Dimanche 15 novembre 2015
Le monastère que je visite cette fois est situé sur un plateau fertile, à 23 kilomètres au sud de Réthymnon. Son allure de forteresse rehaussée d'une remarquable façade Renaissance étonne. Son origine remonte au XV ème siècle et ce centre religieux prit beaucoup d'importance entre les XVI è et XVIII è siècles. Ses 300 moines (il n'en reste plus que trois de nos jours) qui vivaient sur place bénéficiaient alors de revenus confortables. On y copiait à grande échelle des manuscrits (dont la plupart seront perdus lors de la destruction du bâtiment par les Ottomans en 1866). Arkadi fut aussi un des hauts lieux de résistance contre l'occupation ottomane, ce qui le rendit encore plus célèbre. On ne connait pas exactement la date de sa fondation mais on pense que ses fondations auraient été posées tantôt par l'empereur byzantin Héraclius, tantôt par l'empereur Arcadius (hypothèse plus probable) dès le V ème siècle (d'où le nom actuel du monastère Arkadi). Vers la fin du XVI ème siècle, la Crète vécut une période d'intense création culturelle et artistique et le monastère subit des transformations : l'endroit est transformé en monastère de cénobites et l'église à deux nefs, dont l'érection aura duré 25 ans, date de cette époque (une inscription à la base de son clocher mentionne 1587). Sa façade (ci-dessous) est marquée par l'influence de la Renaissance, l'île se trouvant sous domination vénitienne à cette époque-là. On le remarque dans son architecture, qui mélange à la fois des éléments romans et baroques. Parallèlement, des étables sont ajoutées en 1610, puis, un réfectoire en 1670.
L'enceinte du monastère d'Arkadi forme une surface quasi rectangulaire de 5200 m2. Son apparence de forteresse est confirmée par la présence de meurtrières situées dans la partie supérieure du mur ouest et sur les façades sud et est. De plus, les murs d'enceinte ont une épaisseur de 1,20 mètre. A l'intérieure de cette enceinte, se trouvent la maison de l'higoumène, les cellules monacales, le réfectoire, les entrepôts, la poudrière et l'hospice. L'accès se fait par deux portes, la porte ouest (ci-dessous), qui est la porte centrale, et la porte est. De plus petits portails, au sud-est, au nord et à l'ouest, permettaient aussi de pénétrer dans l'enceinte. La porte centrale porte le nom de Rethemniotiki, en raison de son orientation vers cette ville et fut bâtie en 1693. Elle sera détruite en 1866 par les Turcs, puis refaite quatre ans plus tard, en restant fidèle à la forme originale de départ (d'ou les deux fenêtres à l'étage entourées par deux colonnes).
En franchissant l'entrée principale, je me trouve aussitôt en face de l'imposante façade de l'église, une basilique à deux nefs, dont la nef septentrionale est consacrée à la Transfiguration du Christ, et la nef méridionale, à Saint Constantin et à Sainte Hélène. Dans sa partie inférieure, l'élément principal de la façade est constitué par quatre couples de colonnes aux chapiteaux corinthiens. Les colonnes elles-mêmes sont de style gothique, et entre chaque couple de colonnes se trouve un arc en plein cintre. Dans la partie supérieure, on distingue une série de moulures et des ouvertures en ellipses, avec, au centre, le clocher, et à chaque extrémité, des obélisques d'inspiration gothique. L'église sera une première fois endommagée en 1645 par des pilleurs qui détruiront l'autel. Puis en 1866, lorsqu'elle est incendiée par les Turcs (avec destruction de l'autel, des icônes, et des absides). L'iconostase actuelle, en bois de cyprès, date de 1902. Des travaux de restauration seront entrepris de 1924 à 1927 sur les absides et le clocher, tandis que les dalles de l'intérieur de l'édifice seront remplacées en 1933.
Autre lieu d'importance au monastère : la poudrière (en photo ci-dessous). Avant 1866, celle-ci était dans la partie sud de l'enceinte. Mais, un peu avant l'attaque turque, et par crainte que ceux-ci puissent facilement percer les parois de la pièce et ne fassent exploser la monastère, les munitions furent déplacées dans le cellier, qui se situe à environ 75 centimètres en contrebas par rapport à l'entrepôt initial, pour plus de sécurité. Le bâtiment, de forme oblongue et voûtée, a une longueur de 21 mètres et une largeur de 5,40 mètres. C'est cette salle qui explosa en 1866, et une plaque commémorative (deuxième photo) y est placée depuis 1930, en souvenir des tragiques évènements.
A quelques pas de là, dans l'aile nord, s'élève le réfectoire (ci-dessous), lieu où les moines prenaient leurs repas. Il fut bâti en 1687 comme le mentionne l'inscription figurant au-dessus de la porte conduisant à la cour du réfectoire. De cette cour, on peut rejoindre la maison de l'higoumène par un escalier. L'endroit est une salle rectangulaire de 18,10 mètres de long et de 4,80 mètres de large. Il est recouvert par une voûte et sa partie orientale abritait les cuisines. Ce qu'on peut voir aujourd'hui est la forme originale de la pièce car celle-ci n'a subi aucune transformation depuis sa construction. C'est là qu'eurent pourtant lieu les derniers combats lors de l'assaut des Turcs en 1866.
Une brochure m'est fournie en français à l'entrée du monastère, et comporte le plan détaillé des lieux et la description des différents sites remarquables : le reste de ma promenade me mènera successivement à l'abbaye qui fut, elle aussi, détruite en 1866, puis rebâtie en 1905. Elle était autrefois le lieu de réunion et d'hospitalité du monastère. A gauche de l'église, dans la cour, se dresse toujours un arbre qui fut le témoin de l'assaut ottoman. Son tronc porte d'ailleurs encore la trace d'une balle turque tirée lors de la bataille de 1866.
La salle à manger historique est aujourd'hui devenue un musée, où il est malheureusement interdit de prendre des photos. Ce fut le premier endroit où les moines prenaient leur repas. L'endroit est désormais devenu lieu de martyre depuis le massacre par les Turcs de 36 jeunes ici-même. Non loin de là, l'ancien dépôt d'huile accueille la boutique du monastère avec vente de souvenirs et d'icônes. Elle voisine avec le réfectoire. Des celliers sont toujours visibles et servaient jadis de refuge aux nombreux ouvriers, aux passants divers et aux pèlerins. A côté de la poudrière, se dresse encore la porte candiote, porte est, qui était autrefois utilisée comme accès immédiat pour les hommes et les animaux afin de se rendre dans les champs du monastère. Toutes proches, se trouvent les cellules monacales (ci-dessous), lieu de prière et de méditation pour les moines. Un portillon constituait l'entrée sud du monastère et était utilisé par les bergers. C'est de ce même portillon que trois messagers du monastère prendront la fuite pour aller chercher de l'aide, en novembre 1866, lors des attaques ottomanes. A proximité, s'étire un long couloir (deuxième photo) qui donnait sur d'autres cellules réservées aux moines (dont on peut voir certaines d'entre elles).
Le monastère d'Arkadi suscite l'effroi lorsqu'on retrace son histoire sous l'occupation ottomane. A l'époque, et malgré le fait que la Crète s'était soulevée contre les Turcs lors de la guerre d'indépendance grecque, le protocole de Londres de 1830 ne permettait pas à l'île de faire partie du nouvel Etat grec. Le 30 mars 1856, le Traité de Paris contraint le sultan à appliquer le Hatti-Houmayoun, c'est à dire l'égalité civile et religieuse des chrétiens et des musulmans. Mais les ottomans de Crète sont réticents, et l'Empire ottoman, devant l'importance des conversions de musulmans, tentera de revenir sur la liberté de conscience, sans compter l'instauration de nouvelles taxes et d'un couvre-feu. Une des causes de l'insurrection de 1866, sera l'intervention d'Ismaël Pacha dans une querelle interne concernant l'organisation des monastères crétois. Plusieurs laïcs proposaient, depuis 1862, que les biens de ces monastères passent sous le contrôle du conseil des Anciens, afin de créer des écoles, mais ils rencontreront l'opposition des évêques. Et Ismaël Pacha de se mêler de cette chose qui concernait avant tout les Chrétiens. Il désignera ainsi les interlocuteurs reconnus pour négocier, annulera l'élection de membres « non souhaités » et arrêtera, puis incarcérera des représentants supposés se rendre à Constantinople afin d'évoquer le sujet de discorde auprès du Patriarche. Aussitôt, cette ingérence dans les affaires chrétiennes provoque de violentes réactions au sein des Chrétiens crétois. Au printemps 1866, des réunions se tiennent dans plusieurs villages. Le 14 mai, une pétition est rédigée dans un monastère de Boutsounaria (près de La Canée) à l'adresse du sultan, mais aussi des consuls des grandes puissances présentes à La Canée. Des représentants provinciaux de comités révolutionnaires sont aussi nommés, dont l'higoumène Gabriel Marinakis, pour la région de Réthymnon, qui était aussi à la tête du monastère d'Arkadi. Lorsque Ismaël Pacha reçoit la pétition, il contacte l'higoumène par l'intermédiaire de l'évêque de Réthymnon et exige la dissolution de l'assemblée révolutionnaire d'Arkadi sous peine de destruction du monastère, mais l'higoumène refuse. En juillet, Ismaël envoie son armée pour capturer les insurgés, mais les membres du comité s'enfuient avant l'arrivée des Ottomans. Les Turcs repartent après avoir toutefois détruits icônes et objets sacrés trouvés dans le monastère. En septembre, Ismaël Pacha fait parvenir une nouvelle menace de destruction du monastère à l'higoumène si l'assemblée ne se rend pas. Et les moines de mettre en place un nouveau système de défense de l'édifice. Le 24 septembre, Panos Kotonaios débarque en Crète, se rend au monastère et est nommé commandant en chef de la révolte pour Réthymnon et sa région. Militaire de carrière, Koronaios pense que le monastère ne constitue pas une place forte, malgré l'opinion inverse de l'higoumène. Après plusieurs désaccords, Koronaios repart du monastère, après avoir nommé un successeur à son poste. Déjà, de nombreux habitants des environs, notamment des femmes et des enfants, viennent se réfugier au monastère d'Arkadi. Le 7 novembre, l'enceinte comptait 964 personnes (dont 325 hommes, parmi lesquels 259 étaient armés). Bientôt, Mustapha Pacha fera marcher ses troupes ottomanes sur Arkadi, tout en recevant entre temps des renforts turcs et égyptiens. Ses troupes atteindront le monastère dans la nuit du 7 au 8 novembre. L'assaut est donné au matin du 8, une armée commandée par Suleyman, et forte de 15000 Turcs et de trente canons se positionne sur les hauteurs autour du monastère, tandis que celle de Mustapha Pacha reste en retrait dans le proche village de Messi. Le premier objectif est la porte principale de l'enceinte, mais une journée de combats acharnés ne permettra pas de l'enfoncer. Les Crétois seront protégés par les murs tandis que les Turcs, à découvert, subiront de lourdes pertes. Trois messagers crétois, déguisés en Turcs, franchiront les lignes ottomanes pour chercher du secours. En vain, car toutes les routes étant bloquées par les Turcs, aucun secours ne pouvait parvenir à temps jusqu'au monastère. Les combats reprirent à l'aube du 9 novembre. Les canons finiront par venir à bout des portes de l'enceinte et les Turcs s'engouffreront à l'intérieur, face au feu nourri des Crétois, lesquels se trouveront bientôt à court de munitions. Ces derniers se réfugieront alors dans le réfectoire avant d'être purement et simplement massacrés par les Ottomans. Les autres Crétois rejoindront peu à peu femmes et enfants déjà rassemblés dans la poudrière, devant laquelle des centaines de soldats turcs se pressent bientôt. Devant l'invasion, le commandant en chef crétois fera alors feu sur les barils de poudre, causant ainsi la mort de tous les occupants de la poudrière mais aussi de soldats turcs. Dans une autre pièce, d'autres insurgés tenteront la même expérience mais la poudre, trop humide, n'explosera que partiellement, et ne détruira que la partie nord-ouest de la pièce. Sur les 964 personnes présentes à l'intérieur de la poudrière au début de l'assaut, 864 seront tuées par l'explosion ou au cours des combats, ainsi que 1500 Turcs. Les corps des Turcs et des Chrétiens seront inhumés en plusieurs endroits, ou resteront sans sépulture. Certains seront jetés dans les gorges voisines. On recueillera ensuite de nombreux ossements chrétiens afin de les rassembler dans le moulin à vent qui fait désormais office d'ossuaire (ci-dessous). Les 114 insurgés survivant à la bataille ne connaitront pas un sort meilleur : ils subiront humiliations, insultes et jets de pierres de la part des populations musulmanes locales. Femmes et enfants seront enfermés, une semaine durant, dans l'église de la Présentation de la Vierge de Réthymnon, tandis que les hommes seront incarcérés pendant une année entière dans des conditions difficiles. Et le consul de Russie d'intervenir auprès de Mustapha Pacha afin de réclamer des conditions de détention décentes pour ces prisonniers qui seront finalement libérés.
INFOS PRATIQUES :
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Monastère sacré d'Arkadi : ouvert toute l'année, et tous les jours de l'année, de 9h00 à 17h00 en basse saison et de 9h00 à 20h00 en haute saison. Entrée : 2,50€. Tél : 2831 083135. Site internet : http://www.arkadimonastery.gr
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Prise de photos interdite à l'intérieur du musée et de l'église.
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Pour vous y rendre, depuis Réthymnon, empruntez la direction d'Héraklion, puis celle du village d'Adelianos Kambos, puis suivez tout droit la route en asphalte (des panneaux affichent régulièrement la direction du monastère) sur 18 km.