Mercredi 9 novembre 2016
Les deux premières colonies britanniques de l'hémisphère sud prirent forme à Port Jackson et sur l'île de Norfolk, de janvier à mars 1788. Quinze ans plus tard, un troisième camp voyait le jour au bord du Derwent, en Tasmanie, à partir de septembre 1803. C'est ce troisième campement qui donnera naissance à la ville de New Norfolk où je vous emmène aujourd'hui.
Le 6 mars 1788, moins de deux mois après l'installation de la colonie de la Nouvelle-Galles-du-Sud, le Lieutenant Philip Gildey King et 22 autres colons (dont 9 bagnards masculins et 6 bagnards féminins) arrivaient sur ce qui s'appelle désormais Kingston (Île de Norfolk). Il est évident que les lieux d'établissement des colonies avaient été choisis en fonction des atouts stratégiques et militaires du moment. Et que les considérations économiques (perspective de croissance et accessibilité) n'étaient pas prioritaires.
C'est avec le bateau Golden Grove que l île de Norfolk connaitra sa première population réelle, en octobre 1788, avec l'arrivée de 46 personnes. D'autres bagnards, plus nombreux et des provisions atteindront l'île en mars, juin et décembre 1789. En janvier 1790, ce furent à nouveau des détenus (22 hommes et une femme) qui abordèrent les côtes mais cette fois, sans ravitaillement. Cette pénurie de nourriture fit dire aux autorités britanniques que l'île de Norfolk était en meilleure position que Port Jackson (Sydney) pour vivre en auto-suffisance. Effectivement, les colons souffraient beaucoup des manques de vivres en Nouvelle Galles du Sud et se sentaient abandonnés par la mère patrie britannique, d'autant plus qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle d'Angleterre depuis...36 mois. On peut alors imaginer la liesse de ces pauvres gens lorsqu'ils virent le navire Lady Juliana faire relâche à Port Jackson en juin 1790 avec 228 bagnards femmes et deux ans de ravitaillement. Moins d'un mois plus tard, ce fut le Justinien, bateau ravitailleur qui arriva à son tour. La famine était enfin terminée.
Le camp de l'île de Norfolk connaissait un succès mitigé : certes, la terre était fertile mais le défrichage de la forêt humide se faisait avec difficulté et rats et perruches dévoraient une partie des récoltes. De plus, les fermiers qui produisaient une quantité croissante de viande de porc n'avaient trouvé que très peu de débouchés pour écouler leur production et le Commissariat payait leur viande une misère. Les ports sûrs étaient rares et il était hasardeux d'aborder l'île pour les bateaux de commerce. Et les coûts pour maintenir en place ce camp de l île de Norfolk de s'avérer en hausse constante, sans pour autant gagner au change. Il fut donc bientôt décidé de laisser tomber cette colonie. On envisagea donc une relocalisation d'une partie des habitants de l'île de Norfolk sur ce troisième camp installé au bord de la rivière Derwent. Le 9 novembre 1807, le Lady Nelson quitta l'île avec un premier chargement de 34 colons, en direction de la Tasmanie. Tout n'allait pas être rose pour ces familles d'îliens qui avaient toujours vécu sous un climat tropical, et qui, du jour au lendemain, allaient devoir affronter les frimas de Tasmanie. Les deux années suivantes, le transfert de population se poursuivit, à hauteur de la moitié des habitants de l'île de Norfolk, jusqu'à vider complètement l'île de ses occupants en 1814. Cette île restera abandonnée onze années durant, jusqu'à l'établissement d'un autre camp, mais çà, c'est une autre histoire.
New Norfolk sera le troisième camp de colons établi en Tasmanie, après Hobart et Launceston. Au départ, les nouveaux arrivants explorèrent la vallée du Derwent pour y chercher les subsides nécessaires à leur survie mais il n'y avait pas grand chose à manger et les ventres criaient famine, au point que les bagnards étaient chargés de chasser le kangourou, abondant. En novembre 1807, on avait promis aux colons îliens de Norfolk qu'ils bénéficieraient, une fois en Tasmanie, de terres généreuses, d'une maison et de détenus pour les aider dans l'exploitation de leurs fermes, et qu'ils seraient nourris et vêtus pendant un an. Un an plus tard, les 544 personnes (soldats, détenus et colons) qui vivaient désormais au bord du Derwent (là où se dresse l'actuelle ville de New Norfolk) avaient déjà posé les bases d'un énorme changement sur place en apportant leur savoir-faire (dans des domaines aussi variés que la boulangerie, la forge, la boucherie, la comptabilité et bien d'autres métiers encore), et fait aussi un trait sur les promesses non tenues du gouvernement de Tasmanie. Sur la totalité des nouveaux arrivants, seuls 30% s'établiront à l'emplacement actuel de New Norfolk, endroit surtout connu pour ses hautes collines et ses cours d'eau. Lors de sa visite en Tasmanie, en 1811, le gouverneur Macquarie baptisera la jeune cité du nom d'Elizabeth Town (prénom de sa femme), mais ce nom n'accrochera pas bien auprès des habitants car ceux-ci, désireux de préserver leurs racines de l'île de Norfolk, préféreront parler de « la nouvelle Norfolk ». Le même gouverneur fera diviser la ville nouvelle en lots, avec encouragements pour les nouveaux venus qui s'investiraient dans le développement de l'industrie locale. La vie de ces nouveaux habitants n'étant pas facile, le gouvernement devra leur fournir des rations alimentaires jusqu'en 1812. Il n'y avait en effet ni routes, ni transports, et la population était totalement dépendante de la rivière Derwent et de son transport fluvial. 1846 verra pourtant la plantation des premiers plants de houblon, qui contribuera par la suite à la prospérité de New Norfolk. La vallée du Derwent, à la fois fertile et très boisée, fera le reste, avec l'aide du chemin de fer Derwent Valley Railway (ci-dessous). Cette ligne désormais abandonnée rêve aujourd'hui de revivre ses jeunes années. Une association a pour ce faire été créée en 1990, et est actuellement en négociation avec le gouvernement de Tasmanie pour récupérer le droit de rouvrir la ligne de quarante kilomètres qui longe le Derwent, à des fins touristiques. Actuellement, l'association, qui possède locomotives, wagons et 200 adhérents bénévoles prêts à s'investir dans l'opération, espère pouvoir un jour relancer un service ferroviaire sur cette ligne historique, service qui existait jusqu'en 2005, pour la joie des petits et des grands.
New Norfolk et sa région avait enfin pris un bon départ, et 1907 verra la création d'une usine hydro-électrique sur le Grand Lac. Et la ville de profiter bientôt (en 1915), elle aussi, de l'éclairage électrique. Des bateaux à vapeur circulaient également sur le Derwent, permettant le désenclavement d'une cité longtemps isolée. New Norfolk avait cependant disposé très tôt d'un pub, le Bush Inn (ci-dessous en photo).Construit en 1815, et ayant obtenu sa première licence dix ans plus tard, le plus ancien pub d'Australie (toujours en activité depuis son origine) tient son nom de D.W.Bush, employé du Révérend Bobby Knopwood, qui fut le premier chapelain de cette colonie. L'intérieur offre les mêmes meubles et le même plancher qu'à l'origine. Le bar servit aussi de lieu de prêche pour un prêtre méthodiste, en 1835. L'établissement accueillera également la première cabine téléphonique du Commonwealth en 1888. A l'époque, le numéro de téléphone du pub était alors New Norfolk 1, jusqu'aux années 1970 (date de la nouvelle numérotation). C'est de là qu'eut lieu le premier appel pour Londres, le 1er février 1939.
Quelques numéros plus loin et dans la même rue de Montagu, je m'arrête devant une charmante demeure (deuxième photo) qui abrite non seulement un Bed & Breakfast et un restaurant joliment décoré, mais aussi un musée d'antiquités où l'on peut acquérir des objets. La propriétaire me reçoit gentiment et m'ouvre les portes de cet établissement qui compte parmi les plus anciennes demeures de la cité. La maison, érigée en 1815, servit d'abord d'entrepôt pour le houblon, avant d'être agrandie en rajoutant un étage (en 1835). Le terrain sur lequel se tient la demeure appartenait jadis à John oF Hampton et William Courtney, deux surveillants de bagnards.
Le saviez-vous ? New Norfolk possède la plus ancienne église anglicane d'Australie, l'église St Matthews (ci-dessous). Celle-ci, fut construite en 1823, près du Square Arthur, afin de répondre à l'époque aux besoins croissants d'un population en hausse (600 habitants en 1822). Consacrée en 1828, l'édifice sera modifié à plusieurs reprises, puisque l'on agrandira l'ensemble en 1833, qu'une tour sera rajoutée en 1870, puis en 1894, d'où une image très différente de ce que l'église offrait à l'origine. J'admire sur place les magnifiques vitraux (deuxième photo). Quant au Square Arthur, il porta autrefois le nom de Square Georges (jusqu'en 1863) jusqu'à ce que la Couronne britannique fasse don du parc au Conseil de la ville. C'est là que se tenaient jadis manifestations sportives, rencontre communautaires et parades militaires.
Le centre-ville de New Norfolk, qui devint une municipalité le 18 mars 1863, est relativement limité : High Street constitue la rue principale (il est délicat d'y stationner, préférez les rues adjacentes!) à l'extrémité de laquelle se trouve Arthur Square. Je découvrirai au hasard de ma promenade qu'Ikey Salomon, le héros de Charles Dickens dans « Oliver Twist » avait vécu sur High Street. Ce bagnard respecté occupa en effet une maison à l'angle de la rue Burnett pendant quelques années. On l'arrêtera suite au meurtre de Mary Mills dans le parc de Tynwald le 9 novembre 1836, avant de le relâcher peu de temps après. Willow Court, l'ancien asile de la cité, fut quant à lui érigé un peu en retrait, à dix minutes de marche du centre. Le bâtiment, qui fut bâti en 1830-31 par le Major Roger Kelsall, reçut le nom de Willow Court, car Lady Franklin avait planté un saule dans la cour. L'endroit avait été voulu par le gouverneur Arthur afin d'y accueillir les vieux bagnards invalides.
Ultime curiosité près de New Norfolk : la tombe de Betty King qui fut la première femme bagnard d'Australie à avoir atteint Botany Bay le 26 janvier 1788 à bord du navire Friendship. Quelques années plus tard, et sans doute en signe de bienvenue, elle reçut 25 coups de fouet le 14 juillet 1791 pour être sortie de son camp sans permission. Betty épousera Samuel King et le couple s'établira dans le Derwent. Elle décèdera à l'âge de 93 ans et sera enterrée à Magra (près de New Norfolk).
INFOS PRATIQUES :
- Derwent Valley Railway, Off Boyer Road (à la fin de Station Street, à l'ancienne gare ferroviaire), New Norfolk. Tél : 03 6261 1946. Le bureau est ouvert les mercredi et samedi de 11h00 à 15h00. Des visites guidées sont alors possibles sur place. Site internet : http://www.dvr.org.au
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Bush Inn, 51 Montagu Street, New Norfolk. Tél : 03 6261 2256
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Old Colony Inn, 21 Montagu Street, New Norfolk. Tél : 03 6261 2731. Bed & Breakfast, avec trois superbes chambres (à partir de 110 AUD$ la nuit).
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Eglise St Matthews, 6 Bathurst Street, New Norfolk. Tél : 03 6261 2223.
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Pulpit Rock Look out offre une vue imprenable sur la ville de New Norfolk
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Site sur New Norfolk : http://www.discovertasmania.com.au/about/regions-of-tasmania/hobart-and-south/new-norfolk
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Tombe de Betty King, Lawitta Road, Magra (à côté de New Norfolk)