Vendredi 22 mai 2015
S'il y a bien une vallée à ne pas manquer dans le département des Pyrénées Atlantiques, c'est bien la vallée d'Aspe (du nom de ce qui pourrait bien signifier en-dessous du rocher. Elle est l'une des trois vallées du Haut-Béarn, avec la vallée d'Ossau, et celle de Barétous. La vallée que je visite aujourd'hui s'étire le long du Gave, sur environ quarante kilomètres, depuis le village d'Escot jusqu'au col du Somport (qui culmine à 1632 mètres). Composée de treize communes, celle-ci est très riche et je ne m'arrêterai cette fois que dans quelques-unes d'entre elles. Escot est le premier village, qui comporte des maisons du XVII ème siècle, mais aussi le viaduc d'Escot (en photo ci-dessous), qui fut construit entre 1908 et 1909 pour permettre le franchissement du Gave d'Aspe par la ligne de chemin de fer Pau-Canfranc, laquelle fut fermée en 1970. Cette ligne internationale à voie unique reliait autrefois la France à l'Espagne en passant par la vallée d'Aspe. Je longerai régulièrement cette ligne et ses ouvrages d'art (ponts et tunnels) durant mon périple dans le coin. Inaugurée en 1928, elle sera suspendue suite à un déraillement de train, en 1970, qui provoqua la destruction d'un pont enjambant le Gave au sud de Bedous. Actuellement, la ligne ne fonctionne que sur la portion Pau- Oloron Sainte-Marie, mais la SNCF est en train de remettre en état la voie de chemin de fer afin de rouvrir le tronçon Oloron Sainte-Marie- Bedous, d'ici à 2016.
Issor, une autre commune, située à proximité, est une ville qui fut chère au coeur de Juan Martin Pueyreddon, militaire et homme politique argentin, dont le père, commerçant béarnais, était originaire. Je tiens cette information du Père Pierre Moulia que je rencontrerai un peu plus loin, au cloitre de Sarrance. Que le monde est petit ! Moi qui m'apprête à repartir en Argentine d'ici quelques semaines, j'aurai certainement une pensée pour Juan Martin qui retournera ici, au pays, en 1791, afin de prendre la suite des affaires de son père décédé entre temps. Cela ne l'empêchera pas, quelques années plus tard, en 1806, de mettre sur pied avec ses frères, un escadron de cavalerie afin de bouter l'envahisseur anglais hors de Buenos Aires. Cet homme vaillant sera récompensé de sa bravoure par sa nomination en tant que lieutenant-colonel de l'armée argentine.
Je vous parlais de Sarrance à l'instant, et j'y ferai une halte, d'autant plus facilement que ce village longe la route nationale 134 qui traverse la vallée d'Aspe. Son histoire commence avec la découverte, par un berger, d'uns statue primitive de Notre-Dame datant du XII ème siècle. Confiée à l'évêché d'Oloron, cette même statue disparaitra pour réapparaitre au même endroit. Cette fois, c'est un pêcheur qui la trouvera. Aussitôt, on comprit que la Vierge souhaitait qu'un sanctuaire soit bâti à cet endroit en son honneur. Une église est ainsi mentionnée pour la première fois en 1343. Un prieuré puis un hôpital (destiné à l'accueil des pèlerins et des voyageurs) seront bâtis quelques années plus tard, dans cette paroisse confiée aux pères prémontrés. Ces prêtres y resteront d'ailleurs jusqu'en 1791. Entre temps, le village était devenu un lieu de pèlerinage renommé, aux XV ème et XVI ème siècles, à tel point que les souverains du Béarn, de Navarre et d'Aragon choisiront Sarrance pour une réunion au sommet et que Louis XI y viendra en tant que pèlerin en 1463. Marguerite de Navarre y séjournera également assez longtemps pour écrire son livre l'Heptaméron. De nos jours, l'église et son cloitre, jadis restaurés par les pères de Bétharram, accueillent toujours les pèlerins et le père Pierre Mouria, originaire de cet endroit, est revenu rythmer le ministère paroissial selon le charisme de l'ordre des Prémontrés.
Sarrance accueille enfin une partie de l'éco-musée de la vallée d'Aspe, en racontant la légende de Notre Dame de la Pierre. Malheureusement, la saison ne faisant que débuter, ce musée est encore fermé au public. Vous y découvrirez cette belle légende qui influença l'histoire de Sarrance, à travers une exposition ludique et originale avec reconstitution d'un pèlerinage des années 1930, un spectacle audiovisuel où Marcel Amont raconte et analyse cette légende. Une salle présente la maquette de la vallée en mettant l'accent sur les relations entre l'homme, la pierre et l'eau.
Une fois n'est pas coutume, il fait un soleil magnifique dans cette vallée qui abrite le parc national des Pyrénées. Celle-ci, longtemps sauvage, fut aussi le refuge de l'ours brun des Pyrénées. Mon temps est compté car je ne dispose que d'une journée et c'est peu, mais il y a beaucoup de choses à voir dans la vallée : outre cet éco-musée, qui assure une mission de conservation du patrimoine et d'animation culturelle sur cette zone quelque peu isolée, on peut aussi se rendre au val de Copen, un des sites du conservatoire régional des espaces naturels des Pyrénées. Fêtes et festivals se déroulent tout au long de l'année grâce au dynamisme associatif d'une population clairsemée. Se tiennent ainsi le festival des arts et de la nature, contes et musiques, la transhumance à Lourdios-Ichère (qui possède aussi un éco-musée traitant de l'agriculture en montagne) ou la fête du fromage à Etsaut.
Je quitte Sarrance pour prendre la direction de Bedous, à quelques kilomètres de là. J'y arrive à l'heure de midi et la commune est bien calme. Petit village bâti autour de la place du marché, on peut toutefois observer d'anciennes demeures datant des XVII, XVIII et XIX ème siècles. Je m'attarde une minute sur la chapelle d'Orcun (ci-dessous), avec son clocher-mur et sa caisse de résonance qui forment une tour. Là encore, il ne m'est pas possible de pénétrer dans ce minuscule endroit, celui-ci n'étant ouvert que lors des Journées du patrimoine. A deux pas, se trouve le moulin d'Orcun où il est possible de le voir fonctionner et d'y faire du pain.
Je reprends ma route avec pour destination le petit village de Lescun, d'où on peut apercevoir le cirque du même nom. Ces petits villages de montagne sont haut perchés et il me faut affronter un route en lacets avant de toucher au but. Cà m'en donne le tournis. Ce petit village abrita malgré tout l'une des plus grandes baronnies du Béarn. Ici, on célèbre la victoire des Béarnais sur l'Espagne, qui eut lieu le 7 septembre 1794, lors d'un conflit armé qui avait débuté un an plus tôt. On y vit principalement de l'élevage, de l'agriculture, et bien sûr du tourisme, car randonneurs et amoureux des beaux paysages y sont nombreux. Lescun est tout petit et est davantage conçu pour les piétons que pour les autos car on a du mal à s'y garer. Les plus curieux y découvriront des maisons des XIV, XV, XVI, XVIII et XIX ème siècles, et une maison forte du XIV ème qui fut restaurée au XIX ème. En ce qui me concerne, j'admirerai surtout le cirque de Lescun (ci-dessous). En réalité, les Pyrénées offrent plusieurs cirques naturels, enceintes naturelles à parois abruptes, de forme circulaire ou semi-circulaire, formées par une dépression d'origine glaciaire.
D'autres surprises m'attendent et me voilà en train de reprendre le chemin inverse, cette petite route sinueuse bordée d'un précipice, mais à cœur vaillant, rien d'impossible ! J'observerai plusieurs centrales électriques le long du Gave d'Aspe et...de la RN 134. Ce cours d'eau prend sa source dans un cirque justement, celui d'Aspe, au pied du Mont Aspe (culminant à 2643 mètres), côté espagnol de la frontière, à l'ouest du col du Somport, et arrose la vallée d'Aspe. Je me dirige maintenant vers Etsaut, avec une idée derrière la tête : photographier le Fort du Portalet et le Chemin de mâture. A l'entrée dans ce village, j'aperçois la maison du parc national des Pyrénées, qui a trouvé refuge dans l'ancienne gare ferroviaire. Celle-ci est malheureusement close, et je poursuis mon chemin jusqu'au bourg. Je trouverai sur une place un bar-restaurant, Le Randonneur, et de quoi me restaurer avant la poursuite de mon périple. Les propriétaires m'expliquent quelle route emprunter pour me rendre au fort. Autant vous dire tout de suite qu'il est impossible de s'arrêter au niveau de ce dernier. Il faut poursuivre son chemin quelques centaines de mètres plus loin et stationner sur un espace libre au niveau d'un virage où se trouve un pont franchissant le Gave, puis revenir à pied jusqu'au fort, en prenant bien garde à la circulation car il n'y a pas de trottoir à cet endroit. Si l'accès n'est pas aisé, le site vaut le déplacement : je me demande comment l'être humain a pu ériger une telle construction perchée au sommet d'une falaise rocheuse abrupte, et creuser dans la roche des passage aménagés avec des meurtrières pour surveiller les environs. Quelle prouesse ! Fort de montagne, le Fort du Portalet fut en effet construit sur une falaise dominant le Gave d'Aspe, et fait face au chemin de Mâture dont je vous reparlerai plus loin. Sa mission était alors de protéger la route du col du Somport. Sous le régime de Vichy, l'endroit servira de lieu de détention pour des personnalités politiques, et même, brièvement, pour le Maréchal Pétain. Devenu monument historique, il est actuellement en cours de restauration et peut être visité. Par malchance, la grille est aujourd'hui fermée. L'accès au fort se fait par un petit pont, puis par une route en lacets qui conduit d'abord à une caserne et un pavillon des officiers. Au-dessus se trouve un fortin composé de trois bastions armés de batteries pour canons, sachant que ce fort en comprenait une dizaine. Ces bastions protégeaient alors le chemin du plateau du Rouglan et le chemin de la Mâture. Des galeries creusées dans la roche, crénelées ou à meurtrières, couvrent quant à elles la route d'Urdos et du col du Somport. C'est le 22 juillet 1842 que débuta la construction du fort, sur instruction du roi Louis-Philippe. Ce fort est alors destiné à remplacer un ancien poste situé au bord de la route impériale, plus au nord. La crainte étant de voir naitre un nouveau conflit avec l'Espagne, il faut absolument renforcer les défenses à cet endroit,mais la construction du fort sera un travail de longue haleine, et dans un environnement pénible, puisque les travaux ne se termineront qu'en 1870. La forteresse sera baptisée Portalet, du nom d'un ancien péage médiéval de la vallée d'Aspe. Le fort était conçu pour abriter 400 hommes, et capable de résister à un siège d'une semaine au moins. Il sera occupé, de 1871 à 1925, par le 18è Régiment d'infanterie de Pau. En 1925, l'armée l'abandonne et le loue à une colonie de vacances jusqu'en 1939. Prison politique pour des personnalités comme Daladier, Reynaud, Blum, Mandel, ou le Général Gamelin durant le régime de Vichy, le fort du Portalet abritera alors une garnison allemande, avant d'être repris par les maquisards en 1944. Le Maréchal Pétain y sera détenu pendant trois mois, depuis la fin de son procès jusqu'à son départ pour la forteresse de l'Ile d'Yeu, le 16 novembre 1945. Officiellement démilitarisé par l'armée française en 1962, il est racheté aux enchères par un particulier quatre ans plus tard pour 171 000 francs mais aucun projet immobilier ne verra jamais le jour. C'est la communauté de communes de la vallée d'Aspe qui fera l'acquisition de la forteresse abandonnée en 1999. Et d'importants travaux de rénovation d'être engagés depuis 2006. Un an plus tôt, le fort du Portalet avait été classé monument historique dans le but de présenter au public l'une des défenses les plus abouties de toutes les fortifications des Pyrénées, qui constitue un jalon important dans l'histoire des fortifications du XIX ème siècle et s'insère de façon exceptionnelle dans son environnement paysager.
Intéressons-nous maintenant au chemin de Mâture, voisin du fort. Ce chemin mesure 1200 mètres de long et fut taillé dans le rocher d'une falaise de la vallée encaissée du ruisseau la Secoue, près de sa confluence avec le Gave d'Aspe. Il forme une gouttière de quatre mètres de haut pour quatre mètres de large sur plus de 900 mètres du parcours, et surplombe les gorges d'Enfer de 200 mètres. Voici l’histoire de ce chemin : à partir de 1660, le roi Louis XIV et son ministre Colbert décident de doter notre pays d'une grande marine de guerre. Devant les difficultés pour s'approvisionner en bois auprès des pays nordiques, à cause des guerres et du coût, Colbert décide d'exploiter les forêts de l'ouest pyrénéen. Celles-ci offrent de grands arbres de qualité et des voies possibles d'acheminement par les gaves (cours d'eau) jusqu'au port de Bayonne. Plusieurs forêts seront donc exploitées et, après une interruption de 1720 à 1750, l'exploitation connaitra son apogée au cours de la seconde moitié du XVIII ème siècle, avec Choiseul sous le règne de Louis XV. L'exploitation des forêts est alors confiée aux ingénieurs de la Marine. Ces forêts s'épuisant, il faudra en exploiter d'autres, moins accessibles. Ainsi l'ingénieur Leroy décidera t-il d'exploiter la forêt du Pacq, située au-dessus de l'Etsaut. Il faudra par contre faire franchir aux troncs un étroit ravin, et à pic, connu sous le nom des Gorges de l'Enfer. Des hommes vont alors creuser à flanc de falaise abrupte un passage suffisamment large et haut pour le passage de bœufs tirant les fameux troncs. Ce chemin sera achevé en 1772. Et les sapins extraits de cette forêt deviendront les mâts des bateaux de la Marine, tandis que les hêtres seront utilisés comme poutres et avirons, et les buis pour confectionner essieux et poulies. Les futurs mâts étaient ensuite transportés par flottage sur le Gave pour rejoindre Oloron, puis Bayonne. C'est en 1778 que s'achèvera l'exploitation de cette forêt par épuisement de la ressource. A noter qu'aujourd'hui, le sentier de randonnée GR10 passe sur ce chemin de la Mâture.
Dernière étape de mon périple : Borce. Sur la route nationale 134, Ce village fait face à celui d'Etsaut. Autrefois chef-lieu du vic d'en haut de la vallée d'Aspe, Borce était ouvert, de jour comme de nuit, aux troupeaux des pasteurs espagnols de la vallée d'Anso, en vertu de l'article 10 du traité de Bayonne de 1862. On est désormais bien loin de cette époque et le petit village vit aujourd'hui surtout du tourisme, de l'élevage et de la présence d'usines hydroélectriques. Ses maisons datent des XIV, XV, XVI, XVII et XIX ème siècles. On trouve aussi quelques maisons fortes des XIII et XIV ème siècles. Je m'intéresse surtout à l'Hospitalet (photo ci-dessous), car Borce est une étape sur le camino aragonés, section du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. Ce « camino » part du col du Somport pour rejoindre Puente la Reina. L'Hospitalet fait aujourd'hui office de musée et explique le pèlerinage de Saint Jacques dans cette région. Une chapelle et un lieu d'accueil pour les pèlerins complètent cet Hospitalet du XII ème siècle. Vous découvrirez son histoire, l'origine du pèlerinage, les conditions de voyage et les motivations des pèlerins d'hier et d'aujourd'hui. Les fresques du XVI ème siècle, le moule à cloche du XVII ème siècle, les graffitis des soldats de Napoléon et une sculpture contemporaine illustrent ce site. L'église Saint Michel de Borce est à visiter pour son superbe bénitier en calcaire noir orné d'une coquille Saint Jacques. Le village offre enfin de voir un espace animalier à travers l'association Parc'Ours, fruit de nombreux bénévoles borçois. A la clé, création d'emplois mais également préservation du patrimoine et des espèces sauvages. Une bien belle initiative !
INFOS PRATIQUES :
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Eco-musée de la vallée d'Aspe à Sarrance. Tél : 05 59 34 55 51. Ouvert tous les jours de 14h à 18h (en juin), de 10h30 à 12h30 et de 14h30 à 19h (en juillet et août), et de 10h30 à 12h30 et 14h à 18h (en septembre). Week-ends et vacances scolaire uniquement: de 14h à 18h (de février à mai) et de 14h à 17h (d'octobre à décembre). Entrée 4 €. Téléphonez avant de passer pour être sûr que le musée soit ouvert. Il est situé à côté de l'église. Site internet : http://ecomusee.vallee-aspe.com/
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Parc national des Pyrénées : http://www.parc-pyrenees.com/
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Bar-restaurant Le Randonneur, Le Bourg, à Etsaut. Tél : 05 59 34 88 25.
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Des visites du Fort du Portalet sont possibles, sur réservation préalable, auprès de l'office du tourisme : http://www.tourisme-aspe.com/
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Site internet consacré au Fort du Portalet : http://www.cheminsdememoire.gouv.fr
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Parc'Ours, Espace animalier, à Borce. Tél : 05 59 34 89 33 et 06 01 73 46 09. Ouvert tous les jours de 10h à 19h (d'avril en novembre), et de 10h à 18h durant les vacances , fins de semaine, jours fériés uniquement sur réservation (de décembre à mars). Entrée : 9,90 €. Parking gratuit, parcours non adaptés pour les personnes à mobilité réduite, locations de porte-bébé et de jumelles, chaussures de marche recommandées, animaux de compagnie interdits, aire de jeux et de pique-nique, vente de plats à emporter, boutique éthique, exposition, ateliers et animations possibles. Site internet : http://www.parc-ours.fr/