Vendredi 26 février 2016
Les deux stations que je m'apprête à découvrir aujourd'hui sont toutes deux rattachées à la ville d'Okazaki (Préfecture d'Aichi). Depuis Toyohashi, il n'est pas pratique de se rendre jusqu'à Fujikawa, ma première halte, car le train qui dessert la petite gare est un omnibus qui s'arrête souvent. De plus il en passe peu. 37 ème station de la route du Tokaido, Fujikawa s'étend sur environ un kilomètre de long , à presque neuf kilomètres de la station précédente d'Akasaka. Du temps où elle prospérait, la bourgade comptait 302 bâtiments, dont une honjin, une honjin secondaire (en photo ci-dessous) et 36 hatago, pour une population d'environ 1200 résidents. La honjin secondaire Ato ci-dessous fut construite pour abriter les soldats du temps de la période Edo. C'est la plus ancienne construction de Fujikawa datant de l'instauration de la route shogunale, et sa porte d'entrée remonte à la même époque. A l'intérieur de la waki-honjin (auberge secondaire) se trouve désormais le petit musée de la ville.(waki-honjin)
La route du Tokaido est étroite et je prends bien soin de marcher sur le bas-côté pour ne pas gêner le passage des voitures sur cet axe de circulation à double-sens. Sur mon chemin, j'aperçois une maison traditionnelle classée comme bien culturel important (ci-dessous). Non loin de là, se trouve un fabricant de poupées traditionnelles japonaises. L'endroit vaut la peine d'être visité (deuxième photo). Un peu plus loin, ce sont 90 pins (un arbre tous les trente mètres) qui bordent la route, plongeant ainsi le visiteur dans l'atmosphère de l'époque. Ces pins ont, eux aussi, été classés comme monuments naturels du Japon. L'estampe d'Hiroshige (troisième photo) décrit une procession de daïmios lors d'un sankin kotai (résidence alternée) pénétrant dans la station. On peut remarquer trois roturiers qui s'agenouillent au passage du seigneur. La petite ville a fait beaucoup d'efforts pour préserver l'ambiance d'antan notamment en maintenant un certain nombre d'éléments urbains anciens dans la rue.
Je reprends bientôt mon omnibus avoir avoir poireauté en gare une bonne demi-heure. Ma prochaine étape est la ville étape d'Okazaki, 38 ème station de la route du Tokaido. Située dans la ville moderne du même nom, cette station ne conserve malheureusement pas beaucoup d'éléments de la période Edo car l'agglomération subira plusieurs incendies lors de la Seconde guerre mondiale. La ville prospéra en tant que jokamachi (ville-château) autour du château (ci-dessous) qui servit de résidence à Ieyasu Tokugawa. A pied, il ne me faudra qu'une vingtaine de minutes afin d'accéder au parc d'Okazaki. Il fait soleil et certaines personnes prennent un peu de repos au dehors. Les cerisiers n' ont certes pas encore regagné leurs belles couleurs, la glycine non plus,qui démarre sa floraison en mai. Le parc possède une glycine impressionnante, qu'on surnomme ici « Gomangoku Fuji » et de nombreuses familles viennent passer quelques instants sous cette galerie fleurie d'une surface de 1300 m² au mois de mai. Deux glycines s'épanouissent dans ce parc depuis maintenant fort longtemps et étalent généreusement leurs branches (jusqu'à 11 mètres de long!) pour former un treillis fleuri à cette époque de l'année. Certaines fleurs de glycines peuvent d'ailleurs mesurer jusqu'à ...un mètre de long!
Je marche jusqu'au château où l'on fait la queue pour les visites. Ce château aurait été bâti à cet endroit vers 1455 par la famille Saigo. Au cours de la première moitié du XVI ème siècle, cette famille le cédera à Matsudaira Kiyoyasu, septième seigneur de la famille Matsudaira (et grand-père de Ieyasu) qui accroissait son pouvoir dans la partie nord de la région de Mikawa. C'est là que naquit Ieyasu Tokugawa le 16 décembre 1542. Sept ans plus tard, les Matsudaira seront défaits par le clan Imagawa et Ieyasu sera emmené au château de Sunpu comme otage. A la suite de la défaite des Imagawa lors de la bataille D'Okehazama, Ieyasu reprendra possession de ce château en 1560, puis y laissera son fils, Nobuyasu. Après qu'Oda Nobunoga eut ordonné de tuer Nobuyasu en 1579, c'est le clan Honda qui investira l'endroit. Puis, à la suite du déplacement forcé des Tokugawa à Edo, après le siège d'Odawara (en 1590), par Toyotomi Hideyoshi, le château d'Okazaki sera offert à Tanaka Yoshimasa qui embellira de manière significative les fortifications, développera la fameuse ville-château ainsi que la shukuba Okazaki-shuku, le long du Tokaido.
Lorsque Ieyasu Tokugawa mettra en oeuvre son shogunat, le domaine d'Okazaki sera créé puis sera confié à Honda Yasushige, un proche de Ieyasu. Un donjon de trois étages sera quant à lui achevé en 1617. Durant 300 ans, la citadelle sera le témoin de l'accession au pouvoir de Ieyasu Tokugawa, et sera successivement gardé par des vassaux héréditaires, tout en servant de point stratégique sur la route de Tokaido. Lors de la période Meiji, et de l'abolition des clans féodaux en 1873, on le démolit en ne préservant que le rempart et les douves (ci-dessous). C'est en 1959 qu'il fut rebâti tel qu'on peut l'admirer désormais. A côté du château, j'aperçois un temple, puis divers autres bâtiments, dont un qui offre de déguster le thé. Une stèle de pierre discrète s'élève à proximité en mémoire d'Alamo (troisième photo ci-dessous). Le géographe japonais, Shigetaka Shiga fut à l'origine de cette initiative, lui, l'enfant d'Okazaki qui se passionna pour la bataille d'Alamo qui eut lieu durant la guerre d'indépendance du Texas (1835 à 1838). Guerre à laquelle il trouvait des similitudes avec celle de Nagashino au Japon (qui mettra en présence, en 1575, les forces des clans Oda et Tokugawa face à celles du clan Takeda, à Nagashino, dans la province de Mikawa). Shigetaka Shiga se souvenait qu'à la bataille d'Alamo, James Bonham, un soldat américain avait réussi à se faufiler du fort pour demander des renforts extérieurs. Tout comme lui, Suneemon Torii, guerrier des forces alliées japonaises s'était, lui aussi, échappé du château assiégé de Nagashino et avait réussi à obtenir des renforts du shogun Tokugawa. Cette stèle a été faite avec de la pierre de la région.
Une autre curiosité d'Okazaki : le temple Daijuji (ci-dessous). C'es à cet endroit que Ieyasu Tokugawa se rendit après la dure bataille D'Okehazama. Etant alors sujet à des tendances suicidaires, il y sera remotivé par le prêtre Toyo et retrouva foi en lui-même. La bataille d'Okehazama avait été difficile. Premier fait d'armes d'Oda Nobunaga, alors seigneur d'un petit domaine dans la province d'Owari, celle-ci révèlera les talents stratégiques et l'esprit d'audace et d'initiative du futur maitre du Japon. Face aux 3000 soldats d'Oda Nobunaga, se trouvaient ce jour-là 30000 ashigaru et samourais de l'armée des Imagawa. Au départ donné perdant, Oda, à la faveur des intempéries, réussira malgré tout à contourner les forces d'Imagawa, massacrant ainsi l'ennemi. Mais revenons au temple Daijuji qui offre à son entrée la superbe porte Sammon, lieu vénéré par les Tokugawa. Celle-ci fut bâtie en 1641 par le troisième shogun, Iemitsu Tokugawa. La mention gravée sur le fronton du temple, elle, est l 'oeuvre de l'empereur Gonara, qui régna de 1536 à 1557. Au sommet de la porte Sammon sont enchâssées plusieurs sculptures en bois, dont celles de trois bouddhas et de 16 disciples.
Une fois n'est pas coutume, je vais mettre les petits plats dans les grands et vous parler de cuisine. De passage dans la préfecture d'Aïchi, je fais une halte à l'usine de fabrication de miso de Maruya Hatcho Miso qui se trouve à Okazaki.
Le miso est un aliment japonais traditionnel qui se présente sous la forme d'une pâte fermentée, dont la caractéristique principale est une forte teneur en protéines, avec un goût très fort et très salé. On en trouve de couleur beige, jaune pâle, ou brun chocolat et la texture de la pâte rappelle le beurre de noix d'arachide. On fabrique le miso à l'aide des ingrédients suivants: Des graines de soja (haricots ou fèves de soja), le double du poids de ces graines en riz ou en orge, une forte quantité de sel marin et d'eau ainsi qu'un ferment appelé koji (mélange de blé ou de riz inoculé avec le koji-kin, un champignon). Le processus de fermentation est important et peut durer entre quelques semaines et … trois années, selon la variété de miso recherchée.
L'origine du miso viendrait du hishio (sauces de marinades de poissons ou de viandes salées). Des poèmes japonais parlaient déjà de hishio faits de viandes de gibier ou bien de crabe, avant même que ne débutent les relations commerciales entre la Chine et le pays du soleil levant. Et puis, les Japonais découvrirent un jour l'écriture chinoise et prirent l'habitude d'écrire à leur manière le caractère hishio (qui désignait en Chine une pâte de soja fermentée). Ce soja va peu à peu remplacer les matières animales, notamment à cause de l'influence du bouddhisme à partir du VI ème siècle: Cette religion instaure en effet le principe du respect de la vie et encourage le végétarisme bouddhique comme pratique alimentaire. Le VIII ème siècle laisse apparaître plusieurs hishios: Le hishio de riz, le misho, le miso...dont certains sont fabriqués selon des recettes chinoises. Peu à peu le Japon va développer un miso d'une texture et d'une saveur très différentes des produits chinois. Et donnera lieu, durant l'ère Heian, à l'apparition d'une graphie nouvelle pour décrire en japonais ce produit. Durant ce même siècle, la cour impériale japonaise possédait déjà un ministre chargé de la sécurité alimentaire dans laquelle le miso occupait une place prépondérante. On utilisait même le miso comme élément de salaire des agents gouvernementaux, au même titre que le riz, le sel, le soja ou autres graines. Le récit épique « Le Dit du Genji » décrivait les mœurs de la cour Heian et indique que les grands banquets nocturnes comportaient sept services (parmi lesquels on trouvait du miso d'ormeau, du hishio de vivaneau rouge, des melons uri, ou des aubergines marinées dans du miso). De toute évidence, on utilisait déjà largement ces deux condiments dans la cuisine de l'époque.
Durant l'ère Kamakura, le miso devient un aliment de base pour les Japonais. Et le moine bouddhiste, Kakushin, de rapporter de Chine une nouvelle recette de miso, qu'il avait découvert au Temple de la Montagne d'Or Kinsanji, alors qu'il séjournait dans la province du Jiangsu. Ce moine ayant ensuite vécu dans la préfecture de Wakayama, permit à Yuasa de devenir l'endroit où l'on fabriqua le miso Kinsanji. Il faut aimer le salé pour consommer un tel aliment car certains misos sont plus salés que certains fromages bleus. On peut donc l'utiliser comme assaisonnement ou comme base dans les soupes (comme ce fameux potage nippon misoshiru), comme base pour confectionner des bouillons et des sauces, comme élément entrant dans la composition de plats cuisinés, comme condiment, dans les entrées froides par exemple, comme le concombre ou le chikuwa fourré au miso. Il s'apprête très aisément, et remplace avantageusement le sel de table, la moutarde, le jus de viande, le concentré de tomate ou bien les fromages à pâte molle. De nombreux Japonais débutent la journée en avalant par exemple une soupe au miso (un aliment dont on estimait déjà la production à 580 000 tonnes en 1995). Il existe au Japon des dizaines de variétés de miso. Pour les connaisseurs, les miso traditionnels sont ceux qui offrent les saveurs les plus délicates et sont fabriqués selon des règles précises. C'est à ces secrets de fabrication du miso que la visite de cette usine vous convie.
Maruya Hatcho Miso produit ainsi l'une des plus anciennes variétés de miso au Japon, et ce, depuis plus de 600 ans. Ses clients sont l'armée impériale, mais aussi des aventuriers et des expéditions qui partent avec, dans leurs bagages leur ration de miso qui leur garantira les protéines nécessaires. Après cinquante années de recherches, on a remarqué que ce miso à faible densité de sel était efficace dans la prévention du cancer et contre les effets des radiations. Suite à l'accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, de grosses quantités de miso furent par exemple exportées en Russie pour les populations locales.
Heureuse Okazaki qui a bien changé depuis l'époque de la route du Tokaido : l'estampe d'Hiroshige nous montre ainsi un pont en bois qui n'existe plus. Durant l'ère Meiji, la ligne principale Tokaido traversera le village voisin de Hane vers le sud. Mais contrairement à d'autres stations, Okazaki ne souffrira pas de cette concurrence car il existiat déjà une ligne de chemin de fer tirée par des chevaux pour relier Okazaki à la gare et une école d'instituteurs verra le jour histoire de maintenir une activité dans le village.
INFOS PRATIQUES:
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Maruya Hatcho Miso, fabricant de miso à Okazaki depuis 1337. A côté de la gare ferroviaire Naka Okazaki. Visite possible (en japonais uniquement) tous les jours de 9h00 à 16h20: Les visites ont lieu chaque heure ( à l'heure ronde et à la demie). Site internet (en japonais et en anglais): http://www.8miso.co.jp/english.html
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Château d'Okazaki, dans le parc de la ville. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h00. Droit d'entrée: 200 yens ( ou 350 yens si vous voulez le billet qui vous permettra aussi de visiter le musée de Ieyasu Tokugawa puis celui des samouraïs du Mikawa). Site internet : http://okazakipark.com/
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Musée Iyayasu & Mikawa Bushi, Okazaki Park, Kosei-cho à Okazaki. Tel: 0564 24 2204. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h00. Entrée: 350 yens. Phtos interdites dans les endroits les plus intéressants du site. Site internet: http://okazakipark.com/museum/e-iyeyasu/kae161.htm
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Site de la ville d'OKazaki: http://www.city.okazaki.aichi.jp/menu8834.html