Vendredi 31 juillet 2015
Me voici cette fois sur l'Île de Noirmoutier, pour rendre visite à ma famille. Cela ne m'empêchera pas de partir à la découverte d'une personnage à qui l'île devra beaucoup au cours de son histoire : Jean Corneille Jacobsen. Île française de l'océan atlantique, Noirmoutier se situe en Vendée et est encore aujourd'hui reliée au continent par une chaussée submersible appelée Passage du Gois, même si elle est également reliée par un pont depuis 1971. Le Gois n'est pas l'unique chaussée submersible existante dans notre pays mais celle-ci est remarquable par sa longueur exceptionnelle de 4,125 kilomètres. A marée haute, la mer recouvre la chaussée d'un mètre trente d'eau, ce qui est suffisant pour noyer les véhicules imprudents. Mieux vaut donc ne pas s'y aventurer sans avoir relevé les horaires des marées. Le nom de Gois vient du verbe goiser (marcher en mouillant ses sabots) et remonte à 1577. Le passage servait alors aux hommes et aux animaux pour traverser la grève à marée basse.
Une fois sur cette île aussi surnommée Île aux mimosas, à cause de sa douceur climatique, le visiteur n'a que l'embarras du choix parmi les nombreuses activités qui lui sont proposées. Ses paysages dominants sont les marais salants, les dunes et les forêts de chênes verts. A ma question sur l’origine du nom de l'île, l'office de tourisme m'a répondu que moutier se rapportait à un monastère habité autrefois par des moines vêtus de noir, d'où le terme noirmoutier. Le plus célèbre des moines, Saint Philbert, s'installa ici dès 674 et fonda le fameux monastère. Il y récoltera déjà le sel et construira les premières digues. Il faudra attendre le XVII ème siècle pour que l'île subisse de plus importantes transformations encore, avec la construction de nouvelles digues et de polders, en asséchant des centaines d'hectares par des procédés flamands mis en œuvre par la famille Jacobsen alors originaire de Dunkerque. Ce sont ces terres gagnées sur la mer qui permettront la création de marais salants et de champs pour les pâtures et la culture de céréales. C'est à ce Monsieur Jacobsen que nous allons maintenant nous intéresser en partant sur les traces de cet infatigable bâtisseur. Un circuit de plus de sept kilomètres permet aux touristes d'en apprendre davantage sur la vie de cet homme et sur ses réalisations. Deux heures de marche à pied sont alors nécessaires pour parcourir l'endroit.
Accompagné de ma cousine Véronique, je pars sur l'un de ces parcours mis en place par la municipalité de Noirmoutier en l'Île : Sur les traces de Jacobsen. Cette balade, initialement prévue pour durer deux heures, nécessite presque le double pour découvrir tranquillement l'endroit, sur une distance d'un peu plus de sept kilomètres. Nous commençons notre périple par la jetée Jacobsen, qui part du port de Noirmoutier en l'Île. C'est Jean Corneille Jacobsen qui commanda la construction de cette jeté dès 1810, afin de protéger l'avant-pot de la petite ville tout en créant une zone d’assèchements, permettant ainsi de donner naissance à une zone de 59 hectares, les marais des petit et gras Müllembourg. L'ouvrage nécessitera trois-cents ouvriers et sera de longue haleine. Il s'agira au départ d'une digue rectiligne de 1609 mètres, percée en son milieu par un canal muni d'une vanne qui permettra d'alimenter en eau les marais situés dans les Müllembourg. En 1812, un raz de marée détruira les marais, perturbant les gigantesques travaux qui seront achevés en 1815. Le 28 décembre 1821, un ouragan viendra à son tour endommager la jetée et dix-sept jours seront alors nécessaires pour évacuer l'eau puis réparer la chaussée. Le 1er janvier 1877, un autre raz de marée envahira les Müllembourg depuis la mer. La jetée deviendra la propriété de l'Etat en 1877. Alors carrossable, elle sera utilisée comme chemin de halage. Et les bateaux de hisser un pavillon spécial pour avertir les vieux marins en mal d'activité que du travail les attendait. Ceux-ci accouraient alors pour remorquer les navires jusqu'au quai. Plus récemment, la tempête Xynthia frappera durement la jetée le 28 février 2010, rendant indispensable des travaux de renforcement, travaux qui dureront plus d'un an. Cette digue est étroitement liée à la ville de Noirmoutier et servit à gagner des terrains sur la mer. Négociant et armateur, Jean Corneille Jacobsen se lancera dans cette entreprise avec pour objectif de faciliter la circulation des bateaux dans le port et de créer des zones de polders, donnant ainsi naissance plus tard aux marais salants. La jetée se résuma d'abord à une levée de terre faite de sable, d'argile et de graviers, revêtue d'un parement extérieur de pierres sèches. L'endroit est depuis devenu une zone protégée, zone transférée au département de Vendée depuis 1997 et classée comme monument d'intérêt pour la sécurité civile depuis 2006. La jetée mesure désormais 1813 mètres et protège un secteur de 150 hectares. Constituant une véritable barrière protectrice face à la mer, elle subit toutefois d'importants travaux en 2010 avec rehaussement et stabilisation du corps de digue par l'utilisation de 150 pieux et de 12000 tonnes de rochers, la rénovation de quatre ouvrages hydrauliques, l'étanchéité du côté du chenal à l'aide de 14000 m2 de parement, la stabilisation de la voirie avec 1600 mètres de voirie aménagée sans oublier la reconstruction de 258 mètres du muret du Fort Larron.
Sur notre passage, apparaissent les marais de Müllembourg, réserve naturelle nationale de cinquante hectares depuis 1995. Délimitée entre Noirmoutier en l'Île et Fort Larron (ci-dessous en photo), on aperçoit le grand Müllembourg à l'est, et le petit Müllembourg à l'ouest (avec ses dix salines qui servaient de bassins de « chauffe » pour préparer l'évaporation d'eau de mer). Ces marais salants faillirent jadis faire disparaître les marais de Müllembourg, mais, après une période de déclin de l'activité salicole, on observa un redémarrage de la récolte de sel dès les années 1980. Le Fort Larron, lui, fut autrefois bâti sur un ancien îlot de la rade et son positionnement stratégique à l'entrée du chenal joua un rôle essentiel dans la défense du Bois de la Chaise entre les XVI è et XIX è siècles. L'îlot fut ensuite rattaché à la terre par une digue côté mer en 1811, puis par une autre digue située le long de l'étier. Puis, les années 1920 virent le démantèlement du fort qui servira plus tard de magasin. On peut encore de nos jours en voir les vestiges. Désormais le Fort Larron, situé à proximité d'un fragile cordon dunaire peu à peu reconquis, abrite les activités de conservation de la réserve naturelle nationale voisine.
Après avoir traversé les plages des Sableaux et la pointe Saint Pierre (ci-dessous), nous atteignons la plage des Dames en traversant le Bois de la Chaise (deuxième photo) : ce bois est caractérisé par une forte présence de chênes verts depuis plus de 8000 ans. Pourtant, l'endroit subit deux grandes dévastations. La première eut lieu en 1674 avec le débarquement des Hollandais dans l'Anse de la Claire, tout près du bois (que ceux-ci détruisirent partiellement). Il faudra attendre le XVIII è siècle pour que la chênaie se régénère. La seconde dévastation eut lieu lors de la révolution française, à l'hiver 1793, lorsque les troupes républicaines et les habitants saccagèrent le Bois de la Chaise pour se chauffer. En 1822, Jean Corneille Jacobsen obtiendra une concession à durée déterminée de la forêt domaniale, puis deviendra inspecteur général des bois du Roi, deux ans plus tard. Une première campagne de reforestation infructueuse aura alors lieu avec peupliers, ormeaux, saules et chênes blancs. La seconde campagne, elle, sera cette fois un succès, grâce, sans doute, au semis de pins maritimes. D'autres espèces végétales seront aussi introduites, comme le pin maritime des Landes ou le cyprès de Lambert (sur le front de mer), tandis qu'acacias, mimosas et arbousiers enrichiront l'intérieur du bois. La faune de l'endroit est composée de pigeons ramier, de mésanges bleues, de fauvettes à tête noire et de hiboux petit Duc. On y trouve aussi de nombreux insectes comme le Sphinx de troène, le papillon familier du bois ou la lucane cerf-volant. Le Bois de la Chaine est bordé de cinq plages : Les Sableaux, la Pointe Saint Pierre, la plage des Dames, l'Anse rouge et les Souzeaux. Le désenclavement du bois débutera au début du XIX è siècle avec la création d'un réseau de chemins. Puis le percement, en 1903, de l'avenue de la plage (l'actuelle avenue Georges Clémenceau). Quelques années auparavant, en 1859, Jules Piet avait créé la Société des Bains de mer de Noirmoutier, avec six cabines de bain situées sur l'Anse des Souzeaux. Cette société sera bientôt transférée à la plage des Dames (troisième photo ci-dessous), plus à l'abri des vents. Les baigneurs pouvaient alors se changer dans les cabines, respectant ainsi l'arrêté municipal concernant la pratique du bain nu (celui-ci n'était alors autorisé que sur certaines plages, avant d'être carrément supprimé en 1877).
En 1860, un service régulier de bateaux avait été créé entre Pornic et le Bois de la Chaise mais les passagers débarquaient les pieds dans l'eau. Construit en 1867, le phare de la Pointe des Dames servait alors de point de repère pour la navigation. La construction de l'Estacade (photo ci-dessous) dès 1885 permettra aux Nantais et aux Parisiens de débarquer des bateaux à pied sec. Il faut dire qu'entre temps, le chemin de fer Paris-Nantes-Pornic, avait dès 1876, permis d'accélérer considérablement le développement de l'île de Noirmoutier. L'embarcadère, en bois d'azobé, descendait alors en pente douce vers l'océan, avant d'être rebâti en 1903, mais sans pente. Un débarcadère latéral viendra compléter l'installation dès 1908 (et jusqu'à 1938, date de son remplacement). C'est que les Allemands ne virent pas cette jetée d'un bon œil lors de la seconde guerre mondiale et la démantelèrent. L'endroit deviendra propriété communale en 1950 avant d'être reconstruit, jusqu'à ce que l'estacade ne souffre de dégâts sérieux lors des tempêtes de 2005/2006. Sur les 162 mètres de jetée, 58 furent reconstruits en 2013 et 2014, et un débarcadère fut installé.
Nous partons désormais en direction du Chemin du Gaillardin où furent érigées de nombreuses villas au cours du XX è siècle. Dans les années 1860, le Bois de la Chaise appartint à la famille Jacobsen mais en février 1860, Alexandre Jacobsen (le fils de Jean Corneille Jacobsen) et Virginie Baussan divorcèrent et procédèrent à la vente de leurs biens. Une parcelle de terre située près de l'Anse rouge fut alors acquise par Frédéric Plantier, qui fit ériger la Tour Plantier (première maison sur le front de mer du Bois de la Chaise), en 1861. Des querelles éclateront entre les familles Piet et Jacobsen, tandis que des villas seront construites pour accueillir les excursionnistes venus de Nantes ou de Paris, transformant ainsi la zone en station balnéaire. La première génération de villas s'étala entre 1860 et 1900. Les maisons étaient alors architecturalement régulières et symétriques (comme la villa « Les Louinas », au 22, Avenue Georges Clémenceau, bâtie en 1871). Puis, les constructions adoptèrent une architecture balnéaire, de style pittoresque, dès les années 1890. On distingua une asymétrie, avec rupture de plans des élévations, puis redistribution des espaces, utilisation de matériaux variés et décor éclectique. L'architecte nantais Emile Libaudière sera l'un des maitres d'oeuvre de ce style pittoresque, et réalisera la villa « Le Gaillardin » entre 1905 et 1906. L'entre-deux guerres verra l'apparition des maisons de villégiature, au style plus épuré (comme la villa « La Grange au Bois », située au 4 de l'allée du Cob, qui fut bâtie en 1907 par l'architecte Henri Fleury). Les années 1930 permettront enfin l'émergence d'un style régionaliste, avec l'apparition d'éléments architecturaux de style rural noirmoutrin, comme ces murs enduits et blanchis, ces toitures en tuiles rondes avec génoise, des volumes bas et une surélévation partielle en grenier haut.
La dernière étape de notre promenade nous conduit, Véronique et moi, dan l'ancien quartier Banzeau, bâti sur l'ancien territoire de l'Abbaye Noire (datant du VIIè siècle) et sur des terres conquises sur l'océan au XVè siècle. Nous marchons désormais en direction du centre de Noirmoutier en L'Île et apercevons au loin le château fort de la ville (ci-dessous). Symbole du pouvoir féodal et emblème de l’histoire insulaire, cette forteresse deviendra progressivement un lieu de résidence comme l'attestent cheminées monumentales et fenêtre à meneaux. Construit à la fin du XIIè siècle par le Seigneur Pierre V de la Garnache, ce château évoluera au fil du temps. Vers 1690, Josse Hertsfelt, alors gouverneur de l'île, ré-administrera la fonction résidentielle au château, en y faisant construire le Logis du Gouverneur et en ouvrant l'entrée actuelle (donnant sur le port). Au XVIIIè siècle, l'endroit sera utilisé pour stocker du matériel militaire avant de devenir une forteresse jusqu'en 1895, date de sa démilitarisation. La Municipalité en fera ensuite l'acquisition (en 1901) pour y implanter un premier musée. Classé Monument historique en 1994, ce château fait partie des rares donjons romans du Grand Ouest qui soient aussi bien conservés.
A côté de la forteresse se dresse l'église de Saint Philbert (ci-dessous, deuxième photo), à l'endroit même où s'élevait autrefois le monastère bénédictin, fondé par Saint Philbert en 675. La crypte actuelle, située sous le choeur de l'église, représente les restes de la chapelle de ce monastère (troisième photo) et abrite un cénotaphe du XI è siècle, matérialisant le premier lieu de sépulture du saint, ainsi que les reliques et une statue de ce dernier. L'endroit est classé monument historique depuis 1898. Né en 616 dans le Gers, à Eauze, alors capitale de l'Aquitaine, au temps du roi Dagobert, Philbert était le fils de Philibaud, un haut fonctionnaire royal (l'équivalent de notre préfet), lequel une fois devenu veuf, sera réclamé comme évêque par les habitants. Philbert sera élevé à la cour du roi, avant de devenir ecclésiastique. Il se mettra bientôt à voyager d'abbaye en abbaye, à travers la France, la Suisse et l'Italie accumulant ainsi les expériences. Il fondera d'abord une première abbaye à Jumièges, en 654, avant d'être interdit d'accès de cette ville car poursuivi par la haine d'Ebroin, le maire du palais d'alors. Recueilli par Ansoald, évêque de Poitiers, il fondera un monastère sur l'île d'Her (l'actuelle île de Noirmoutier) vers 674-675.
INFOS PRATIQUES :
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Le circuit « Sur les Traces de Jacobsen » part du bout de la jetée Jacobsen (à côté du port) pour se terminer au même endroit. Il passe par la jetée, les marais de Müllembourg, le Fort Larron, les pages des Sableaux , la Pointe Saint Pierre, le Bois de la Chaise et la plage des Dames, avec arrêt à l'estacade. Depuis le Bois de la Chaise, on reprend l'avenue Georges Clémenceau, puis le Chemin du Gaillardin, pour ensuite rejoindre le centre-ville en passant par le château et l'église Saint Philbert. Durée du circuit : trois heures environ. Distance parcourue : 7,2 kilomètres. Tout au long du parcours, des panneaux d'information informent les touristes sur les lieux traversés. D'autres balades insulaires sont disponibles (se procurer la brochure « Balades insulaires »). Informations auprès de la Maison du Tourisme, rue du Polder à Barbâtre. Tél : 02 51 39 80 71. Site internet : http://www.ile-noirmoutier.com
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Château de Noirmoutier, Place d'Armes à Noirmoutier en L'Île. Tél : 02 51 39 10 42. Entrée : 4,60€. Un musée peut être visité à l'intérieur de la forteresse. « L'île de Noirmoutier au quotidien, de l'Autriche-Hongrie aux Etats-Unis » est le thème de l'exposition qui s'y tient actuellement. Une association des Amis de l'Île de Noirmoutier connait bien le château et plus généralement les richesses de l'île. Elle est joignable au 02 51 39 54 54 ou par internet : http://www.amis-ile-noirmoutier .fr
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Des guides sont également à votre disposition pour vous faire visiter l'île. Contacter Anne-Marie Mary (06 88 46 32 75) et Brigitte Grillard (06 87 39 11 48) pour plus de détails.