Mardi 2 août 2016
Le Musée du Quai Branly, dont les Arts premiers sont la raison d'être, et qui fête cette année ses dix ans d’existence, nous invite cet été à découvrir l'exposition Homme Blanc, Homme Noir, consacrée aux représentations de l'Occidental dans l'art africain du XX ème siècle. Ce Blanc qui déboula d'Europe à la fin du XIX ème siècle avec les premiers explorateurs. En 1835, les Européens avaient déjà cartographié la plupart du nord-ouest de l’Afrique. Parmi les explorateurs les plus connus, on se souvient de David Livingstone qui mettra sur carte les vastes étendues de l'intérieur du continent et Serpa Pinto. Il traversera l'Afrique australe et l'Afrique centrale lors d'une laborieuse expédition, pour cartographier cette partie du continent. D'autres expéditions plus ou moins mal aisées auront lieu entre 1850 et 1860, et seront menées par Richard Burton, John Speke et James Grant. Elles permettront au public de découvrir la région des Grands Lacs et les sources du Nil. Fin XIX ème, des cartes pourront ainsi être tracées, représentant le Nil depuis sa source, le cours du Niger, du Congo et du Zambèze. A cette époque, seuls 10% du continent étaient sous le contrôle de ceux qu'on surnommera les toubabs. En 1875, les plus grandes possessions européennes se résumaient à l'Algérie, conquise par la France dès les années 1830, la Colonie du Cap, tenue par le Royaume-Uni, et l'Angola tenu par le Portugal. Les progrès technologiques facilitaient alors l'expansionnisme outre-mer. Quant à l'industrialisation, elle permettait de rapides avancées dans les transports et les communications, tout particulièrement du côté de la marine à vapeur, du transport ferroviaire et du télégraphe. Les progrès médicaux existaient eux aussi, dans les médicaments et dans la lutte contre les maladies tropicales. La quinine, très efficace pour combattre la malaria, permettra à l'homme blanc de pénétrer dans les vastes zones tropicales.
Toutefois, l'Europe n'a ni l'exclusivité, ni le monopole du regard sur l'autre. Pourtant, et durant de longues années, notre continent imposera sa vision unilatérale du monde, avec ses représentants et ses ambassadeurs, personnages qui seront épiés et analysés avant d'être imités, admirés aussi bien que critiqués ou moqués. Excepté certains comptoirs européens côtiers souvent anciens, l'Afrique subsaharienne n'avait été que très peu touchée par l'impérialisme informel et la civilisation. Cette partie du monde attirait également nos élites dirigeantes à cause des importantes ressources économiques et pour des raisons culturelles et idéologiques. La Grande Dépression de 1873-1896 avait fortement mis à mal les marchés continentaux qui souffraient de protectionnisme, et l'Afrique, d'offrir alors un marché ouvert, susceptible de générer un surplus de commerce, un marché qui achèterait davantage qu'il ne vendrait. Toutefois, les montants des capitaux qui seront investis sur le continent africain, mis à part ce qui deviendra plus tard l'Union d'Afrique du Sud en 1909, resteront faibles. Et les compagnies européennes impliquées dans le commerce de l’Afrique tropicale d'être généralement assez petites.
L'exposition présentée s'attache à décrire la représentation de l'homme blanc en Afrique, sujet inexploré depuis les années 1950. Objets et photos sont ainsi présentées au public à travers six vitrines thématiques : la force et l'ironie, la rançon de la gloire, au service de la foi, sur l'autel de la modernité, chefs d'oeuvre et accumulations.
Dès le XVI ème siècle, marins, soldats, missionnaires et commerçants occidentaux sillonnaient les côtes de l'Afrique de l'Ouest, et leurs hôtes durent pour leur part assimiler les conséquences de cette intrusion, en intégrant petit à petit ce visage pâle conquérant, résultat de la colonisation. La conférence de Berlin jouera un rôle déterminant dans le partage et la division du continent africain. Débutée le 15 novembre 1884, et achevée le 26 février 1885, elle rassemblera l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Suède-Norvège, la Turquie et...les Etats-Unis. Et édictera les règles officielles de colonisation. La France, déjà en conflit avec Lat Dior au Sénégal, lancera une intervention militaire contre l'armée Cayor. Puis conquerra la Guinée en 1891, ainsi que le Soudan français et la Côte d'Ivoire deux ans plus tard, puis le Dahomey en 1894. Ainsi sera donc créée l'Afrique Occidentale Française (AOF) le 16 juin 1895, par l'union du Sénégal, du Soudan français, de la Guinée et de la Côte d'Ivoire. En 1919, la colonie de la Haute-Volta et le Togo seront quant à eux rattachés à l'AOF. Dès 1900, le Nigeria avait, lui, été découpé en plusieurs protectorats.
Les six vitrines exposées réunissent un ensemble de 90 sculptures et photographies du XX ème siècle :
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La force et l'ironie : si l'Occidental est parfois représenté de façon ironique pour critiquer son impérialisme, il peut aussi apparaître comme une figure de pouvoir.
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La rançon de la gloire : autour de la notion d'identité dans la statuaire « colon » sont évoquées les représentations de personnages occidentaux réels comme la reine Victoria, le général de Gaulle, ou bien Brigitte Bardot.
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Au service de la foi : évocation de différents aspects de la présence catholique en Afrique à travers des statues de missionnaires, des crucifix...
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Sur l'autel de la modernité : la figure de l'homme blanc représentée à travers des objets de consommation, de locomotion (vélo, voiture...)
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Chefs d'oeuvre : présentation de huit sculptures et masques qui sont considérés comme des pièces majeures de l'art dit « colon ».
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Accumulations : une trentaine de sculptures montre la variété de la production de l'art colon.
En 1914, le processus de colonisation sera entièrement achevé et l'ensemble des structures politiques pré coloniales sera renversé puis remplacé par les institutions coloniales. La même année éclatera la Première guerre mondiale, entrainant l'engagement de combattants Ouest-Africains dans ce conflit. Au même moment, Blaise Diagne deviendra le premier député noir d'Afrique à être élu à la Chambre des députés française. Il sera chargé du recrutement des tirailleurs sénégalais, terme désignant tout combattant africain engagé dans les troupes coloniales de l'AOF. Et Blaise Diagne, assimilationniste convaincu, de promettre fortes primes, médailles militaires, certificats de bien manger, habillement neuf et citoyenneté française une fois la guerre finie. Ainsi réussira t-il à mobiliser 63 000 soldats en AOF, des combattants qui d'ailleurs participeront avec talent à la bataille d'Ypres, à Dixmude fin 1914, et lors de la prise du Fort de Douaumont en octobre 1916. Les mêmes combattants participeront également à la bataille du Chemin des Dames en avril 1917 et périront à hauteur de 7000 tués (sur 16500 engagés dans cette bataille) et à la bataille de Reims en 1918. Le recensement de 1921 établira la population de l'AOF à 12 285 000 habitants (hors population du Togo). Autant de paires d'yeux qui se retourneront au passage de l'homme blanc qu'ils graveront tantôt dans les ivoires sapi, tantôt dans des sculptures dites colon, déclinaisons du toubab ou de ses attributs dans l'art africain. On y croise parfois des représentations dépouillées, parfois des objets aux résonances éminemment poétiques. Et cette exposition d'inviter le visiteur à découvrir l'art métissé dit colon, lequel, bien que trop longtemps ignoré des institutions et de l’histoire de l'art africain, recèle une richesse insoupçonnée.
INFOS PRATIQUES :
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Exposition « Homme blanc, Homme noir », au musée du Quai Branly, 37 Quai Branly, à Paris (7è), jusqu'au 9 octobre 2016. Ouvert les mardi, mercredi et dimanche de 11h00 à 19h00 et les jeudi, vendredi et samedi de 11h00 à 21h00. Tél:01 56 61 70 00. Entrée adulte : 9€. Pour vous y rendre: RER A Pont de l'Alma. Attention: dans le cadre du plan Vigipirate, les valises et les sacs de grande contenance sont interdits à l'entrée du musée. Site internet : http://www.quaibranly.fr/fr/
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Merci à l'agence Alambret pour le prêt des photos.