Lundi 27 juillet 2015
Le temps médiocre actuel sur la Bretagne se prête davantage à la visite d'expositions qu'aux séances de bronzage. C'est ainsi que, me trouvant actuellement à Vannes, je suis tombé sur l'exposition «Les Morbihannais dans la Guerre 14-18 », exposition prolongée jusqu'au 20 septembre prochain. Les célébrations du récent centenaire de la première guerre mondiale ont prouvé l'attachement des Européens à leur histoire et c'est tant mieux, à une époque où nos gouvernants tentent bien souvent d'enterrer les racines de notre passé, pour mettre en place un homme nouveau. A l'échelle du département du Morbihan, l'actuelle exposition proposée par les Archives départementales offre à un large public un éclairage complet sur une histoire finalement méconnue. Un siècle après le déclenchement du conflit, on s'aperçoit que beaucoup de choses restent à découvrir. En effet, que sait-on de la présence des populations étrangères (soldats américains, travailleurs chinois, réfugiés belges...), de l'économie d'un département de l'arrière ou encore des ravages de la grippe espagnole ?
A partir de ce constat, les Archives départementales du Morbihan se sont attachées à livrer une recherche minutieuse dès 2012, grâce au dépouillement de près de 800 liasses de documents historiques. D'autres sources historiques issues des archives audiovisuelles de l'armée, des archives de la Banque de France ou du service de santé des armées, sont venues enrichir cette manne d'informations permettant ainsi d'offrir une exposition passionnante aux visiteurs de passage.
L'exposition est organisée autour d'une scénographie déclinée autour de quatre espaces : la préparation de la France à ce conflit, après l'humiliation de 1870, l'immersion dans le quotidien d'un département de l'arrière rythmé par des arrivées successives de réfugiés, prisonniers ou blessés, les affres des combats terrestres, maritimes et aériens. Enfin, le dernier espace est consacré à la paix, au souvenir et à la mémoire. Le visiteur peut ainsi approfondir ses connaissances à travers les documents et objets présentés, mais aussi grâce à des bornes interactives et des scènes reconstituées recréant le quotidien des soldats morbihannais au front et des femmes et hommes de l'arrière. En 1914, la France a réorganisé son armée suite à la guerre de 1870 et le Morbihan abrite la 11ème région militaire : Vannes accueille ainsi les 28è et 35è régiments d'artillerie ainsi qu'un arsenal militaire tandis que Lorient abrite le 62è régiment d'artillerie et un grand port militaire. Le passage des jeunes sous les drapeaux est désormais monnaie courante, notamment dans les garnisons de Vannes, Lorient et Pontivy et la durée du service militaire passe même de deux à...trois ans dès 1913.
En 1914, le Morbihan est un département rural, avec très peu d'industrie. L'essentiel de l'économie tourne autour de la pêche et de l'agriculture et le département est alors divisé en deux parties, le Morbihan de l'intérieur et celui du littoral. Les habitants sont pauvres et souvent illettrés. On y parle pas toujours le français car on pratique surtout les langues gallo et bretonne. La population est en fort développement grâce à un taux de natalité élevé et l'exode rural se dirige vers les centres urbains. La République trouve timidement sa place dans un département encore fortement dominé par l'empreinte de la religion. C'est le 1er août 1914 qu'est décrétée la mobilisation générale pour les hommes de 19 à 42 ans. Ce n'est pas vraiment une surprise pour la population morbihannaise mais l'émotion est palpable. Cette mobilisation est très rapide et efficace et les premiers trains partent sans délai vers le front, une fois les paquetages des hommes complétés. La France déclare la guerre à l'Allemagne le 3 août et le 88è régiment d'infanterie part pour le front. 73000 Morbihannais sont alors mobilisés dans tous les corps de métiers. Parmi eux, on compte notamment 375 prêtres et 75 séminaristes. Le manque de main d'oeuvre ne tardera pas à affecter l'économie locale comme les chantiers de l'arsenal lorientais qui devra mettre un terme à ses activités. Femmes et enfants devront prendre la place des hommes pour les moissons et toutes les bonnes volontés seront alors les bienvenues.
Au cours de la Première Guerre mondiale, le Morbihan ne sera pas simplement utilisée comme base arrière. Certes, l'armée française se servira de ce département pour y replier des dépôts de régiments (dix-sept dépôts étaient accueillis sur place dès 1915) mais aussi pour former de jeunes conscrits. Le littoral sert alors de terrain d'entrainement pour les soldats : plages et dunes sont utilisées pour l'infanterie tandis que la mer sert de terrain idéal pour l'artillerie. Parallèlement, on réquisitionne de nombreux bâtiments publics (écoles, bâtiments d'Etat et bâtiments ecclésiastiques...) afin d'héberger les nouveaux venus qui compensent en partie l'absence de 60 000 agriculteurs morbihannais au moment des moissons. Pour le commerce local, cette arrivée massive de militaires est une aubaine et plusieurs bourgades rédigeront même des pétitions dans l'espoir de conserver ces détachements providentiels, malgré les quelques nuisances quelquefois occasionnées par les troupes (délit d'ivresse). Le département servira aussi de lieu de refuge pour près de 30000 réfugiés, Français et Belges (surtout des Flamands) pour la plupart. Il sera alors fait appel à la solidarité des populations locales pour adoucir la vie de ces déracinés et l'Etat mettra entre autre à leur disposition des bâtiments publics comme lieux d'hébergement. D'autres actions d'entraide seront enfin organisées comme la fameuse Journée du drapeau belge (en décembre 1914). Cela n'empêchera pas les Morbihannais de faire preuve d'une certaine méfiance vis à vis de réfugiés qui resteront avant tout des étrangers pour bon nombre d'habitants. Dès août 1914, l'armée française fait de nombreux prisonniers de guerre allemands et le Morbihan en abritera dans ses forts isolés mais facilement utilisables : dès janvier 1915, on comptera 464 prisonniers allemands à Quiberon, 2300 à Coëtquidan et 2800 à Belle Ile en Mer (avec en plus, 51 officiers allemands). Tous ces prisonniers seront bien traités, dans le strict respect des conventions internationales et seront soignés dans les hôpitaux de Vannes, de Belle Ile en Mer et de Guer. Et les autorités françaises d'affecter ces hommes au travail forcé. Morbihan sera à ce titre précurseur en permettant la construction de chemins ruraux et d'exploitation grâce à cette nouvelle main d'oeuvre dès le 30 janvier 1915. Ces mêmes prisonniers participeront également aux travaux des champs durant l'été, et même à l'édification du port d'Er-Bec à Houat (en 1915 et 1916).
Il n'y a pas de guerre sans argent et la France chercha rapidement à collecter de l'or afin de financer le conflit. L’illettrisme dominant dans la population morbihannaise ne facilitera pas la communication auprès des populations locales et les autorités devront imprimer des tracts en gallo et en breton pour mieux les informer. Il sera aussi fait appel aux relais locaux comme les maires, les instituteurs, les curés, les notaires, les banquiers et même les agents d'assurances, autant de personnes reconnues et influentes auprès des Morbihannais. Ces efforts ne seront pas superflus car la contribution financière de l'arrière-pays restait négligeable et le Morbihan ne se classera d'ailleurs, en 1915, qu'au...53è rang des départements contributeurs.
Nous l'avons vu plus haut, dès l'automne 1914, les femmes participeront très largement à l'économie de guerre, en travaillant notamment dans les usines d'armement comme à l'usine pyrotechnique de Lorient où l'on comptera 900 ouvrières à la fin de la guerre (au lieu de 102 en 1904). Ces ouvrières sont très nombreuses à Vannes, Lorient et Hennebont et permettront le développement de l'industrie au profit de l'armée : deux millions d'obus seront ainsi fabriqués par elles à Lorient en 1917. A cette époque, les femmes gèrent également les exploitations agricoles avec l'aide des étrangers (prisonniers de guerre, internés et réfugiés compris). A la même époque, la jeune république chinoise envoie en France 140000 volontaires, appelés Célestes, en signe de participation à l'effort de guerre. Quelques dizaines de milliers d'entres eux seront affectés dans le Morbihan pour travailler dans les usines civiles et militaires. A cette époque, la vie est dure pour les populations car les prélèvements sur les biens de la vie courante sont importants afin d'approvisionner les troupes. Même la vie des écoliers souffre de cette guerre, depuis le départ au front de 439 instituteurs et la réquisition de 42 écoles morbihannaises. On rappelle alors les maitres à la retraite, on privilégie le thème de la guerre dans les sujets de rédaction et on organise des collectes de fonds, comme lors de la Journée du 75. Mais cela n'empêche pas l’absentéisme des enfants de grimper en flèche.
La solidarité s'exprime en de maintes occasions, à l'égard des familles dont le chef est parti à la guerre. Une allocation pour femmes nécessiteuses est alors mise en œuvre et 21 œuvres de guerre sont créées dans le département du Morbihan pour les prisonniers de guerre et les orphelins à l'aide de subventions publiques ou de dons. Quant aux soldats du front, ils bénéficient aussi de la solidarité, grâce à des opérations organisées par les populations civiles comme par exemple celle des « lainages pour l 'armée » qui est mise en œuvre dès septembre 1914.
Le département sert aussi de base sanitaire pour accueillir malades et blessés : le 20 août 1914, 425 blessés arrivent en gare de Pontivy puis cinq cents autres à Vannes, six jours plus tard. Le Morbihan offrira ainsi 1500 lits d'hôpitaux mais les prévisions de l'armée sont très vite dépassées et les structures bénévoles seront alors les bienvenues pour renforcer l'accueil des hôpitaux publics. 150 000 malades ou blessés seront ainsi secourus dans 86 hôpitaux du département, dont des malades souffrant de typhus, de la tuberculose, de diphtérie, et de choléra...
L'Allemagne, coincée face à l’efficace blocus franco-britannique, se lance bientôt dans la guerre sous-marine. La guerre aérienne n'en est qu'à ses débuts lorsque le Morbihan accueille les première forces aériennes en 1917 car la région est alors dépourvue de défenses efficaces. Mais la population locale ne comprend pas très bien l'intérêt stratégique de cette aviation, d'autant plus que pilotes et observateurs lancent de fausses alertes lors des premiers vols de reconnaissance aérienne effectués à bord d'hydravions ou d'autres appareils plus maniables. L'armée intègre alors à cette force aérienne des marins et des équipages plus expérimentés. C'est que les U-Boote allemands sont menaçants au large du Morbihan et le naufrage du « Lusitania », le 7 mai 1915, a traumatisé les populations, avec ses 1198 victimes. On comptera ainsi 65 navires coulés par l'adversaire entre la pointe de Penmarch et l’île de Noirmoutier, entre 1915 et 1917. Bientôt, l'armée française déploie une autre force : les fusiliers-marins. Ces 6600 inscrits maritimes réservistes sont rassemblés au sein de la Brigade des Fusiliers-Marins de Lorient, sous les ordres de l'Amiral Ronarc'h. Peu expérimentés, ces hommes seront tout de même envoyés en première ligne dès le mois de septembre 1914 afin de compenser les premières pertes sur le front. La bataille de Dixmude restera le plus grand fait d'arme de cette brigade de demoiselles (surnom donné à ces soldats sans expérience). Lors de la bataille de l'Yser, les jeunes fusiliers-marins tiendront en effet avec succès les positions à Dixmude, cette ville belge alors menacée par les troupes allemandes en octobre 1914, jusqu'à ce que la zone alentour soit inondée par les alliés et bloquent une fois pour toutes l'accès aux Allemands. Les pertes chez ces demoiselles, devenues désormais des hommes, s’élèveront quand même à 3590 fusiliers (sur les 6150 engagés). Pendant ce temps, le Morbihan se tient tant bien que mal informé de ce qui se passe sur le front : le télégraphe joue un rôle important mais il faut cinq à six heures pour que les nouvelles du front parviennent jusqu'à la préfecture de Vannes. La presse, elle aussi, informe les populations locales mais elle est couramment censurée afin de ne pas atteindre le moral des habitants. L'armée use quant à elle d'une astucieuse propagande.
Le 6 avril 1917, les Etats-Unis entrent dans la guerre et envoient quelques troupes en France. Un camp américain nait ainsi dans le Morbihan qui participera à la formation de ces Sammies venus d'outre-atlantique. Un premier contingent américain débarque ainsi à Saint Nazaire le 26 juin 1917. D'autres arrivées de troupes américaines auront lieu plus tard dans les principaux ports du département, contribuant ainsi à la surveillance des côtes et au combat contre la guerre sous-marine allemande. Plusieurs milliers de soldats américains seront présents sur place durant deux ans, créant parfois quelques troubles à l'ordre public (ivresse ou délits divers) auprès de la population locale. Malgré cela, les Morbihannais sauront faire preuve de solidarité vis à vis des Sammies et décoreront parfois leurs maisons aux couleurs des Etats-Unis comme à Vannes, le 4 juillet 1918.
Sur le front, on découvre que la France n'était finalement pas prête pour ce conflit. Et le Morbihan de mobiliser quelques 120 000 hommes pour faire face à cette terrible guerre de tranchées. Il ne sera d'ailleurs pas rare de voir nos Bretons baptiser les maudites galeries avec des noms comme Ker Breiz, ou Ker Miser... Dès août 1914, les permissions sont supprimées mais des « permes » seront toutefois accordées, plus tard, pour préserver le moral des troupes et parfois par nécessité (au moment des moissons). Des convois entiers de permissionnaires seront ainsi organisés dès septembre 1915. Certains soldats morbihannais seront aussi faits prisonniers mais peu d'entre eux bénéficieront alors d'un retour anticipé.
Le 11 novembre 1918, les cloches du Morbihan sonnent à pleines volées. C'est partout l'euphorie lorsqu'on apprend la nouvelle de l'armistice (celui-ci sera officiellement signé le 28 juin 1919, lors du Traité de Versailles). Et le 116è régiment d'infanterie de rentrer à Vannes sous les applaudissements le 19 juillet 1919. La démobilisation générale sera quant à elle annoncée le 14 octobre de la même année. L'heure est au bilan : l'hécatombe aura fait 21851 morts morbihannais, dont 13801 agriculteurs (soit 63 % du total des pertes pour ce département), 516 militaires de carrière, 477 marins pêcheurs, 429 marins de commerce, 366 menuisiers, 348 maçons, 293 manœuvres et...258 boulangers, portant ainsi un sévère coup à l'économie locale mais aussi un terrible coup au moral d'une population qui, en dépit de ses efforts, ne parviendra pas toujours à récupérer les dépouilles des hommes morts au combat. Il faudra en effet attendre le 23 mars 1921 pour que Vannes accueille les cinquante premiers cercueils des malheureux soldats. On verra plus tard la création d'associations d'anciens combattants, puis de campagnes de collectes de souvenirs comme celle organisée par le Nouvelliste du Morbihan. 1968 sera l'année de l'organisation de la première exposition relatant cette guerre, événement conçu par les Archives départementales du Morbihan. En 1987, Cournon sera la dernière commune du département à se doter d'un monument aux morts, tandis qu'un an plus tard, sera fêté le 70è anniversaire de l'armistice. Victor Coquin, lui, s'éteindra en 2002. Il sera le dernier témoin morbihannais de cette terrible guerre des tranchées.
INFOS PRATIQUES :
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Archives départementales, 80 rue des Vénètes, à Vannes. Tél : 02 97 46 32 52. L'exposition « Les Morbihannais dans la guerre 14-18 » est visible sur place jusqu'au 30 septembre 2015 et l'entrée est gratuite. Les archives sont ouvertes du lundi au vendredi de 9h00 à 17h30. Site internet : http://www.archives.morbihan.fr/accueil/
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Les passionnés pourront se procurer sur place le livre « Les Morbihannais dans la Guerre 14-18 » (en photo ci-dessous) publié pour l'occasion par les Archives départementales. Prix : 20 €.
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Merci à Yves-Marie Evanno pour son aide.