ne pourra vandre ny engaiger...fait lan 1662 ». Les sommes ramenées des Indes venaient en réalité des Amériques (de nombreux Basques rejoignirent l'équipage de Christophe Colomb). La maison avait des droits qui lui étaient propres comme l'usage des terres communales, la place à l'église, ou l'espace dans le cimetière. Cette maison dispose d'une façade à pans de bois verticaux, des poutres horizontales sculptées, une avancée du toit et des pentes de toiture égales. Elle représente la maison typique de style labourdin, à noter qu'à Aïnhoa, les maisons n'ont pas de fondations.
Un peu à l'écart de la rue principale, un petit lavoir (ci-dessous) est alimenté par une fontaine appelée Alachurruta. Le 23 septembre 1858, Louis Napoléon Bonaparte , alors Empereur des Français et Eugénie, Impératrice, arrivèrent à Aïnhoa à l'improviste, descendirent de leur voiture au niveau d'Alachurruta, excursionnèrent dans le coin et prirent leur repas non loin de cette source.
Une autre bastide mérite votre visite : La Bastide-Clairence. Au début du XIII ème siècle, la Navarre est un royaume indépendant de part et d'autre des Pyrénées. Et les Navarrais, chassés par les Espagnols, cherchent un débouché maritime vers le Nord par la Joyeuse, rivière qui rejoint l'Adour. C'est dans ce contexte que Louis 1er, fils aîné de Philippe-le-Bel (et futur Louis X le Hutin) décida la fondation de « Bastida de Clarenza », qui assurera la sécurité du port fluvial et permettra de renforcer la frontière nord. La charte sera rédigée à Vincennes en 1312. Un an plus tard, sera créé le Moulin de la ville sur la Joyeuse, puis en 1375, un moulin fripier servant à mouiller draps et cuirs. La rue principale de ce joli village part de la rivière, suit la ligne de la crête, s'élargissant à mi-pente pour s'ouvrir sur la place des Arceaux (en photo ci-dessous), pour se poursuivre en direction de l'église. Les lots (maisons) ont une largeur de 6 mètres environ. Selon la période de construction, et la fortune du propriétaire, la pierre ou le bois dominent dans les façades. L'abondance de bois dans les montagnes basques jouera un rôle important dans la présence de colombages que les Basques entretiendront avec soin. Certaines maisons sont à pignon et encorbellement, selon les habitudes médiévales, tandis que d'autres arborent une entrée avec encadrement cintré en pierre, qui est souvent complété par un cartouche sculpté. Fidèle à son passé, le village a favorisé l'installation d'artisans d'art qui offre un attrait supplémentaire que je découvre lors de ma visite de La Bastide-Clairence. Ce n'est pas pour rien que le village est membre de l'association « les plus beaux villages de France ». L'endroit possède ses propres fêtes locales comme son encierro (lâcher de vaches dans les rues) à la fin du mois de juillet. Un marché potier se tient également à la mi-septembre
La Bastide-Clairence est un village exceptionnel, à plusieurs égards. Tout d'abord, il bénéfice d'une position géopolitique peu commune compte tenu du fait que cette bastide voit le jour au moment où les rois de Navarre cherchent à organiser la région en un ensemble cohérent tandis que les rois-ducs Plantagenêts mettent en place des rouages administratifs quadrillant leurs possessions. La plupart des bastides furent créées dans un contexte de tension frontalière. Celle de la Bastide-Clairence se double d'un enjeu économique, car le nouveau bourg contrôle alors l'accès fluvial de la Navarre au port de Bayonne alors en plein essor. Mais cette création de bastide ne se fera pas sans difficultés. La charte de La Bastide-Clairence précise alors taxes et amendes, ainsi que la dimension des parcelles à bâtir. Les premières attributions des parcelles n'auront lieu qu'à partir de 1314. Et la même charte dotera le village d'un marché et de foires autour desquels se constituera un espace marchand qui fera ombrage à celui d'Hasparren, situé non loin de là. D'où une rivalité de plusieurs siècles entre ces deux communes. La Bastide-Clairence apparaitra ensuite comme une bastide de colonisation, à cause du caractère exogène de son peuplement originel. La majorité des colons sont alors issus des localités proches, dans un rayon de quinze kilomètres. La nouvelle paroisse du village génèrera également des conflits multiséculaires avec le village d'Ayherre. La Bastide-Clairence demeurera toutefois un poste d'observation privilégié de la coexistence linguistique entre le basque et le gascon , compte tenu de la situation locale. Des jalousies vis à vis de cette bastide se développeront dans la mesure où, avec la charte de 1312, les habitants de La Bastide-Clairence (comme comme ceux de Saint Jean Pied de Port) entreront de suite dans une forme de modernité sociale qui intéressera toute l'Europe chrétienne, car ils seront francs et jouiront du droit de bourgeoisie.
Autre village remarquable : Navarrenx, la cité bastionnée. Cette petite cité tranquille dresse ses remparts séculaires. Elle fut érigée en bastide médiévale dès le XIV ème siècle. Deux siècles plus tard, Henri II d'Albret, grand-père du futur Henri IV, devant la nécessité de protéger son pays de Béarn de la convoitise des royaumes de France et d'Espagne, décida de fortifier la ville alors point stratégique. C'est un architecte italien, Fabricio Siciliano qui élèvera à Navarrenx la première place bastionnée en France, sur le type italien. Les remparts à peine achevés furent aussitôt éprouvés au cours des guerres de religion qui ravageront le Béarn. Ils seront vaillamment défendus par le baron d'Arros, lieutenant de Jeanne d'Albret, lors du siège de 1569, siège qui durera trois mois. Ces remparts sont aujourd'hui toujours intacts.
Je commence ma visite depuis la Place des Casernes, en admirant les Casernes Saint Antoine, anciennes casernes militaires construites après les fortifications pour loger jusqu'à 500 hommes de troupe (ci-dessous). Le bâtiment central était le poste de garde de la Porte Saint Antoine. C'est la seule porte qui subsiste encore de nos jours dans cette cité, sur les deux qui existaient jadis. Elle était protégée par un orillon et ne pouvait être ni bombardée, ni assaillie de front. Elle sera bâtie en même temps que les fortifications, c'est à dire au XVI ème siècle, et sera munie d'un pont-levis, disparu depuis. A noter que ces casernes Saint Antoine ont pour voisines les prisons militaires.
Je me rends ensuite sur la terrasse (fortification) d'où j'apercevrai le gave d'Oloron (deuxième photo ci-dessus), l'une des rivières les plus fréquentées par les saumons, sans oublier le pont du XIIIè siècle qui était autrefois muni d'une tour. De là, on peut distinguer les ruines de la Castérasse, ancien château des Vicomtes du Béarn. Depuis le demi-bastion de la Clochette, lequel protégeait à la fois le pont et la porte Saint Antoine, je peux jouir d'un beau point de vue. Toute proche, la poudrière, construite en 1580 se dresse encore. A l'origine, elle était une construction carrée entourée d'un mur d'enceinte disparu depuis. Elle pouvait contenir jusqu'à 25000 livres de poudre, et son autre curiosité réside dans son système acoustique. En effet, la voûte de pierre intérieure transmet les sons en diagonale, d'un coin à l'autre. On peut ainsi bavarder à voix basse en se plaçant à deux extrémités opposées et s'entendre, le cintre de la voûte assurant la communication. Le plan de la ville en main, je passe devant la Maison dite de Jeanne d'Albret, belle demeure du XVI ème siècle, avec sa porte Renaissance en anse de panier surmontée d'un petit fronton triangulaire. La Vicomtesse du Béarn, et Reine de Navarre, de 1555 à 1572, mais également mère d'Henri III de Navarre disposait d'une maison dans les principales villes de la principauté. Un petit coup d'oeil à l'église Saint Germain, achevée en 1562, et dotée à l'origine d'un clocher-mur, lequel sera remplacé en 1734 par le clocher-porche actuel.Ce lieu de culte sera presque aussitôt transformé en temple sur l'ordre de la reine Jeanne d'Albret, celle-ci ayant fait procession de foi protestante le 1er avril 1563. C'est le roi Louis XIII qui rendra à l'église son culte catholique le 18 octobre 1620. Eglise qui servira par ailleurs de réduit défensif pour les troupes napoléoniennes lors du blocus de 1814, face à la crainte que l'armée de Wellington ne prenne la place.
A deux pas de l'église, je découvre le bastion des contre-mines, caractérisé par une galerie souterraine descendante, visitable (avec une lampe de poche), et qui fait le tour interne du bastion pour écouter si l'ennemi ne cherchait pas à l'attaquer par minage, d'où son nom. Plus loin, en ville, on peut apercevoir la fontaine militaire (ci-dessous), qui n'a peut être pas été aménagée en même temps que les remparts, car située à 4,60 mètres au-dessous du niveau du sol. On y accède par un bel escalier en pierre, de 21 marches. Son débit est de 1700 litres par heure en été, ce qui était suffisant pour les habitants de jadis, civils et militaires. On ne sait pas précisément où se trouve la source. Celle-ci ne sera en tous cas ni détournée, ni empoisonnée au cours des siècles.
L'Arsenal (deuxième photo) fut quant à lui construit en 1680, sur l'ancienne maison des rois de Navarre, afin de stocker les armes, les munitions et les vivres de la cité. Cet imposant bâtiment formée de trois corps en forme de U possède deux étages et un grenier, pour une surface totale de 820 m2. On pouvait jadis entreposer jusqu'à 30 000 boulets ou grenades, sans compter les autres espaces: sous les arcades, soixante affûts de canons ou de mortiers et 150 000 balles pouvaient être entreposés, au premier étage, 752 fusils, mousquets, pics et hallebardes ainsi que 2000 pelles ou pioches , au second étage, 25 000 mèches, 13000 plombs ou balles, et au grenier, on pouvait stocker jusqu'à 300 sacs de grains ou de farine. En face de l'Arsenal, se dresse la Maison du Lieutenant du roi. Celle-ci est de style architectural militaire et date du XVIIè. Elle tire son nom de son affectation au lieutenant du roi, officier supérieur qui exerçait aussi souvent la charge de gouverneur de la place. Elle sera longtemps la propriété de la famille de Gramont qui jouera un rôle important dans l'histoire béarnaise. Décidément, Navarrenx est un bien joli endroit !
INFOS PRATIQUES :
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Les Pains d'épice d'Aïnhoa, rue Principale, Aïnhoa. Tél : 05 59 34 17 et 06 74 44 70 51. Goûtez le pain d'épice au piment d'Espelette! Site internet : http://www.pain-epice.net
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Office du tourisme, Quartier Karrika, à Aïnhoa. Tél : 05 59 299 399.
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Je vous conseille tout particulièrement le gâteau basque à la confiture de cerises noires de l'épicerie -boulangerie située à côté de la Mairie.
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Office de tourisme, Place des Arceaux, La Bastide-Clairence. Tél : 05 59 29 65 05. Site internet : http://www.labastideclairence.com
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Autre site internet , celui de l'association de Bastides 64, destiné à mettre en valeur les bastides du département des Pyrénées Atlantiques : http://www.bastides64.org
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Office de tourisme , 2, Place des Casernes, Navarrenx. Tél : 05 59 66 54 80. Ouvert le lundi de 14h à 18h, du mardi au samedi, de 9h30 à 12h et de 14h à 18h. Fermé le dimanche. Site internet : http://www.tourisme-bearn-gaves.com
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Si vous désirez approfondir vos connaissances historiques sur Navarrenx, procurez-vous le livre « A Navarrenx, les pierres ont une histoire »(Cercle historique de l'Arribène) au prix de 12 € à l'office de tourisme (photo ci-dessous)
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Hotel-Restaurant Le Commerce, Place des Casernes, à Navarrenx. Tél : 05 59 66 50 16. Très bonne cuisine, et personnel attentionné. Site internet : http://www.hotel-commerce.fr