Mercredi 18 novembre 2015
Il est un musée d'Héraklion qu'il ne faut pas manquer : le musée historique de Crète. Installé dans un bâtiment néoclassique de grande qualité architecturale, il fut fondé en 1953. Il conte à ses visiteurs dix-sept siècles d'histoire et de culture crétoises, depuis les premiers temps de l'ère chrétienne jusqu'à nos jours. Art et civilisation byzantine, souveraineté vénitienne, occupation ottomane, époque des nombreuses révolutions au cours de la longue marche vers le rattachement à la Grèce, deuxième Guerre mondiale, Bataille de Crète, Résistance, et art et culture populaire dans la Crète rurale. Autant de thèmes passionnants abordés à travers la présentation de collections et d'objets choisis soigneusement et la mise à disposition d'un abondant matériel d'information traditionnel et informatique. Parmi les joyaux du musée, on remarquera deux tableaux du Greco, le Baptême du Christ (1567) et la Vue du Mont Sinaï et du Monastère de Sainte Catherine (1570), qui sont les seules œuvres de ce peintre conservées en Crète. N'oublions pas une section particulière consacrée à Nikos Kazantzakis. Celle-ci rassemble objets personnels et manuscrits du célèbre écrivain crétois. Au début de la visite, la grande maquette de la ville de Chandax (ancien nom d'Héraklion), qui date du XVII ème siècle, constitue un des éléments remarquables du musée. Et ce sont à présent quelques pages de l'histoire crétoise que je vous propose de découvrir maintenant, comme une sorte d'avant-goût à votre prochaine visite.
C'est durant la période romaine qu'apparait le christianisme en Crète. On prête à Saint-Paul l'évangélisation, et l'organisation de l'église dans l'île. En raison d'une tempête, celui-ci aurait fait escale une première fois en Crète, sur la côte méridionale, plus exactement à Kali Limenes (les beaux ports). Il y serait revenu après sa première captivité et aurait laissé sur place Tite, son disciple, et premier évêque de Gortyne. La tradition veut que Tite soit crétois. Il aurait divisé l'île en neuf diocèses, mais le christianisme se heurtera sur place à une vive résistance, surtout de la part de la communauté juive. Philippe, le successeur de Tite, parviendra à détourner les persécutions romaines contre les Chrétiens, mais d'autres persécutions très dures auront cependant lieu en 250, de la part de l'empereur Dèce, et les premiers martyrs chrétiens de Crète de devenir les Dix Saints. Cyrille, évêque de Gortyne, sera lui-même exécuté par les Romains (sauvé des flammes par un premier miracle, on lui tranchera finalement la tête). Ce n'est qu'au VI è siècle que s'élèvera le premier grand monument chrétien à savoir la basilique Saint Tite de Gortyne.
La Guerre de Candie, abordée par le musée d'histoire, opposera la République de Venise à l'Empire ottoman, entre 1645 et 1669. La Crète sera vite conquise par les Ottomans mais ceux-ci mettront vingt ans à venir à bout de la capitale crétoise. La principale chance de succès pour les Vénitiens consistait alors à utiliser leur flotte afin de couper les lignes de ravitaillement ottomanes et l'arrivée de renforts ennemis. Malgré l'aide des alliés européens et de leur domination maritime, ils ne seront malheureusement jamais en mesure de couper totalement le détroit des Dardanelles et d'empêcher le ravitaillement de l'armée ottomane. La prolongation de ce conflit épuisa l'économie vénitienne qui était basée sur le commerce avec le Proche-Orient, et la lassitude gagna la République de Venise à partir des années 1660. De leur côté, les Ottomans, qui se trouvaient déjà en Crète, lanceront une grande offensive en 1666 sous le commandement du Grand Vizir. C'est par la négociation qu'aura lieu la reddition de la forteresse d'Héraklion, mettant ainsi fin à la guerre, mais exposant les Crétois à une très longue et douloureuse occupation.
La période byzantine sera synonyme d'une grande richesse architecturale pour l'île. Le musée présente plusieurs collections concernant les deux périodes byzantines, avec chapiteaux, mosaïques et petits objets manufacturés d'un côté, sculptures architecturales et mobilier ecclésiastique de la Basilique Saint-Tite à Gortys de l'autre. Durant la première période byzantine qui précéda l'invasion arabe de 824, quelques édifices chrétiens furent construits, mais c'est surtout lors de la seconde période byzantine, de 961 à 1204, que la Crète se couvrit de sanctuaires et d'églises, souvent ornés de somptueuses fresques. La première période byzantine est celle de l'établissement du christianisme sur l'île. L'architecture des sanctuaires est alors constituée d'une nef centrale dotée d'une abside en plein cintre et de deux nefs latérales, l'ensemble étant surmonté d'une coupole. Ce style sera peu à peu remplacé par des basiliques à trois nefs séparées non plus par des murs mais par des colonnes ou des piliers. Les mosaïques sont alors parfois utilisées pour la décoration. A partir du X ème siècle, l'église byzantine typique se caractérisera par un plan en croix grecque inscrit dans un carré. C'est un édifice en pierre surmonté d'une coupole en brique que coiffe un toit conique dans lequel sont aménagées des ouvertures pour laisser passer la lumière. On employait aussi la brique afin de souligner les arcatures. Le choeur, lui, était séparé de la nef par une iconostase, sorte de cloison décorée d'icônes ou de peintures. A l'époque vénitienne, à partir du XIII ème siècle, certaines églises seront influencées par le style italien et se doteront de porches sculptés d'allure gothique et de clochetons ou de fenêtres avec décor sculpté. Plus tard, durant l 'époque de la Renaissance, des églises et des monastères seront entièrement bâtis sur le modèle vénitien.
A l’intérieur des églises byzantines, on trouve une profusion de peintures murales et de fresques polychromes qui décoreront l'intégralité des parois. Certaines églises, comme celle de la Panagia Kera, près d'Agios Nikolaos, permettent de suivre l'évolution du style des artistes sur plusieurs siècles. Les thèmes évoqués sont puisés dans l'Ancien ou le Nouveau Testament, avec une prédilection pour les épisodes de la vie de la Vierge tels que l'Annonciation et la Dormition. Les traits des personnages, qui sont souvent empruntés à des personnages de l'entourage des peintres, donneront à ces scènes un caractère à la fois naïf et vivant.
Les icônes, elles, sont des images d'inspiration religieuse, peintes le plus souvent sur bois, qui font l'objet d'une vénération particulière. L'art de l'icône crétois est très riche et reflète les styles successifs qui influencèrent l'île. Certains artistes se sont exprimés grâce aux icônes avec une force qui va bien au-delà du cadre religieux. Michalis Damaskinos, artiste crétois du XVI ème siècle, en est l'exemple. Son génie tient à la manière avec laquelle il sut intégrer l'influence de la Renaissance italienne dans l'art byzantin. Deux siècles plus tard, un autre artiste, Ioannis Kornaros, auteur de la remarquable icône du monastère de Toplou, la Grandeur de Dieu, intégrera des éléments de style baroque. Le musée historique de Crète offre de voir des icônes du XV è au XX è siècle grâce à la donation de Zacharias Portalakis. Dans une autre salle, sont présentés une collection d'icônes et des objets précieux byzantin et post-byzantins. Par ailleurs, une chapelle byzantine y a aussi été reconstituée.
Bien entendu, le musée aborde également la période ottomane : la pression turque se précisera au XVI ème siècle. En 1570, une escadre ottomane partira bientôt de Chypre pour la Crète qui s'attendra à être envahie. A cette époque, Venise n'est plus capable de maintenir une force de plus de 4000 hommes sur toute l'île crétoise. Elle n'assure plus les soldes des soldats, et les fortifications crétoises ne sont plus entretenues. Il existe toutefois une milice civile de quelques 14000 Crétois. L'invasion de la Crète par les Ottomans partira d'un fait peu important, à savoir, en 1644, l'attaque par les Chevaliers de Malte d'un vaisseau turc portant un important personnage du palais. Et les Chevaliers de prendre le butin et de le revendre à La Canée (Crète). Aussitôt, le Sultan tient les Crétois pour responsable car la ville de Candie (Héraklion) abritait alors les chevaliers maltais. Au début de l'été 1645, le Sultan décide alors d'envoyer 350 navires pour la Crète et les Ottomans débarqueront sur la partie occidentale de l'île, près de La Canée (Chania), le 23 juin de la même année. Après une seconde campagne, un an plus tard, ils s'empareront de Rethymnon ? Puis, de Skafia, Sitia et des autres villes de Crète...à l'exception de Candie, qui entame un très long siège. C'est finalement le départ des troupes françaises, entre le 16 et le 20 août 1669, qui précipitera les négociations entre Vénitiens et Turcs, en vue d'une reddition. Ces négociations dureront vingt jours et par la suite, les Vénitiens disposeront de douze jours pour quitter la ville. Le coût humain du siège de Candie, lui, aura été important, avec la mort de 137116 Turcs (dont 25000 janissaires et 15 pachas). Aux Ottomans de désormais réorganiser toute la région d'Héraklion, qui recevra d'ailleurs la dénomination d'eyalet, c'est à dire de région à part entière. Région qu'ils feront administrer par l'armée, avec une très forte présence de janissaires (ordre militaire puissant composé d'esclaves d'origine chrétienne). La conséquence de l'arrivée des Ottomans en Crète sera la baisse de la population, compte tenu des pertes humaines lors de la longue lutte pour la reconquête de l'île, mais aussi parce que les Turcs videront les villes crétoises de leurs populations. La vie urbaine en souffrira et le commerce deviendra moribond, au moins au cours des cinquante premières années de présence ottomane. Les Chrétiens seront quant à eux ramenés à la condition de raïas, seront dispensés de service militaire et devront par conséquent s'acquitter du kharadj (impôt). Le poids des taxes sera tel que bon nombre de Chrétiens se convertiront à l'islam. Les terres privées des Crétois seront distribuées aux conquérants, sauf lorsque leurs propriétaires se seront convertis à l'islam. Certains Crétois, convertis à l'islam, pratiqueront secrètement la religion orthodoxe et seront surnommés les Crypto-chrétiens. Quant aux intellectuels de Crète, un grand nombre quittera l'île pour se réfugier en Italie ou dans le reste de l'Europe.
Les Crétois connaitront de nombreuses invasions et ne resteront pas passifs devant celles)ci : l'île sera ainsi confrontée à la révolution grecque de 1821, puis à la révolte de 1866. Pour ce dernier soulèvement, deux raisons pourront l'expliquer : la réticence des autorités ottomanes à appliquer de façon concrète le Hatti-Houmayoun, et l'intervention d'Ismail Pacha, Vice-roi d'Egypte et gouverneur de Crète depuis 1861 dans une querelle à propos de l'organisation des monastères crétois. Aussi, une assemblée prend t-elle forme au printemps 1866 et demande l'union de la Crète à la Grèce. L'apogée de cette insurrection sera atteinte avec le massacre du monastère d'Arkadi, en novembre de la même année, lorsque plusieurs centaines de rebelles crétois, avec femmes et enfants, préféreront mourir en faisant sauter la réserve de poudre du monastère plutôt que de se rendre. Un an plus tard, Ali proposera un nouveau projet administratif, la Loi organique, assorti d'un certain nombre de privilèges, dont la pleine équivalence des deux langues grecque et turque. La Conférence de Paris de janvier 1869 se déroulera sans représentants grecs, invités à s'abstenir. La Crète restera au Sultan mais sera déclarée zone privilégiée. Le problème n'était pas résolu, et d'autres révoltes auront lieu, avec la révolte de 1878 et celle de Thérissos. En 1895, les massacres d'Arméniens en Anatolie choqueront l'opinion publique internationale et forceront les grandes puissances européennes à s'intéresser à la Crète. De nouveaux massacres, de Chrétiens et de Turcs cette fois, ont lieu en Crète, et les grandes puissances proposent aux chrétiens crétois une Constitution, incluant, entre autre, la nomination d'un sultan pour cinq ans et d'un gouvernement chrétien. Profitant de désordres intérieurs en Turquie en 1908, les Crétois déclareront l'union avec la Grèce, acte reconnu internationalement cinq ans plus tard. Et le Sultan Mehmed V de renoncer à ses droits sur la Crète lors du Traité de Bucarest de 1913.
INFOS PRATIQUES :
- Musée Historique de Crète, Sofokli Venizélou 27/ Lysimahou Kalokerinou 7, à Héraklion. Tél:2818 283219 et 288708. Le musée est ouvert tous les jours sauf le dimanche, de 9h00 à 17h00 (ou 15h30, de novembre à mars). Entrée : 5€. Site internet :http://historical-museum.gr/