Mercredi 1er juillet 2015
Le musée Nezu de Tokyo (Japon) propose actuellement une exposition consacrée au dandysme d'Edo. Anciennement Institut des Beaux-arts Nezu, l'endroit est situé à Minato et abrite habituellement la collection privée de Nezu Kaichiro. Ce musée est ouvert au public depuis 1940 et échappa fort heureusement aux bombardements américains de 1945. L'exposition qui nous intéresse aujourd'hui évoque le dandysme (date en japonais). Le dictionnaire définit ce mot comme les manières du dandy, c'est à dire de cette personne qui prétend à l'élégance et au bon ton. Ce dandy, homme se voulant raffiné et élégant appartiendrait ainsi à un courant de mode, le dandysme, qui serait apparu en Angleterre à la fin du XVIII ème siècle.
L'époque d'Edo (ou période Tokugawa) débute vers 1600 avec la prise de pouvoir de Tokugawa Ieyasu, lors de la bataille de Sekigahara, pour se terminer en 1868 avec la restauration Meiji. Tokugawa Ieyasu fera alors d'Edo la capitale du pays. Ce shogunat va contrôler le pouvoir politique, administratif et économique du Japon d'alors. Le pays possède bien un empereur mais ce dernier ne possède que des fonctions spirituelles de grand prêtre et symbolise le génie national. Suite aux nombreuses guerres féodales, le shogun Tokugawa Ieyasu cherche alors à réorganiser l'Etat et à garantir la paix dans le pays. Un système à la fois très hiérarchisé et rigide est donc mis sur pied, qui permet au clan des Tokugawa de mener le pays. Le Japon est ainsi divisé en fiefs gouvernées par des daïmios (seigneurs), placés sous l'autorité du shogun Tokugawa. Certains d'entre eux avaient prêté allégeance à Tokugawa Ieyasu avant 1600 et sont surnommés les daïmios de l'intérieur. Les autres recevront le nom de daïmios de l'extérieur. Un système de résidence alterné est aussi institué afin de permettre au shogun de maintenir ces daïmios sous sa coupe.
Cette époque Edo se caractérise par la fermeture du pays sur lui-même, celui-ci ne conservant que quelques relations diplomatiques avec la Corée. Seules la Chine et les Provinces Unies (Pays-Bas) conservent des relations commerciales avec le Japon, car les Européens ne sont pas admis. Cette longue période de paix ne prendra fin qu'en 1854, lorsque le commodore américain Matthew Perry et ses navires de guerre réussira à convaincre le shogun Tokugawa de baisser la garde.
Comme l'exposition nous le montre, les sabres autrefois utilisés pour combattre l'adversaire se transforment en objets d'apparence, joliment décorés de motifs reflétant les goûts de leurs détenteurs. A l'origine, la dénomination sabre japonais décrit l'ensemble des armes blanches fabriquées selon une technique japonaise bien particulière. Cette catégorie rassemble de nombreux sabres comme le fameux takana, mais aussi le tachi, le wakizashi, le tanto, les épées montées sur manche long comme le naginata, ou le nagamaki, puis les pointes de lances appelées yari. Bien que le sabre japonais fut jadis créé pour une utilisation guerrière, il est désormais reconnu comme une œuvre d'art à part entière. Cela sera vrai dès la période Edo, avec l'apparition du dandysme faisant de cette arme un accessoire de mode. On peut ainsi admirer une paire de sabres ornées d'épis de riz et d'oies sauvages (ci-dessous) datant du XIX ème siècle (période Edo). La forme des gaines associée avec la beauté des ornements font de ces sabres des pièces remarquables. Le long sabre offre un dessin de tiges d'épis de riz tandis que le sabre court arbore une oie sauvage déployant ses ailes. Les thèmes des pins et de la nature sont repris pour illustrer la fructueuse saison d'automne. Ma visite me permettra aussi d'admirer des petits sabres comme celui de la famille Umetada (qui servit jadis Toyotomi Hideyoshi). Cette pièce en fer date de la période Momoyama (1590). Il faut savoir que l'histoire du sabre japonais comporte cinq périodes historiques. L'ancêtre du sabre japonais, le jokoto, est antérieur au VII ème siècle et est le plus souvent droit, à double tranchant et de mauvaise qualité. Viendront ensuite les sabres koto (VII-XIV ème) de forme courbe et forgés de façon plus raffinée. A partir du XV ème siècle et jusqu'à la révolution Meiji, on parlera de nouveaux sabres shinto. Durant les périodes de guerres civiles, le Japon produira des sabres d'abord de piètre qualité, jusqu'à ce que l'accès définitif au pouvoir d'une classe guerrière alimente la demande pour des productions très soignées et ornementées , une tendance qui se poursuivra durant la longue période paix de l'ère Edo. Cette époque Edo sera marquée par la recherche de l'esthétisme, au point de devenir un style de vie parmi les nobles. D'où le dandysme. Cette tendance profite alors aux sabres qui reprennent les formes raffinées du koto tout en créant de nouvelles trempes plus spectaculaires et plus évocatrices. Le horimono perd alors son sens religieux et fait place à des figures plus ornementales. Et les forgerons de se mettre à rajouter des titres à leurs noms dévoilant ainsi leur désir d'appartenir à une classe plus élevée. Le maitre forgeron Tsuda Sukehiro II (1637-1682) restera l'un des grands maitre de forge d'Osaka sous la période Edo. Il travaillera pour Aoyama Munetoshi, gouverneur d'Inaba et gardien du château d'Osaka. On peut admirer l'un de ses sabres à l'exposition : celui-ci est de type wakizashi et date du XVII ème siècle.
L'exposition me permet également d'admirer un fourreau (deuxième photo) des époques Edo et Meiji, œuvre de Kano Natsuo. Le décor consiste en une pivoine dont le centre est gravé et recouvert d'or. Kano Natsuo, né à Kyoto en 1828 (et mort soixante-dix ans plus tard) deviendra artisan impérial après la restauration Meiji. Ayany perdit son père dès l'âge de onze ans, et le petit Natsuo sera élevé par sa mère. Il débutera son apprentissage aux côtés d'Okumura Shohachi, expert en sabres japonais, avant de poursuivre sa formation à l'école Otsuki auprès d'Ikeda Takatoshi. Natsuo subira l'influence d'Ichinomiya Nagatsune mais aussi celle d'Otsuki Mitsuki au cours de son existence. De nombreux artisans s'illustreront au fil du temps dans l'ornementation des sabres, et certains braveront même l'interdiction impériale comme Gassan Sadakazu, maitre-forgeron du milieu du XIX ème siècle qui continuera à fabriquer des sabres malgré l'interdiction en vigueur depuis 1876 (période Meiji). Il sera plus tard désigné comme artisan impérial.
L'exposition sur le dandysme des samouraïs m'offre de voir une centaine d'objets, des sabres mais également des inro, petites boites originaires du Japon à vocation utilitaire. Ces inro font partie des objets appelés sagemono (objets pendants) portés uniquement par la gente masculine. Les kimonos n'ayant pas de poche, on accrochait cet accessoire à la ceinture (obi) du kimono à l'aide d'une cordelette et on y rangeait différentes choses. Cette cordelette était glissée entre la ceinture et le vêtement. Afin qu'elle ne tombe pas, un petit taquet, appelé netsuke, bloquait celle-ci au bord supérieur de l'obi. Objet vestimentaire traditionnel japonais, ce netsuke semble avoir été utilisé pour la première fois en Chine au XVI ème siècle. Il aurait été plus tard exporté au Japon où il apparaitra à l'époque Fujiwara, servant alors à retenir le sachet contenant une pierre à briquet utilisée pour allumer un feu la nuit afin d'écarter les animaux sauvages. Sa date d'arrivée au pays du soleil levant reste toutefois imprécise, mais ce petit accessoire connaitra un essor important durant la période Edo. A une époque où il ne faisait pas bon faire ostentation de ses richesses, le netsuke était représenté sous la forme d'un simple morceau de bois ou de bambou sans forme particulière ou encore sous l'apparence d'un coquillage percé. Avec l'enrichissement de la population, il sera plus tard confectionné avec des matériaux de plus en plus onéreux et richement sculptés.
Revenons maintenant à l'inro, la fameuse petite boite, probablement venue de Chine, tout comme le netsuke, car là-bas aussi, il était courant de suspendre des objets sur soi. L'inro sera d'usage courant au Japon dès la période Temmon (1532-1554). Sous la période Tensho (1573-1591), il sera décoré d'une simple couche de laque uniformément noire, avant d'adopter un style de décoration proprement japonais. Il fit d'abord office de poche pour le kimono, afin de transporter avec soi les sceaux à cacheter ainsi que la cire vermillon, mais aussi des médicaments ou même de la drogue. Ce n'est que sous la période Meiji que l'utilisation de l'inro décroitra à cause de l'apparition du costume occidental (muni de poches). La petite boite est généralement réalisée en bois de paulownia, en bambou ou bien tressée à partir de lanières de bambou. L'inro est fait en cuir lorsqu'il sert de blague à tabac et il est dans ce cas accompagné d'un étui renfermant la pipe. L'objet est aussi agrémenté d'une multitude de décors sculptés, en laque ou bien recouvert d'écaille de tortue. Les plus beaux sont gainés dans un étui généralement recouvert lui-même de laque unie. Les hommes portant parfois plusieurs inros à la ceinture, les petites boites pouvaient s'entrechoquer et abimer leur vernis, d'où l'utilité des étuis. L'exposition m'offre de voir plusieurs de ces petites boites, œuvres d'artistes comme Yoyoka Somin, Ichinomiya Nagatsune, Goto Ichijo, ou Kano Natsuo...les décors représentés sont souvent des plantes, des animaux, ou des représentations de légendes anciennes du Japon traditionnel.
Les inros sont formés de compartiments s'emboitant les uns sur les autres. On compte entre un et ...sept compartiments, plus le couvercle. Les différents composants sont reliés entre eux par une cordelette, cordelette qui coulisse dans des canaux (himotoshi) situés de part et d'autre de chaque compartiment. Cette cordelette est maintenue tendue par un clip (ojime) afin de fixer les compartiments entre eux.
Lors de ma visite, je peux admirer un inro orné de glycine, œuvre de Hara Yoyusai (ci-dessous) datant de l'époque Edo. Le dessin représente un jet de glycines en fleurs au milieu d'un vol d'hirondelles, gravés à l'argent et à l'or fin, tandis que la scène dépeint le début de l'été. L'artiste est connu pour être un célèbre créateur de makis de style Rinpa, ces rouleaux manuscrits ou peints. L'homme s'illustrera tout particulièrement à la fin de l'ère Edo.
Un autre inro (deuxième photo) est l'œuvre de Shibata Zeshin. Ce maitre artisan de la fin de la période Edo représente ici la femme d'un fermier portant des enfants dans ses bras et interpellant par la fenêtre de la ferme, un colporteur de pâte à noircir les dents.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Le Dandysme à l'époque Edo », Musée Nezu, 6-5-1 Minami Aoyama, Minato-ku, à Tokyo. Tél : +81 3 3400 2536. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 10h00 à 17h00. Entrée : 1000 yens (exposition permanente) ou 1200 yens (exposition temporaire). Prise de photos interdite. Pour vous y rendre, descendre à la station de métro Omotesando, emprunter la sortie B3, puis marcher une dizaine de minutes.
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Tous mes remerciements à Madame Kayoko Muraoka, directrice adjointe du Musée, pour son assistance.