Dimanche 8 mai 2016
Je quitte dans le courant de la matinée la petite ville de Denmark pour me diriger vers Albany, lieu de la plus ancienne implantation européenne de cette Australie-Occidentale que je parcours actuellement. Fondée en 1826, trois ans avant Perth, Albany est avant tout un port niché dans une baie explorée dès 1791 par le Capitaine Vancouver. Et ce port de rester le plus important de la région jusqu'à ce que soit construit plus tard celui de Fremantle. De plus, on se livra longtemps à la chasse à la baleine (jusqu'en 1978), jusqu'à ce que cette chasse soit interdite par le gouvernement australien.
Avant l'arrivée des premiers Européens, le peuple aborigène Minang (émanation du peuple Noongar) était le seul occupant de la région, et ce, depuis 25 000 ans. Nomades, les différents groupes du peuple Noongar bougeaient ici et là à l 'intérieur de leurs territoires respectifs, et à la recherche de nourriture. Le premier Européen à avoir fréquenté la zone d'Albany fut Peter Nuyts originaire de Gulden Zeepaard (Pays-Bas) en 1627. Puis, en 1791, George Vancouver baptisa cette terre « Nouvelle-Hollande », qui deviendra plus tard l'Ouest australien. Cette nouvelle possession britannique allait également nommer une baie locale du nom du roi George III. Quelques expéditions françaises eurent ensuite lieu dans la région, expéditions conduites par d'Entrecasteaux, Baudin, Freycinet et Dumont d'Urville mais ne donnèrent lieu à aucune implantation. Les Britanniques revinrent aussi sur place lors de différents voyages dont le plus notable reste peut être celui de Charles Darwin ou celui de Matthew Flinders.
Ainsi le gouvernement britannique ordonna t-il la création d'un premier camp de peuplement européen dans la baie de Georges III afin de prévenir toute installation éventuelle des Français. L'autre raison de ce camp était aussi les déboires rencontrés par le camp de bagnards de Port Macquarie (en Nouvelle-Galles du Sud).Il fut donc décidé de bâtir un nouveau camp à Albany. Celui-ci prit forme pour la première fois le 25 décembre 1826, avec l'arrivée du navire Brig Amity (dont Albany possède une réplique ci-dessous), qui avait appareillé le 9 novembre de la même année de Sydney avec 23 bagnards. Le bateau était placé sous l'autorité du Major Edmund Lockyer, appartenant au 57è Régiment, à qui il revenait d'établir le fameux camp. Pour ce faire, il était accompagné du Capitaine Joseph Wakefield du 39è Régiment de fantassins, de 18 soldats, et d'Issac Scott Nind (chirurgien). On avait embarqué à bord pour six mois de vivres (y compris cochons et moutons). Et le Major de baptiser officiellement le nouveau camp le 21 janvier 1827 du nom de Frederickstown (en l'honneur du deuxième fils du roi George III).
Je me rends à bord de la réplique du célèbre navire à bord duquel arrivèrent les premier Européens à Albany : c'est au Canada qu'avait été construit le Brig Amity, plus exactement en 1816. Le nom de ce navire de 142 tonnes signifiait Petit navire de l'Amitié (car il ne possédait que deux-mâts mais était réputé véloce sur les océans). Le bateau eut plusieurs capitaines et navigua d'abord au large de l'Ecosse et de l'Irlande, puis jusqu'à Hobart (Tasmanie) en 1824. Il fut alors cédé au gouvernement colonial pour un prix non révélé afin de servir de bateau de transports pour les marchandises et le bétail entre différents ports australiens. Le Brig Amity viendra également au secours du navire de transport de bagnards, le Royal Charlotte (qui avait échoué sur la barrière de corail) et participera à la fondation du camp de bagnards de Moreton Bay (future Brisbane). Le gros temps avait malmené le Brig Amity lors de son voyage vers Albany. Le navire avait du faire un crochet par Georgetown (Tasmanie) afin de réparer les dégâts et de charger de nouvelles provisions de bord. Une fois sa mission remplie à Albany, le bateau appareillera de nouveau un mois plus tard pour regagner Sydney. Il reviendra à trois reprises dans la Baie de George III, en partance pour l'ouest, c'est à dire la future cité de Perth. Il sera à nouveau vendu à partir de 1831, puis basé un petit moment à Hobard, allant même jusqu'à participer brièvement à la chasse à la baleine, du côté de Cloudy Bay (Nouvelle-Zélande), en 1832. Le bateau servira aussi au transport de marchandises et de bétail vers les nouveaux campements. Son existence s'achèvera sur un récif, au large de Flinders Island, lors d'un violente tempête de juin 1845. On décida bien plus tard, au milieu des années 1970, d'en construire une réplique à l'occasion du 150ème anniversaire de l'arrivée du Brig Amity à Albany.
Qui dit bagnards dit prison. Juste à deux pas du Brig Amity, se trouve l'ancienne prison d'Albany (ci-dessous) : je passerai un moment à visiter l'endroit où l'on incarcéra jadis les durs à cuire, voire les criminels. Le système carcéral australien était ici, dans l'ouest, comme ailleurs dans le pays, basé sur la réhabilitation. On transféra ainsi durant 18 années les criminels anglais vers l'Australie (de 1850 à 1868). La prison que je visite servait de lieu de détention provisoire pour les nouveaux arrivés. Bâtie en 1852, mais fermée trois ans plus tard, cette prison rouvrira avec l'accroissement du nombre de bateaux atteignant le port. Les condamnés étaient alors utilisés pour des travaux forcés (construction de routes, de voies de chemin de fer...) d'où une saine réhabilitation par le travail. La prison était constituée de plusieurs bâtiments, avec ses cellules, la tour, une grande salle commune qui servait de lieu de culte, de salle à manger et de rassemblement et était fréquentée par les colons et certains prisonniers, la cuisine, et la boulangerie. On trouvait aussi une aile réservée aux femmes détenues, un ferronnier, et même un charpentier. Les prisonniers hommes dormaient sur des matelas ou dans des hamacs, tandis que les plus récalcitrants étaient enfermés dans une cellule d'isolement complètement plongée dans le noir. D'autres prisons semblables existaient en Australie de l'ouest mais peu survivront. Vers 1876, seuls 7 condamnés purgeaient encore leurs peines dans celle d'Albany et la prison de fermer en 1939, avant d'être depuis réorganisée en un musée.
La prison comportait bien une petite cour réservée à la pendaison, mais seul un condamné bénéficiera de ce « privilège ». Peter McKean (alias William McDonald) avait été condamné pour le meurtre d'un vagabond du côté de Kojonup. Il n'était pas habituel de pendre les gens à cette époque et la potence dut être amenée depuis Fremantle pour l'exécution de cette peine. A noter tout de même qu'en raison des circonstances exceptionnelles de cette pendaison, le coupable aura tout de même bénéficié pour l'occasion d'une remise de peine de...douze mois !
Connaissez-vous la plus ancienne ferme de l'Ouest australien ? Je l'ai visité ce matin en me rendant à la Old Farm Strawberry Hill (ci-dessous). Lors de l'installation du campement européen à Albany, il fallut bien nourrir les occupants et le gouvernement d'alors créa cette petite ferme sur les terres fertiles du coin afin d'y faire pousser fruits et légumes. C'est là que poussera en 1828 la première récolte de maïs (première du genre en Australie). Il faut dire que lorsque Lord Spencer débarqua sur place, en 1833, Albany ne comptait encore qu'une cinquantaine d'Européens. Vingt ans plus tard, la ville comptait plus de 240 habitants (Européens et Asiatiques) qui vivaient aux côtés du peuple aborigène Menang. Au cours des années 1830, la cohabitation se passa fort bien entre les deux communautés mais se détériorera dans la décennie suivante, au fur et à mesure de l'installation des Européens et de leurs règles (les notions de propriété étaient par exemple inconnues du peuple aborigène). Les premiers bâtiments publics seront bâtis en 1836-37, la première église seulement en 1848, et la première école, au cours des années 1840. On comptait par contre plusieurs hôtels, des routes non revêtues, d'ailleurs plus ou moins utilisées (la ville était très isolée et il fallait à l'époque douze jours de voyage pour aller d'Albany à Perth par les chemins de traverse).
De 1827 à 1832, la ferme gouvernementale d'Albany s'affaira du mieux qu'elle put. On construisit un cottage pour la venue du gouverneur James Stirling dans la Baie de George III, en novembre 1831. Deux ans plus tard, la famille Spencer s’installait dans les lieux. Sir Richard Spencer, ancien commandant de marine venait d'être nommé résident du gouvernement en 1833 et allait occuper la petite ferme, avec sa femme, Lady Ann Spencer, ses neuf enfants, ses domestiques et ses ouvriers agricoles. On bâtira donc à côté du cottage une maison de granit à deux niveaux pour abriter tout la famille. Les Spencer allaient rester dans cette demeure jusqu'en 1889, date à laquelle ils seront remplacés par les Bird : Francis Bird, architecte retraité originaire de Perth, et homme d'affaires, rachètera la ferme et y effectuera d'importants travaux de rénovation (cottage et maison ne formeront plus qu'un seul et même bâtiment). Monsieur Bird et son épouse conserveront la propriété jusqu'en 1962. La petite ferme est depuis placée sous l'égide du National Trust australien.
Faute de temps, je ne visiterai pas le mémorial ANZAC en hommage aux soldats australiens qui sont venus se battre (et parfois mourir) pour libérer l'Europe durant les deux guerres mondiales. Ainsi, en 1914, les troupes australiennes allaient partir de la ville d'Albany pour se diriger vers Gallipoli (Egypte). La nation australienne toute entière reconnaitra le sacrifice de ses soldats le 25 avril 1923, lors d'une cérémonie qui se perpétuera désormais chaque année. Les mêmes ressortissants paieront parfois de leur vie leur participation au conflit de la Seconde guerre mondiale. Un mémorial accueille les visiteurs qui le désirent afin de se souvenir (voir infos pratiques).
L'autre attraction d'Albany est l'ancienne station baleinière qui fonctionna jusqu'en 1978. Celle qu'on appelait autrefois la Cheneys Beach Whaling Company sera la dernière compagnie de ce genre à fermer en Australie et devra se résoudre à mettre la clef sous la porte par manque de rentabilité économique, à une époque où l'Etat australien ne délivrait plus de permis de chasse à la baleine, où le prix du carburant devenait exorbitant (un navire baleinier consommait une tonne de carburant par heure), tout comme d'ailleurs le coût en hausse constante des salaires des 102 employés, alors que parallèlement, le prix de l'huile de baleine, lui, était en chute libre.
La compagnie baleinière possédait trois baleiniers (dont le Cheneys IV en photo ci-dessus) qui opéraient depuis ce petit port d'Albany. Le Cheneys IV sera le plus gros baleinier de la société : construit en Norvège en 1949, il arrivera d'Afrique du Sud en 1970. Ses 960 tonnes en imposeront, tout comme ses 48 mètres de long. En période de chasse (c'est à dire de mars à décembre), les navires quittaient leur base vers 4h30 du matin pour un long périple au large, à la recherche des baleines macrocéphales (lesquelles se déplaçaient aussi vite que le navire, soit à une vitesse de 35 km/heure). Un avion CESSNA repérait les baleines et indiquait leur emplacement aux capitaines des bateaux. C'est que ces gros cétacés, particulièrement friands des calamars géants (dix mètres de long ou plus) venaient traquer leurs proies dans la zone de pêche. Une fois la baleine capturée et tuée (avec un harpon muni d'une charge explosive), le baleinier mettait parfois quinze heures pour rentrer à la station afin de tracter l'immense poids du cétacé (40 à 50 tonnes). La prise était alors laissée quelques heures au mouillage, amarrée à de grosses bouées à une centaine de mètres du rivage, car le navire ne pouvait pas approcher davantage du bord par manque de tirant d'eau. La zone abritant également des requins, les baleines étaient rapidement treuillées sur la plateforme de découpage. Ce furent ainsi 14600 cachalots macrocéphales qui seront capturés en 26 années de fonctionnement de l'usine. La dernière baleine sera capturée le 20 novembre 1978. A noter aussi que jusqu'en 1963, les baleines à bosse auront la faveur des chasseurs, jusqu'à ce que cette espèce soit protégée une fois menacée de disparition.
Les cétacés étaient donc hissés par la queue jusqu'à la plateforme, grâce à des treuils à vapeur. Un long travail de dépeçage des animaux débutait alors : on ne pouvait pas chasser la baleine n'importe comment et il existait des normes. Les femelles (sauf celles qui portaient un baleineau et n'était pas traquées) devaient mesurer au moins 9,5 mètres de long et les mâles, 13,70 mètres. Dans le cas contraire, le capitaine du navire s'exposait au paiement d'une amende de 2000 AUD. Il existait enfin des quotas de pêche pour chaque campagne.
La baleine était ensuite découpée en petits morceaux. On retirait d'abord le blanc, puis on découpait des morceaux plus petits qui finissaient dans les fondoirs (machines servant à récupérer l'huile par broyage), avant de prélever les dents en ivoire, qui valaient une fortune. La carcasse était ensuite travaillée en la hissant sur un mât de charge. Toutes les viandes étaient bouillies excepté les dents et l'ambre gris (qui contenait une huile de très haute qualité, utilisée comme fixatif de parfumerie, en France notamment). Le plus gros morceau d'ambre gris qu'on trouva sur place pesa 926 livres et fut négocié...148000 AUD ! En 1978, l'once d'ambre gris se négociait encore à 30 €.
Une baleine fournissait environ 7 tonnes d'huile et les cinq réservoirs d'huile de la station pouvait contenir 700 tonnes d'huile, soit l'équivalent de cent cétacés. Cette huile avait différents usages : résistante aux fortes températures, elle convenait parfaitement au fonctionnement des machines et des systèmes hydrauliques des voitures. On l'utilisait également pour tremper l'étain, ou comme lubrifiant dans les mécanismes de haute précision (montres, horloges), pour le finissage du cuir, et dans de nombreux produits pharmaceutiques ou cosmétiques.
Aujourd'hui, l'ancienne usine est devenue Whale World (le monde de la baleine), un centre de découverte de ce cétacé désormais protégé et qui impressionne toujours autant. Une visite guidée permet de faire le tour des installations et de comprendre le contexte de la pêche à la baleine et la transformation de l'animal pour récupérer son huile. Cette visite s'achève devant une carcasse gigantesque (ci-dessus en photo) de baleine bleue, avant de visionner un film d'images de synthèse et en 3D relatant la vie des cétacés.
Après avoir visité le centre, programmez The Gap and Natural Bridge sur votre GPS et laissez-vous conduire jusqu'à ces deux merveilles de la nature qui ne se trouvent qu'à quelques kilomètres de l'ancienne station baleinière, en empruntant la Frenchman Road.
INFOS PRATIQUES :
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Réplique du Brig Amity, Princess Royal Drive à Albany. Le bateau peut être visité moyennant l'achat d'un billet de 5AUD, directement à bord du navire (ou auprès du musée voisin). Plus d'informations au 08 9841 4844. Audioguides fournis sur place.
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Albany Convict Gaol Museum, Stirling Terrace, à Albany. Tél : 08 9841 5403. Ouvert tous les jours de 10h00 à 16h00. Entrée : 5AUD. Site internet : http://www.historicalbany.com.au
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Old Farm Strawberry Hill, 174 Middleton Road, à Albany. Tél:08 9841 3735. Plus ancienne ferme d'Australie de l'ouest, ouverte tous les jours de 10h00 à 16h00. Entrée gratuite (vos dons sont toutefois les bienvenus)
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National Trust of Australia, 4 Havelock Street, à Perth. Tél:08 9321 6088. Site internet : http://www.nationaltrust.org.au/wa
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National ANZAC Center, 7 Forts Road, à Albany. Tél : 08 9841 9369 . Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h00. Entrée : 24 AUD. Site internet : http://www.nationalanzaccentre.com.au
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Whale World, 81 Whaling Station Road à Albany (à 12 kilomètres de la ville). Tél : 08 9844 4021. Ouvert tous les jours de 9h00 à 17h00. Entrée adulte : 29 AUD. Site internet : http://www.discoverybay.com.au
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