Dimanche 22 novembre 2015
Je choisis aujourd'hui de me rendre du côté des gorges de Samaria, localisées sur le plateau d'Omalos (la dernière petite bourgade avant que la route ne se termine). L'histoire de ces gorges commença il y a quatorze millions d'années, lorsque l'érosion fit son œuvre et creusa peu à peu ces gigantesques failles montagneuses. De nos jours, ces gorges sont les plus profondes d'Europe et ce sont pas moins de 22 sources qui alimentent la rivière Tarrhios, qui s'écoule entre les parois rocheuses. Très escarpé, le site n'était jadis habité que par des bûcherons qui vivaient dans le village de Samaria, autrefois bâti au bord de la rivière. Ceux-ci exploitaient les cyprès de la région, mais, à la signature de la création du parc national (auquel appartiennent les gorges de Samaria), en 1962, le petit village fut abandonné. Désormais, seuls les gardes-forestiers vivent sur place, mais ce sont près de 140000 visiteurs qui parcourent chaque année les célèbres gorges.
Pour me rendre aux gorges, je traverse plusieurs villages dont Fournes qui cultive citrons et oranges, et Lakki (ci-dessus en photo) situé au pied des Montagnes blanches, entre Chania et le plateau d'Omaros. La route forme de nombreux lacets et est mauvais état par endroits. La dernière portion de trajet jusqu'à Omaros, elle, est par contre tout à fait convenable. Je croiserai parfois des ovins sur le bord de la route (ci-dessous), moutons et chèvres peu pressés de me laisser le passage, tant ils se sentent chez eux dans cette contrée inhospitalière. Le parc national de Samaria fut créé afin de protéger un site naturel exceptionnel, tout en l'ouvrant au tourisme, mais de manière contrôlée. Il couvre 4850 hectares du plateau d'Omalos jusqu'au nord du village d'Agia Roumeli, en englobant une partie des Montagnes blanches. Le parc abrite plus de 450 variétés de plantes, dont 97 sont endémiques à la Crète, comme le pin de Crète que j'apercevrai à plusieurs reprises dans le paysage. La faune comprend également de nombreuses espèces comme la chèvre de Crète, surnommée kri kri (Christiane?), qui est le plus grand mammifère sauvage de l'île. Les plus chanceux croiseront peut être martres, belettes crétoises ou rats à épines. Quant aux oiseaux, ils nidifient dans les Montagnes blanches, parmi eux, l'aigle royal et le vautour.
L'entrée nord des gorges se trouve à 1250 mètres d'altitude, au lieu-dit Xiloskalo. Le terme signifie littéralement « marches en bois », car les premiers escaliers de la descente vers les gorges (en photo ci-dessous) sont en effet constitués de racines de pins. Le panorama sur les cimes environnantes est superbe, avec, en exergue, les deux plus hautes montagnes entourant les gorges, qui s'appellent le mont Volakias (à l'ouest), à 2117 mètres d'altitude, et au nord, le mont Melindaou (2134 mètres). Une fois passée la partie la plus pentue, le sentier franchit la rivière, et les promeneurs, de découvrir un paysage insolite fait de centaines d'amas de pierres, de branches mortes et de troncs accumulés au fil du temps, sur le lit du cours d'eau. Après avoir descendu 600 mètres de dénivelé (soit la moitié) depuis l'entrée,, on passe à proximité de la petite église d'Agios Nikolaos, ombragée par les pins.
An plein cœur des gorges, à sept kilomètres du départ, l'ancien village de Samaria est blotti sur le côté gauche de la rivière et est relié au sentier par un pont en pierre. On y exploitait jadis le bois de cyprès qui était réputé au point d'être exporté, dès l'Antiquité, dans toute la Méditerranée orientale. Le village, maintenant abandonné, reste un refuge pour les randonneurs, les chèvres sauvages et les gardes-forestiers. Une autre église, un peu en contrebas, l'église Osia Maria, est dédiée à Sainte Marie l'Egyptienne (XIV è siècle), qui donna son nom aux gorges.
Au bout de douze kilomètres, les gorges se resserrent. Le sentier emprunte alors le lit de la rivière et est entièrement cerné par les parois rocheuses (ci-dessous). On franchit alors les Portes de Fer, des falaises de 300 mètres de haut sur lesquelles se dessinent des ondulations de couches géologiques successives. Au passage le plus étroit, les gorges ne mesurent que 2,5 à trois mètres de large. Puis, plus loin, elles s'élargissent à nouveau et la rivière en profite pour se disperser en plusieurs chenaux, agrémentés de lauriers-roses. Et les gorges de Samaria de se terminer au treizième kilomètre.
A la sortie des gorges, on entre directement dans l'ancien village d'Agia Roumeli, par un chemin étroit cheminant entre les vergers et les troupeaux de moutons. Abandonné comme Samaria, au moment de la création du parc national, ce village est encore fréquenté de nos jours par les bergers. Mais un nouveau village d'Agia Roumeli est accessible, non loin de là, à pied. On peut aussi attendre le bus à la sortie du vieux village. Bâti en bord de mer, l'Agia Roumeli actuel date des années soixante et offre tout le confort nécessaire pour récupérer de la traversée des gorges, avec une plage sur le mer de Libye et un restaurant.
La randonnée fait seize kilomètres et demande cinq à six heures de marche entre Xiloskalo et Agia Roumeli . Mieux vaut être en bonne condition physique car les genoux sont très sollicités lors de cette marche, notamment lors de la descente. Il est bon de prévoir de bonnes chaussures, de l'eau (on trouve aussi des fontaines d'eau potable en chemin) un chapeau et des lunettes de soleil en été. Quatre aires de repos et trois points d'eau supplémentaires sont répartis sur le sentier. Il faut aussi prévoir son casse-croûte car on ne trouve aucun point de restauration sur le sentier même. A l'intérieur du parc national, il est enfin formellement interdit de fumer en dehors des aires de repos, de camper, de faire du feu, de passer la nuit, de cueillir des plantes, de se baigner, de faire circuler librement son animal domestique, de consommer des boissons alcoolisées ou de déposer ses ordures ailleurs que dans les poubelles prévues.
Situées dans la montagne, les gorges de Samaria se situent aussi dans la région de Sfakia, dont les populations ont toujours eu la réputation d'insoumission. Elles avaient une importance stratégique réelle et servirent de cachette et de base aux rebelles lors des nombreuses révoltes contre les occupants successifs de l'île crétoise, notamment lors des soulèvements des Crétois contre les Ottomans. De même, en 1941, lors de la seconde guerre mondiale, le roi de Grèce Georges II et le premier ministre Emanuel Tsouderos, qui fuyaient tous les deux l'avancée allemande durant la bataille de Crète, traversèrent les gorges en même temps qu'une importante partie du contingent britannique qui défendait alors la Crète. Arrivés sur la côte, tout le monde fut évacué par des bateaux de la Royal Navy.
INFOS PRATIQUES :
- Ce site internet est un guide complet des gorges de Samaria : http://www.west-crete.com/
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Il est possible de faire cette excursion aller/retour dans la journée, en partant tôt de Chania (en bus depuis la gare routière) et jusqu'à l'entrée des gorges. Emprunter l'autobus en direction d'Omalos (il vous dépose en réalité à Xiloskalo) et compter 6,90€ pour le billet (durée du voyage: une heure). Pour le retour, prendre le bateau à 17h30 au départ d'Agia Roumeli vers différents points. Les bus attendent l'arrivée des ferries pour raccompagner les randonneurs. Renseignements, horaires et tarifs des bateaux : http://www.anendyk.gr/pages/en/company.php?lang=EN