Lundi 23 novembre 2015
Il existe à Chania le Musée maritime de Crète, qui rassemble, sur 840 m2 une vaste exposition de ce que fut la marine crétoise depuis l'âge de Bronze jusqu'à nos jours. Y sont abordées notamment les périodes byzantine, vénitienne, et de la seconde guerre mondiale. Installé dans la forteresse Firkas, le musée ouvrit ses portes en 1973. Le bâtiment à deux niveaux propose une quinzaine de salles d'exposition qui présentent l’histoire maritime de l'île, depuis la période antique jusqu'à la dernière guerre mondiale. Le rez-de-chaussée offre ainsi d'admirer plusieurs modèles de bateaux anciens, et une maquette de la ville de Chania fortifiée, puis le port sous la domination vénitienne. Une autre maquette présente un chantier de construction naval et des bâtiments de réparation, puis la reconstruction d'un modèle ancien de navire à avirons, le Minoan (voir plus bas le paragraphe qui lui est consacré). Je débute ma visite par la première salle, consacrée aux symboles de la marine crétoise (ci-dessous), comme par exemple Saint Nicolas, protecteur des marins, dont on peut voir une peinture sur place, mais aussi l'ancre, le drapeau, ou encore les obus d'artillerie qui découragèrent l'assaillant à plusieurs reprises. Les amateurs de coquillages sont eux aussi gâtés car l'exposition en présente un grand nombre, tout en sensibilisant le public sur l'importance de la préservation du milieu maritime.
Un peu plus loin, sont affichés 48 croquis de navires différents, de toutes tailles, de toutes formes et pour tous usages. Ces 48 embarcations représentent 6000 ans de navigation maritime crétoise et au moins cinquante siècles d'histoire navale jusqu'à ce que l'avènement de la propulsion à vapeur n'intervienne en 1807 et ne révolutionne les bateaux. Jadis, le navire fut l'un des emblèmes de prédilection pendant plusieurs siècles en Crète, ce qui peut expliquer en partie la longue absence de la moindre fortification des ports et des villes proches de la mer compte tenu de la totale confiance que les Crétois avaient envers leur flotte. La marine minoenne est riche de variété de formes pour ses navires. Et les Crétois de cette époque minoenne d'avoir su améliorer les embarcations en fonction de leur usage.
Vers 1500 avant J.C, la civilisation minoenne disparaitra toutefois au profit des Mycéniens. Les palais sont détruits, les administrations aussi, car la puissance minoenne n'aura pas su arrêter les nouveaux venus.
Alors que le type de Syros est le genre de navire le plus répandu dans l'Egée toute entière, montrant ainsi une grande unité dans les traditions de l'architecture navale, les Mycéniens innoveront en s'emparant de la Crète, grâce à l'utilisation de leurs importantes forces navales. Et les Mycéniens d'utiliser un navire de type nouveau, type de Tragana, taillé pour la guerre. On pense que ces navires étaient sinon la propriété personnelle du roi, du moins celle de groupes de bateaux organisés de façon à permettre au souverain d'exercer un droit de surveillance et de restriction. Contrairement aux Minoens qui s'étaient implantés hors de la Crète, notamment dans les Cyclades, à Cythère, Milet...les Mycéniens, eux, se lancèrent dans des expéditions commerciales, des îles Lipari à Chypre, dans plusieurs îles de la mer Egée, et en plusieurs points de l'Asie mineure. Il s'agit de lire les récits d'Homère pour s'en rendre compte. Pourtant, vers 1200, les échanges économiques en Méditerranée Orientale s'écroulent et disparaissent, sans raison apparente. Et la civilisation mycénienne de bientôt cesser d'exister à son tour. Leurs palais, jadis axes de prospérité, seront incendiés et désertés, à cause peut être de désordres apparus au cours du XII è siècle avant J.C, qui provoqueront la destruction du grand centre d'échanges maritimes qu'était par exemple Ougarit, tout en précipitant la décadence de l'Egypte.
La destruction de l'ordre politique et économique ne mettra pas fin à toute navigation en mer Egée. Le nombre de sites habités a certes chuté mais il semblera perdurer davantage en zone côtière : le port d'Asiné, en Argolide, et Perati sur la côte Attique révèleront des contacts avec l'Orient durant le XII è siècle, mais quasiment aucun au X è siècle. D'autre part, l'exode des Achéens vers les îles et la côte d'Asie mineure n'a pu se faire qu'avec un minimum de bateaux. On constate également qu'au XII è siècle, de petite communautés côtières et quelques îles (Naxos, Cos, Rhodes) participent à une culture commune, portant encore la marque mycénienne, ce qui n'a pu se réaliser non plus sans déplacements maritimes. Aux X è et IX è siècles, de grands mouvements de population auront lieu en Grèce continentale, et de Grèce vers la façade maritime d'Anatolie, de Clazomène au nord à Milet au sud. Puis, des populations appelées « Doriens » effectueront à leur tour des incursions vers d'autres îles plus lointaines (Milo, Théra, Cos, Rhodes,...), en utilisant probablement les survivances de traditions mycéniennes de navigation. Quant aux flottes d'état, elles disparurent certainement faute d'Etats. Et les longues navigations vers l'Orient comme vers l'Occident, de disparaître à leur tour.
La marine grecque de l époque géométrique apparait bientôt, avec trois types de navires. Le premier d'entre eux est une survivance de l'âge du Bronze, dépourvu de lisse de nage (moyen d'économiser du poids et donc d'alléger l'embarcation). Le deuxième est purement athénien car les galères possèdent alors une lisse de nage au-dessus du plat bord. Le dernier navire est la dière, contemporaine des birèmes phéniciennes (en photo ci-dessous) mais techniquement très différente. Son apparition fut provoquée par une guerre navale entre les états grecs lors de la guerre Lélantine.
L'histoire maritime de la Grèce au VII è et VIII è siècles avant J.C ne différera pas de la période précédente : les entreprises de colonisation se poursuivent, les relations commerciales avec l'Egypte et l'Orient s'intensifient. Seul élément nouveau, l'envenimation des relations avec les Occidentaux étrusques et carthaginois, au point d'entrainer des combats navals opposant des types de bateaux différents. Et les céramistes de l'époque de choisir le navire comme thème de prédilection. En 650-490 avant J.C, les images représentent des navires à rames, et les navires marchand et de pêche restent à peu près exclus du répertoire, puisque le choix des figures se portera sur le navire le plus noble. Les équipages de l'époque archaïque, eux, sont alors peints de manière schématique, insistant sur une navigation calme.
Alors que la Grèce connaitra son apogée, la Crète restera en marge du monde grec et sera absente de la confédération maritime d'Athènes, échappant ainsi à l'hégémonie spartiate. En 74 avant J.C, Marcus Antonius est nommé à la tête de la flotte de la Méditerranée avec, pour objectif, de conquérir la Crète. Deux évènements justifient cette décision : tout d'abord, les dégâts causés par la piraterie à la flotte romaine, surtout depuis que Rome a stoppé l'entretien d'une flotte permanente, et ensuite la naissance d'une alliance entre l'île crétoise et Mithridate VI, roi du Pont et ennemi de Rome. En -71, Rome attaque l'île mais est vaincue non loin d'Héraklion et de l'île de Dia. De nombreux navires romains sont coulés et plusieurs autres sont capturés avec leurs équipages. La plupart des marins romains seront alors pendus aux mâts de leurs navires.
Au premier étage, sont présentées des maquettes de navires de la marine moderne, comme des destroyers, un bateau lance-missiles, une barge de débarquement avec camions et VPB à son bord, et des navires marchands et à passagers. Une autre salle contient le pont complet d'un destroyer (deuxième photo ci-dessus), tandis qu'une autre présente deux unités de propulsion de torpilles et de nombreux instruments de marine. L'exposition aborde également l'invasion allemande de la Crète durant la bataille de Grèce. Bien des siècles se sont écoulés et l'heure est à la bataille de la Crète, qui opposera les troupes britanniques et alliées aux parachutistes allemands durant dix jours, du 20 au 31 mai 1941. C'est au matin du 20 que le IIIè Reich lancera une invasion aéroportée de la Crète, sous le nom de code « Opération Merkur ». Sous les ordres du général Kurt Student, les parachutistes allemands seront largués à Maleme, Héraklion et Réthymnon, avec, pour mission, de s'emparer des trois terrains d'aviation pour l'envoi futur de renforts allemands (puisque la Royal Navy rendait tout invasion maritime impossible). Deux semaines durant, 4000 paras seront tués et 500 capturés. Du côté des troupes britanniques et néo-zélandaises, on déplora 3500 morts et 1900 blessés, avec la capture de 12000 hommes.
Je parcours la salle principale du niveau supérieur, constituée essentiellement de maquettes de navires de guerre, réalisées et entretenues par un maquettiste (deuxième photo) oeuvrant en toute discrétion dans un atelier aménagé à proximité. C'est sa façon à lui de prendre la mer quotidiennement.
De son côté, le projet de reconstruction, grandeur nature, d'un navire minoen (ci-dessous), nécessita quatre années complètes de travail, entre 2001 et 2004, et, faute d'archives disponibles, ce projet sera développé d'après une approche empirique et en utilisant des techniques nouvelles. L'objectif fut de reconstituer un bateau à rames du XV ème siècle avant J.C, d'après le savoir-faire de l'école d'architecture navale crétoise, de l'autre côté du port, à l'ancien dock de Moro. On commença par tailler la pièce maîtresse de la coque en utilisant un tronc de cyprès de 22 mètres de long. La construction débuta en décembre 2002, avec la collaboration de charpentiers crétois qui donnèrent bientôt forme à une embarcation de 17 mètres de long et quatre mètres de large. Les pièces en bois étaient attachées entre elles à l'aide de cordages, puis on calfata le bateau avec un mélange de graisse de bœuf et de résine savamment dosé puis chauffé avec un feu. Des cordages trempés dans ce mélange furent bientôt posés entre les planches de la coque pour en assurer l'étanchéité. Cette même coque fut ensuite recouverte de pièces de tissus, elles aussi imprégnées de ce même calfatage. Vinrent ensuite les aménagements intérieurs, puis le navire fut inauguré le 1er décembre 2003, lors d'une cérémonie officielle et en présence des autorités grecques. L'embarcation fut mise à l'eau dans l'ancien port vénitien où elle fit ses premières manœuvres, puis largua les amarres pour entreprendre un premier voyage en mer Egée, du 29 mai au 24 juin 2004, avec, pour destination, le port du Pirée, en faisant relâche dans plusieurs ports entre temps. Ce voyage de 25 jours (dont dix jours de mer) fut effectué uniquement de jour, et permit au Minoan de parcourir un total de 210 miles nautiques.
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