Lundi 7 mars 2016
Je quitte tôt mon hôtel afin de prendre un train le plus tôt possible car j'ai prévu de me rendre à Minakuchi, puisqu'il m'est impossible d'aller à Sakashita-Juku (48 ème station de la route du Tokaido) et Tsuchiyama (49 ème étape), faute de train. Il m'aurait fallu louer un véhicule et je trouvais l'idée un peu compliquée pour me rendre sur deux shukubas à l'activité désormais réduite. Sakashita (ci-dessous) est la dernière étape incluse dans la Préfecture de Mie. Elle faisait aussi partie de la ville de Kameyama qui me sert de camp de base depuis maintenant plusieurs jours. Durant la période Edo, cette station prospéra grâce au fait qu'elle se trouvait à l'entrée du col de Suzuka, montagne qui offrait plusieurs chemins escarpés. La zone fut pour cette raison témoin de bien des évènements au cours de son histoire (attaque de voyageurs par les brigands par exemple), des évènements parfois transformés depuis en folklore, ou en légende. Le char représentant la montagne de Suzuka témoigne du mythe de la déesse de cette montagne, Suzuka Myojin , qui extermina le Oni (diable), démon relégué à une tâche plus ingrate qui consiste à supporter le poids du char (deuxième photo ci-dessous). La région est très montagneuse de ce côté et fera la perte de Sakashita le jour où le rail se développera. En effet, durant l'ère Meiji, il sera impossible de faire passer la ligne de chemin de fer par le col de Suzuka, trop raide. Le train passera donc à l'écart de la cité, plus exactement à Tsuge (ma gare de correspondance), qui dépend actuellement de la ville d'Iga (toujours dans la Préfecture de Mie), faisant ainsi disparaître l'affluence de jadis. Il este encore de nos jours quelques résidences privées à l'emplacement de cette ancienne étape du Tokaido, et de rares vestiges d'architecture ancienne. La seule chose qui marque désormais l'ancien site est un monument commémoratif construit par l'ancienne ville de Seki.
La 49 ème étape du Tokaido est Tsuchiyama (ci-dessous) et est aussi isolée. Elle est administrativement située dans la ville de Koka (Préfecture de Shiga) et fut, tout comme la station précédente, une étape très prospère de la route shogunale sous la période Edo. Même cause et même punition pour Tsuchiyama, toujours ce col de Suzuka trop raide pour y faire passer le chemin de fer, d'où le passage du train en gare de Terasho (Koka), à l'écart de l'ancienne ville-étape. Il reste encore les vestiges d'une honjin sur place.
La 50 ème étape sera Minakuchi (ci-dessous en estampe), elle aussi dépendant de la ville de Koka. La station fut créée à l'époque de Muromachi, car son emplacement était idéal pour les voyageurs qui se rendaient au sanctuaire d'Ise-Jingu et à la baie d'Ise. La route se scindait effectivement en trois à la limite Est de Minakuchi-juku, tandis que la limite Ouest de la shukuba était une ville-château (jokamachi) avec son château toujours partiellement en état. Minakuchi était donc une importante voie de communication à une époque où le Japon était divisé en 14 subdivisions traditionnelles (dont Muromachi). Cette époque s'étala de 1333 à 1573, et vit alors le pays contrôlé par des shoguns de la famille Ashikawa, installée à Kyoto. Le nom de cette période sera d'ailleurs choisi par cette famille pour y installer leur bakufu (dictature féodale). Kyoto en était alors le centre. Ashikawa Takauji, le fondateur de ce shogunat, se démarquera de ses prédécesseurs en aidant l'empereur à lutter contre le bakufu de Kamakura, resserrant ainsi ses liens avec l'autorité impériale. Mais le pouvoir de la famille Ashikawa sera également plus limité que ceux de ses prédécesseurs et successeurs par les pouvoirs provinciaux, qui restèrent entre les mains des daïmios. Et ce système féodal d'exploser en guerre ouverte entre daïmios et pouvoir shogunal, mais aussi entre daïmios eux-mêmes, au cours de la deuxième moitié du XV ème siècle, entrainant une longue période de guerres intérieures connue sous le nom de période Sengoku. Le shogunat des Ashikawa sera évincé un siècle plus tard, en 1573, lorsque Oda Nobunaga conduisit le 15 ème (et dernier) shogun Ashikaga Yoshiaki hors de Kyoto. Yoshiaki recevra alors la protection du clan Mori à l'ouest et sera plus tard requis par Toyotomi Hideyoshi pour devenir son fils adoptif, proposition que Yoshiaki déclinera. Cela n'empêche pas la famille Ashikaga de survivre encore de nos jours.
Il est un peu compliqué de se rendre à Minakuchi car les transports en commun se font rares (voir infos pratiques). L'ancienne ville-étape est peu étendue et il m'est facile de visiter rapidement les trois principaux lieux d'intérêt : d'abord, le musée d'histoire, situé à deux pas de la mairie, mais où il est fortement conseillé de lire le japonais car toutes les informations sont données uniquement dans cette langue. De plus, il est interdit de faire des photos. C'est dommage car le musée est bien fait et offre de voir notamment un superbe char (hikiyama) utilisé comme quinze autre d'entre eux lors de la fête annuelle qui aura encore lieu cette année les 19 et 20 avril. Au premier étage, est présentée une exposition d'outils agricoles (n'oublions pas que nous sommes dans une zone rurale), mais là encore, tout est écrit en japonais.
A dix minutes de marche de là, je me rends au château (en photo ci-dessous). Lorsque le château d'Okayama est érigé sur les hauteurs de la ville, et sur l'ordre de Toyotomi Hideyoshi, nous sommes en 1585. Okayama sert alors de ville centrale régionale. Mais ce château brûlera lors de la bataille de Sekigahara (en 1600) entre Toyotomi Hideyoshi et Ieyasu Tokugawa. Et ce dernier, vainqueur de cette bataille, de décider de faire de Minakuchi une ville-étape de la route shogunale du Tokaido, lancée par lui. On dit que le shogun Ieyasu Tokugawa aurait logé à Minakuchi à plusieurs reprises. Il aurait d'ailleurs ordonné la construction de cette shukuba alors qu'il se rendait à Kyoto. Cette station fut donc bâtie en 1634 et de là vient l'origine du château de la ville.
Enshu Kobori, un lord féodal qui excellait à l'époque pour créer de jolis jardins et y organiser la cérémonie du thé sera chargé de la construction de ce château. Celui qui se faisait aussi appelé Kobori Masakazu était en effet daïmio, célèbre architecte et maitre de thé sous l'époque Edo. Fils de Masazuku, premier daïmio du château de Bitchu Matsuyama et compagnon d'armes des Tokugawa, il sera l'auteur des principaux jardins de thé des palais de Sento, de la Villa Katsura, des châteaux de Nagoya, de Sunpu, de Fushimi, d'Osaka, sans oublier le Palais de Nijo (Kyoto). Maitre de thé reconnu, il fut enfin le professeur du shogun Tokugawa Iemitsu, et fonda l'école Enshu de cérémonie du thé, qui existe toujours actuellement.
Comme le château de Minakuchi était surtout destiné à la ville-étape de la route du Tokaido et donc à accueillir le shogun lors de ses déplacements, il fut bâti de la même manière que le palais Nijo de Kyoto. Mais ne recevra son illustre hôte qu'une seule fois. En 1682, le château devint la demeure d'Akitomo Kato, l'un des lords féodaux des Tokugawa, et l'un des petits-enfants de Yoshiaki Kato, qui s'illustra lors de la bataille de Shizugatake. Obligé de Toyotomi Hideyoshi, Kato Yoshiaki sera vite connu pour ses sept lances de Shizugatake, c'est à dire les sept généraux les plus fiables et expérimentés d'Hideyoshi. Akitomo Kato nommera alors le château de Minakuchi du nom de Hekisuijo (le château aux eaux bleues, sans doute à cause du reflet de la bâtisse dans l'eau des douves). La famille Kato gouvernera ainsi les districts de Minakuchi, de Koka et de Gamo jusqu'à l'avènement de la période Meiji. Le château fut ensuite détruit pour être ensuite partiellement rebâti, en 1991.
Une employée de la mairie qui m'aida à organiser ma promenade me conseille de rendre visite à un hangar abritant l'un des seize chars (hikiyama) que possède la ville pour sa fête annuelle. Le char qui m'est offert d'admirer est garni de lanternes qui sont allumées lors du défilé de nuit durant la fête de Minakuchi. A voir absolument si vous passez par là !
INFOS PRATIQUES :
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Pour se rendre à Minakuchi, depuis Kameyama, emprunta le train de la JR Kansai Line, jusqu'à Tsuge. Puis changer et emprunter la JR Kusatsu Line pour aller jusqu'à Kibukawa. De là, trois solutions s'offrent à vous : le train ou le bus, mais ils se font rares) ou le taxi (compter 1000 yens de la gare de Kibukawa à Minakuchi). Prix du trajet en train de Kameyama à Kibukawa : 670 yens
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Musée d'histoire de Minakuchi, Minakuchi-cho (près de la mairie). Tél : 0748 62 7141. Ouvert tous les jours (sauf les jeudi et vendredi), de 10h00 à 17h00. Entrée : 150 yens (ou 200 yens pour le billet incluant l'entrée au château). Mais attention, toutes les informations sont rédigées en japonais et il est interdit de prendre des photographies.
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Château, ouvert tous les jours (sauf les jeudi et vendredi), de 10h00 à 17h00. Entrée : 100 yens (ou avec le billet mixte du musée d'histoire). Photos autorisées. Le musée présente la maquette du château avant sa destruction sous l'ère Meiji.
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Le hangar qui abrite le fameux hikiyama se trouve sur la route du Tokaido (qui traverse la ville), face à un commissariat de police.