Mercredi 20 janvier 2016
Je ne me suis jamais encore rendu au musée Guimet (Paris) mais je suis admiratif du déploiement d'ingéniosité en matière d’expositions offertes au grand public. Ce musée des arts asiatiques permet par exemple d'admirer la plus grande collection d'objets consacrée aux arts asiatiques en Europe, l'une des plus importantes dans le monde. On peut ainsi y observer des bouddha de l'Afghanistan, des moines Zen japonais, ou encore de superbes estampes japonaises, des armures de samouraïs, les trésors d'Angkor ou les arts raffinés de la Chine. Cette fois, c'est une exposition sur la Corée du sud et son intérieur qui a retenu mon attention.
Le musée des arts asiatiques- Guimet est en fait divisé en trois parties : le musée en lui-même, situé place d'Iéna, l'hôtel Heidelbach où l'on peut admirer un panthéon bouddhique japonais unique au monde, et le musée d'Ennery, fenêtre ouverte sur le Japonisme de la fin du XIX è siècle. Fondé à l'origine par un industriel lyonnais passionné d'Asie et de religions, Emile Guimet, le musée Guimet reste le berceau des grands chercheurs, archéologues et historiens d'art asiatique. Fidèle à ses missions de recherche et de transmission de savoir, il offre au grand public une ambitieuse programmation, dont des expositions exceptionnelles, sans oublier une riche programmation à l'auditorium, des évènements hors les murs et des spectacles vivants. Qui m'aime me suive !
Depuis l’automne dernier, le musée Guimet met la Corée à l'honneur dans le cadre des années croisées célébrant, en 2015, le 130è anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la France et la Corée. Trois expositions et une programmation à l'auditorium sont ainsi proposées simultanément sur ce pays encore trop méconnu en France. Saison de Corée en explore les facettes variées, jusqu'au plus contemporain.
J'ai choisi de m'intéresser à l'exposition consacrée à l'intérieur coréen, qui est visible sur place, jusqu'au 14 mars prochain. En Corée, les textiles ont toujours joué un rôle important. Témoins de leurs temps et du pouvoir politique, ils illustraient un désir manifeste de prendre soin de son corps et de son apparence. On retrouve cette constante à toutes les époques, de la période des Trois Royaumes (57 avant J .C- 668 après J.C) à nos jours. Les styles traditionnels d'habillement ont peu évolué au fil du temps malgré les influences étrangères. L'élevage des vers à soie, le tissage et la broderie, eux, restaient l'apanage des femmes et de leurs filles et occupaient une place essentielle dans la vie sociale du pays. Ainsi, la broderie prendra une place telle que, dès le 1er siècle de notre ère, des tournois nationaux de broderies opposeront très tôt villes et villages.
En Corée, on distingue deux types de broderie : le kungsu, broderie royale, effectuée au sein des ateliers royaux, et le minsu, broderie domestique. Cette dernière est souvent la plus intéressante car elle est moins académique. Elle a longtemps été l'unique réceptacle de la créativité et du talent des femmes, à qui l'on interdisait toute autre forme d’activité artistique ou intellectuelle.
L'artiste In-Sook Son est issue d'une grande famille de brodeuses qui lui ont transmis cette passion. C'est en regardant sa mère broder qu'In-Sook Son décidera de consacrer sa vie à cet art étroitement lié à la parure féminine, dans le but de lui donner un second souffle. Diplômée de la plus réputée des universités coréennes, dans le domaine des arts et du textile, c'est à partir de 1976 qu'elle consacre son temps de loisir à la broderie, en laissant libre cours à sa créativité. Et de revisiter entièrement la garde-robe féminine depuis celle de la petite-fille, dont les vêtements avaient des vertus protectrices, jusqu'à celle de la femme, un somptueux hwarot , une robe de mariage (en photo ci-dessous) portée par les femmes de la cour et des classes supérieures. Celle-ci est présentée au sein de l'exposition et est un des chefs-d'oeuvre de notre artiste. Le hawrot sera adoptée par toute la société à la fin de la période Choson. Richement brodée de motifs de fleurs, d'oiseaux, d'insectes et de motifs auspicieux, tels que le lotus, elle représente une sorte d'apogée dans l'art de la broderie coréenne. Ce vêtement est le vêtement traditionnel coréen le plus décoré. Le wonsam (costume de cour), dont le hwarot dérive, se distingue par ses broderies symboliques et ses larges manches. Et le hwarot d'être une parure royale dont le port était autorisé aux femmes du commun pour leur mariage avec la couleur rouge dominant, symbole de prospérité et des forces vitales. En toute modestie, In-Sook Son a refusé l'appellation de Trésor National vivant qu'on souhaitait lui attribuer, par peur d'être contrainte de devenir une gardienne de la tradition alors qu'elle fait tout pour s'en affranchir et en dépasser le cadre.
La présentation de l 'œuvre de In-Sook Son permet d'illustrer l'art du textile et de la broderie coréen. Par exemple, le Pojagi, littéralement « habit pour les choses » qu'elle réinvente et qui occupe une place centrale dans la culture et les traditions coréennes. Durant la période Choson (1392-1910), celui-ci servait à envelopper des objets aussi bien ordinaires que précieux, pour les ranger, les stocker, recouvrir les tables, occulter les fenêtres, mais également pour protéger l'autel bouddhiste (ou autel des ancêtres), ou encore pour présenter les écrits sacrés ou les cadeaux de mariage.
Le hanbok, costume traditionnel composé, pour les femmes, d'une jupe (ch'ima) portée avec une veste (chôgori) et, pour les hommes, d'un pantalon (paji), accompagné d'une version plus longue de la même veste, est adapté à chacune des femmes pour lesquelles elle le réalise. Cette pièce emblématique du vêtement traditionnel coréen semble avoir pris sa forme quasi définitive très tôt, à l'époque des Trois Royaumes (1er-7è siècle), les styles traditionnels d'habillement ayant peu évolué au fil du temps malgré les influences étrangères (en attestent les peintures des tombes de l'époque Koguryo de cette même période, qui montrent que les hommes et les femmes étaient vêtus de vestes plus ou moins longues, à larges manches, et des pantalons serrés à la cheville par des cordons). D'après In-Sook Son, « chaque femme doit porter son hanbok avec une couleur, un tissage, et une broderie différente ». Elle collabore en outre à toutes les étapes de fabrication du fil : filage, moulinage, teinture naturelle de la soie qui provient de la sériciculture coréenne. Ces costumes extrêmement travaillés et raffinés sont ornés de nœuds décoratifs appelés norigae (en photo ci-dessous) que l'artiste revisite tout en respectant leur tradition profonde.
Une des spécificités de l'art de In-Sook Son est la création de meubles dont la marqueterie habituelle a été remplacée par une marqueterie entièrement réalisée en broderies cloisonnées au niveau des parties ajourées des meubles. L'artiste commence par dessiner des meubles en bois foncé, puis travaille en lien étroit avec les sculpteurs sur bois, sur métal mais également avec les maitres vernisseurs. Ce travail collectif est primordial à ses yeux car In-Sook Son considère que lorsqu'on se trouve en face de ces meubles, on ressent la présence de toutes les personnes ayant façonnées ces œuvres.
Présentées pour la première fois hors de Corée, les œuvres de In-Sook Son sont des exemples remarquables de cet art du textile coréen, et tout particulièrement de la broderie. In-Sook Son a en effet réalisé plus de 50 000 œuvres autour de la parure féminine : vestes, jupes, épingles à cheveux, sacs, nœuds et ornements divers et variés. Toutes ses œuvres sont de véritables odes à la broderie coréenne, et subliment la beauté des femmes grâce à des créations empreintes de tradition, mais dotées d'une puissante modernité. In-Sook Son a adopté Yewon comme nom d'artiste et a prêté ce nom à la fondation Yewon Silgrim Art & Culture Foundation, créée le 2 juillet 2014, afin de promouvoir et de préserver les techniques traditionnelles et l'art de la broderie coréenne. L'objectif de cette fondation est aussi promouvoir l'art de cette peinture au fil à travers des expositions en Corée et à l'étranger, de bâtir un musée en Corée pour abriter ces œuvres, et de développer l'enseignement et la recherche sur les techniques de la peinture au fil. Tout un programme !
INFOS PRATIQUES :
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Musée des arts asiatiques-Guimet, 6, Place d'Iéna, à Paris (16è). Tél : 01 56 52 54 33. Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 10h00 à 18h00. Durant l'exposition Intérieur coréen, œuvres de In-Sook Son (jusqu'au 14 mars 2016), les galeries du Panthéon bouddhique sont fermées. Par ailleurs, l'introduction de bagages (valises, y compris bagages cabine, et sacs de grande contenance) et casques de moto est interdite dans l'enceinte du musée. Tarif : 7,50€ (collections permanentes) et 9,50€ (collections permanentes et temporaires). Site internet : http://www.guimet.fr/fr/
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Le catalogue « Intérieur coréen,oeuvres de In-Sook Son » (ci-dessous) est en vente à la librairie-boutique du musée, au prix de 25€. Cet ouvrage relié contient 192 pages et 130 illustrations.
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Merci au service Presse du musée Guimet pour sa précieuse collaboration.