Vendredi 20 novembre 2015
Je quitte à regret mon hôtel de Réthymnon et prends la route pour Chania, celle qu'on appelle aussi Hania, ou La Canée. Cette ville sera la première capitale de la Crète indépendante, et saura préserver son précieux patrimoine, comme sa vieille ville que je vais visiter aujourd’hui et qui est classée depuis 1965. J'ai le plus grand mal à atteindre mon hôtel précisément situé à deux minutes à pied du charmant port vénitien, et il me faudra aller à quinze minutes de marche de là pour trouver une place de parking. Et encore sommes nous hors saison, et je n'ose pas imaginer ce que cela doit être en plein été. Mon hôtel, Le Belmondo (çà ne s'invente pas!) est très bien placé, dans une petite rue pleine de charme. Après m'y être installé, je pars découvrir cette cité aux multiples appellations, qui s'appelait jadis, Kydonia, au temps de la civilisation minoenne. Elle deviendra une cité-Etat pendant la période de la Grèce classique, dont les limites s'étendaient depuis la baie de La Canée jusqu'au pied des Montagnes blanches. Autrefois, Kydonia était en guerre perpétuelle avec d'autres cités-Etats comme Aptera (cité en ruines sur la colline de Paliokastro) , Falasarna, Polyrrinia ou Egine. La cité avait une telle importance qu'elle fut mentionnée dans l'Odyssée d'Homère. D'après une version arcadienne, le nom originel de Kydonia proviendrait de Cydon, ou Kydon, fils de Tégéatès, roi d'Arcadie, qui, tout enfant, vint en Crète et fonda Kydonia (Cydonia). Selon une autre version, crétoise celle-là, le même enfant serait celui d'Acacallis (fille de Minos) et d'Hermès (devenu entre temps Apollon). Quoiqu'il en soit, en 69 avant J.C, le consul romain Metellus défaira les Crétois et conquerra Kydonia à qui il accordera les privilèges d'une cité-Etat indépendante. La cité aura ainsi le droit de frapper sa propre monnaie, jusqu'au III ème siècle après J .C.
On dispose de peu d'informations sur l'histoire de la ville au début de la période de domination byzantine. Les armées musulmanes prendront possession de l'île crétoise en 824, mais celle-ci sera reconquise par les Byzantins en 921, date à laquelle Chania commence à ériger des fortifications pour se protéger d'autres éventuelles attaques musulmanes. En 1204, après la quatrième croisade et le démantèlement de l'Empire byzantin, la Crète est offerte à Boniface, marquis de Montferrat, lequel choisira de la revendre aux Vénitiens. En 1252, ces derniers parviendront à s'imposer aux Crétois mais onze ans plus tard, les Génois débarqueront dans la cité avec l'appui de la population locale et sous l'autorité du comte de Malte, Henrico Pescatore, et la conserveront jusqu'en 1285, date de la reconquête vénitienne. C'est à ce moment-là que la ville prendra le nom de La Canea (nom d'origine italienne) et prendra aussi la forme qu'on lui connait de nos jours. Malgré les fortifications, il ne faudra aux Turcs que deux mois de siège pour la conquérir. Après avoir débarqué au monastère de Gonia, à Kissamos, ils avaient pillé et incendié l'endroit avant de s'emparer ensuite de La Canée, le 2 août 1645, au terme d'un siège sanglant qui entrainera la mort de 40000 Turcs. Les églises seront ensuite peu à peu transformées en mosquées et les richesses de la ville, confisquées. Sur le port vénitien, je remarque la présence de la mosquée des Janissaires (ci-dessous), l'un des principaux vestiges de la présence turque et musulmane. Avec ses dômes aux tons rosés qui la chapeautent, la première mosquée de la ville, qui fut édifiée par les Ottomans dès l'année de leur arrivée, est un véritable manifeste visible depuis tout le quai, même si son minaret a été détruit peu après le rattachement de la Crète à la Grèce, en 1920. L'édifice n'est désormais plus un lieu de culte depuis la fin de la guerre avec la Turquie et l'expulsion des Crétois musulmans vers l'Anatolie en 1923. Le bâtiment sert de temps à autre de lieu d'exposition.
Ma promenade débute par la visite du port vénitien (ci-dessous), avec ses quais pavés et ses lignes majestueuses. Ce port fut aménagé à partir du XIV ème siècle par les Vénitiens et se déploiera avec grâce, en arc de cercle, en s'intégrant entre les fortifications. J'admire au passage les jolies façades des maisons (deuxième photo). Je suis soudainement interpellé en français par un homme qui me demande de quelle région je viens. Il a aperçu mes petits drapeaux sur mon sac à dos. Je lui explique que je suis breton. Lui, m'avoue être marseillais, et travailler dans un restaurant donnant sur le port. Comme quoi, on fait parfois des rencontres inattendues à plusieurs milliers de kilomètres de là. Je passe devant le Musée maritime de Crète, que je visiterai un autre jour puis me retourne sur la phare du port (troisième photo). Ce sont les Vénitiens qui le construisirent entre 1595 et 1601. Le phare repose sur un fond rocheux et sa lumière fonctionne par éclats. Joyau reconnu de la ville, il mesure 21 mètres de haut (soit 26 mètres au-dessus du niveau de la mer) et son rayon lumineux est visible jusqu'à 7 miles.
En poursuivant ma promenade, je découvre bientôt le fort Fiskas (ci-dessous) qui fut jadis une caserne turque utilisée comme prison sous l'occupation ottomane. Au-dessus du porche, trône toujours le lion vénitien de saint Marc. Des remparts qui bordent la cour, on peut profiter d'une jolie vue sur le port de Chania. C'est à cet endroit que fut hissé pour la première fois le drapeau grec, le 1er décembre 1913, afin de commémorer le rattachement de la Crète à la Grèce. Il faut enfin savoir qu'une chaine tendue entre phare et ce fort, bloquait l'accès à des navires ennemis en cas d'intrusion. Il fallait y penser. Je suis stupéfait par la transparence de l'eau du port, qui laisse apparaître des oursins accrochés aux rochers peu profonds, tandis que des pigeons entament une conversation le long d'un quai. Dans le partie orientale du port se dressent encore de nos jours le grand arsenal (deuxième photo) : sa construction débuta en 1585, sous les ordres de l'intendant Alvice Grimani, avec des murs très épais et à distance des autres arsenaux, ce qui fait sans doute qu'on l'ait surnommé le Grand Arsenal, histoire de le différencier des autres. Un deuxième étage sera bâti en 1872, pendant l'occupation ottomane, et le bâtiment d'avoir été depuis utilisé tour à tour comme bureaux administratifs, comme école chrétienne et même comme théâtre à partir de 1892. On l'utilisera comme hôpital en 1923 et comme mairie entre 1828 et 1941. De nos jours, diverses manifestations s'y tiennent, tout comme un centre d'architecture méditerranéenne. Le reste des docks (Neoria, sur la troisième photo ci-dessous) fut bâti par les Vénitiens en 1204, dans le même port, et servait à abriter les navires. Ils étaient constitués à l'origine de dix-sept édifices accolés (troisième photo ci-dessous), très longs, voûtés et ouverts aux extrémités, servant à l'époque à abriter les galères vénitiennes. On n'en compte plus aujourd'hui que sept, tous fermés au public. Cinq autres s'élevaient pourtant un peu plus loin sur la digue. Il n'en reste désormais que deux (dont un abrite un café branché, et l'autre, une exposition permanente d'architecture traditionnelle et ancienne, qui offre d'admirer la reproduction grandeur nature d'un navire minoen datant du XV ème siècle avant J.C, et réalisé selon les techniques en vigueur à l'époque).
Après être monté sur le bastion Schiavo, j'emprunte les petites rues (ci-dessous) commerçantes pour me rendre jusqu'au marché municipal (deuxième photo). Celui-ci, fut érigé en forme de croix, à la suite d'une session plénière de la marie de la ville qui se tint en juin 1908, et qui décida de la création d'un tel marché couvert. Les travaux débutèrent en 1911, grâce en partie aux matériaux récupérés suite à la démolition d'un bastion vénitien, pour s'achever fin 1913 (date d'inauguration du marché). La halle fut en effet bâtie à l'emplacement du bastion central des fortifications vénitiennes, dont le flanc sud sera entièrement détruit au début du XX ème siècle (comme le montrent des photographies exposées au centre du marché). Durant l'occupation allemande, la partie est-ouest du bâtiment fut réquisitionnée par l'ennemi.
A deux pas, se dresse la cathédrale orthodoxe (troisième photo) qui date de 1860 et possède une façade rythmée par trois portes qui s 'ouvrent sur les trois nefs consacrées à la Vierge (au centre), à Saint Nicolas (au nord) et aux Trois martyrs (au sud). Une église existait déjà à cet emplacement à l'époque vénitienne, mais elle sera convertie en savonnerie, sous les Ottomans, sans doute histoire de se faire mousser. La légende raconte que son propriétaire, Mustapha, fit don de l'édifice en lui allouant une somme d'argent pour permettre sa reconstruction, après avoir été sauvé d'une noyade dans un puits grâce à une prière de son père adressée à la Vierge. A quelques rues de là, l'église catholique se fait bien discrète, bien cachée au fond d'une cour fleurie, accessible par un porche. C'est à l'intérieur de cette même cour que je découvrirai une maison crétoise abritant un musée folklorique : l'exposition offre de voir une collection d'outils, d'objets domestiques, et de matières premières (laine, fil à soie,lin). Des scènes ont également été reconstituées, qui représentent des métiers agraires, des reproductions de métiers artisanaux et une scène reproduisant par exemple le fonctionnement d'un métier à tisser. On peut y observer enfin une salle à manger typique, et une chambre à coucher traditionnelle. De son côté, Irini Koumandraki confectionne ses superbes broderies dont les décors sont purement le fruit de son imagination.
Un peu plus haut que le port, et à proximité du grand arsenal, des fouilles (ci-dessous) confirmèrent que le site de Chania avait bien été occupé dès l'époque prépalatiale (3000-2000 avant J.C) et sans discontinuité jusqu'à nos jours. Les ruines minoennes visibles le long de la rue Kanevaro, ont été mises à jour depuis 1965, et permettent d'observer les fondations d'une grande maison du XIV ème siècle avant J.C, dans laquelle furent découverts plus de 300 vases intacts, des inscriptions, et des bijoux exposés depuis, au musée archéologique de la ville.
INFOS PRATIQUES :
- Site de la ville : http://www.chaniatourism.com/
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Musée folklorique crétois (dans la Maison crétoise située dans la cour de l'église catholique de Chania) 468 Halidon Street, Chania. Ouvert toute l'année, et tous les jours de 9h00 à 16h00. Entrée : 2€. Prise de photos autorisée. Madame Irini Koumandraki, responsable du musée, confectionne aussi de superbes broderies (en photo ci-dessous) naïves d'après son imagination. Ces broderies sont vendues entre 40 et 2000€ selon leur taille. Tél : 28210 90816