Dimanche 7 février 2016
En ce dimanche froid mais ensoleillé, j'ai davantage envie de me réfugier dans un musée que de subir les frimas de l'hiver. Avant mon départ, j'avais repéré une exposition en cours, au Meguro Gajoen de Tokyo, consacrée aux poupées Hina. Cet événement est visible jusqu'au 6 mars prochain et je ne peux que vous encourager à vous rendre sur place si vous faites escale dans la capitale nippone.
J'avais déjà abordé la tradition de ces poupées japonaises dans un précédent article. La fête des poupées se tient en effet le 3 mars de chaque année et relève d'une vieille tradition qui, dit-on, remonte à la période Heian (794- 1185), du temps où des poupées prenaient place à bord des embarcations afin de célébrer un rituel censé écarter l'infortune. Depuis, il est de coutume d'offrir aux petites filles ces fameuses poupées qui apportent bonheur et santé. Cette fête, qui se tient au Japon chaque 3 mars, symbolise une journée consacrée aux petites filles, fête au cours de laquelle ces petites filles portent un kimono à manches longues, reçoivent des cadeaux, avant de rendre au temple shinto avec sa famille pour se recueillir. Les jours précédant ce 3 mars, les petites filles nippones exposent de précieuses poupées posées sur des petites estrades à plusieurs niveaux. Ces poupées particulières, qui se transmettent de génération en génération, sont rangées dans un carton le reste de l'année. Ces poupées-là représentent des personnages de la cour impériale de l'ère Heian. La disposition des poupées lors de leur exposition est bien déterminée : l'empereur se trouve sur le niveau le plus haut, à gauche, puis l'impératrice, à droite. Un paravent doré fait souvent office d'arrière-plan.
Il existe plusieurs types de poupées japonaises :certaines représentent des enfants et des bébés, d'autres, nous l'avons vu, des membres de la cour impériale, d'autres des guerriers et des héros, ou bien des personnages de conte de fée ou de la mythologie japonaise (excepté des démons), ou même simplement de simples japonais. A l'origine, la destination de ces poupées étaient des cérémonies familiales. Elles étaient alors offertes comme cadeaux formels. Elles étaient aussi utilisées dans d'autres célébrations comme la fête des poupées, ou encore Kodomo no Hi (la journée des enfants), ou encore Tango no Sekku. D'autres poupées furent fabriquées pour être tout bonnement vendues comme souvenirs lors d'une visite d'un temple par exemple. Aux environs de l'an 1000, existaient déjà plusieurs types de poupées. Les filles jouaient avec des poupées et des maisons de poupées, tandis que les femmes fabriquaient des poupées afin de protéger leurs enfants et leurs petits-enfants. D'autres poupées étaient utilisées lors de cérémonies religieuses car elles prenaient sur elles les péchés des personnes qui les touchaient. On pense que les premiers fabricants de ces poupées étaient des sculpteurs des temples, lesquels concevaient les figurines de bois peint représentant des enfants (poupées Saga). Ces poupées-là étaient faites d'un bois recouvert d'une laque (gofun), avec de la colle et des coquilles d'huitres ainsi que des textiles. Leur utilisation était vaste comme, par exemple, ces figures de héros légendaires qu'on mettait à l'honneur lors des festivals. On les emportait alors dans les rues des villes, comme à la Fête de Gion de Kyoto. D'autres poupées servaient dans les théâtres, comme ces poupées bunraku, une forme de théâtre qui rivalisait avec le kabuki, et qui existe toujours de nos jours. Durant l'époque Edo, alors que le pays était replié sur lui-même, se développa une coutume : les riches payèrent des fabricants de poupées pour qu'on leur fabrique des poupées décoratives qui serviront à égayer leur intérieur. Mais aussi pour les offrir en cadeau. On vit alors apparaître de plus en plus de poupées raffinées et détaillées, à tel point que cette fabrication fut bientôt régulée par le gouvernement de l'époque. On arrêtait ainsi parfois des fabricants qui ne respectaient pas la hauteur réglementaire des poupées ou qui n'utilisaient pas les matériaux adéquats. Ce sont ces poupées « riches » qui sont cette fois exposées au Meguro Gajoen.
Examinons maintenant les différentes sortes de poupées japonaises : on trouve tout d'abord les gosho, en forme de bébés gros et mignons à la fois. Le gosho de base est représenté par un bébé de sexe masculin en position assise, presque nu, avec la peau très blanche, mais on peut rencontrer des gosho habillés plus richement, portant cheveux et accessoires. On trouve ces poupées-là en version mâle ou femelle. Elles étaient, à l'origine, des cadeaux associés à la cour impériale. Gosho peut d'ailleurs se traduire par « palais » ou « cour ».
Les poupées musha, elles, représentent des guerriers ou des guerrières.De construction plus compliquée (car les figures représentent des hommes et des femmes assis, debout ou à cheval), elles utilisent toutefois les mêmes matériaux que les poupées hina. Les musha portent armure, casques et armes en papier laqué, avec souvent des couleurs métalliques. On retrouve parmi elles des représentations de l'empereur Jimmu, ou bien l'impératrice Jingu et son premier ministre Takenouchi, tenant dans ses bras l'empereur nouveau-né. Mais aussi Shoki, l'exorciste, ou bien Toyotomi Hideyoshi et ses généraux, sans oublier ces figures de contes de fée, dont Momotaro ou Kintaro.
Les poupée ichimatsu représentent des petites filles ou des petits garçons, bien proportionnés et normalement colorés, avec des yeux de verre. Les premières ichimatsu furent nommées en l'honneur d'un célèbre acteur de kabuki du XVIII è siècle et représentaient probablement un homme adulte, mais depuis la fin du XIX è siècle, ce terme s'applique aux poupées en forme d'enfant. Les poupées mâles, au regard espiègle, furent celles qui connurent le plus de succès à la fin du XIX ème et au début du XX ème. Mais un événement inattendu contribua à populariser les poupées femelles en 1926, lorsque le Friendship Doll Exchange fit faire 58 poupées représentant des petites filles, qui furent adressées aux enfants japonais, de la part des enfants américains. Celles-ci, à l'expression à la fois douce et sérieuse, portaient un kimono.
Kimekomi se réfère à la manière de fabriquer les poupées. Leurs ancêtres sont les poupées kamo, faites en bois de saule puis décorées de morceaux de tissu. Quant aux poupées kimekomi, elles consistent en un morceau de bois taillé. Puis, on choisit des morceaux de tissu de couleurs et motifs différents en guise de décoration. Le tissu est alors collé sur le bois, la tête et les mains sont recouvertes de gofun (laque) et les cheveux peuvent être gravés dans le bois ou bien matérialisés par une perruque. Ces poupées sont restées assez populaires au Japon et on trouve même des petites trousses contenant tout le nécessaire pour la fabrication du kinekomi.
Les kokeshi, elles, existent depuis 150 ans et sont originaires du nord de l'île de Honshu. Elles servirent d'abord de poupées pour les enfants des paysans. Ne comportant ni bras, ni jambes, mais juste un une grande tête et un corps cylindrique, elles représentent des petites filles, et sont, de nos jours, souvent achetées par les touristes.
Les Daruma sont des poupées sphériques avec un corps rouge et un visage blanc, sans pupilles. Ces poupées-là représentent un prêtre qui fonda le zen il y a environ 1500 ans. Et sont supposées donner chance et courage pour atteindre les objectifs qu'on s'est fixés. La tradition veut qu'on dessine la pupille dans le blanc d'un œil lorsqu'on fait son souhait, puis l'autre, lorsque le souhait est réalisé. Les daruma trouvent leur usage toute l'année mais surtout le jour du Nouvel An, car cette poupée représente Bodhidharma, un religieux indien de la secte bouddhique dhyana, venu de Chine pour diffuser les préceptes du bouddhisme. On dit qu'il passa neuf années, assis devant une grotte avant d'atteindre l'illumination. Ce qui lui aurait fait perdre l'usage de ses membres, d'où l'apparence de la poupée daruma. Une autre histoire prétend que, durant sa méditation, le religieux se serait endormi et aurait jeté ses paupières. L'endroit où celles-ci tombèrent vit pousser les premières pousses de thé vert.
Les poupées hina, elles, sont celles de la Fête de Hina (Hina Matsuri), ou Fête des poupées. Elles sont faites de plusieurs matériaux, mais la vrai poupée hina a une forme plutôt pyramidale, avec plusieurs couches de textiles remplies de paille ou de morceaux de bois. Elle est dotée de mains (et même parfois de pieds) taillées recouvertes de gofun, ainsi que d'une tête de bois recouverte également de laque, avec des yeux fixes en verre. Avant 1850, les yeux étaient toutefois gravés puis peints. Ses cheveux sont faits de cheveux humains ou de matière synthétique. Un jeu complet de poupées hina comprend au minimum quinze poupées qui représentent chacune des personnages spécifiques, dotées de nombreux accessoires. Le jeu de base, lui, comprend simplement une paire de poupées hina, l'une masculin, l'autre féminine, souvent appelées « l'empereur et l'impératrice ».
On parle de « Fête des poupées » lorsqu'on évoque Hina Matsuri car l 'élément le plus significatif de cet événement est la décoration mise au point pour l'occasion, avec ces fameuses poupées hina : chaque famille va installer le tokonoma (représentation d'une cour impériale de l'ère Heian) dans une alcôve de la pièce principale de la maison. La disposition des poupées obéit à des règles puisque les reproductions de scènes les plus élaborées (donc, les plus couteuses!) comportent jusqu'à sept étages (ci-dessous), d'une plateforme appelée hina dan, qu'on recouvre d'un tissu rouge (dankake) qui servira de décor. Cependant, si on manque de moyens, ou de place, l'alcôve sera plus modeste et moins décorée, n'accueillant que quelques poupées en origami, voire même une seule statuette en guise d'ornement.
Le cadre dans lequel se déroule l'exposition des poupées Hina est aussi majestueux que l’exposition qui nous intéresse. Le Meguro Gajoen a longtemps été surnommé le magasin des ornements, ou encore « le conte féérique du Palais du dieu de la mer », sous la période Showa. Lorsque le bâtiment fut construit en 1931, la capitale nippone se remettait tout juste d'un grand tremblement de terre. Peu nombreuses étaient alors les maisons qui disposaient de l'eau courante et de l'électricité et les habitants vivaient chichement. Et le Meguro Gajoen d'apporter rêve et fantaisie compte tenu de la beauté de ses décors intérieurs, à une époque où les Tokyoites ne disposaient que de rares décorations intérieures à leurs domiciles. L'endroit servit d'abord de restaurant japonais. Puis une annexe fut bâtie avec salles de banquets, salons de réception, sanctuaire, église, salon d'habillage, salon de maquillage et un studio de photographie (afin de permettre à ceux qui le désiraient de se faire photographier lors des mariages ou autres cérémonies). Lors de la seconde guerre mondiale, les lieux seront toutefois évacués compte tenu du risque de bombardements dans cette partie de la ville. 1988 connut des transformations puisque de nombreux ornements furent transférés à l'intérieur d'un nouveau bâtiment (seul l'escalier aux cent marches et quelques salons anciens de l'ancienne structure furent conservés) tandis que les anciennes constructions préservées étaient classées comme biens culturels japonais.
Le responsable de l'événementiel mettra à ma disposition un guide parlant anglais pour me guider à l'intérieur des sept salons anciens, survivance de l'ancien Gajoen et lieu d'accueil de l'exposition des poupées. La première salle est appelée « Jippo no ma », en hommage au peintre Jippo Araki qui exécuta le décor de cette pièce. Le plafond, mais aussi les murs, représentent un allégorie à la nature, et sont réalisés en laque et en cloisonné. L’alcôve est ornée de deux piliers dont l'un fut taillé dans un if âgé de 200 ans, et l'autre dans un tronc d'arbre brésilien âgé de 220 ans et ramené d'Amérique du sud. A l'intérieur de cette pièce sont présentées des poupées de la préfecture d'Iwate. Nous passons ensuite dans la seconde pièce, surnommée « Gyosho no ma » : le nom de ce salon provient d'une ancienne historie chinoise, celle de la dispute entre un pêcheur et un bûcheron. On peut y admirer deux piliers en bois sculpté, taillé dans un tronc d'hinoki (cyprès japonais) âgé de 280 ans. Deux artistes japonais, Kashu Kikuchi et Chikuha Otake réalisèrent de magnifiques panneaux en bois et les sculptures visibles dans cette pièce. Les peintures décrivent les fêtes estivales, dont celle du Nouvel An, célébrée le 7 janvier, la Fête des poupées (le 3 mars), celle des petits garçons (le 5 mai), la fête des étoiles (le 7 juillet) et celle des chrysanthèmes (le 9 septembre).
Le guide me conduit maintenant dans la troisième salle appelée « Sohkyu no ma ». C'est Sohkyu Isobe qui réalisa la décoration de l'endroit en peignant les quatre saisons. On peut ainsi distinguer le Mont Fuji si le temps le permet, tandis qu'un arbre mystérieux, Enju, qui signifie « longue vie » a été utilisé pour sculpter un pilier (que les visiteurs s'empressent de toucher dans l'espoir d'assurer leur longévité!). Les peintures, elles, représentent des paysages de la préfecture de Gunma. La pièce accueille principalement des poupées originaires de familles de la préfecture d'Iwate, et plus exactement de la ville de Morioka. Des fleurs suspendues (tsubaki) symbolisent la bonne santé, tandis que dans un autre coin du salon sont suspendues les poupées tsurushi bina. La quatrième salle, elle, a reçu le nom de « Seisui no ma ». Elle est divisée en deux parties. Et accueille non seulement des poupées de la préfecture de Miyagi (Sendaï), mais aussi des poupées miniatures de la même région (à voir absolument!) toujours dans le cadre de l'exposition en cours. Les peintures de la première partie de cette pièce furent exécutées par Seisui Hashimoto et le pilier principal de la pièce provient d'un tronc de Kihada. La seconde partie de la pièce offrait jadis des plafonds peints par le même artiste mais ces peintures furent déplacées dans un autre salon après la seconde guerre mondiale et remplacées par des peintures de Shuho Ikegami.
« Seikoh no ma », elle, est la cinquième pièce et est différente des autres salons. Le style pictural est celui de Seikoh Itakura et offre de voir des choses comestibles comme par exemple des fruits. Le cèdre de Kitayama fut utilisé pour sculpter les piliers et les pièces horizontales, car il était alors difficile de trouver des troncs d'arbres suffisamment droits et de taille correcte pour ce genre de travail. Je m'arrête quelques instants devant les superbes poupées et les meubles miniatures provenant des préfectures d'Iwate et de Miyagi, dont certaines représentent les cinq musiciens. Sur un autre mur trônent deux kimonos d'enfants originaires de la ville de Murata. Dans une petite vitrine, je découvre quelques poupées enveloppées dans du papier comme si on voulait les préserver des aléas de la vie. Ces poupées-là ont pourtant vécu l'horreur du 11 mars 2011, lorsqu'un puissant séisme dévasta la côte Pacifique du Tohoku. Orphelines, elles furent retrouvées dans les maisons détruites. La sixième salle est surnommée « Kiyokata no ma » et abrite les peintures de Kiyokata Kaburagi, l'un des peintres les plus populaires de l'époque Showa. Les surfaces murales sont suffisamment vastes pour accueillir ses œuvres à la fois conséquentes et mobiles (de nombreux musées les réclament en effet régulièrement pour ornes leurs galeries). Le plafond en bois tissé est caractéristique de l'endroit qui pouvait autrefois être utilisé comme salon de thé ou salle de banquet. La famille Ichihara a prêté les poupées qui y sont exposées et qui proviennent de la ville de Tsukagawa (Préfecture de Fukushima). On peut ainsi admirer des poupées de musiciens mais aussi deux poupées samouraïs et des meubles miniatures. Terminons ce tour d'horizon avec la septième salle, appelée « Cyoujou no ma ». Les peintures qui ornent son plafond représentent les disciples de Matsuoka, tandis que les poupées qui sont exposées sont plus récentes que leurs congénères. Originaires des préfectures d'Iwate et de Fukushima, elles sont de type kukuribina (poupées plates) et proviennent pour certaines d'entre elles de la ville de Miharu. Dans une autre vitrine, on peut admirer des poupées représentant des scènes de kabuki.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition de la fête des Poupées, jusqu'au 6 mars 2016, au Meguro Gajoen, 1-8-1 Simomeguro, Meguro-ku, à Tokyo. Tél : 03 5434 314O. Ouvert tous les jours, de 10h00 à 18h00. Entrée : 1500 yens. Prise de photos interdite. Boutique. Site internet : http://bit.ly/hyakudanhina