Dimanche 21 février 2016
Et me voici sur le départ pour visiter la 30 ème ville-étape de la route de Tokaido. Le temps est aujourd'hui magnifique, et un grand soleil brille au milieu d'un grand ciel bleu. Il y a par contre un vent à décorner les bœufs, mais , au moins, il ne pleut pas à seaux comme hier soir. Je monte dans l'omnibus de la ligne JR et descends à Maisaka, la 30 ème étape de ce long périple. Le littoral m'ouvre les bras bien que je me sente un peu perdu en ce dimanche matin, dans cette minuscule cité. Durant la période Edo, Maisaka faisait partie de la Province de Totomi, ancienne préfecture nippone qui occupait la partie ouest de l'actuelle préfecture de Shizuoka. Cette province sera longtemps contrôlée par le clan Imagawa qui l'unifiera en 1496, avant qu'elle ne tombe plus tard sous la poigne de Ieyasu Tokugawa.
Maisaka-juku était située sur les rives orientales de (l'ancien) lac Hamana. Doit-on encore parler d'un lac ou plutôt d'une mer intérieure ? La question se pose car ce lac de 65 km2 reste encore le dixième plus grand lac du pays par sa superficie et couvre les limites des ville de Hamamatsu et Kosai. Il constitue aussi une source économique importante au niveau national grâce à sa production d'anguilles, de nori, d'huitres et de trionyx de Chine. Une activité portuaire s'est donc développée localement, parallèlement à un essor touristique certain. Jadis, le lac Hamana était un lac d'eau douce mais le grand séisme de 1498 modifia la topographie de la région, au point d'ouvrir une faille entre le lac et l'océan. Et de permettre ainsi à l'eau de mer de pénétrer dans le lac.
Autrefois, les voyageurs traversaient le lac pour atteindre Arai-juku, la station suivante du Tokaido. De nos jours, la célèbre route est toujours bordée de pins depuis la gare JR de Maisaka, jusqu'à l'entrée de la station, marquée par l'embarcadère d'où les embarcations partaient avec leurs passagers. L'endroit avait reçu le nom de Gange, et se composait de plusieurs entrées. L'entrée Nord était surtout empruntée par les daïmios et les hauts fonctionnaires du shogun, tandis que l'entrée centrale, elle, était réservée aux samouraïs. L'entrée sud servait quant à elle aux voyageurs ordinaires, aux chevaux, aux employés et aux marchandises. Celle-ci était l'entrée la plus fréquentée et elle avait reçu le nom de tokaba.
A l'entrée Est de Maisaka, s'élevait aussi un mur (ci-dessous) marquant le point de contrôle d'où des gardes regardaient arriver ou partir les voyageurs et leurs chevaux. On ne connait pas la date de sa construction mais des documents de 1709 y faisaient déjà référence. Les pierres qui forment ce mur sont uniques et proviennent du mont Kosai, non loin de là.
Je poursuis mon chemin le long de ce qui fut la route Tokaido et m'arrête à une honjin (ci-dessous), c'est à dire une auberge qui accueillait autrefois les daïmios et les officiels. Cette auberge-là s'appelle waki-honjin, une auberge secondaire, et est l'unique construction de ce genre encore debout. Elle fut construite en 1838, puis restaurée en 1998. Son plafond, son toit et l’alcôve sont d'origine. Et l'ensemble d'être plus long (27 mètres) que large (9 mètres), d'où son surnom de « lit pour anguille ». Ses fenêtres en bois, appelées shitomido, sont conçues pour préserver la chaleur intérieure l'hiver et la fraicheur en été. Elles sont fermées la nuit et les jours de pluie. La salle de bains,elle, offre une baignoire constituant une simple réserve d'eau chaude de laquelle on puisait du liquide pour se laver à proximité. A noter que certains daïmios se déplaçaient avec leurs baignoire personnelle. C'est que le voyage était long, entre Kyoto et Tokyo, puisqu'il durait douze nuits et treize jours (pour parcourir les 492 kilomètres séparant les deux villes). Dans une pièce, j'aperçois un laisser-passer réservé aux femmes (deuxième photo). Durant la période Edo, celles-ci ne pouvaient se rendre de Tokyo vers l'ouest du pays qu'une fois munies d'une autorisation en bonne et due forme
De l'auberge, je ne me trouve qu'à quelques dizaines de mètres du port de Maisaka, où quelques pêcheurs et ramasseurs de crabes s'activent en ce début de matinée. Je passerai devant le fameux embarcadère qui vit autrefois accoster bien des voyageurs du Tokaido, puis me dirige vers Benten-jima (une petite île où se trouve la prochaine gare JR qui me permettra de relier la seconde étape de mon périple). Un petit estuaire s'offre à moi avec, au loin, un grand torii de couleur rouge (ci-dessous) dont je ne sais ce qu'il fait là, ancré solidement sur un banc de sable. Au loin, je peux voir des fermes marines. Peut être renferment-elles des algues qui seront ensuite mises à séchées puis vendues. Moritaya Hikonojo, jadis originaire d'Omori (Tokyo) s'était il y a très longtemps lancé dans l'aventure, avec d'ailleurs un certain succès. Ces algues furent servies dans plusieurs hatagos de Maisaka et fort appréciées, au point d'être aujourd'hui devenues une spécialité culinaire de cette ville-étape qui compta jusqu'à deux honjin, une waki-honjin, et ...28 hatago en 1843. L'estampe d'Hiroshige (deuxième photo) nous montre un petit port avec le Mont Fuji au loin.
Près de quatre kilomètres me séparent de Benten-Jima et d'Arai, ma prochaine étape. Je pénètre ainsi dans le district de Hamana. La station d'Arai se tenait sur la berge occidentale du lac Hamana que traversaient les voyageurs pour atteindre Maisaka-juku, et bien qu'il existât plusieurs points de contrôle le long du Tokaido, celui d'Arai fut le seul qui se tînt à la fois sur terre et sur la rivière. Cette petite cité eut à souffrir à de nombreuses reprises des aléas climatiques (tremblements de terre et tsunamis) et dut déménager plusieurs fois. Son emplacement actuel fut choisi à la suite du tremblement de terre de Hoei de 1707. Et le bâtiment du point de contrôle (ci-dessous en photo) d'être utilisé comme école après la suppression des points de contrôle au début de l'ère Meiji. Ce point de contrôle, qui avait tout de même servi un siècle durant, sous l'égide du shogunat, n'en reste pas moins la seule barrière encore existante classée en tant que site historique japonais. Une fois encore, le point de contrôle d'Arai sera détruit lors du séisme de 1854, puis rebâti l'année suivante. Le bâtiment abritait un bureau principal, une chambre d'amis, une autre chambre pour les serviteurs, un bureau de quai, un endroit où on contrôlait l'identité des femmes, et une porte d'entrée avec son toit de tuiles. L'endroit offrait aux visiteurs deux types d'hébergements, un pour les hôtes de marque et l'autre pour les gens ordinaires. Ce point de contrôle fut établi en 1600, sur l'embouchure de l'océan Pacifique, jusqu'à ce qu'il subisse de gros dégâts en 1699, tout comme cette fameuse année de 1707.De nos jours, le tourisme a repris tous ses droits et ce lieu est désormais consacré à l'histoire et à la culture des anciennes shukuba. A deux pas de là, se trouve toujours l'embarcadère qu'empruntaient autrefois les voyageurs pour descendre ou monter à bord des embarcations (deuxième photo).
La ville d'Arai compta jadis jusqu'à trois honjin : Yagosuke, Buhe et Hachirobe (ci-dessous). Malheureusement, seule l'une d'entre elles existe encore. Avant de rebrousser chemin, je rends visite au sanctuaire Suwa mais celui-ci est en travaux. De vieilles lanternes en pierre lui furent pourtant offertes par Doi Magobe. Elles ont depuis été classées comme patrimoine culturel de la ville de Kosai. Dehors, des arbres zelcovas se dressent depuis 450 ans. Tout aussi immuable, l'estampe d'Hiroshige (deuxième photo ci-dessous) montre un cortège de daïmio lors d'un sankin tokai (système de résidence alternée) effectuant la traversée entre Maisaka et Arai. Le daïmio est à l'intérieur d'un grand vaisseau avec ses armoiries familiales tandis que ses serviteurs suivent avec ses bagages dans une embarcation plus petite.
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